Marc Melià est un compositeur majorquin vivant en Belgique, véritable vaisseau-mère de la musique mécanisée. C’est avec le label français Pan European Recording qu’il sort son deuxième album, VEUS, succédant ainsi à son premier, Music For Prophets Il s’agira ici de comprendre comment le compositeur va nous reconnecter à notre humanité. Voir comment il va déployer toute sa technicité pour créer un tout nouveau monde.
Le rose pétant de la pochette de VEUS ne peut que nous rappeler celui de Her de Spike Jonze sorti en 2014. Ce constat fait, nous avons une longueur d’avance sur ce qui va nous être présenté. En effet, Marc Melià nous propose une magnifique ode aux liens sociaux, à l’amour, à l’interaction humaine – et plus si affinités. Véritable humaniste romantique, le compositeur convoque avec une modestie farouche, notre empathie et notre sensibilité la plus profonde. Sur cet album, il nous charme de ses multiples voix, graves ou aigus, robotisées ou humaines, qui nous pénètrent avec douceur tout du long. Un véritable poème lyrique 2.0 en somme.
Marc Melià, poète des histoires d’amour contemporaines
C’est avec une simplicité évocatrice que l’auteur-compositeur-interprète brosse un portrait des échanges humains, sans limite ni frontière. Quelques mots, quelques phrases se percutent et mettent en évidence l’amour au XXIème siècle.
Dans « DX7», les multiples boucles de synthétiseur laissent place à quelques notes simplistes. Celles-ci seront embellies par la voix, ou plutôt les voix, de Marc Melià. Ce titre est, à bien des égards, antithétique sur tous les points. En effet, la première apparition de la langue catalane crée un malaise : si étrangère et pourtant si familière. Mélange de langues ibériques et romaines, nous ne savons pas comment interpréter cette langue qui résonne agréablement dans nos oreilles. Cette multiplicité s’incarnera aussi dans la polyphonie des voix qui arrivent successivement dans le morceau. Leurs propres modulations créent une harmonie millimétrée et maitrisée. Les paroles, toujours dans un rapport oxymérique, possèdent un caractère enfantin mais intimiste. Les relations humaines, et même extrahumaines selon le principe établit par cet album, sont présentées ici comme des plus ambigües et des plus ambivalentes. Ce deuxième morceau nous plonge dans le cœur de l’album : la complexité candide de l’amour.
Le morceau « Dent de Serra » nous plonge dans une intériorité voyeuriste. Les pulsations semblables à des battements de cœur, trop lentes pour qu’elles appartiennent à un humain, nous invite à croire que nous sommes dans l’intériorité d’un être vivant, mais lequel ? La boucle lancinante et mélancolique se met en place encore une fois pour nous hypnotiser. Puis une voix solennelle, grave, plante le décor : il s’agira encore une fois de parler d’amour. En écho à cette dernière, une voix animique se fait entendre, reflet d’une plainte sincère et torturée. La mélancolie ressentie pourrait-elle être dû à des souvenirs, des regrets… ? Quoiqu’il en soit Dent de Scie nous fait entrer en communion complète avec cette entité tierce. Cette étreinte émotionnelle nous pousse à ressentir une tristesse attendrie lors de l’écoute du morceau. L’empathie pour ces voix robotiques se coupent cependant brutalement à la 4ème minute pour passer à une boucle plus brute. Aurions-nous été rejeté de son système en tant que corps étranger à ce dernier ? La boucle répétitive et inchangée rappelle celle des interminables attentes téléphoniques : nous n’aurons plus accès à cette fenêtre sur autrui.
C’est autour du morceau « Oxitocines » que la délicatesse et la sensibilité de Marc Melià va se cristalliser. Au détour d’une voix synthétique, l’interprète convoque notre propre synthèse d’une hormone relâchée par le cerveau jouant sur nos liens affectifs et sociaux, l’ocytocine. Les paroles décomposent les états psychiques du cerveau et les rationnalisent d’une manière scientifique. Les émotions amoureuses sont décryptées avec une froideur digne d’un ordinateur. Les échos des échantillonnages percussives, avant le passage plus ténébreux et introspectif, renvoie à la théorie de la résonnance limbique. Cette théorie se définie par la synchronisation de nos émotions avec les personnes qui nous entourent. Ainsi, l’astronaute impassible aperçu dans le clip et la jeune femme excentrique peuvent, bien que différemment, ressentir les mêmes émotions. Le passage, court mais percutant, avec des basses plus prononcées et des percussions hypnotiques assombrissent la musique et surprend. Puis rapidement, la voix de Marc Melià adoucit l’ensemble pour nous happer dans une envolée de sonorités lumineuses.
Trois artistes brillants collaborent pour produire « Les étoiles », le 7ème titre de l’album. Nous avons en effet Flavien Berger et PI JA MA au chant, en plus de Marc Melià. Ici, les percussions sont à la limite de convoquer les cocotiers, les vacances. C’est une invitation à la danse, à l’amour, aux essais, aux nouveautés… Inclusive au possible, il ne manque plus que le « it » anglophone pour parachever d’englober l’entièreté des êtres sensibles. Notre trio composé d’un homme, d’une femme et d’un être multiple parviennent à vivre ensemble et à s’aimer sans complexité.
VEUS, un album aussi axé sur l’immensité de la nature
L’album s’ouvre sur « Pulse on a E » dont il suffit de regarder le clip pour comprendre dans quel univers parallèle le compositeur veut nous emmener. Le clip s’ouvre sur des granulés de plastique destinées à devenir de petites figurines de tableau de bord. La répétition du thème au synthétiseur et le travail de l’injection thermoplastique de la machine nous aliène. Pourtant, grâce à l’enrichissement du motif, l’emprise de la machination prend fin. Ensoleillée, intense, chaude, la musique prend un tout autre tournant. Les petites figurines du clip deviennent simultanément vivantes en dansant dans l’immensité de l’espace. La tension auditive, menée par le minimalisme de l’électro et l’efficacité des variations, atteint son paroxysme lorsque les figurines, trop près du soleil, se mettent à brûler. Melià nous a doucement enchanté en quatre minutes et nous ne pouvons plus détacher les yeux de ce spectacle.
« Une Ferme dans les Vosges », ou l’endroit où a été enregistré une partie de l’album. Ce petit interlude est divisé en trois parties qui pourraient tout aussi bien signifier l’aube, la journée et la nuit dans cette vie des Vosges. Un accord apaisant répété huit fois ouvre le morceau. Quelques bruits parasites s’ajoutent et nous amènent à penser à l’éveil de la nature. Puis le morceau devient plus chargé, plus rythmé avec ce métronome qui domine la composition. Les sons agrémentant la composition rappellent les bruitages de Minecraft et la constante nécessité de manier la terre, de récolter, de traire… Enfin la nuit s’installe, la musique se fait decrescendo, des murmures d’animaux se font entendre et puis c’est le silence. Marc Melià nous replonge encore une fois dans un interlude naturel avec « Final d’hivern ». Le timbre joué assez grave nous évoque la monotonie, les chemins de terre boueux, la pluie froide. Cependant, des sons vont égailler ce paysage. Voici un hymne à la vie, aux mouvements, à la simplicité de la nature et aux multiples essences qui peuplent notre Terre.
Le dernier morceau sur lequel nous allons entendre la délectable poésie de Marc Melià sera « À propos d’une chanson (For Anderson) ». Très interstellaire, nous planons du début à la fin grâce à l’ostinato harmonique. Ce procédé, couplé à la voix calme et traînante, mettent dans un état second. Pour Marc Melià, « les notes sont suspendus dans l’air » mais c’est en réalité l’auditeur qui flotte dans le vide et orbite indéfiniment. « À propos d’une chanson » est à propos de toutes les chansons de Marc Melià : singulières, touchantes, poétiques et tellement plus encore.
L’album se termine sur deux morceaux qui n’en forment finalement qu’un seul tellement la transition des deux est imperceptible. « Romain » commence sinistrement avec des échantillonnages d’orgue. Une mélodie parfois optimiste, parfois plus austère, selon son évolution et ses changements de tonalité. Nous assistons à une histoire, avec ses hauts et ses bas, un chapitre d’une vie. « Retorn »est plus déstructurée, plus dépouillée aussi. La voix est utilisée comme un instrument de musique, quelques sonorités étranges l’accompagnent. Inutile d’encombrer ce dernier titre car ce qui importe plus que tout est que les Veus soient entendues par tous.
Veus est un petit ovni et surtout un petit bijou de qualité pour tous ceux qui rechercheraient un peu d’amour pour des journées plus ensoleillée. L’incroyable justesse des relations amoureuses actuelles est dépeinte sans artifice avec la langue catalane, pour une écoute des plus contemplatives…