Victor Le Masne : « May 20th est un disque instinctif »

Figer un album dans le temps, garder la trace d’un moment, tel a été le défi de Victor Le Masne avec May 20th. Un album qui nous a profondemment touchés et marqués. On a donc décidé d’aller à la rencontre du musicien pour parler de la création de cet album, de la liberté d’un tel projet et du temps qui passe, forcément.

LFB : Salut Victor, comment ça va ?

Victor Le Masne: Ca va très bien. Je suis dans plein de projets qui m’intéressent, plein de musique, plein de trucs. J’ai beaucoup sur les épaules, mais c’est une joie.

LFB : D’accord. Du coup, là on est là pour parler de ton deuxième album qui a une histoire un peu particulière, du coup je voulais savoir comment elle était venue, l’idée de cet album-là en fait.

Victor Le Masne : Cet album-là en fait, il est venu de ma rencontre déjà avec Bastien Dorémus, qui est la personne qui a produit le disque avec moi, et qui l’a mixé également. On avait une envie de faire un disque comme ça, très épuré ; sans forcément se dire jazz, mais avec un retour à une espèce de forme libre, pas forcément pop, pas avec des couplets, des refrains, et surtout entourés de musiciens qu’on aime. Voilà.

Moi, je produis beaucoup beaucoup de disques pour d’autres, j’écris beaucoup de musique pour d’autres… Et c’est vrai que là j’avais une envie… C’était un moment dans ma vie un peu particulier, où j’étais en embouteillage de choses : c’est-à-dire que j’étais en train de finir le disque de Juliette Armanet, qui est sorti quelques temps après, j’étais en train de terminer le disque de Kavinsky, dans un genre tout à fait différent, je venais de finir le disque de Gaspard Augé, ma femme allait accoucher d’un moment à l’autre…

Ce sont des moments de vie comme ça où il y a un embouteillage, et donc j’avais vraiment une urgence, c’était de me retrouver un peu seul, entre guillemets, de faire quelque chose pour moi. Et je n’avais qu’une seule semaine pour le faire. Le seul moment que je pouvais prendre, c’était une semaine. Et j’ai repensé à cette idée qu’on s’était dite avec Bastien : «on pourrait peut-être mettre des excellents musiciens dans une même pièce, et moi je vais écrire la musique comme ça très rapidement ». J’ai donné la partition à chacun, et avec des moments de liberté pour chacun, mais dans un cadre, et voilà. Ce qui était intéressant pour moi, c’était de faire une musique finalement… assez méditative, assez lente, assez calme, mais dans un temps très rapide. Donc c’est des espèces d’opposés qui se rencontraient, et je trouvais que c’était intéressant.

LFB : C’est ce qui est drôle en fait : c’est qu’on est face à une musique qui prend son temps, qui s’étire, qui est très posée en fait. Et quand tu regardes la chose, tu vois que ça a été fait complètement dans l’urgence, et sur un rythme assez effréné. Oui, il y a cet espèce de paradoxe entre la façon dont ça a été créé et le résultat final, qui moi m’a marqué assez en fait.

Victor Le Masne : Non mais ça me fait plaisir si tu l’as vu comme ça. En fait, c’est marrant, tu sais parfois tu fais les choses sans y réfléchir, évidemment, et puis c’est après quand tu te poses et que ça y est, c’est fini, ça sort, que tu te dis mais, c’est quoi en fait ce disque ? Et c’est vrai. D’ailleurs, j’ai appelé le disque avec le nom de la date à laquelle il a été enregistré, parce que je n’avais pas vraiment d’autre envie ni d’autre idée. De dire, voilà, c’est ce jour-là, c’est Victor Le Masne le 10 mai 2021 en l’occurrence.

Ça aurait été différent le 22 mai, ça aurait été différent le 19 mai. Dans le disque, je crois qu’il y a vraiment un rapport au temps. Il y a un des morceaux qui s’appelle Cycles, le premier morceau qui s’appelle Waiting for Ezra… Ezra, c’est mon fils, donc dans le moment d’attente, de waiting… Qu’est-ce que je faisais en mai 2021 ? C’est ce truc là. Le morceau d’après, qui s’appelle 1956, qui est une année importante pour moi pour différentes raisons… et voilà, il y avait comme ça un truc avec le temps. Là, je viens d’avoir 40 ans, enfin je pense que tout ça est un peu lié. Et puis c’est aussi par rapport au fait… même après toutes mes années de house de racketetc., et puis on parlait de Kavinsky, Justice, etc. Ce rapport aussi de musique lié finalement à la jeunesse, dans lequel j’ai mis les deux mains depuis toujours… Et là, je me suis dit tant qu’à faire de rentrer dans une nouvelle ère peut-être de personne un peu plus mûre, autant y aller franchement, et dans ce cas-là, pourquoi pas embrasser le truc jazz, et faire un truc… Plutôt que faire un faux truc de faux jeune qui ne me correspondrait plus vraiment, je me suis dit que ce serait peut-être plus élégant, enfin, plus naturel, de partir là-dedans.

LFB : Ce qui est marrant, c’est que tu grilles mes questions. C’est vrai que quand on regarde l’album, finalement tout tourne autour du temps. Et j’ai l’impression que cette date et ce moment-là, c’était un peu un… justement, comme tu dis, une période charnière pour toi. Et cet album-là, j’ai l’impression que tu as eu envie de figer un peu cette époque-là, comme si tu clôturais quelque chose pour partir sur quelque chose de complètement différent en fait.

Victor Le Masne : C’est complètement bien vu, parce que même quand j’y repense maintenant, je suis déjà très loin ailleurs. Même par rapport au 20 mai 2021. Et tu as complètement raison, tu sais, c’est comme des checkpoints. Et je suis assez ravi, notamment par rapport à mon fils, je suis assez ravi, je suis content même pour lui s’il réécoute quand il aura 20 ans, je suis content d’avoir figé ce truc. C’est comme quand on prend une photo et qu’on est content de retrouver cette photo des années après, même si elle est floue, on s’en fout. Mais c’est exactement ça, graver, ça c’est quand même la joie de faire de la musique ou d’écrire un livre, ou je sais pas, mais… D’avoir la possibilité assez géniale de pouvoir marquer d’une pierre dans le temps quelque chose. Même, qu’il y ait deux personnes qui écoutent, ou 200 000, ou 200 millions, on s’en fout en fait, c’est juste d’avoir mis un petit moment, un petit caillou, voilà : paf, c’est là.

LFB : Et ce qui est marrant, pour le coup, la musique qui ressort de cet album-là est assez intemporelle . C’est-à-dire que toi, les références de titres tout ça, tu les as pour toi de manière très personnelle, mais c’est un album qui aurait très bien pu être fait 10 ans avant ou 10 après en fait. Il y a une espèce de bulle autour en fait.

Victor Le Masne : Complètement. Mais en fait… Oui. Ca, ça m’a questionné quand même à un moment : si ça peut être fait 10 ans avant ou 10 ans après, tout va bien, mais si ça pouvait être fait que 50 ans en arrière, parce que ça fait appel à des trucs que j’écoute vachement, que j’ai toujours écouté dans ma vie.

Mais quand même, il y a des petits aspects : il y a du synthétiseur, il y a des choses qui donnent un truc un peu plus d’aujourd’hui. Mais c’est vrai que je ne me suis posé aucune question de temporalité sur ce disque, alors que c’est la question principale quand on produit les disques.

Moi en tant que producteur pour d’autres, c’est le grand truc :  « Ohlala, est-ce qu’on est dans l’époque, est-ce que c’est passéiste ?… ». Je pense à Kavinsky par exemple, dont j’ai produit le dernier album. Est-ce qu’on embrasse le truc eighties, et c’est cool, ou est-ce qu’on se dit « Ah, vraiment, ça a déjà était fait » ? Mais en même temps, si on pense à Stranger Things ou je sais pas quoi, ou The Weeknd, ou des milliards de trucs de maintenant, de 2022, qui sont aussi référencés… Donc parfois il faut aussi juste être décomplexé et s’en foutre, et se dire : Bah allez, c’est génial de faire un truc qui fait écho aux eighies, ou aux seventies, aux sixties, on s’en fout.

C’est juste un truc de curseur, de se dire « Là je pense que ça a du sens, là je pense que c’est juste », et parfois se dire « Non, là c’est galvaudé, c’est too much ». En tout cas, c’est vrai que j’ai vachement ce cerveau de producteur pour les autres d’être dans mon époque, alors que là, j’avoue que pour ce disque, je me suis complètement affranchi de ça, je n’étais pas du tout « pollué » par ça. De toute façon, je n’avais pas le temps, parce que j’avais qu’une semaine pour le faire ! (rires). Dans la contrainte, comme ça, je pense qu’on est créatifs, parce que la contrainte de n’avoir qu’une semaine, la contrainte d’avoir ces musiciens-là… enfin, je ne dis pas ça comme la contrainte négative, mais ce facteur-là, d’avoir ces musiciens-là, ça ne me laissait pas d’autre choix que d’être pertinent, en tout cas pour moi, pour mes goûts. Après, je sais pas si les gens peuvent apprécier, mais en tout cas moi, je me disais « Allez, faut que je fasse vite et bien », et voilà.

LFB : Moi j’ai écouté énormément House de Racket. Quand j’ai réécouté cet album-là, j’y ai repensé, j’ai l’impression que c’est un truc qui marque ta musique, et qui marque aussi celle que Pierre a fait après. Déjà, c’est que vous faites beaucoup de la musique finalement pour vous en fait, quelque chose qui vous fait plaisir, et j’ai l’impression que c’est une musique qui n’est pas marquée par le temps. C’est-à-dire que quand moi je réécoute un titre comme Aquarium, ou comme Le virage, j’ai l’impression qu’ils sont toujours hyper modernes Il y a quelque chose dans la façon dont tu fais de la musique et dont vous faisiez de la musique à l’époque qui passe le temps, en fait, tu vois ? Et je trouve ça hyper beau en fait au final.

Victor Le Masne : Ben ça merci, parce que c’est… Dès que tu veux le calculer, tu rates, entre guillemets, cette intemporalité-là. Mais si ça te fait ça, écoute, génial. Mais c’est vrai que… Même moi quand je pense à Aquarium et à Le virage… Je sais, et dans notre relation avec Pierre et notre amitié avec Pierre, ce sont deux morceaux intéressants que tu cites parce que je sais que c’est deux morceaux, à deux époques différentes, l’un sur le premier album, l’autre sur le deuxième album, où je sais qu’on s’est vraiment éclatés. Je sais que c’est vraiment… on était très très heureux en le faisant, on se marrait, on se disait « C’est génial ! ». C’est vraiment des morceaux de création pure et de joie pure, donc je pense que c’est plutôt rassurant : ça veut dire que si c’est ça, a priori ça va être gravé sur le disque, et que donc ils vieilliront plutôt bien. Et parfois il y a d’autres morceaux, on le sait… qui sont plus difficiles à faire. C’est comme ça, c’est la vie, on peut pas toujours être… voilà. Et comme par hasard, ce sera peut-être ceux-là qui seront un peu plus… je sais pas, qui passeront moins l’épreuve du temps.

LFB : Et du coup, parce que comme tu disais, tu es plus producteur, est-ce qu’il y avait quelque chose d’un peu revigorant pour toi de refaire de la musique pour toi et en ton nom en fait. De revenir entre guillemets dans la lumière. Parce que tu es beaucoup un homme de l’ombre sur ces dernières années, et justement, de revenir en front comme ça…

Victor Le Masne : Ben, dans un sens, enfin oui et non. C’est-à-dire que je ne le vis pas mal… je n’ai pas du tout de désir de lumière, enfin je vis pas mal le côté ombre de producteur, parce que ma joie et mon kiff ils sont ailleurs finalement. C’est d’être dans le studio, et puis aussi, tous les disques que je produis, je les co-écrits aussi, mine de rien, à la différence d’autres producteurs, qui sont peut-être plus producteurs-mixeurs.

Avant d’être producteur d’ailleurs, je me considère plutôt compositeur qui produit. Donc déjà, j’ai ce truc de… Je rentre dans les chansons, je rentre vraiment dans les disques, dans l’écriture, dans la prod, même dans le mix parfois, dans les arrangements, même de cordes s’il y a besoin, ou de synthés si il faut, etc… Donc déjà, j’ai un épanouissement autre, qui n’est pas forcément lié à la lumière ou à l’ombre.

C’est plus un truc de création. Je suis assez rempli avec ça, donc je n’ai pas vraiment de souci. Après, sur le truc de… comment dire. Il y a des producteurs, je ne me compare pas du tout à eux, mais des producteurs-arrangeurs-compositeurs, je pense à Quincy Jones, Rick Rubin, George Martin, dans différentes époques etc. – ou Brian Eno – qui sont à force d’être excellents et d’être sur tellement de disques qu’on aime, qui eux-mêmes vont devenir très connus, quasiment, par le grand public. Peut-être, on verra, le temps le dira, mais peut-être dans dix ans etc.… C’est une autre forme de reconnaissance, mais qui peut aussi plus durer dans le temps, qu’un truc qui a une péremption liée à… on parlait tout-à-l’heure de jeunesse : à part les Rolling Stones, grosso modo c’est un peu chaud d’être là à 40 ans, de continuer. Ça serait décalé, donc ça me va très bien comme ça. Mais quand même, malgré tout, on a tous un peu d’ego.

Par exemple, je me suis posé la question, mais j’ai eu envie de mettre ma tête sur la pochette par exemple. Alors que je ne l’avais jamais fait. Même du temps de House de Racket, ce n’était pas un truc où j’étais très à l’aise, et je ne voulais pas trop. Mais là, comme c’est un disque plus discret… Là, j’aurais pu l’appeler Victor Le Masne, ce disque. Donc c’était une autre manière, plutôt que de l’appelle Victor Le Masne, de mettre ma gueule d’aujourd’hui, avec, je ne sais pas, les traits d’aujourd’hui, les rides si il faut etc. Je n’ai pas trop conceptualisé le truc, mais maintenant quand j’y pense, ça me paraît évident. Comme tu parlais tout-à-l’heure, tu sais tu veux graver un truc dans le temps, mettre un petit checkpoint… C’est ça maintenant. Là, c’était vraiment ça je pense. La gueule va avec, enfin c’est-à-dire, c’est Victor Le Masne, 20 mai 2021. Enfin, en l’occurrence la photo a été prise très récemment. Et puis même, c’est ça, c’est ma femme qui a pris la photo à la maison, sur un canap’, avec le bébé à côté etc., et ça je trouvais ça cool, Tout ce disque il est instinctif.

LFB : Oui, il est organique de toute façon.

Victor Le Masne : Il est complètement organique. Jusqu’à la photo. Vraiment…

LFB : Et justement, puisqu’on parlait de jazz… Avant… J’ai des questions sur les contraintes de l’album tout ça, mais finalement, cet album-là, est-ce qu’il y a pas un côté hyper punk dans la façon dont il a été fait ?

Victor Le Masne : Complètement ! Non mais t’as complètement raison. J’ai écrit les morceaux… Bon, il y en quatre tu me diras, mais quand même ! Je les ai écrits le lundi 19 mai. Bon, il y a des trucs que j’avais un peu en tête, mais je les ai écrits le lundi, et on a enregistré le mardi, dans un truc un peu : « Bon ben allez, c’est parti, on verra bien quoi ». Et donc sans… avec les prises de micro que j’avais, dans notre studio… Il y a un côté « allez, on y va, et puis on verra bien », et en soi je pense que c’est assez punk.

LFB : Et du coup, moi au niveau des contraintes, moi je me posais la question : le fait de l’avoir enregistré dans votre studio, est-ce que le fait d’avoir… comment dire, un bagage d’instruments assez limité et des choses… voilà, de se contraindre un peu à ce qu’il y avait sur place, est-ce que ça a influencé un peu la couleur de l’album ?

Victor Le Masne : Oui et non, parce que… En fait, avec Bastien, on partage les locaux mais on n’est pas dans la même pièce. C’est-à-dire que moi j’ai mon studio d’un côté du mur, lui il a son studio de l’autre côté du mur, mais c’est séparé par une vitre. Normalement, cette vitre elle est un peu opaque, et chacun vit sa vie, etc.

Mais là, pour les besoins du truc, j’avais mis tous les musiciens dans la pièce de Bastien, et moi j’étais avec mon piano que j’adore, mon piano à moi, de mon côté, aussi pour des raisons encore une fois de contraintes, mais pour ne pas que le son aille dans le piano, pour qu’on ait le son de piano le plus pur. Et donc j’avais la vitre, qui faisait que je pouvais les voir, et donc les diriger, le tempo etc., tout le monde me voyait. Mais moi mon studio, encore une fois, c’est un studio de compositeur et de musicien, donc moi mon studio, il y a plein d’instruments. Il y a le piano, il y a mille synthés… Je suis entouré de synthés. Il y a les guitares, etc. Le studio de Bastien, qui lui est plus un ingénieur du son, mixeur etc… Il a une magnifique console SSL, il a plein de périphériques, de compresseurs etc.

C’est marrant, on est assez complémentaires chacun dans notre truc. Donc on était pas trop limités en instruments etc. J’aurais pu sortir l’armada des synthés. Par contre, on était un peu limités en place. Moi normalement qui adore jouer des synthés, ben aussi dans le genre « Allez, nouveau style, nouvelle personnalité », je me suis dit que je devais faire que du piano. Je devais pas jouer de synthés. Il y a des petits bouts de synthé à un moment, mais je les ai laissés à Adrien Soleiman, qui joue du saxophone, qui joue du Juno 60 à quelques endroits, mais c’est très, c’est des petites gouttes quoi, c’est des petits machins. Voilà, la contrainte de ce disque, technique, c’était le manque de taille, et le fait qu’on soit séparés d’une pièce. Donc moi j’étais dans une bulle, j’étais tout seul et avec eux en même temps. Mais c’était, si j’avais voulu qu’il y ait 400 000 instruments, on aurait pu, mais ce n’était pas tant ça la contrainte.

LFB : Ouais, la contrainte c’était plus le temps, et du coup de faire avec…

Victor Le Masne : Et voilà, et j’étais là… « Ben attends, tiens, il y a mon Juno 60, tiens prends-le, on essaie. » « Ah c’est trop bien, vas-y »… C’était comme ça, quoi, c’était…

LFB : Et du coup, est-ce qu’il y avait ce côté libérateur, parce que finalement, je trouve… Tu vois, quand on regarde les musiciens avec qui tu as joué et la façon dont ça ressort, déjà je trouve qu’il y a un côté hyper familial dans l’équipe qui a été choisie.

Victor Le Masne : Ouais. Complètement.

LFB : Et je trouve que ce côté familial, il permet un espèce de bouillonnement créatif aussi, où chacun apporte sa patte et ramène un peu ses choses, et… ça ramène voilà, le côté live, parce qu’on voit bien que ça a été enregistré tous ensemble, et… Tout ça donne vraiment quelque chose d’unique en fait.

Victor Le Masne : Ouais, ouais. Non, non, c’est vrai que c’était très agréable, puis même après… A la fin, c’était sympa, on buvait tous des coups… Enfin, c’était comme une bonne journée tous ensemble, sauf qu’on fait de la musique. Mais ce qui était marrant, c’était aussi que je leur jouais… eux-mêmes, donc toujours un peu punk, comme tu disais, mais… Finalement, c’est le principe même d’un disque de jazz, finalement. Même dans les années 50, je veux dire, la démarche était déjà punk. Ce n’est pas moi qui l’ai inventé en fait : le jazz, c’est déjà la spontanéité aussi. Voilà. Mais c’est vrai que j’avais cette idée de pas leur… Déjà, moi-même j’avais composé les morceaux la veille, mais je ne leur ai pas dit ce qu’on allait faire. Ils sont arrivés sans savoir du tout eux-mêmes, donc j’aimais bien ce côté un peu cadavre exquis, je commence un truc, et je leur montre.

Au début, je leur montrais que le premier morceau, donc j’avais des petites partitions pour chacun. Je leur jouais au piano : « Voilà, on va faire ça, on va faire ci, etc. », je le répète un peu une fois, allez, on enregistre… » Et une fois que c’était bon, on faisait quelques prises, et « Allez hop, next, je choisirai la meilleure tout-à-l’heure ». Après ben « Revenez me voir au piano », et là, je leur jouais le deuxième morceau… Donc c’était vraiment d’avancer… Moi j’avais tout le truc dans ma tête, mais eux étaient complètement dans le brouillard. Et c’était ça qui était cool. Et ça marche. Quand tu parles de truc familial, tu as raison, parce que ça ne marche que si t’es avec des gens que tu connais bien, en qui tu as confiance, et qui ont confiance en toi, qui vont se dire : « On va pas avoir l’air de blaireaux, on sait qu’il va nous emmener dans un truc cool ».

Et moi, parallèlement à mon truc de producteur, je suis directeur musical pour beaucoup de tournées et pour différents trucs. J’ai vraiment ce… ce rapport-là avec les musiciens, où je pense qu’ils peuvent me faire confiance parce que moi je leur fais hyper confiance. Et on sait, ils savent que tout ce que je veux, c’est que ça soit de la bonne musique. Il va pas y avoir de contraintes ni commerciales, pas de trucs polluants. Je vais juste faire en sorte qu’on fasse le meilleur truc. Mais oui, ce sont des amis et des musiciens avec qui j’ai beaucoup l’habitude de travailler. Donc il y a quatre morceaux, on a fait les trois où j’avais besoin de tout le monde, et il y a un des morceaux, qui est le deuxième sur le disque, qui s’appelle donc 1956, et qui est que piano solo. Et là, tout le monde était trop content d’avoir fini, et donc tout le monde est allé boire des coups, j’ai juste retenu Bastien : « Attends, j’ai un dernier truc », et même lui, il était un peu « Bon allez, c’est bon ! » (rires).

J’ai dit « Ah non non attends… » Et donc tout le monde buvait des coups en haut, ça commençait à être un peu la fête, et moi j’étais en train de faire un truc hyper lent, hyper… intimiste etc. Encore une fois, le contraste est drôle, entre… en haut, c’était un peu la fête, et moi j’étais dans mon truc… avant d’aller les rejoindre, bien sûr, un quart d’heure plus tard, hein. (rires).

LFB : Et c’est marrant, moi, ça m’a fait penser à dans un genre complètement différent, mais à l’album de Soulwax, qu’ils avaient enregistré justement en une seule prise. On peut sentir que des fois il y a des choses… Tu vois, je ne sais pas comment tu as choisi les prises, mais j’ai l’impression que tu n’as pas choisi forcément les prises qui étaient les plus… imposantes au niveau technique, ou les plus folles, mais celles où il y avait le plus de vie, en fait. Et je trouve que ça se voit.

Victor Le Masne : Ce qui est cool, et là je dois dire, c’est l’idée de Bastien. Moi je voulais écouter tout de suite, il m’a dit « Non, vas-y, on ferme l’ordi, on ferme la console et tout. On verra plus tard. » Et je l’a écouté vachement plus tard. Complètement… Et j’étais heureux de réécouter. Tiens, je vais réécouter, j’ai quasi oublié un peu… Parce que c’est ça quand on fait les choses très vite, on réécoute deux mois après, je ne me souvenais quasiment plus en fait. Et là, du coup, c’était une bonne idée je pense de la part de Bastien. Souvent, ce qu’on fait quand on finit une journée, on s’envoie un mp3, et on l’écoute 450 000 fois, et on revient, et du coup peut-être qu’on peut perdre en recul. Et là, je suis arrivé très très frais, j’ai réécouté et c’était très simple de choisir. De toute façon, on n’avait pas fait beaucoup de prises par morceau, on en avait fait trois ou quatre, grand maximum. Donc j’étais là, ben… Ah la 2 elle est super, la 4 elle est super ,mais sans… J’ai pas sur-intellectualisé le truc. J’ai pris juste à chaque fois celles qui me semblaient être les plus belles et les plus musicales quoi.

LFB : Et du coup, on repart sur cette idée de temps et de retrouver de la spontanéité sur ce que t’as enregistré pour avoir une oreille neuve en fait, tu vois ?

Victor Le Masne : Complètement. Complètement. Mais ça, c’est vraiment un truc qu’on apprend, encore une fois, le temps. Peut-être quand on est un peu plus vieux que quand on commence. A l’époque de House de Racket, c’était tout à fond, tout le temps, jusqu’à quatre heures du mat’, tout le temps, tout le temps, etc., et c’est génial, et il faut le faire absolument, et il faut vivre ces moments-là. Mais c’est vrai que maintenant, je sais un peu plus… Je sais quand ça va être intéressant, et que parfois je vais prendre une décision qui n’est pas bonne, parce que juste, je suis fatigué… C’est juste pour aller à fond tout le temps et tout, etc. Parfois il faut juste sortir de la pièce juste une heure, revenir, et là paf… Ça, c’est un truc… C’est des tips de producteur qu’on connaît pas au début en fait.

LFB : Tes tips de producteur, est-ce qu’ils t’ont pas… Est-ce que tu n’es pas tombé dans le piège justement de mélanger tout ça avec le fait d’être, entre guillemets, redevenu musicien sur cet album-là ?

Victor Le Masne : Non, parce que si j’avais été producteur – enfin, je suis producteur de mon propre disque, bien sûr, mais si j’avais été un producteur extérieur, je me serais dit à moi-même : « Mec, ne réfléchis pas, sois le plus naturel possible, fais tes trucs, et ça sera très bien ». Parce que… Voilà, je crois que c’est ce que j’ai réussi à faire, mais je me serais dit à moi-même : « Déleste-toi de tout, et juste voilà, fais ta musique sans réfléchir ». Il faut se faire confiance. Et tout ça est un truc de confiance. J’avais confiance en moi, malgré tout, confiance en Bastien, confiance aux excellents musiciens avec qui j’y allais.

Après, et c’est aussi, voilà, encore une fois le temps, mais, c’est aussi un truc d’expérience. Parfois, on prend des décisions très très très rapidement, on se dit « Ah,ça va très vite ! », mais ça va très vite parce que ça fait 20 ans qu’on fait ça aussi. Donc ça ne va pas vite en fait, c’est juste que la préparation est tellement longue, finalement, le moment d’exécution, il est préparé dans notre tête, parce que ça fait 20 ans qu’on est prêts à prendre des décisions rapides. Là, j’ai commencé la direction musicale de Starmania, donc c’est un énorme projet, qui revient sur scène pour une tournée fleuve, etc., et donc je m’occupe de toute la direction musicale. Il y a 60 morceaux ou un peu moins, il y a trois heures de musique… Je repense le tout, je réarrange le tout. Donc c’est vraiment un énorme truc, là j’y suis en ce moment même, je suis en studio en ce moment. Et voilà, ce n’est que une série… C’est comme si j’étais sur un blockbuster, tu vois, et je ne fais que que une série de décisions, très très rapides, toute la journée : « Les cordes, ouais, on fait ça, les cuivres, à mon avis, machin ». Mais je pense qu’on ne peut le faire que quand on est en forme (rires) et qu’on a l’esprit bien clair, et que ça fait longtemps qu’on fait ça quand même, parce que sinon, sinon on serait complètement pris de vertige, « Ah, je sais pas, je sais plus »… Là, il faut savoir prendre des décisions vite. Et je crois que ce disque, là, May 20, c’est ça. C’est une décision rapide de faire du jazz en une semaine, voilà.

LFB : Et justement, est-ce que c’est le fait d’avoir cette confiance, ce background, qui t’a « autorisé » à aller vers le jazz, qui était pas une musique que t’avais explorée avant, même si t’en écoutes beaucoup ?

Victor Le Masne : Complètement, ouais. C’est peut être un disque de vieux, je ne sais pas, mais je ne l’aurais jamais fait avant, ça c’est sûr, je ne me le serais pas autorisé. Là ce qu’on gagne, peut-être éventuellement avec les années, c’est peut-être le côté punk dont tu parles : c’est le « j’en ai absolument rien à foutre ». (rires). Si demain j’ai envie de faire un disque de zouk, je le ferai avec plaisir si c’est le truc de mon moment, je ne vais pas dire le moment des gens, mais de mon moment.

Si moi je sens que j’ai quelque chose à dire là-dedans. Là je ne sais pas, ça c’est sorti comme ça dans le jazz. Mais même quand j’écrivais les morceaux, le lundi là, je ne me suis pas dit « Ah, qu’est-ce que ça va être jazz ! ». Je faisais mes trucs, et puis après c’est vrai que c’est une question de fond et de forme. Moi mon fond, dans ma tête il n’était pas jazz, il était… Juste, c’est une forme libre, sans couplets, sans refrain, sans pop, même si mes thèmes ils ont toujours un truc un peu pop je crois, mais… Mais après, quand j’ai donné les partitions, puis après quand on l’a joué, je me suis dit « Ah mais en fait, c’est marrant, on fait du jazz ! ». Mais… Mais je me suis pas, c’était pas le projet forcément.

LFB : Ouais, tu as été surpris par le moment ?


Victor Le Masne : Ouais. Et après, même si je me suis mis au piano etc., mon premier instrument avant la batterie, c’est le piano, et malgré tout, moi-même, je ne suis pas un pianiste de jazz fondamentalement. Donc j’ai – on reparle de contraintes – j’ai des contraintes techniques, c’est-à-dire je ne peux pas… Je suis pas Keith Jarrett. Donc j’ai de la technique, pour faire des trucs, mais c’est aussi finalement, ma limite. Je ne suis pas comme un athlète sportif qui va jouer à toute vitesse.

Comme je ne sais pas forcément le faire, et je n’ai pas forcément envie de le faire, ça a aussi impliqué cette musique peut-être plus lente, plus calme. Je faisais autre chose, j’étais vraiment plus dans les harmonies. Je te parlais de la vitre tout-à-l’heure, avec les musiciens, je les voyais, et le geste que j’ai fait pendant peut-être toute la journée, c’était genre « phhhh ». Genre encore plus lent, s’il vous plaît (rires). Et je me suis étonné, d’être à ce point-là… Je voulais un truc d’une lenteur…

LFB : Contemplatif, quoi.

Victor Le Masne : Contemplatif, méditatif. Et voilà. Tout le monde va vite, spécialement mon monde à ce moment-là allait plus vite que tout, et voilà. C’était juste… Je me suis offert à moi-même une soupape en cadeau (rires).

LFB : C’est marrant, c’est un truc d’époque aussi, j’ai l’impression, sur les deux dernières années, d’avoir ce besoin justement de retrouver le temps, et de s’autoriser à ralentir un peu les choses en fait. Et cet album-là le traduit hyper bien en fait.

Victor Le Masne : Ouais ben écoute, merci, je suis content que tu l’apprécies et que tu l’entendes comme ça… En tout cas, je vois que tu entends des trucs, donc ça me fait… C’est toujours agréable. Non, c’est cool.

LFB : C’est quoi le futur pour Victor Le Masne en tant que musicien ? Est-ce que cet album-là t’a donné envie d’en faire plus, ou… ou je sais pas, d’avoir un projet avec un groupe, ou des choses comme ça, ou est-ce que tu…

Victor Le Masne : Je pourrais faire un groupe, c’est possible, mais… Mais en tout cas, je vais sortir d’autres disques, ça c’est sûr. Je pense que cette soupape là, dont j’ai eu besoin l’année dernière, je vais en avoir besoin… si je pouvais sortir un album tous les ans ou tous les deux ans.

Et ça, je pense que c’est plutôt bien pour moi, mais je crois que la contrainte commerciale va être complètement sortie… Quand on goûte à ce truc de musique totalement libre, je crois que je reviendrai pas en arrière. Par contre, là je me dis, peut-être le prochain disque… Enfin, je ne ferai pas le même truc de jazz là comme ça je pense. Là comme ça, encore une fois là maintenant, peut-être que dans deux mois je te dirai autre chose. J’ai l’impression, moi qui arrange beaucoup, et de plus en plus pour orchestre, pour… Tu sais, j’avais fait la Marseillaise pour les Jeux Olympiques, je sais pas si t’avais vu passer ce truc-là… Et ça m’éclate, là en ce moment pour Starmania en ce moment justement je suis en train de réarranger toutes les cordes, les trucs… Je me dis comme ça, je crois que j’ai un truc à faire avec ça.

Peut-être un prochain disque, je nejouerai pas, et personne jouera – enfin, personne, je veux dire pas de synthés, pas de piano… Peut-être que ce sera un truc entièrement orchestral. Ah, c’est peut-être pas forcément le prochain disque, mais celui-là, j’ai bien envie de le penser et de le faire. Donc voilà. Et peut-être, le truc que je ne m’autorise pas trop pour l’instant, c’est de faire des live, mais c’est vrai que ça commence peut-être un peu à me titiller, de me dire il y a peut-être un truc à faire, autour du piano… Mais je vais faire des trucs. Ca c’est sûr.

LFB : Et j’ai une dernière question. Alors, d’habitude, je demande aux gens leurs coups de coeur récents, que tu peux nous donner aussi. Mais là, j’aimerais bien savoir, si t’avais un livre à nous conseiller, à lire en écoutant ton album. Ça serait lequel ?

Victor Le Masne : Hmm… C’est une bonne question. Ben, ce que je lisais à ce moment-là, ça peut être ça. Moi, j’ai besoin de lire, je lis tout le temps… Même si je lis une page ou cent pages, mais juste avant de m’endormir, tu sais, j’ai tellement la musique dans la tête, et puis la vie dans la tête, j’ai toujours besoin de lire pour déconnecter. Et il me semble… Je ne sais pas si ça ira bien avec ce disque, mais pourquoi pas. Il me semble que ce que je lisais à ce moment-là, c’est un livre italien, qui s’appelle « Les lettre de Capri », de Mario Soldati, je crois. C’est un livre des années 50, donc finalement on est pas mal dans l’esprit du jazz. Et c’est un livre… Moi, je vais beaucoup en Italie, et je vais toujours au même endroit en Italie, c’est un truc très important pour moi. Et ça se passe, ben donc à Capri, comme son nom l’indique, mais dans les années 50. C’est un peu dans l’esprit de… comme dans le film Plein soleil avec Alain Delon… et dont le remake était Le Talentueux Mr Ripley, tu vois, avec Matt Damon.

C’est un peu dans cet esprit, je ne sais pas, suspense, mystère, jet-set italienne dans les années 50, et c’est une histoire romantique, et je me souviens avoir adoré ce livre. En plus, je me souviens que quand on a enregistré, donc c’était fin mai, il commençait à faire beau, donc le livre il sent vraiment l’été. Je me souviens avoir vraiment adoré lire ce truc à ce moment-là, donc voilà, je dirais ce livre. Et à tel point que, après je suis allé en Italie, et je l’ai racheté à Naples en italien, dans une belle édition etc., même si je lis mal l’italien, je me suis fait le projet : il faut que je le relise en italien, dans cette belle édition, et tout… Je ne sais pas. Il me porte bien, ce livre.

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