Victor Solf : « Mettre un peu de lumière autour de moi »

A l’occasion de la sortie de Tout peut durer, son deuxième album solo, nous sommes allés à la rencontre de Victor Solf. Un échange passionnant sur les coulisses de la création de son nouvel opus, son rapport au live, ses influences, ses valeurs, mais aussi le matérialisme, le sentiment d’anxiété, la concurrence entre les artistes et entre les médias…

La Face B : Comment ça va ?

Victor Solf : Ça va super ! C’est beaucoup d’émotions pour moi de sortir ces titres en français parce que j’ai eu le déclic sur le français quand j’ai décidé de parler de choses très intimes, très directes. Peu de mots, et c’est vrai que pour la première fois pour Le meilleur de toi qui est sorti récemment là, je me disais que j’aurais pu le garder pour moi. Je comprenais enfin les artistes qui ressentent ça. Avant ça me semblait impossible, et là c’est vrai que c’est un sujet tellement intime et presque pudique pour moi, et de le partager comme ça je sais aussi que ça le rend un peu plus banal d’une certaine manière.

La Face B : Ça permet à chacun de s’approprier l’absence.

Victor Solf : Chacun peut l’écouter. Et après j’étais hyper ému par le retour de beaucoup de personnes sur leur rapport à l’absence et ça m’a tout de suite rassuré. Et c’est le travail que j’ai fait sur le français, les thèmes que j’ai choisis, ça rend les sorties intenses.

La Face B : Je comprends. Le choix du français ce n’est pas quelque chose d’évident. Jusqu’à maintenant, tu avais plutôt travaillé en anglais.

Victor Solf : Carrément.

La Face B : C’était une façon de pouvoir exprimer une profondeur de sentiments ? Tu avais peut-être envie de te livrer un peu plus sur cet opus-là ?

Victor Solf : Oui. Et puis quand j’ai choisi le français, je trouvais ça très excitant intellectuellement, je trouvais ça vraiment très stimulant. Et je me suis dit tant qu’à faire, si tu y vas, vas-y à fond, ne te cache pas derrière les mots. Mais c’est un cheminement qui a mis beaucoup de temps. J’ai fait des sessions avec des supers artistes paroliers, et c’est en travaillant avec eux que le cheminement de ma pensée s’est fait. Ça ne s’est pas fait en un instant. Pendant des mois je ne savais pas comment je voulais aborder le français.

La Face B : Je comprends. Tu disais que tu avais travaillé avec des paroliers, je crois qu’il y en a un en particulier, Vincha, qui t’a aidé dans l’expression de ce que tu avais envie de dire. Le français, c’est une langue assez complexe à manier en musique. Et je trouve qu’il y a une musicalité hyper appropriée, qui coule très très bien avec toute la partie instru, arrangements. Ça donne un mélange de soul hip-hop très fluide.

Victor Solf : Cool, merci !

La Face B : Ça fonctionne vraiment très bien, et encore une fois le choix du français n’est pas évident pour faire ce type de musique.

Victor Solf : Oui. Et en plus j’avais un peu des tics en anglais qui fonctionnaient bien, mais qui je trouve n’étaient pas du tout appropriés en français. Je trouve que le poids des mots est différent, la musicalité aussi tu disais, et c’est assez étrange. Je trouve que quand tu mets trop d’émotion parfois sur la langue française en termes d’interprétation vocale, ça peut desservir le propos. C’est assez bizarre. Et donc j’ai opté pour aller chercher vraiment en plus quelque chose que je cherche depuis pas si longtemps que ça, vraiment la fragilité et quelque chose de, comment dire, presque humble tu vois, fragile. Et ça, c’est pas forcément naturellement vers ça que je tends.

« J’ai vraiment réalisé que, à chaque fois que j’allais chercher plus de fragilité, d’humilité, l’émotion explosait un peu plus »

La Face B : On sent ce côté fragilité, humilité aussi dans la manière dont le grain de ta voix peut se casser par moment, devient plus fragile.

Victor Solf : Oui. En fait ça a été long. C’est en faisant une prise de voix, en laissant reposer 2 semaines, en refaisant une prise de voix. J’ai vraiment réalisé que, à chaque fois que j’allais chercher plus de fragilité, d’humilité, en fait l’émotion explosait un peu plus. Je pense que sur le live je me permettrai de chanter vraiment différemment. Je me laisserai beaucoup plus aller, il y aura plus d’intensité, plus de lâcher prise, et peut-être aussi une technique vocale un peu plus visible. Mais c’était beaucoup moins intéressant pour l’album.

La Face B : Je comprends. Et en même temps il y a le côté album, enregistrement studio qui te permet de prendre plus le temps, de retravailler peut-être de manière précise chaque passage alors que le live, c’est une expression du moment, c’est la spontanéité.

Victor Solf : Oui ! Après, c’est des choix d’enregistrement et des techniques, mais c’est vrai que j’ai jamais été un grand grand fan des montages de voix. Il y a Billie Eillish notamment qui excelle là-dedans, et du coup ça fait une qualité de prise de son. Tu vois, elle enregistre 30 fois la chanson et en fait, elle et son frère après ils font le meilleur des collages sur chaque mot. Moi je ne suis vraiment pas de cette école. Donc en fait la plupart des titres sur l’album c’est une seule prise. J’aime beaucoup avoir ça.

La Face B : Il y a ce côté live qu’on a senti dans le premier clip que tu as sorti Tout peut durer. Et c’était vraiment très chouette d’avoir en plus cette séquence à la fin où on voyait que vous étiez un peu en roue libre entre guillemets. C’était le plaisir du moment présent, faire de la musique tout simplement.

Victor Solf : Ouais c’est ça ! Cet album, c’est un album vraiment collectif. On est 10 musiciens, je m’inclus dedans. C’est 3 paroliers, moi, mon directeur artistique Sylvain Taillet, ma manageuse… Je crois que ça fait partie des choses que je préfère dans la musique l’échange humain, le collectif. Alors, ça nécessite par contre de faire un gros travail où il ne faut pas non plus dépendre des autres, en tout cas avec le projet que je défends actuellement qui reste quand même le mien. Il ne faut pas créer une relation de dépendance, de codépendance avec les gens autour de toi. Mais c’est pas pour autant, je trouve, qu’il faut aller dans l’extrême inverse et se couper des autres.

La Face B : Qu’est-ce qui t’a guidé pour cet album-là ? C’était quoi ton fil rouge, tes influences ?

Victor Solf : Alors l’ambition de cet album c’est de réussir à faire de la soul en français qui soit personnelle, qui ne reprenne pas des codes un peu trop clichés, trop évidents de la soul, mais en même temps qu’est la soul. Donc les 2 piliers dont on s’est servis pour arriver à ça c’est la voix et les chœurs, mais en même temps attention, que ce soit moi en tant que chanteur lead dans la manière de chanter. Ça peut tellement facilement dériver dans le rnb ou le revival soul beaucoup trop démonstratif, et ça je me suis rendu compte qu’en français, c’est pas possible, je ne peux pas chanter comme ça !

Donc on évite mais en même temps, la soul c’est quand même aussi une certaine démonstration du chanteur donc, on tâtonne, on tâtonne. Ensuite les chœurs c’est aussi très important, très très présent dans l’album. Il y a beaucoup de ma voix, mais il y a beaucoup aussi des 3 choristes. Mais avec la même chose, ça veut dire qu’on ne part pas non plus dans des vibes hyper gros sabots soul rnb. Et l’autre pan c’était les cuivres. Donc les voix et les cuivres, je trouve que c’est déjà une manière assez claire de s’inscrire dans la grande famille de la soul ou de la néo soul. Plus que la soul, une musique que je respecte énormément aussi, c’est la néo soul qui pour moi a commencé dès Frank Ocean, ou même Bon Iver. C’est des artistes que je trouve hyper intéressants.

« Se concentrer sur le piano voix […] ça rend les chansons hyper lisibles »

La Face B : Donc influences soul dans la voix, dans les chœurs, dans les cuivres, ça donne vraiment une chaleur à l’album. C’était quoi ta méthodo de travail ?

Victor Solf : Alors je pense que j’ai toujours un peu travaillé comme ça, mais là plus que jamais le truc qu’on a fait c’est de se concentrer sur le piano voix. Alors ça ne m’empêchait pas de faire des allers-retours sur l’ordinateur pour amener de la modernité ou m’inspirer autrement, mais même quand je faisais ça, il y avait constamment un retour au piano. C’est cette idée de se dire même au-delà des paroles, le piano, les accords, la ligne de voix ou une mélodie au piano, et que ce soit hyper hyper solide. Donc c’est vraiment l’école Mac Cartney. Je pense que ça s’entend vachement sur l’album, ça rend les chansons hyper lisibles. Tout est très à sa place, on comprend tout de suite le pont, la rampe, le refrain et je pense que je n’avais jamais autant travaillé comme ça et j’ai trouvé que c’était hyper hyper intéressant.

La Face B : On sent une dualité dans cet album avec d’un côté des sentiments négatifs, de la colère, de la rancœur, de l’amertume. Mais il y a aussi beaucoup d’ondes positives je trouve, à la fois dans les textes mais aussi dans la manière de faire de la musique. On entend du pardon, de l’amour, de la joie beaucoup. Je l’ai senti presque comme une sorte d’instinct de survie, un besoin irrépressible de s’accrocher à l’optimisme. D’ailleurs je réécoutais ce matin avant de venir, et il y a un petit bout de phrase dans le morceau Émilie que j’ai trouvé finalement assez à l’image de ce que j’ai ressenti de l’album, tu dis « On s’accroche à l’avenir » et moi j’ai trouvé que c’était quelque chose qui résumait assez bien cet album-là. Malgré toutes les épreuves qu’on traverse, il faut continuer, il faut s’accrocher.

Victor Solf : Oui, et puis s’accrocher à l’avenir pour moi c’est un peu l’antithèse de l’anxiété. Et effectivement j’essaie de ne pas être trop anxieux parce que je pars du principe que malgré tout ce qu’on peut lire ou entendre aux infos, l’avenir est une équation trop complexe pour réussir à l’anticiper, à la définir. Il peut toujours y avoir quelque chose d’inattendu. On le voit pas plus tard qu’hier en Syrie, ça a quand même pris beaucoup beaucoup de gens de court et même des Syriens. Et donc je trouve que le sentiment d’anxiété, il est compréhensible et j’essaye de me détacher parce que ça ne reste qu’une probabilité d’avenir. Donc je pense que c’est ça s’accrocher à l’avenir.

La Face B : T’es plutôt de la team verre à moitié plein que verre à moitié vide !

Victor Solf : Oui, et puis surtout je trouve que c’est un jeu dangereux pour le bien-être psychologique d’être trop mélancolique, trop dans le passé ou d’être trop anxieux par rapport à l’avenir alors qu’il se passe tellement de choses dans le présent. Moi j’essaie de rester là-dedans parce qu’en réalité, le reste est soit passé soit n’arrivera peut-être pas. Alors après je ne m’interdis pas pour autant de repenser au passé, mais pas beaucoup. Parfois même tu vois, j’oublie que j’ai vécu dans tel endroit !

« L’album, c’est soit des choses très très intimes que j’ai vécues, soit des valeurs qui me tiennent vraiment beaucoup à cœur »

La Face B : Je ne mesure pas à quel point les morceaux sont autobiographiques ou pas, mais on a quand même le sentiment que tu y a mis beaucoup de toi, beaucoup de choses que tu as vécues et que tu as transcendées justement pour aller vers l’avenir. Est-ce que cet album c’est un peu une sorte de thérapie pour toi ? Est-ce que ça t’a aidé peut-être à poser un certain nombre de choses ?

Victor Solf : Oui, en tout cas en termes de paroles, ça a été le fil rouge. J’ai eu un déclic sur le titre Figur qui parle de mon père et de l’absence du père. C’est le 1er titre où je me suis dit « voilà, je tiens enfin la manière dont j’ai envie de chanter en français. » Plus c’était intime et plus c’était direct, plus ça me plaisait. Et donc en fait l’album c’est soit des choses très très intimes que j’ai vécues, soit des valeurs qui me tiennent vraiment beaucoup à cœur. Donc effectivement l’optimisme, se questionner par rapport au matérialisme dans Ce qui compte. C’est un travail que je fais vraiment au quotidien. Qu’est-ce qui compte vraiment ? Et ça m’a tout débloqué sur le disque. Et alors c’est plus maintenant, est-ce que je vis maintenant la thérapie ? Un petit peu, un petit peu oui.

La Face B : Est-ce que tu peux nous parler du dernier titre de l’album Le meilleur de toi ? Je sens qu’il y a beaucoup de choses qui raisonnent dans ce titre-là. C’est celui qui m’a le plus émue. La 1re fois que je l’ai entendu, j’ai trouvé que c’était vraiment une décharge d’émotions, quelque chose de très fort et en même temps musicalement très épuré tu vois, c’est ce que tu disais tout à l’heure finalement. On prend garde à ne pas trop en faire et c’est là qu’on peut faire passer un maximum d’émotions.

Victor Solf : C’est sûr que j’avais une grande appréhension avant de le sortir. C’est un titre qui a été très difficile à finir pour plein de raisons. Déjà musicalement c’était très difficile, j’ai mis beaucoup de temps à cerner où se situait le refrain, le pré-refrain, les couplets parce que je trouve que j’ai fait un truc qu’il ne faut jamais faire. Je le déconseille à tous les artistes : j’ai attaqué la chanson, j’ai trouvé rapidement le couplet qui pour moi est très fort, et ensuite j’ai fermé l’ordinateur.

Et donc après tu te retrouves a réouvrir ton ordinateur, à ouvrir le projet et à voir que t’as un couplet qui est super, et ça te met une pression pas possible pour trouver le refrain ou le pré-refrain, la suite quoi. Et le nombre de fois où j’ai réouvert le projet et je me suis dit « non mais c’est pas au niveau ! » J’avais perdu tu sais, le momentum, l’instant. C’est John Lennon qui disait ça, il disait surtout quand vous commencez une chanson, essayez de la finir un minimum. Parce que revenir sur un bout de truc, et je l’ai vraiment vécu sur Le meilleur de toi, ça a été très difficile.

Après au départ, le thème est venu assez vite. Moi je voulais parler du film Eternal sunshine of the spotless mind de Michel Gondry. Ça c’est venu assez facilement. J’avais en mémoire le titre de Alt-J qui s’appelle Matilda sur le film Léon de Luc Besson et j’avais trouvé ça super de parler d’un film qui t’a vraiment touché. J’ai revu le film, j’ai noté les paroles du film qui me touchaient vraiment, j’ai essayé vraiment de comprendre ce qui se passait dans la psychologie du personnage principal. D’ailleurs « je ne me souviens de rien sans toi » c’est littéralement dans le film. Et puis à force de travailler avec Vincha, le parolier, c’est lui qui m’a dit que je parlais plus vraiment du film selon lui, mais que je parlais de mon expérience, de mon rapport à l’absence.

Et là rebelote, on a dû tout changer en sachant que côté musical aussi c’était très changeant, c’était très compliqué. Alors pour donner une autre anecdote, le refrain il y a un moment où Vincha m’a dit « bon, tu sais quoi je vais t’envoyer toutes les paroles, tout ce qu’on a fait depuis le début. Et s’il y a une parole qui te vient pour le refrain, que tu trouves la plus forte, ce sera ça le refrain. » C’était dur. Et c’est Mathilde qui me manage, en passant les paroles, elle m’a dit « dans le ciment dans ma mémoire j’ai gardé le meilleur toi », tu l’as ton refrain. Et j’avais tout lu, j’avais tout parcouru j’étais passé à côté de ça. Quand tu as beaucoup de mots comme ça, c’était vraiment intense, tu as du mal à hiérarchiser et elle avait réussi. Et donc j’étais retourné sur son piano une énième fois, et un truc que j’ai quasiment jamais fait sur l’album, je me mets sur le piano, j’ai les paroles devant les yeux. Travailler dans ce sens, je ne l’ai jamais fait mis à part sur ce titre. Et là c’est venu tout de suite !

La Face B : C’était l’évidence du moment !

Victor Solf : C’est fou, alors que ce qui était très bizarre en plus, c’est que comme le couplet et le pré-refrain sont très bien, le titre était loin d’être nul sans refrain. Et c’est juste que je sentais qu’il y avait encore un petit manque, mon directeur artistique aussi me dit « il manque la conclusion, il manque l’explosion. » Et j’ai dit « mais oui, mais je te jure je ne l’ai pas. » Parce que tu as ce couplet et ce pré-refrain avant qui est énorme, c’est pas forcément un truc que je fais tous les jours. Le bonheur quand c’était fini celui-là !

Après la prod c’était l’enfer aussi. La batterie du refrain qui vient comme presque une batterie militaire, je l’ai trouvée peu de temps avant qu’on mixe la chanson. J’étais toujours pas content. Le batteur pourtant avait fait un super boulot, mais j’ai fini par dire à mon directeur artistique et à Bastien Dorémus qui m’a accompagné sur toute la post-prod et le mix, que ce n’était pas bien par rapport au refrain. On avait les cuivres, on avait tout et à chaque fois quand j’enlevais la batterie, c’était mieux. Donc j’ai fouillé, j’ai fouillé et j’ai fini par trouver ce roulement de caisse claire comme un chant militaire.

La Face B : Est-ce que c’est pas compliqué d’être perfectionniste ?

Victor Solf : C’est très étrange, mais j’ai toujours su quand ça ne me plaisait pas. Je sentais que les choses n’étaient pas à la place. Et par contre, à l’inverse quand je sens que c’est sa place… par exemple Émilie sur l’album, c’était très facile. Ça a été long pour les textes parce que parler du médecin – c’est ma belle-sœur en plus, on est très très proches – ça c’était très long, c’était 2 journées de travail. Mais ça dépend vraiment des titres. Tout peut durer, c’était long aussi, c’était très long, très fatigant. Colère, pas du tout par exemple. Colère, c’est du boulot mais ce qui est hyper fatigant je trouve, et pour tous les artistes je pense, c’est quand il y a un aller-retour.

T’avances dans une direction qui te semble être très bonne, tu laisses reposer une ou 2 semaines, tu réécoutes et tu te dis qu’en fait, c’est une mauvaise direction. Je retourne au piano voix. Qu’est-ce que j’ai loupé ? Est-ce que c’est la tonalité ? Est-ce que c’est le tempo ? Ça par contre je l’ai toujours su, le titre mérite d’être ailleurs que là où il est, c’est trop dommage. Dans ce sens c’est sûr que je suis très perfectionniste. Et puis en plus c’est compliqué parce que je n’ai pas forcément non plus la solution. Je sais que je ne l’ai pas, mais je n’en propose pas une pour autant ! Elle viendra, elle est toujours venue, j’ai mille anecdotes comme ça avec Her notamment et Blossom roses. Je me suis arraché les cheveux sur celle-là, mais ça vaut le coup je trouve.

« On sera 4 sur scène »

La Face B : Comment tu abordes la tournée qui démarre en février je crois ?

Victor Solf : C’est assez dur pour moi de vraiment y penser, vraiment me projeter dedans parce que l’album me prend encore beaucoup de temps, j’ai aussi des enfants, j’ai une vie personnelle qui est assez prenante. Mais ce que j’ai décidé, c’est de continuer à me concentrer sur la musique. La musique live avec des musiciens, c’est vraiment un peu le combat de ma vie qui grossièrement veut dire que le concert ne repose pas sur l’ordinateur. L’ordinateur, s’il doit être là, je ne le prends pas comme une obligation, si on peut faire sans on fera sans. Mais s’il s’éteint, pour x raisons il tombe, ce n’est pas grave. Ce sera toujours très très bien et ça remonte à des émotions que j’ai ressenties il y a très longtemps.

Peut-être que la première fois où j’ai ressenti une grande conviction avec ça c’était en voyant The Whitest boy alive, qui est le projet de Erlend Øye de Kings of convenience à la Maroquinerie. Aucun ordinateur, 4 musiciens sur scène, une émotion. Ils auraient pu jouer les yeux bandés, une place aussi à la liberté et à l’improvisation qui était très très très intelligente je trouve. Et après j’avais vu Foals qui faisait la même chose, j’ai vu Nike Cave à la Route du rock qui fait la même chose. C’était les concerts qui me procuraient de très loin le plus d’émotions, même si j’ai adoré voir Massive attack ou Kendrick ou Justice. Mais je sentais que ça n’allait pas chercher aussi profond. On sera 4 sur scène, un batteur, tout le monde devrait chanter, je me bats un peu pour ça. Pour moi les voix c’est vraiment un pan de l’album qui est très très important. Il y aurait un ou une bassiste choriste et ensuite une claviériste.

La Face B : Pas de cuivres du coup ?

Victor Solf : Pas de cuivres. J’espère que l’album sera bien accueilli que ça va bien se passer on pourra très vite montrer les muscles. Mais pour l’instant c’est un truc hyper pragmatique. Il faut être raisonnable, il ne faut pas que ça mette une pression financière. On est déjà 6 sur la route parce qu’il y a deux techniciens qui nous accompagnent. Avec 2 cuivres on serait 8. Mais j’adorerais. Idéalement 2 cuivres et 2 choristes. Et là on peut rejouer l’album, ce serait top ! J’espère, je serais trop fier ! Avec tout ce que je t’ai dit, si on finissait à 8 sur scène ! Même pour moi le symbole, le symbole il est trop important. Surtout quand ça se passe bien, que tout le monde a bien travaillé, a été créatif.

Pour moi Talking Heads c’est des monstres absolus de ce travail, d’être nombreux et tout le monde est créatif tout le monde s’implique. C’est un émerveillement. J’ai acheté le live, il est sorti en 4K, de Talking Heads avec A24, la boîte de production. C’est un émerveillement, tu ne sais plus où donner de la tête parce que tout le monde s’investit, tous les musiciens jouent super bien, ils ont la banane, ils se gardent. Ils se permettaient aussi de vachement se dégager de l’album. Ça c’est un truc, si je devais donner un conseil, il y a pas trop d’intérêt à rejouer l’album. C’est bien de s’en détacher au contraire, de voir avec les outils qu’on a, ce qui est déjà très bien, basse, batterie et clavier, on peut déjà faire beaucoup avec cette matière.

La Face B : Et c’est quelque chose qui va aussi évoluer au fil des concerts.

Victor Solf : Oui. C’était Foals qui était particulièrement extrême avec ça, ça m’avait mis une claque. Le premier album sort, il y a des cuivres d’ailleurs, et là je les vois, aucun cuivre. Ça ne joue pas du tout pareil, les structures sont complètement différentes, beaucoup plus rock. Et en fait on s’était dit « mais c’est génial ! » On peut être fan de l’album pour plein de raisons et fan du live pour d’autres.

La Face B : C’est ça la magie du live.

Victor Solf : Oui, après c’est sûr que c’est un pari. Je vois bien, mes partenaires ils me suivent mais, c’est tellement plus pratique de partir avec un ordi et je suis tout seul sur scène avec des machines et un peu de scéno derrière. Et financièrement c’est tranquille. Mais voilà, l’album n’a pas été fait comme ça. Moi je n’ai pas trop de combats tu vois, mais ça, ça en fait partie. Et puis mettre un peu de douceur, un peu de lumière autour de moi, ça me tient vachement à cœur aussi.

La Face B : Je voulais te demander si tu avais d’autres projets, notamment des collabs en cours, dans les tuyaux ou si tu avais envie d’en faire ?

Victor Solf : C’est cool que tu me poses la question ! Moi j’adore la musique à l’image. Je viens de sortir un titre pour le film Prodigieuses. C’est un exercice que j’adore et j’espère en avoir d’autres. J’ai un projet de documentaire dans les tuyaux, et peut-être un long-métrage, je touche du bois. Les collabs, j’en ai faites plusieurs, notamment avec Limousine. C’est un titre qui est quand même assez écouté, je suis hyper fier parce que c’est trop beau ces moments-là. Ils m’ont envoyé l’instru, et j’ai renvoyé une première version. C’était dans la boîte ! Il y a un grand respect mutuel, j’aime beaucoup ce qu’ils font. J’ai fait un feat aussi avec Barbara Pravi que j’aime beaucoup. J’ai fait un titre avec Mosimann. C’est cool les collabs ! Mais le graal pour moi ça serait la musique à l’image. C’est encore une autre approche de la musique, donc ça me passionne. Après je te dis ça, Kendrick m’appelle demain, je me rends dispo !

La Face B : Il y a des choses qui ne se refusent pas !

Victor Solf : Kendrick, James Blake, Frank Ocean, Bon Iver, Mk Gee en ce moment, j’aime beaucoup ce qu’il fait. Il a une empreinte sonore tellement spécifique que quand tu l’écoutes trop, c’est un peu compliqué d’écouter autre chose.

La Face B : Tylor the creator, t’écoutes un peu ?

Victor Solf : Ouais ouais, j’ai trouvé ça super ! Un disque coup de poing, presque guerrier. Agressif, bourré d’idées. Mais comme en ce moment j’ai vraiment un bug sur Mk Gee, il est d’une telle authenticité, c’est tellement brut et radical, c’est compliqué d’écouter autre chose. Mais j’ai écouté Beth Gibbons j’ai trouvé ça génial l’album, une grande densité tu vois, c’est l’orfèvrerie des prises de son anglaises. J’ai essayé de le faire sur l’album mais ça n’a rien à voir. La gestion du souffle, de la compression… C’est vraiment un disque qui te prend aux tripes. The Smile aussi, je suis toujours tout ce que fait Tom York et c’est vachement bien. Il est hyper créatif encore, c’est fou. C’est une belle période je trouve dans la musique. Il faut creuser, il faut y passer du temps, mais il y a des trucs supers. Et en français, j’ai beaucoup de respect pour pas mal de projets. Il y a Claude.

« Ce que je déplore juste, c’est qu’il y a une grande compétition entre artistes »

La Face B : On aime beaucoup aussi.

Victor Solf : C’est vraiment intéressant. Il y a Iliona, Yoa, Terrenoire aussi. Il y a quand même du monde, c’est cool. Après, ce que je déplore juste, c’est qu’il y a une grande compétition entre artistes. Il y a Ian Caulfield qui a fait un post récemment. Je sais pas si tu l’as vu ?

La Face B : Oui, je l’ai vu. Il dit les choses en fait !

Victor Solf : Il dit vraiment ce qu’on ressent tous. C’est un peu triste parce que je trouve qu’on nous répète quand même tous qu’il y a une place à prendre, mais il n’y en aura pas pour tout le monde. C’est horrible. Ça instaure de la méfiance entre nous, de la compétitivité malveillante parce qu’en gros, on nous dit que les places sont extrêmement chères et que parmi tous les artistes que j’ai cités, il n’y en aura peut-être qu’un seul qui tirera son épingle du jeu. Je suis très très heureux d’avoir déjà un peu de musique à l’image par exemple, ça me permet de prendre du recul, d’avoir aussi ma famille, mes enfants. Je pense que c’est quasiment impossible quand on n’a que ça, de se sentir bien. C’est ce que Ian Caulfield dit. Ce qui je pense me permet de me sentir à peu près bien, très heureux avec l’album qui sort, c’est que j’ai des soupapes, j’ai autre chose qui me permet d’exister.

La Face B : C’est un métier, un art tellement personnel la musique, c’est hyper violent en fait tout ce qui peut se passer vis-à-vis des artistes. Le sujet de la santé mentale, c’est vraiment quelque chose de central en ce moment. Ça concerne tout le monde, tout le monde en parle.

Victor Solf : Oui. Mais comme plein d’autres sujets, je pense que ça a toujours été comme ça dans la musique, ça a toujours été dur, faut pas rêver tu vois. Mais aujourd’hui il y a quelque chose de très différent, c’est que c’est visible. On ne peut pas vivre dans un doux rêve comme peut-être c’était plus facile dans les années 60, 70, 80 avec son groupe en se réjouissant de remplir un bar ou une salle, ou de recevoir un courrier d’un artiste, d’un attaché de presse d’un média qui te dit que c’est super. Aujourd’hui, les Américains disent tout le temps ça, c’est the big picture. Tu peux facilement être conscient de toutes les mailles du système qui sont hyper violentes. Il n’y a jamais eu beaucoup de place dans la musique pour vraiment devenir The artist.

La Face B : En tout cas, nous à La Face B, on s’évertue vraiment à écouter de tout, parler de tous les artistes.

Victor Solf : C’est clair.

La Face B : Qu’ils soient un peu plus sous les projecteurs ou pas. C’est quelque chose qui nous tient vraiment à cœur.

Victor Solf : Vous avez trop raison.

La Face B : Mais c’est pas évident tous les jours, parfois on a aussi un peu le revers de la médaille. C’est pas évident d’exister parfois à côté d’autres médias qui eux, sont plus connus alors que pour autant, la qualité du travail qui est produit est a minima la même. C’est un peu le coté face de ce que tu disais aussi pour les artistes

Victor Solf : Je suis d’accord. On tend, que ce soit en musique ou en média, à être de plus en plus opportuniste, démago, dans l’obsession de vouloir briller ou exister, plus trop avoir de conviction. Ça c’est un truc qui a toujours été très clair pour moi. Le jour où je quitterai ça, je ne ferai plus de musique, je ferai autre chose. C’est trop sacré pour moi, tout ce qu’on a raconté. Si j’incorpore là-dedans ce que je ne sais pas qui pourrait penser à France Inter ou à Bourges pour le Printemps, ou… Ça reviendrait à remettre en question les raisons ultra profondes de pourquoi j’ai décidé de faire ça, et pourquoi en plus je prends tous ces risques parce que c’est ultra précaire. Pour moi c’est un non sens. Chacun fait comme il peut, comme il veut. Les Mk Gee, les Fat dog, il nous en faut plus !

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