Il y a près d’un mois, Victor Solf sortait son premier album solo : Still. There’s Hope. Un album où on y retrouve cette voix soul précieuse et chaleureuse qui nous avait tant plu chez Her mais aussi et surtout, un piano dont l’omniprésence teintera cette album d’un minimalisme et d’une efficacité absolue. C’est donc à l’occasion de cette sortie que nous sommes allés à sa rencontre. Retour sur cet échange des plus passionnants où on y parle quête de l’identité, humanisme et de la nécessité de ne pas se prendre trop au sérieux.
La Face B : Le 30 avril, ton premier album Still. There’s Hope verra le jour (interview réalisée le 18 mars dernier, ndlr). En considérant le contexte actuel, est-ce que tu appréhendes sa sortie ?
Victor Solf : Oui et en même temps j’ai vraiment envie de rester concentré sur ce que je peux faire, sur l’action, ne pas trop me poser de questions. J’aurais été très triste de décaler la sortie car des amis à moi l’ont fait. En ce qui me concerne, c’était inenvisageable, le monde culturel est déjà tellement arrêté, on nous interdit et nous empêche tellement que je me disais vraiment que cet album devait sortir. C’est un album avec un message d’espoir et d’humanisme, c’est le bon moment. J’espère que ça fera du bien aux gens, que ça les aidera à affronter cette période qui est quand même très particulière.
LFB : Cet album se défend comme un condensé d’optimisme, d’amour et de bienveillance. Des thèmes déjà présents sur ton EP Aftermath. Malgré ces similarités, tu définis cet album comme différent. En quoi l’est-il ?
Victor Solf : Par le format tout d’abord, travailler sur un format de quatre titres c’est différent. C’est un album que j’ai fait dans une période beaucoup plus condensée, je venais de quitter mon appartement à Paris, sans savoir qu’on allait avoir ce premier confinement donc je me suis un peu retrouvé SDF et j’ai passé beaucoup de temps seul à travailler seul dans le Nord Finistère, où j’étais. C’est ce qui a beaucoup changé d’Aftermath où j’étais beaucoup plus en communication régulière avec d’autres musiciens. Là il y a vraiment eu une période de deux mois où j’étais seul face à mon piano.
LFB : Toi qui aimes travailler sans trop d’aisance, est-ce que tu t’es volontairement imposé des contraintes dans la conception de cet album ?
Victor Solf : Oui, et je ne suis pas le seul, mais je travaille beaucoup avec les contraintes. Je me suis dit qu’il fallait vraiment que je mette la guitare de côté, un des éléments principaux de Her, afin de la remplacer par le piano, pour qu’il soit mis en avant. La soul music et le blues sont les deux genres qui m’ont donné envie d’être musicien donc j’essaie toujours tant que je peux, de les mettre en lumière et presque un peu de remercier dans ma manière de chanter, chercher des harmonies et des mélodies. Je suis aussi revenu à ce que je sais faire de mieux, c’est-à-dire passer du temps en studio avec des musiciens, ce qui était la deuxième phase de l’album. Entre les deux confinements, je me suis précipité pour booker un studio à côté d’Angers qui s’appelle Black Box et on a passé trois semaines à réarranger et savoir jouer les titres en live, sans ordinateur. On a fait ça à quatre, j’étais avec Mathieu Gramoli à la batterie, David Spinelli aux machines et Guillaume Ferran au piano et aux choeurs. C’était tellement agréable de revenir à ce côté presque artisanal, cette manière dont l’album a été fait. On prenait le temps de réfléchir à chaque micro, à chaque pièce et ensuite j’ai terminé l’album avec mon ami Zefire qui est canadien et donc anglophone, avec qui j’ai fait toutes les voix dans ma maison.
LFB : La facilité est-elle alors synonyme d’échec pour toi?
Victor Solf : Pas forcément, c’est vraiment le cadre et les contraintes plus que la difficulté que j’ai mis en avant. Quand on commence à savoir se servir de logiciels de sons comme Ableton ou Pro Tools, on se rend compte que le champ des possibles est illimité, on peut mettre des saxophones, des samples etc, ça peut être intéressant mais on peut aussi perdre en substance, en originalité et moi ce que j’ai toujours essayé de chercher, c’est d’avoir un son, une identité sonore. C’est comme ça que je travaille, ce qui n’est pas forcément dans la difficulté et au contraire, je trouve que lorsque l’on a trouvé le cadre, les choses deviennent faciles. Ce qui est difficile, c’est plus le cadre.
LFB : Ton single I Don’t Fit met en scène une voiture, fil conducteur de ton univers. Que symbolise-t-elle concrètement ?
Victor Solf : On s’est vraiment servi de cette métaphore comme une partie de moi-même. Dans I Don’t Fit, il y a cet accident qui est très fort et j’évoque un peu comment moi j’ai voulu réagir par rapport à un accident. Il y a cette idée de se relever et la manière dont je me relève est très importante parce que c’est se relever non pas en essayant de mettre une armure et de se détacher un peu comme ça de ses émotions, mais au contraire de rester presque innocent. Il y a un rapport à l’innocence et l’enfance que je trouve très beau. C’est dommage de vivre nos expériences douloureuses en revêtant une armure car on fini un peu par être déconnecté de nos émotions je pense. J’ai envie de vivre les choses pleinement même si je sais qu’il y aura des moments très difficiles mais ça fait aussi un peu partie de la vie. C’est tout ce que j’ai voulu dire dans ce clip où je retourne ensuite dans la voiture parce que c’est un peu comment j’ai vécu les choses personnellement, en regardant en face son trauma plutôt que d’essayer d’être dans le déni, ce qui est très important selon moi. C’est très particulier et chacun à sa manière de gérer les grands traumas, les grandes épreuves de la vie, je ne tiens pas du tout à donner ma manière de faire en disant que c’est la seule qui existe. C’est avant tout quelque chose de très difficile et qui prend beaucoup de temps, chaque personne a sa manière de gérer avec le temps et moi, c’est comme ça que je me suis reconstruit.
LFB : Tes deux derniers clips manifestent une imagerie quelque peu difficile, entre les secousses, les éclats de verre, la voiture cabossée… C’était essentiel pour toi de contrebalancer l’espoir et l’optimisme de tes paroles par des visuels aussi puissants ?
Victor Solf : Oui, absolument. On teste l’optimisme quand on vit des grands moments de désespoir sinon il y a quelque chose de trop facile. C’est facile d’avoir de l’espoir et de l’optimisme quand tout va bien dans ta vie. C’est quand tu es confronté à des vrais moments de doute et de tristesse que tu vas te demander si tu as encore de l’optimisme en toi. Je me suis posé la question avec cet album, en me demandant si j’étais encore réellement un optimiste, davantage avec tout ce qu’il se passe en ce moment. Dans cet album, j’ai regardé ce qu’il y avait autour de moi et mon fils, surtout. L’espoir et l’humanisme passent par cette idée que les Hommes peuvent changer et c’est très important car c’est ce qui permet de casser ce cycle de répétition sinon on tombe dans le schéma du fatalisme où l’homme répèterait constamment les mêmes erreurs, où il serait incapable de changer et d’évoluer. Et donc quand tu regardes un bébé qui apprend quand même globalement à marcher tout seul, à parler seul même si tu l’aides, tu te dis que ce n’est pas possible, que l’on est fait pour changer, évoluer et grandir. Peut-être qu’on l’oublie juste avec le temps, en devenant un peu fermé d’esprit, obtus. Il y a une phrase que j’entends et je n’apprécie pas beaucoup qui est « Je suis comme ça et pas autrement, on ne me changera pas » et ce n’est pas vrai. Il faut vouloir changer et ça peut être très très dur, il y a des choses difficiles à changer chez soi mais si on veut on peut, c’est ma conviction en tout cas. La confiance en soi passe avant tout dans la confiance que l’on a en la vie.
LFB : La tracklist de l’album est pertinente dans le sens où on constate une vraie évolution. On va de morceaux puissants et dynamiques à des morceaux délicats, empreints d’une certaine sensibilité. Il y aussi l’idée que tu sembles être enfin libéré, en paix avec tes émotions, ton rapport au conflit, les autres et le monde de manière générale. Cet album est-il finalement le reflet de ton propre cheminement personnel ?
Victor Solf : Complètement, c’est un album très apaisé. Quand on est artiste, on a tendance à vouloir se prouver des choses à soi-même mais aussi aux autres. On est dans un rapport de comparaison perpétuel, particulièrement avec les réseaux sociaux. Et cet album m’a fait un bien fou car j’ai complètement stoppé ce truc-là en faisant un album qui me fait plaisir, qui me fait du bien, qui mette en valeur ce que je suis capable de faire comme jouer du piano, chanter pour ensuite enregistrer avec des musiciens, réfléchir aux bons arrangements etc. J’ai essayé de mettre une certaine forme d’humilité et de minimalisme dans cet album. Ça fait un bien fou d’arrêter d’être dans la comparaison, de vouloir constamment prouver des choses.
LFB : L’espoir est omniprésent dans ton album alors même que l’on vit une époque où il n’est pas tous les jours facile de garder un regard positif sur la vie. À quoi te raccroches-tu pour continuer à avoir foi en l’avenir ?
Victor Solf : J’aime me resituer par rapport à ce qu’il y autour de moi. D’ailleurs, comme je te disais, être optimiste passe par de grands concepts de l’humanisme et ça passe également par un environnement proche. J’ai beaucoup de chance car j’ai mon fils et ma femme. Ce concept est très important, au-delà de l’amour même car il faut se sentir aimé. C’est un sentiment tellement important que tu peux ressentir, si tu as de la chance, avec tes parents ou ton conjoint. Moi je l’ai et je vois au quotidien quelqu’un qui m’aime profondément sans chercher forcément quelque chose de moi, sans être dans le jugement, il y a une grande tolérance derrière tout ça. Ça me comble de joie et de fierté, me fait relativiser sur toutes les choses négatives qu’il peut y avoir autour de moi. J’ai énormément de chance de ce côté-là.
LFB : Avec cet album, penses-tu avoir enfin atteint une forme de libération voire de renaissance que tu n’espérais plus ?
Victor Solf : Oui et aussi, j’ai remarqué qu’il y avait quelque chose de beau dans la quête de l’identité, dans le sens où c’est une quête qui est sans réponse. C’est simplement des questions que l’on va se poser tout au long de sa vie. Toute la beauté de la quête de l’identité c’est de toujours, tout au long de sa vie, continuer à se remettre en question, avoir de l’autocritique et si on arrête ce truc-là, qu’il est figé, on a l’image d’un vieux con. On peut être très jeune et vieux con parce qu’on a un truc figé alors que c’est un chemin sans fin. J’aime beaucoup Picasso qui à 80 ans a dit que toute sa vie, il a essayé de peindre comme un enfant, ressentir les choses de la même façon. Jusqu’à la fin de sa vie, il a été jeune dans sa tête et tout ça passe par ne pas avoir trop de certitudes sur soi, à essayer de réfléchir à ce qui pourrait changer et évoluer sans forcément améliorer car ça peut devenir malsain aussi. Parfois on fait des retours en arrière, on stagne, on dévie, il ne faut pas chercher la bonification. Et pour moi, en tout cas, ça ne s’arrête jamais.
LFB : Hier tu as sorti How Did We?, second single issu de ton album à venir. Un single où l’on te retrouve en featuring avec Zefire que l’on avait déjà pu découvrir avec Her. Comment avez-vous été amenés à retravailler ensemble ?
Victor Solf : C’est un ami très proche et moi, j’essaie d’avoir beaucoup d’humilité par rapport à mon anglais. On réalise trop peu à quel point travailler sur une autre langue est difficile, surtout quand ce n’est pas notre langue maternelle. Il y a un code derrière les langues, une histoire, une culture derrière chaque mot et c’est très difficile de le capter quand ce n’est pas ta langue. Le fait d’avoir travaillé avec lui sur les paroles, les toplines et la manière dont j’avais envie de faire résonner ces mots était très important pour moi. Il y a eu un mini moment où il a pu prendre l’avion, car il habite entre Montréal et Toronto, et je lui ai donc dit de venir dans l’immédiat et ce, pendant une semaine où on a parlé uniquement en anglais, réfléchi sur ce thème de l’optimisme à essayer de voir comment on peut l’inclure dans chaque chanson et interprétation.
LFB : Le morceau Drop The Ego a particulièrement retenu mon attention car j’en suis venue à me demander si toi justement, en tant qu’artiste ayant fait salle comble un peu partout dans le monde, tu as aujourd’hui réussi à mettre cet égo de côté ?
Victor Solf : C’est une grande question l’ego aussi, on pourrait en parler pendant des heures. C’est quelque chose à la fois de très positif mais aussi dangereux. Et particulièrement aujourd’hui, où l’on vit dans une société très égocentrique voire narcissique, ce qu’il y a de plus extrême. Il faut donc toujours garder un sens critique comme j’ai pu te le dire plus tôt. Et si je fais un rebond dans tes questions, quelqu’un qui a arrêté sa quête de l’identité , qui se dit qu’il est telle personne pour toujours et qui en plus va être narcissique, on tombe alors dans un truc affreux où la personne devient dangereuse. Et c’est pour cela que je dis drop the ego car c’est nécessaire à partir d’un moment de se détendre, il faut arrêter de se prendre au sérieux, ce n’est pas terrible. Je ne suis pas un adapte en tout cas, il faut absolument être capable de se moquer de soi-même, de prendre du recul. C’est ce que j’ai voulu dire dans ce morceau.
LFB : Au fil des morceaux on constate un réel apprentissage dans ta façon de servir de ta voix. Es-tu parvenu à en connaître ses limites ?
Victor Solf : Tout à fait oui. Dans Her, j’avais ce rôle de chanter à plein poumons, d’exagérer, d’être vraiment dans la soul. Et avec mon projet solo, j’ai essayé d’explorer ce qu’il pouvait y avoir de fragile dans ma voix, en allant moins dans la technique et ce qu’il y a d’impressionnant même si c’est bon dans la soul. C’est quelque chose que j’adore quand j’écoute Ray Charles, Otis Redding, Sam Cooke etc, il y a des moments où tu es vraiment impressionné par ce qu’ils sont capables de faire. C’était difficile pour moi au début car on est moins dans le contrôle pour le coup.
LFB : Le piano ayant été ton premier instrument, occupe une place centrale dans ce disque. Comment as-tu ici appris à l’exploiter davantage ? As-tu été amené à retravailler avec d’autres pianistes comme tu avais pu le faire sur ton EP ?
Victor Solf : Complètement oui, j’ai donc continué à travailler avec Guillaume et David, cités plus tôt, qui sont des pianistes que je respecte beaucoup. On a essayé plein de choses différentes avec plein de micros, notamment sur I Don’t Fit où l’on arrivait pas du tout à trouver le son que l’on voulait. On a fini par se servir d’un sample de piano qu’on avait enregistré plus vite puis ralenti et donc y a vraiment cet effet de bande un peu rayée. Sur chaque titre j’ai essayé de me poser la question, comment je voulais mettre le plus possible en valeur le piano et il y a beaucoup de fois où c’est tout simplement de très beaux micros posés sur un très très beau piano car il y a toujours cette idée de la simplicité, de ne pas trop en faire.
LFB : La pochette de ton album fait écho à la célèbre photo de Marc Riboud (La Fille à la fleur, 1967) mais contrairement à cette dernière, tu es ici frontal, comme déterminé à répondre par l’amour à toutes ces formes de haine et de violence qui nous entourent. Est-ce que c’était le message que tu souhaitais faire passer ?
Victor Solf : En effet oui et il peut y avoir quelque chose de kitsch, de candide mais en réalité je suis assez convaincu qu’être dans des sentiments positifs et d’amour, c’est quelque chose de beaucoup plus difficile que d’être dans des sentiments de haine. Quand il y a quelqu’un que tu n’apprécies pas et avec qui tu n’es pas d’accord, avec des valeurs opposées aux tiennes, je pense que c’est beaucoup plus facile d’aller lui cracher dessus ou lui mettre un coup de poing que d’essayer de le comprendre ou le prendre dans tes bras. Il y a une phrase en anglais qui m’inspire beaucoup et qui est « Only the weak are cruel. Gentleness can only be expected from the strong », où il y a vraiment cette idée que la cruauté est quelque chose d’assez facile à atteindre.
LFB : Enfin, aurais-tu des coups de cœur récents à partager avec nous ?
Victor Solf : Je suis quand même assez fan d’Iliona, c’est très beau. J’essaie de rester très ouvert à la culture pop américaine et il faut quand même admettre que le retour de Justin Bieber est réussi, il y a de belles choses. Ça reste très formaté mais il m’impressionne. Dua Lipa aussi, il y a beaucoup beaucoup de travail derrière ce qu’ils font quand même. Et puis Christine and the Queens, son dernier EP avec tout le concept derrière est fabuleux, elle m’a beaucoup challengé pour l’album. Je me suis dit « Ok Christine fait ça, l’ambition est très haute, qu’est-ce qu’on peut alors faire de notre côté ? » et c’est là où on a commencé à parler du costume, de la voiture, des clips, du nom de l’album, de consistance, quelque chose qui puisse relier toute la musique. Christine est trop forte pour ça.
© Crédit photo (couverture d’article) : Joaquim Bayle