Fever Dreams, le cinquième album des irlandais Villagers, vient tout juste de sortir. Nous avons donc discuté de tout ça avec Conor O’Brien.
Version anglaise ci-dessous / English version below
La Face B : Bonjour Conor, comment vas tu alors que tu t’apprêtes à dévoiler Fever Dreams ?
Villagers : Je suis impatient et agité. Ces chansons m’ont beaucoup aidé ces dernières années et j’ai l’impression qu’elles sont prêtes à sortir aux yeux de tous•tes depuis très longtemps… Le jour où ça arrivera, ça sera très cathartique.
LFB : Si je te dis que pour moi, il y a avec Villagers une histoire d’acceptation et de chemin de l’obscurité vers la lumière, est-ce une chose avec laquelle tu serais d’accord avec un certain recul ?
Villagers : Je ne dirais pas que c’est aussi binaire. L’obscurité et la lumière changent toujours de signification à mes yeux. Je n’accepterai jamais la version actuelle de moi-même, ça me semble un peu paresseux. Je fais de l’art pour toujours apprendre.
LFB : Le fait est que l’album trouve une résonance particulière avec notre époque, en traitant de deux faits importants : le rêve et l’évasion. Comment analyses-tu la période que l’on vient de vivre ?
Villagers : On vit des trucs complètement fous en ce moment. Pour moi, les dernières années ont été instructives, c’est le moins qu’on puisse dire. Je trouve que j’ai à présent une compréhension un peu plus profonde de l’importance de l’ouverture d’esprit. Je rêve 7 fois par jour !
LFB : Par extension, on sent au court de l’écoute une vraie notion de plaisir : celle d’un artiste qui vit ses chansons mais aussi celle de l’auditeur•ice qui se retrouve face à un album ambitieux, généreux et chaleureux. Était-ce important pour toi de mettre ces deux désirs, forcément importants et nécessaires, sur une même ligne ?
Villagers : Oui, je trouve qu’écouter de la musique est une expérience active et c’est amusant de garder ça en tête en la faisant. Je voulais vraiment faire un album qui peut être apprécié de manière superficielle mais aussi sur un plan plus profond. L’art est astronomiquement important et nécessaire quand il est créé.
LFB : Quelle part le rêve a-t’il eu dans ta façon d’écrire cet album ? On sent que l’écriture se fait plus imagée, plus floue avec notamment l’utilisation de mantras par moments, notamment sur So Simpatico ou Restless Endeavour.
Villagers : Je voulais juste jouer avec le temps et l’espace un petit peu plus. Je voulais surtout exprimer des sensations plutôt que des thèmes narratifs et je voulais que tout le processus soit agréable pour le groupe et pour moi. Je pense qu’on peut entendre l’enthousiasme dans le groove.
LFB : De la même manière, en quoi les lieux que tu as pu visiter t’ont influencé dans l’écriture de l’album ? En plus du rêve, j’ai la sensation que cet album est aussi très attaché au souvenir.
Villagers : Grenade en Andalousie était le point de depart pour So Simpatico en particulier. Je lisais Lorca quand j’y étais et j’ai découvert l’existence d’une artiste locale décédée qui s’appelle Maripi Morales : j’ai senti la nuance et l’amour dans leur art et je marchais dans les rues où il est né. Ca m’a beaucoup inspiré.
LFB : J’ai la sensation, dans la structure des chansons et dans leurs émotions, que tu t’es autorisé à y mettre un peu de folie, d’inattendu. Est-ce que, le temps passant, tu t’autorises de plus en plus de libertés avec ce projet ?
Villagers : J’imagine que oui. Je suppose que ma propre définition des « limites » dans le processus créatif bouge et change tout le temps, ce qui ramène des résultats inattendus. Je ne pense pas que mon processus créatif soit nécessairement linéaire au niveau de la temporalité, il est allergique à la pensée binaire.
LFB : Il y a forcément une part d’intime dans cet album. Penses-tu que chaque album te permet de te connaître toi même un peu plus ? Et si la vie est un rêve, penses-tu qu’il est important de réussir à faire la paix avec soi même ?
Villagers : Je ne suis pas sûr que « faire la paix » avec soi-même soit particulièrement important, à un niveau simpliste en tous cas. Je pense qu’il est important de constamment s’interroger et de tout faire pour être une meilleure personne et être plus créatif. Bien sûr, c’est super de connaître sa valeur et ça peut aider là dedans, mais je préfère rester vif d’esprit et faire de l’art. Il est aussi important de ne pas incorporer internet dans une hiérarchie d’outils relationnels : on perd beaucoup dans la monétisation de l’identité. Le travail d’un•e artiste est d’aller voir ce qui se cache derrière les conneries et d’en ramener quelque chose. Il y a tellement de beauté au-delà de l’algorithme.
LFB : Ce que je trouve particulièrement beau dans cet album, c’est la manière dont tu joues avec le temps. Certains morceaux très longs semblent durer une seconde (que ce soit So Simpatico ou Circles in The Firing Line) alors que des morceaux comme Full Faith in Providence ou Song in Seven étirent les émotions à l’infini. Comment as tu envisagé la création de ces morceaux ?
Villagers : J’ai juste travaillé dessus jusqu’à ce que chaque chanson remplisse quelque chose au fond de moi ! C’est un processus constant, difficile, intriguant, engourdissant et glorieux qui ne s’arrête jamais de changer avant d’être enregistré !
LFB : Peux-tu nous raconter comment cet album a été enregistré ? On sent une sensation de tout assez forte. Un vrai album de groupe en somme.
Villagers : La majorité de l’audio est le résultat d’un groupe qui joue ensemble dans une pièce. Je trouve ça génial. Je peux entendre l’amour et l’implication qu’ont donné les musiciens et c’était un plaisir de chanter par-dessus. Quand le confinement s’est mis en place, j’avais un coffre aux trésors de sons incroyables avec lesquels jouer. J’étais super reconnaissant pour ça.
LFB : Que ce soit les images de l’album ou les premiers clips que tu as sorti, les visuels ont une place majeure dans Fever Dreams. Etait-ce important pour toi de créer un univers où chaque partie puisse faire écho à une autre ? Former un tout conscient et uniforme ?
Villagers : Oui, je veux que le truc tout entier soit le plus immersif possible. J’ai eu la chance de travailler en étroite collaboration avec l’incroyable artiste Paul Phillips (qui a créé la couverture de l’album) et des réalisateur•ice•s brilliant•e•s comme Daniel Brereton, Rosie Barrett et Bob Gallagher. Je suis reconnaissant et honoré qu’ils et elles aient tous•tes accueilli la musique dans leurs cœurs et l’aient représentée aussi joliment.
LFB : J’aimerais revenir avec toi si tu l’acceptes sur Occupy Your Mind. Je trouve ce morceau vraiment important et nécessaire. Comment vois tu le fait que sept ans plus tard, ce morceau dans ce qu’il dénonce et attaque soit encore d’actualité dans de nombreux pays, notamment en Hongrie ?
Villagers : L’homophobie est encore très répandue partout dans le monde. Je ne suis pas encore trop sûr de l’importance de l’approcher directement dans l’art et la musique mais j’ai écrit Occupy Your Mind sous le coup de l’émotion. Il y avait quelque chose dans l’air. L’intolérance a des origines étranges et, à l’ère d’internet, elle se cache derrière des masques encore plus bizarres.
LFB : Si on aime Villagers, c’est aussi pour le live. Comment envisages tu la tournée pour Fever Dreams ? Y’a t’il des petites surprises à attendre ?
Villagers : Nous allons jouer les chansons avec passion et intégrité tous les soirs et nous allons avoir une nouvelle appréciation de tout ce qui pourrait être perdu. Je veux que le groupe reste curieux et centré sur la musique et je souhaite que les chansons évoluent naturellement.
LFB : Que peut-on te souhaiter dans un avenir proche ?
Villagers : J’aimerais apprendre!
LFB : As-tu des coups de cœur récents à partager avec nous ? (musique, cinéma, livres …)
Villagers : Je lis doucement Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir et je le recommande. Je lis également The Art of Being d’Erich Fromm et je le trouve chouette.
ENGLISH VERSION
La Face B : Hi Conor, how are you feeling as you are about to unveil Fever Dreams ?
Villagers : I’m feeling excited and agitated; These songs have been keeping me sane for the last couple of years but it feels like they’ve been ready to go out into the world for as long as I can remember… it will be a cathartic day when it finally happens.
LFB : If I tell you that for me, there is with Villagers a story of acceptance and path from darkness to light, is it something you would agree with in retrospect?
Villagers : No, I wouldn’t say it is that binary. Darkness and light are forever changing their meaning to me. I will never accept the current version of myself; that feels lazy. I make art so I am always learning.
LFB : The fact is that the album has a particular resonance with our times, dealing with two important facts: dreams and escape. How do you analyse the period we have just been through?
Villagers : We’re going through some crazy shit right now. For me, the last couple of years have been enlightening, to say the least. I feel like I have a slightly deeper understanding of the importance of considered and open thinking. I usually have about seven dreams a day!
LFB : By extension, we feel a real notion of pleasure while listening to the record: that of an artist who lives his songs, but also that of the listener who finds him/herself facing an ambitious, generous and warm album. Was it important for you to put these two desires, necessarily important and necessary, on the same line?
Villagers : Yes I think listening to music is an active experience and it is fun to remember that whilst making it. I really wanted to make an album which could be enjoyed on a superficial level but also on a deeper plane. The art feels cosmically important and necessary when it is being created.
LFB : What part did the dream have in your way of writing this album? We can feel that the writing is more pictorial, more blurred with the use of mantras at times, especially on So Simpatico or Restless Endeavour.
Villagers : I just wanted to play with time and space a little bit more. I mostly wanted to express sensations rather than narrative themes and I wanted the whole process to be enjoyable, both to me and the band. I think you can hear the excitement in the grooves.
LFB : In the same way, how did the places you visited influenced you in the writing of the album? In addition to dream, I feel that this album is also very much about memories.
Villagers: Granada in Andalusia was the starting point for So Simpatico in particular. I was reading Lorca when I was there and became aware of a late local artist called Maripi Morales; I could feel the nuance and love in the art and I was walking the streets it was created in. It was really inspirational for me.
LFB : I have the feeling that, in the structure of the songs and in their emotions, you have allowed yourself to put a little bit of madness and unexpectedness into them. As time goes by, do you allow yourself more and more freedom with this project?
Villagers: I guess so: I suppose my own definition of what the “edges” are in the creative process are always shifting and mutating, which yields unexpected results. This is the creative process. I don’t think it is temporally linear necessarily and it is allergic to binary thinking.
LFB : There is obviously an intimate part in this album. Do you think that each album allows you to know yourself a little bit more? And if life is a dream, do you think it’s important to make peace with yourself?
Villagers: I’m not really sure if “making peace” with one’s self is especially helpful, at least on a simplistic level. I think it’s important to constantly interrogate oneself, and to strive to be a better person and a more creative being. Of course, it is nice to have a level of self worth which can aid this process, but I’m more interested in staying sharp and making art. It’s important not to incorporate the internet into an internal hierarchy of relational tools; there is so much lost in the monetisation of identity. An artist’s job is to see behind the bullshit and report back. There is so much beauty beyond the algorithm.
LFB : What I find particularly beautiful about this album is the way you play with time. Some very long tracks seem to last a second (be it So Simpatico or Circles in the Firing Line) while tracks like Full Faith in Providence or Song in Seven stretch emotions to infinity. How did you approach the creation of these tracks?
Villagers: I just kept working on them until them fulfilled something deep inside! It’s just a constant, difficult, intriguing, numbing, glorious process which never stops changing shape until it’s on tape!
LFB : Can you tell us how this album was recorded? There is a strong sense of togetherness. A real band album in short.
Villagers : The majority of the audio is the sound of a band playing together in a room. I love this fact. I can hear the love and dedication from the musicians and it was a joy to sing over. Once lockdown hit, I had a treasure-trove of amazing sounds to play with; I felt very grateful.
LFB : Whether it’s the visuals of the album or the first clips you released, the visuals have a very important place in Fever Dreams. Was it important for you to create a universe where each part could create an echo on another? To form a conscious and uniform whole?
Villagers : Yes I want the whole thing to be as immersive as possible. I’ve been lucky enough to have worked closely with the amazing artist Paul Phillips (who designed the album artwork) as well as brilliant directors like Daniel Brereton, Rosie Barrett and Bob Gallagher. I feel grateful and humble that they all took the music into their hearts and represented it so beautifully.
LFB : I’d like to come back with you if you’ll accept it on Occupy Your Mind. I find this piece really important and necessary. How do you see the fact that seven years later, this song in what it denounces and attacks is still relevant in many countries, especially in Hungary?
Villagers : Homophobia is still rife all around the world. I’m still undecided about the importance of directly approaching it in art and music but I wrote Occupy Your Mind in an emotional wave. There was something in the air. Bigotry comes from the strangest places and, in the internet age, wears the strangest veils.
LFB : If we like Villagers, it’s also for the live performance. How do you see the tour for Fever Dreams ? Are there any little surprises to expect ?
Villagers : We are going to play the songs with passion and integrity every night, and we are going to have a newfound appreciation of everything that could be lost. I want the band to stay curious and focussed with the music and I want the songs to evolve naturally.
LFB : What can we wish you for the near future?
Villagers : I wish to learn!
LFB : Is there any recent things you really like that you would like to share with us?
Villagers: I’m slowly reading Le Deuxième Sexe by Simone de Beauvoir and I would recommend it. I’m also reading The Art of Being by Erich Fromm which is good.