Vipères sucrées salées (le jour où j’ai réalisé que j’étais une langue de…)

On a écouté l’EP, pas mal de fois. À l’intro, on a maugréé. « Un groupe de garçons, qui fait de la musique de garçons ». C’est qu’on attendait l’insolence facile ; les Oï ! crachés depuis les pentes (glissantes) de la Croix-Rousse, symptomatiques relents d’une adolescence finissante biberonnée à Siglo XX. On l’avoue : il ne nous aura fallu que quelques mesures pour admettre notre erreur…

Crédits : Mathilde Lacour

Vipères sucrées salées, ce serait le post-punk mi-énervé mi-contemplatif de mecs qui ont fait L option musique : à bouffer du Zweig sur fond de Molchat Doma, les joueurs d’échecs (scolaires) rafleraient tout le bac en poche. Dont le droit de s’enfermer en studio pour accoucher de leur premier EP, tellement propre et carré que sa gestation a presque l’air d’avoir été simple…

Que les choses soient claires. Qu’il s’agisse de diction ou de métrique, le trio sait où il va. Le groupe déroule ses expérimentations littéraires et musicales dans un cadre post-punk infusé de new wave, se jouant des codes, subvertis mais jamais trahis. Sur cet opus 5 titres, on retrouve tous les ingrédients de la cold wave, mâtinés d’une aura contemporaine, un vent de fraîcheur nous restituant la vague froide pile à la bonne température… Assurément, cette aisance déployée gagnera à se découvrir en live.

En attendant, on passe de titre en titre – et ça va vite. Après leur tirade urbano-naturaliste sur le système cardio-vasculaire des crocodilidés (cf. : Clips de la semaine, édition du 26 février 2022), on embraye sur Shoop Zep Soop. Le texte percute en saccades jamais verbeuses, sur fond de fresque néo-bruitiste. Entre woodblock obsessionnel et synthé acharné, le moteur chauffe. À la voix, c’est guttural et ça ronronne – mais déjà, on fonce à toute berzingue sur le périph’, sûrement pas attaché.e.s…

Quoique. Véritable morceau de bravoure, Ceinture semble une relecture post-punk de la Fête Noire de Flavien Berger. Quand la voix emprunte au rockabilly dans les intonations, le tempo se délie dans la déclamation, monocorde et performativement mâle – dans ce que l’identité de genre a de nonchalance assumée. Toujours l’air de s’en foutre, les mecs, je me dis. Mais à la chanson suivante, je pense à ma belle-mère. C’est que décidément ils ont l’air, mais pas la chanson, comme elle dit toujours (merci Marie !).

Pour preuve, ce (presque) sirupeux Le cœur et les lumières, où le timbre se déploie dans l’élan mélodique au romantisme suranné. Fragile dans l’effort, l’accent tonique trace en pointillé une filiation à une culture pop confessée à demi-mots. Du contraste avec l’effet mégaphone sur : « Sois sauvage, sauvage, montre-moi ton visage ! » (supplique provoc’ d’un CRS face à un manifestant cagoulé ou amant jouant les daddy ? On ne saura pas.)

Déchirement enfin, dans le spoken-word, beuglé quasi. Punchline crachée-gueulée venue du fin fond « des gorges de la dèche », d’aucun crieront à Fauve.

À La Face B, on est pas si cruel.le.s. : on dira plutôt que c’est bien. Vachement.