L’Antéchrist Superstar rayonne une nouvelle fois parmi ses fidèles. À l’image d’un prophète conscient de sa mortalité alors cloué sur la croix, Marilyn Manson livre un confessionnal dans lequel il exprime ses épreuves et ses doutes. Pourtant finalisé en janvier avant la crise sanitaire qui nous aura tous impacté, l’album résonne particulièrement en échos avec les maux et les douleurs que traversent l’humanité.
Produit par Shooter Jennings, qui a notamment collaboré avec les Gun’s, le 11ème album de Marilyn Manson , We Are Chaos, transpire les tonalités plus blues dont le premier s’est fait la spécialité. Un renouveau salvateur, qui ne trahit en rien la noirceur de l’artiste. Leur duo a déjà pu se faire entendre sur des projets ultérieurs: un titre imaginé pour la série Sons of Anarchy, une reprise de Cat People de David Bowie, ou la magistrale interprétation de The End des Doors.
Pensé tel un conte tragique, une biographie fantasmée, cet album est à considérer comme un « tout » et non une série de futurs hits à écouter individuellement. Et cela constitue sa force: une cohérence totale entre les morceaux, et un message parfaitement délivré.
Un autoportrait sombre, à l’image du récit qu’il déverse, orne la pochette de ce manifeste.
C’est en prophète de l’apocalypse que Marilyn Manson introduit l’album avec RED BLACK AND BLUE. Des vers terrorisants débités devant une foule en transe, plus que jamais Antéchristian. Il remet d’ailleurs ce statut en question « I am garbage or god? Church or a trashcan? » avant d’envoyer valser ses fidèles. Un titre violent et efficace, parfaite introduction à son état mental actuel et son évolution artistique.
Deuxième titre de l’album éponyme, WE ARE CHAOS est le premier single et une vraie surprise lors de sa sortie. Presque en totale rupture avec le reste de l’album, il s’ouvre sur des accords de guitare acoustique aux tonalités pop qui amorcent assez bien ce qui a sans doute le but de devenir un hymne de concert. Un refrain réunificateur autour de notre insanité commune, une critique de la société qui souhaite faire rentrer les dissidents dans un moule, pour une seule conclusion: nous avons tous quelque chose en nous de Marilyn Manson.
Le clip opère aussi une véritable rupture avec l’esthétique dont l’artiste a pu nous habituer. Une animation vintage dévoile des moments de pure poésie, noyés par moment dans un bain de sang (on ne se refait pas). Des quidams portent le visage de Manson tel un masque, qui se démultiplie ainsi telle une armée de l’apocalypse. Un hymne à la différence mais un conformisme dans la perversion.
DON’T CHASE THE DEAD est le deuxième titre a être accompagné d’un clip. Aux côtés de l’acteur Norman Reedus, une fuite rock n’ roll après un casse qui semblerait avoir mal tourné. Esthétique vintage, un Reservoir Dogs gothique, ainsi que de l’hémoglobine encore et toujours.
Le titre est particulièrement efficace avec son intro crescendo de batterie et ses hurlements très eighties. Chanson d’amour sombre à souhait, avec quelques éclaircies au refrain dû à un piano très mélodique, DON’T CHASE THE DEAD est un titre magnifiquement produit.
Introduit par des coeurs féminins un peu dégoulinants, guitare acoustique et piano un peu kitsch PAINT YOU WITH MY LOVE évoque une country un peu dépassée. Le titre surprend cependant en mi-parcours en rajoutant quelques instrus électronique, et les cris désespérés de l‘artiste. Bien que l’évolution de style soit assez jouissive, son intro parfaitement oubliable empêchent de véritablement apprécier le morceau.
HALF WAY & ONE STEP FORWARD est encore une fois un titre assez pop (pour l’artiste), piano omniprésent, violons dans les envolées lyriques, c’est classique mais efficace. Provocateur, ou véritable problème de rock star, Manson scande une addiction au champagne mais aussi une forme d’abandon de la part de ses proches. Une fatalité qui pourrait bien mener jusqu’à la mort. Un titre désespéré qui transmet le tragique plus dans l’instrumental que dans la voix. Une retenue élégante.
Guitare grésillante et dissonante, sonorités industrielles, voix sortie des tréfonds de l’enfer, INFINITE DARKNESS est sans aucun doute le titre le plus sombre de l’album (faut dire la couleur était bien annoncée). Nommé tel l’autoportrait qui orne l’album, il présage une chanson très personnelle et introspective. Attaque violente contre le monde de faux-semblants et de superficialité d’une célébrité, l’artiste est alors en pleine autocritique. Des attaques dirigées contre lui même alors qu’il scande « You’re dead longer than your alive » résument assez bien les souffrances qu’à pu subir l’artiste tout au long de sa vie et qui le menèrent à de nombreuses addictions.
Chanson marquée par la période plus glam de Marilyn Manson, PERFUME est un superbe écho à des titres tels que The Dope Show. Une sombre ironie plane sur ce morceau avec cette attaque personnelle à une prétendue victime, ou célébrité exploitant un peu trop ce statut. Les rumeurs sont nombreuses sur la personne visée, mais la chanson est sans nulle doute inspirée par une de ses connaissances proches. Coup de génie sur le clavier du dernier passage, qui donne toute sa profondeur au titre alors que Manson scande ses interrogations personnelles.
KEEP MY HEAD TOGETHER est une nouvelle fois une chanson d’amour à la Manson, remplie d’interrogations défaitistes. Malgré un refrain assez mélodique et entrainant, la chanson peine à véritablement accrocher.
Beaucoup plus marquant, SOLVE COAGULA possède une vraie ligne de guitare claire qui contraste avec la noirceur des paroles. « I’m not special, I am just broken and I don’t wanna be fixed » est une mise en garde à toutes les personnes qui souhaiterait rentrer dans la vie de l’artiste. Une vraie prise de recul sur ses expériences passées, mais aussi sur lui-même en acceptant les traumatismes qui l’ont forgé.
Le titre de clôture de l’album est disons le, une petite pépite. Guitare acoustique très folk, incrustation de piano et de violons, envolées vocales déchirantes, cela pourrait être un énième titre rock tire larmes. Pourtant, la retenue avec laquelle chante Manson et la construction du titre le rend assez superbe. Avec BROKEN NEEDLE, l’artiste s’adresse visiblement à une personne chère. Manson tire cette fois-ci vers la lumière ceux qui pourrait être attirés par les ténèbres après avoir partagé un morceau de vie avec lui. Une rupture pour le bien de chacun, au lieu de s’enfermer dans un cercle vicieux d’autodestruction. Adressé directement à l’auditeur, le morceau peut résonner étrangement en chacun d’entre nous. Son public a été à tort ou à raison accusé de nombreux maux, poussés selon la presse par la musique de Manson. Est-il aussi en train de nous mettre en garde sur notre propre noirceur et agissements? La rupture amoureuse est-elle avec son public?
Cet album est sans nul doute la composition la plus intimiste de Marilyn Manson depuis ses débuts. Il se livre entièrement, expose sans une once de pudeur ses failles et ses échecs pour nous transmettre une leçon de vie salvatrice. Cultiver la différence, embrasser ses traumatismes, mais ne jamais se laisser consumer par eux. Un album qui ravira autant l’étudiant en psychologie que le fan désenchanté des dernières années. Marilyn Manson opère une résurrection prophétique, surprend, désarme mais enchante surtout. La flamme d’une de ses inspirations de toujours, David Bowie, transpire tout le long de l’album. A son image, une vraie transformation artistique s’est produite, sans jamais se trahir. En ces temps hautement déterminants aux États Unis, plus que jamais la présence du provocateur est essentielle. À travers son autocritique, il est encore une fois un reflet perverti mais hautement réaliste de l’Amérique moderne. Très peu pensé pour les concerts (qui sait quand ils reviendront de toute façon), c’est un de ces albums qu’on souhaite écouter dans des moments de douleurs intenses afin de plonger encore plus bas. Avant d’embrasser l’amour de soi malgré sa propre laideur intérieur.