En septembre Will Butler a dévoilé Generations, un album ambitieux qui se voulait autant une exploration des genres musicaux qu’une réflexion sur l’intime et sur l’état d’un pays. Nous avons eu le plaisir de pouvoir poser quelques questions au membre d’Arcade Fire histoire d’en découvrir un peu plus sur cet album, l’état d’esprit dans lequel il a été conçu et les œuvres jumelles auxquelles on peut le rattacher.
Version anglaise plus bas / English version below
La Face B : Salut Will ! Comment ça va?
Will Butler : Ça va !
LFB : Si Policy peut être vu comme une collection de morceaux assemblés pour former un album, Generations a un fil conducteur plutôt clair et solide. Comment t’est venue l’ambition de créer un album comme une histoire ?
W.B. : La réponse simple, c’est que c’est juste comme ça que les chansons me sont venues ! La réponse complexe, c’est que ces chansons étaient toutes des graines qui ont été plantées dans la même terre : elles ont les mêmes racines mêmes si ce sont des fruits différents, haha ! Pour changer de métaphore, je vois ce disque comme une sorte de trajet : un voyage le long d’une rivière, ou plutôt une odyssée où l’on retrouve un héros dans plein de situations différentes… L’intrigue n’est pas forcément cohérente, mais disons qu’elle traverse toutes les étapes comme un ruisseau.
LFB : Cet album semble avoir été nourri par les quatre dernières années, comment as-tu vécu cette période ? Et comment vis-tu l’époque actuelle ?
W.B. : Ces dernières années ont été bizarres ! Aux États-Unis, c’est le chaos : ce n’est pas nouveau et les problèmes ne le sont pas non plus, mais j’ai l’impression que tout ça s’exprime comme jamais auparavant. J’essaie de trouver des gens qui font de leur mieux pour arranger les choses et de les soutenir comme je peux. J’ai aussi été occupé à fonder ma famille : ma femme Jenny et moi avons trois enfants, et ça comprend un sacré lot de responsabilités.
LFB : Sortir un album la veille d’une élection de la plus haute importance pour les États-Unis, c’était important pour toi ?
W.B. : Je n’ai pas vraiment fait exprès, même si j’étais heureux de la coïncidence. Surtout parce que je pensais que je serais en tournée aux États-Unis en ce moment, juste avant l’élection, et que je voulais en parler à tout le monde à travers le pays ! Mais les choses ne se passent pas tout le temps comme prévu.
LFB : Si cet album aborde des thèmes universels, c’est aussi ton projet le plus personnel, non ? Quelle est ta relation à l’histoire américaine de ton point de vue personnel et familial ?
W.B. : C’est vrai, mais honnêtement je ne sais pas s’il est si universel que ça. Je ne suis pas l’univers ! J’ai essayé de concentrer explicitement la plupart des chansons sur mon monde émotionnel intérieur du mieux que je pouvais. Et si les gens peuvent s’y identifier, j’en suis ravi. Et si ça aliène les gens, j’espère que ça le fera d’une manière bénéfique et artistique. J’ai de mon côté carrément déjà été aliéné par de l’art dans ma vie.
LFB : Si cet album parle du monde, j’ai aussi l’impression que tu t’es amusé avec l’histoire de la musique: des mélanges de gospel avec de l’électro, le rock épique croise le piano-voix…
W.B. : J’ai perdu toute notion de genre, et j’ai l’impression que je ne suis pas le seul ? Mais oui, il y a beaucoup d’histoire musicale là-dedans, et beaucoup d’histoire de la musique au niveau technique : d’où vient cet instrument ? Comment était-il utilisé ? De la voix à la batterie, en passant par le synthé.
LFB : C’est un album qui semble guidé par l’amour de la Musique avec un grand M. C’était nécessaire pour toi de ne t’interdire aucune influence ? De mélanger tous ces genres que tu aimes en les regroupant autour d’un thème commun ?
W.B. : La base de la plupart de ces chansons a été enregistrée lors d’une session d’une semaine dans mon sous-sol. Donc à mes yeux, elles viennent littéralement du même endroit. On a même pas bougé les micros de la batterie entre les morceaux ! Il y a donc effectivement une sorte de fil audio qui tient tout en place. J’ai toujours vu l’art comme de la poésie, avec ses structures et ses différentes traditions. J’aime jouer avec le contraste : c’est un peu comme ça que les morceaux me viennent tout le temps.
LFB : Comment est-ce que les thèmes de l’album ont influencé ton écriture ? On est sur quelque chose d’assez direct, l’idée étant clairement de faire passer le message.
W.B. : Ouais, j’ai essayé d’être très spécifique, et si je trouvais rien qui était spécifique et poétique en même temps, alors j’y allais franco directement. La relation entre la musique et les paroles est vraiment mystérieuse à mes yeux. Parfois la musique peut te faire chanter des mots auxquels tu ne réfléchiras jamais dans ta vie, et parfois elle attire au contraire l’attention sur leur signification. J’ai essayé de faire confiance à ce mystère.
LFB : Cet album est aussi un album où les choses se confrontent ; on trouve de la lumière dans l’angoisse, de l’humanité dans les machines, le féminin qui répond toujours au masculin… C’était important pour toi de jouer avec ces contrastes ?
W.B. : Absolument. L’album est une conversation, parfois littéralement. Il n’y a pas d’antagonisme, mais il y a différentes perspectives : comment on fait pour avancer ensemble ? J’ai beaucoup été influencé par la nourriture, par l’écriture culinaire et par la culture de la nourriture en général de ces dix dernières années. Je veux que ce que je mange soit salé et sucré, gras et équilibré, épicé et ainsi de suite… Pas en une seule bouchée, mais au fil de l’assiette et du repas.
LFB : C’est un album où tu cherches de l’équilibre à la fin, non ?
W.B. : Je ne sais pa s! Je trouve que la dernière note peut être interprétée comme un cri qui relâche de la tension et aide à avancer, ou bien comme le son d’un train qui entre en gare, menaçant et déconcertant.
LFB : Cet album, s’il sort sous ton nom, transpire tout de même l’esprit d’équipe : tu peux nous en dire plus sur les gens qui ont travaillé avec toi sur ce projet ?
W.B. : Bien sûr ! C’est tout à fait un album de groupe : il y a mon batteur Miles Francis (qui a aussi joué du synthé et de la guitare acoustique en plus d’avoir participé à la production), on retrouve Julie Shore à la basse et parfois au piano, et Jenny Shore (ma femme) a joué du synthé, tout comme Sara Dobbs. Tout le monde a chanté et participé aux chœurs. Miles jouait dans le groupe Antibalas, il a produit beaucoup de groupes et joué devant des tas de gens : il est incroyablement talentueux. Jenny et Julie sont sœurs, et Sara (qui était actrice à Broadway) est leur amie d’enfance. Julie et Sara étaient mes voisines quand Policy est sorti, et comme je savais qu’elles étaient de formidables musiciennes je leur ai demandé si elles voulaient bien être dans mon groupe. Et ça fait cinq ans que ça dure.
LFB : Est-ce que Generations a été une thérapie pour toi ? Comment tu t’es senti après avoir écrit cet album ?
W.B. : Ça n’a pas vraiment eu d’effets thérapeutiques. J’ai travaillé très fort pour essayer de parler sincèrement et honnêtement, mais j’ai l’impression que de mettre le résultat entre les mains de tonnes d’inconnus est à l’opposé d’une thérapie haha ! Je suis très fier de mon travail, fier des sons, fier des mots. Mais je ne sais pas si cela me fait me sentir mieux par rapport au monde !
LFB : C’est aussi un disque qui parle beaucoup d’amour. Tu penses que c’est l’amour qui va tous•tes nous sauver ?
W.B. : L’amour nous sauvera seulement s’il se traduit en actions concrètes. Je ne pense pas vraiment qu’on puisse être sauvé•e•s ? Mais je pense qu’on peut fortement améliorer la manière dont on vit tous•tes ensemble. Je pense qu’on a tous•tes du travail à faire.
LFB : Tu peux nous partager des livres/films/morceaux qui pourraient nous aider à poursuivre l’expérience débutée par Generations ?
Le nouveau disque de Shamir joue avec les genres d’une manière que j’adore. Et le nouvel album de Tyler Childers, Long Violent History, est un peu en lien avec le mien.
Lot Six : A Memoir de David Adjmi parle de devenir un artiste, et en plus tout se passe à genre dix rues de chez moi. Mais il est super même sans parler de ça, haha.
Le Miroir d’Andrei Tarkovsky me semble également être un bon choix de film ? Il y a un court documentaire sur Netflix qui s’appelle A Love Song for Latasha, qui traite d’histoire et d’archives et c’est magnifiquement touchant.
Epic Journeys of Freedom par Cassandra Pybus est une histoire incroyable : ça parle de personnes victimes d’esclavage aux États-Unis qui ont rejoint les Anglais pendant la révolution pour se battre pour leurs droits, et ce qu’elles sont devenues.
Ensuite, ça n’a pas trop de rapport mais les livres Wolf Hall d’Hilary Mantel rendent le passé humain et réel avec brio, ça te fait vraiment réfléchir à où tu es et ce que tu fais là, c’est complètement fascinant.
Voilà, c’est un bon début !
LFB : Et inévitablement, pour la dernière question : as-tu des nouvelles d’Arcade Fire à nous donner ?
W.B. : Non, pas de nouvelles !
LFB : Hi Will, how are you ?
Ok !
LFB : If Policy could be seen as a « collection » of tracks that formed an album, Generations has a fairly strong and obvious backbone. How did you get the ambition to create an album as a story ?
The too simple answer is that this is just how the songs came out! The more complex is that these songs were all seeds that were planted in the same soil, they have the same terroir, even though they’re different grapes. Ha! Switching metaphors, I see this record as a journey–a trip along a river–more of an Odyssey, where you have a hero in a bunch of different situations–less of a coherent plot, but a current flowing through the whole thing.
LFB : This album seems to have been nourished by the last four years, how did you live this period ? And how do you live the current period ?
It’s been a weird few years! America is in chaos–it’s not a new chaos, the problems aren’t new, but the expression certainly feels fresh. I try to find people that are working to fix things and try to support them however I can. I’ve also just been raising my family–me and my wife Jenny have 3 kids, which comes with its own world of responsibility.
LFB : Releasing this album on the eve of an election of extreme importance for the United States was mandatory for you ?
Mostly coincidental, though I was happy for the coincidence. Mostly because I thought it meant I would be touring through America right now, before the election, and I wanted to be talking to people all over! But not all plans work out.
LFB : If this album has universal themes, it’s also your most personnel project, right ? What is your relationship to American history from a family and personal point of view ?
Yeah. I don’t know how universal it is–in a genuine way! I’m not the universe! Most of the songs I tried to make as explicitly focused on my internal emotional world as I could. And if that resonates with people, I’m glad. And if it alienates people, I hope that it does so in a fruitful, artistic way. I’ve certainly been affected by alienating art before.
LFB : If this album is about the world, I also have the feeling that you had fun playing with the history of music: gospel mixes with electronic music, epic rock crosses the outline of a piano voice for example.
I’ve lost all sense of genre. I feel like I’m not alone in that? But yes, there’s a lot of history of music in this, and a lot of history of music technology–where does this instrument come from? How was it used? From the voice, to the drums, to the synthesizer.
It is an album that seems to be motivated by the love of Music with a capital M. Was it necessary for you not to forbid yourself any influence? To mix all these genres you like by bringing them together on a common theme?
Most of the beds for these songs were recorded in a weeklong session in the basement of my house. So to me, they literally come from the same place. We didn’t even move the drum mics between songs! So there’s certainly an audio thread keeping everything together. I’ve always thought of art in terms of poetry–the techniques of poetry: line breaks and formal structures and different traditions. I like playing with contrast–it’s kinda just how things always come out for me.
LFB : How did the themes of the album have an influence on your writing ? (It’ s about something less poetic and more direct, the idea being to clearly get the message across.)
Yes, I tried to deal in specifics, and if I couldn’t think of a poetic specific, I went for a blunt, unpoetic specificness. The relation between music and lyrics is very mysterious to me. Sometimes the music can make you sing along to words that you will never think about in your whole life, sometimes they draw attention to the meaning. I tried to trust in the mystery.
LFB : The album is also an album where things confront each other: we find light in the anguish, humanity in the machines, the feminine always responding to the masculine. Playing with these contrasts was important to you ?
Very much so. The album is a conversation, sometimes literally. There’s not an antagonism, but there’s different perspectives–how do we move forward together ? I’ve been influenced a lot by food, and by food writing, and by the general food culture of the last decade. I want my food to be salty and sweet and fatty and rounded and spicy and so on–not all in one bite, but moving through the plate, moving through the meal.
LFB : It’s an album where you’re looking for balance in the end, aren’t you ?
I don’t know! I find the last note of fine can either be a scream that releases some tension, let’s you move on. Or it can be the sound of a coming train, something ominous and unsettling.
LFB : This album, if it appears under your name, breathes the spirit of a group. Can you tell us about the people who worked with you on this project ?
Yes ! It’s very much a band record: my drummer Miles Francis (who also played synth and acoustic guitars and some production flourishes); Julie Shore, who played much of the bass synth and some piano; Jenny Shore (my wife) played synths; Sara Dobbs played synths, and everybody sang and arranged backing vocals. Miles used to play in the band Antibalas, but he’s produced many bands and performed in infinite capacities–just incredibly talented. Jenny and Julie are sisters, and Sara is their childhood friend. Julie and Sara were my neighbors when Policy came out, and I always knew them as talented musicians (Sara was also a Broadway actress), so I just asked if they would be in my band. And they have for the last 5 years.
LFB : Did Generations play the role of therapy for you ? How did you come out of writing this album ?
It didn’t really play a therapeutic role. I worked very hard to try and talk truthfully, and honestly. But I feel like putting that out into the hands of tons of strangers is the opposite of therapy. Ha! I feel very proud of the work, proud of the sounds, proud of the words. I don’t know that I feel any better about the world!
LFB : It is also an album that speaks a lot about love. Do you think in the end that it is love that will save us all ?
Love will only save us if that love is translated into concrete action. But I don’t think we can be saved ? I think we can incrementally improve how we live together. I think we’ll all have unfinished work when it ends.
LFB : Could you share books/movies/music that could help us extend the experience started with Generations ?
The new Shamir record plays with genre in a way that I love. And the new Tyler Childers record « Long Violent History » feels related.
The David Adjmi memoir Lot 6 is about becoming an artist–much of it takes place within, like, 10 block of my house. But it’s great besides that, ha ha.
Mirror by Andrei Tarkovsky is a relevant movie maybe ? There’s a short documentary on Netflix called A Love Song for Latasha, which deals with history and archive and is heartbreakingly beautiful.
Epic Journeys of Freedom by Cassandra Pybus is an amazing history–the story of enslaved people in America during the revolution who joined the British to fight for their freedom–where they ended up around the world. Kind of unrelated but the Hilary Mantel Wolf Hall books do a beautiful job of making the past human and real, and make you question where you are and how you got here and are utterly absorbing.
That’s a start at least !
LFB : And inevitably for the final question: Do you have any news to give us about Arcade Fire ?
No news !