YN pour Yann et N’Zaki. YN pour YottaNewton, l’unité de mesure de la force. YN : un cracheur de feu et un percussionniste qui vise ensemble la même chose : chambouler les corps et les esprits. On avait eu le plaisir de les rencontrer à la fin de l’année 2021 lors du MaMa Festival. Alors qu’ils viendront enflammer le Chorus Festival ce dimanche , l’occasion était toute trouvée de partager avec vous cet entretien.
FB : La première question que je pose : comment ça va ?
N’Zaki : Ben écoute, ça va !
Yann : Oui ça va. Un peu fatigués par cette petite épreuve parisienne mais sinon, franchement c’est cool. Ca se passe bien pour nous.
LFB : Vous êtes un groupe qui a plutôt bonne réputation en live. Comment avez-vous vécu cette pause forcée d’un an et demi ?
Yann : Au tout début, c’était frustrant. Mais en fait, ça a été plutôt bénéfique car ça nous a permis de pouvoir préparer le printemps de Bourges, le prochain EP, les Lives… on a vraiment taffé et profiter de ce temps là pour bosser.
N’Zaki : C’était plutôt une bénédiction, quoi. On a pu avoir plein de discussions qu’on n’avait pas eu le temps d’avoir sur l’essence du projet, sur la façon de le développer. Et puis ça a soudé l’équipe. On est deux mais on a plein de gens qui gravitent autour de nous. Elizabeth, notre manageuse, Anthony qui s’occupe des arrangements. Ça nous a permis de préparer toutes ces échéances. Donc, on l’a bien vécu.
LFB : Après cette pause, y a t-il une volonté de défendre Chants de force, de laisser cet EP vivre qui est sorti en 2019.
N’Zaki : On y est là. On est sur la tournée. Et puis notre prochain projet va sortir fin 2022 alors il faut qu’on finalise deux ou trois petits trucs, on défend aussi notre live avec quelques morceaux qui seront sur le prochain projet. Mais c’est assez excitant aussi de redonner ses lettres de noblesse à cet EP qui une vie maintenant sur scène. Et avec le prochain projet, on a pas mal de matières à montrer donc c’est chouette.
LFB : Concernant le live, justement, et ça va vous paraitre bizarre mais quand on voit vos tenues sur scènes…y a t-il un côté prolétaire dans votre musique ? Moi, ça me parle parce que je suis du Nord de la France et je distingue quelques idées mais est-ce que c’est quelque chose d’évident ?
Yann : Oui, c’est évident. Il y a un côté stakhanoviste dans nos chansons. On va au charbon. On creuse, comme des mineurs. C’est comme de mettre sa tenue de travail et d’aller bosser. Y aller franchement, au boulot ! Avec nos tripes. Et puis ça a un lien avec nos origines aussi, de la région parisienne à la métropole lilloise. C’est un projet qui s’est aussi développé dans le Nord. Et du coup, on rend hommage à tout ça.
LFB: Tu parlais de musique stakhanoviste. Mais pour moi, il y a aussi un aspect shamanique.
Yann : Tu n’es pas la première personne à nous en parler. Moi, je ne m’en rends pas compte mais le côté répétitif de certains de nos morceaux peut amener un côté transe. Mais ne je pense pas qu’on le fasse exprès, par contre.
N’Zaki : Après c’est vrai qu’il y a un côté énergétique dans ce qu’on produit. On a chacun nos rapports à la spiritualité mais moi, en tout cas, ça me parle beaucoup. Il y a une recherche d’élévation…se trouver par plusieurs voies différentes. Mais ce ne sont pas des choses qu’on s’impose quand on fait de la musique. On se dit pas « tiens, là ! Faut qu’on fasse une référence à Buddha ! », tu vois ? On le vit et du coup, on le transmet.
LFB : J’ai beaucoup écouté votre EP et il y a un vrai phénomène de répétition, même si vous ne vous en rendez peut-être pas compte. En plus, la batterie est clairement mise en avant et dans les paroles, tu répètes énormément de mots et ça crée une espèce de boucle qui entre dans l’esprit des gens.
N’Zaki : Oui, totalement. C’est une énergie qui me parle beaucoup. Il y a effectivement quelque chose de répétitif, comme un mantra qui se déploie. Et moi, j’ai une grosse inspiration qui vient de l’artiste Anne-James Chaton. Son projet Décades est un disque de chevet, quelque chose que j’aimerais reproduire.
LFB : Du coup, est-il important pour vous de faire de la musique qui frappe autant le corps que l’esprit ?
Yann : Oui, je pense. Tu vis une expérience. Que ce soit dans le texte ou dans la musique, c’est bien de ressortir d’un concert et de se dire qu’il s’est passé quelque chose. C’est important.
N’Zaki : C’est un échange. On se donne, on le fait. Ce que j’aime dans le fait de bosser avec Yann c’est que, quand on est sur scène, il n’y a plus rien que nous deux. On est dans notre énergie et on embarque les gens avec nous.
LFB : Justement, comment est-ce qu’on tranche pour que le fond ne dépasse pas la forme ? Pour qu’il y ait un équilibre entre la sonorité et la conscientisation du texte ?
N’Zaki : La sincérité. C’est le mot d’ordre. Quand on crée et que c’est de la merde, on le dit. Quand on aime, on essaye de le défendre. La sincérité. Être au plus proche de soi, avec un projet que tu veux défendre. Et quand tu as cette posture de sincérité, tu fais les choix en conséquences.
LFB : J’ai fait des recherches pour l’interview et j’ai vu que vous travailliez beaucoup autour du Jam. Ça se ressent beaucoup sur l’EP, plus que sur scène forcément, parce qu’il y a quelque chose de vachement organique qui est un peu à l’opposé d’un style comme le rap. Tu parlais de force vitale tout à l’heure, c’est quelque chose qui influe sur votre musique.
Yann : Nous deux, on jamme. Et puis après on prend des idées, on développe. On travaille aussi beaucoup avec Anthony mais à la base il n’y a que batterie et chant. On tourne autour et on voit ce qu’il se passe.
LFB (à N’Zaki) : Tu te définis comme un cracheur de feu. Tes paroles touchent à des sujets qui sont intimes pour toi mais aussi profondément universels. Quelle importance à la catharsis au niveau de ton écriture ? Il y a de la poésie mais le propos est assez clair et brutal pour frapper les gens. Peux-tu écrire sur quelque chose que tu n’as pas vécu et qui ne t’impacte pas ?
N’Zaki : Très bonne question ! Moi, j’ai un défi. Sur Chants de force mais aussi sur le prochain projet, c’est d’écrire une chanson d’amour mais qui me touche déjà, moi, et les gens aussi pour qu’ils se disent « Mais j’ai déjà vécu ça en fait !« .
Sur Mariage je n’ai pas réussi, c’est encore un peu naïf. Mais sur le prochain projet, j’ai tenté quelque chose. L’amour est un sujet sur lequel je me pose énormément de questions. Je n’ai pas de recul. C’est trop proche de moi. J’ai tellement de pudeur et j’essaye de vaincre ça. C’est un défi qui me tente, d’essayer de trouver les mots le plus justes pour parler de l’amour. J’ai envie de trouver là ou les chansons qui me permettent de l’honorer mais…je galère de ouf !
LFB : Avez-vous l’impression de faire des chansons politiques ?
Yann : Mais tout est politique, je crois !
N’Zaki : Oui, carrément ! Ce n’est pas pour casser du sucres sur d’autres projets dont je citerai pas le nom. Chacun fait ce qu’il a à faire et il y a des projets qui sont très loin de notre esthétique et que j’apprécie énormément mais je ne sais pas si tout le monde a cette conscience là que de se dire qu’à partir du moment où tu prends un micro, ça a une portée. Tu es responsable de tes paroles et de ce que tu diffuses. Moi, j’y fait énormément gaffe. Et ce n’est pas seulement une question d’avoir été bien éduqué. J’ai une responsabilité quand je chante. Mais en dehors aussi, en dehors de scène. YN a un propos et on le tient. On sait ce qu’on dit, ce qu’on vend et on a la posture qui va avec.
LFB : Quand tu utilises un mot comme nègre, qui selon moi a été utilisé de manière assez galvaudée, la façon dont l’utilise a beaucoup plus d’impact. Et c’est hyper important. Dans la façon dont tu l’écris, tu redonnes le sens au mot.
N’Zaki : Tout à fait. Et c’est lié à la première expérience raciste que j’ai vécu. Et que j’ai vécu chez moi, dans ma cuisine, avec une personne que j’accueillais et qui m’a mis devant une réalité devant laquelle je n’étais pas préparé. C’est aussi pour ça que j’ai écrit ce texte. Le but était d’avoir ce jeu poétique, d’obtenir la polysémie du mot « nègre » donc à la fois la couleur, l’insulte et la fonction littéraire.
De ne pas essayer de me l’accaparer et de naviguer autour de la façon dont tu utilises ce mot, de ta place dans la société. Du coup, c’est une odyssée. C’est très profond. Mais c’est aussi des jeux, mes textes. C’est de l’art aussi. on est là pour créer un système, pour trouver des métaphores, des effets de miroir, des références. Jouer avec l’écriture car c’est un espace blanc. Moi, quand j’écris en général, j’ai le titre, je sais le titre, parfois même le début et la fin du morceau et ce qui est intéressant c’est de naviguer entre ce point de départ.
LFB : Je suis du Nord, d’Hénin-Beaumont. Et Il y a une montée de la haine qui est assez effarante dans la région. Est-ce que ça peut influencer ta musique et ce que tu crées ?
N’Zaki : J’ai fait un CLEA dans le Nord en 2017. Du côté d’Aniche, pas très loin de Douai. Et l’un des projets consistait à travailler avec le centre historique minier dans le cadre de la nuit des musées. Et le but était de créer une performance sur la base de collectes de paroles d’anciens mineurs de Lewarde. Tout le monde s’est accordé à dire que le lien social entre les communautés s’est fortement dégradé.
Le Nord, c’est une terre de passages. Il y a eu des polonais, des italiens, des portugais. Puis la deuxième vague avec les marocains, les algériens…et même une troisième vague venant d’Afrique noire. Ce qui reliait tous ces gens, c’était le labeur du travail. On ne voyait pas les couleurs. Tous gueule noire en sortant de la mine. Et dans ce coin là, ou même ailleurs, est-ce qu’il ne manque pas quelque chose qui relie les gens ? Des paroles politiques qui fédèrent. Sinon, la moindre différence va être exposée et moi ça m’a fait réfléchir sur le lien social, politique., l’expérience de communauté. Des lieux où les gens se rencontrent.
LFB : Le chômage a augmenté en fonction du racisme. Si votre musique est tout de même assez sombre, il y a quand même une vraie résilience dans votre musique. Une vraie volonté de ne pas rester à genoux. Dans chaque morceau, il y a une recherche de porte de sortie et de réflexion qui amène à l’ouverture. Comment envisagez-vous ça ?
N’Zaki : Je vais répondre par une expression de Casey qui a sorti en interview après qu’on lui pose la même question « on n’est pas né dans des tombes » ! On fait partie du monde, quoi ! Moi, je pense que je parle d’amour même si l’amour prend plein de formes. La colère, la résilience, l’estime de soi… la source, c’est l’amour.
Yann : Et dans les Lives, on cherche à créer quelque chose avec les gens, à créer une ouverture. On rigole…ça crée le lien. Être ensemble.
N’Zaki : c’est ce qu’on recherche…l’échange.
LFB : Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour le futur ? Sur un plan personnel et professionnel ?
Yann : Faire une vraie sortie du nouvel EP avec dates, promos, beaux clips ! Sur le long terme, plein d’idées de création etc…
N’Zaki : à fond ! Et je rajouterai : d’être heureux. Dans ma vie perso, j’essaye de faire les choix qui convergent sur le fait d’avoir une vie qui me plait, avec le rythme qui me plait.
LFB : dernière question, la plus compliquée ! Est-ce que vous avez des coups de cœur culturels récents à partager ?
Yann : Coup de cœur live, Glauque. C’est super, Glauque.
N’Zaki : Y’en a plein. Benjamin Epps, Salt, Vikken… Vkiken, c’est super. J’en ai tellement…en film, je pense à Sorry to bother you. Incroyable ! Avec un acteur que j’aime bien, Laketh Stanfield. Et ce film, c’est une satire sur le racisme structurel aux Etats-Unis. C’est…wouah ! Que dire !