C’est le genre de success story made in Normandie qui vend du rêve. You Said Strange est un quatuor qui a force de travail, de culot et de talent a réussi à se forger une très belle place sur la scène rock française et internationale. Deux frères bercés par les festivals créés par leurs parents, leurs potes d’enfance avec qui ils ont fait les 400 coups à la campagne, c’est la recette de l’alchimie d’un groupe audacieux. Après une superbe tournée en compagnie des Dandy Warhols et leur premier album produit par le guitariste du groupe Peter G. Holmstrom, ils s’accordent encore plus de liberté en retournant sur leurs terres composer Thousand Shadows Vol.1. L’air de la campagne leur réussi puisqu’ils nous offrent seulement la première partie d’un double album. Plongée dans un rock psyché aussi captivant qu’étonnamment nerveux.
Disons le dès le départ, You Said Strange propose un son qui n’a jamais eu d’échos dans nos oreilles. Le groupe réussit à renouveler un genre qui semblait tourner en rond, bloqué dans les seventies et les envolées instrumentales prétentieuses. C’est à coup de punchlines engagées, de guitares nerveuses, de mélodies ultra accrocheuses et d’une production impeccable que le psychédélique s’envole vers le 21ème siècle. Thousand Shadows Vol.1 est une claque française comme on a rarement, chaque morceau étant calibré pour devenir une référence du genre. Plus disruptifs que leur premier album, ils expérimentent et nous embarquent dans un style hautement visuel.
Morceau d’introduction, Morning Colors est la représentation idéale de cet univers cinématographique, envahit de gris déprimé dont surgis des éclairs de couleurs percutantes à l’image de leur pochette. Un son introduit par un rythme de batterie hautement post punk et nerveux sur lequel se pose avec douceur une guitare sereine et une voix désabusée. La mélodie s’intensifie avec majesté, portée par les échos des voix du groupe. Un crescendo de douleur porté avec une grâce absolue, jusqu’à une apothéose rejointe par les cris du saxophone et la violence des cymbales. Confrontation des sentiments, clash des instruments. C’est une bombe absolue qui donne envie de danser seul devant son miroir, laissant son corps se déchainer. Tout ce dont on a besoin en ce moment.
Ce sens de l’intensité, le groupe en fera preuve à de nombreuses reprises tout au long de l’album. Toujours amené avec finesse cependant, tel que dans l’excellent So Sorry et son feu d’artifice final. Leur habileté à maitriser les temps forts, les moments planants et les relances font de leurs morceaux des pépites. L’excellent Thousand Shadows alterne ponts psychédéliques, crashs mélodiques, prises de paroles entre instruments. Des phases complexes qui s’alternent sans jamais nous perdre. Chaque note est une évidence, et le groupe ne s’embourbe à aucun moment dans les délires frimeurs. Un style au sommet dans leur morceau exclusivement instrumental Talking To The Rats, pur moment psychédélique qui nous embarque dans une vague de puissance totale.
Groupe engagé, le quatuor explore tout aussi bien les phases de vie que les sujets de société. Le très nerveux Mediterraneen se plonge dans cette question de l’identité méditerranéenne. Berceau de culture et de commerce, cette mer a rassemblé de nombreux peuple avant de devenir le tombeau qui nous horrifie. Deuxième single de l’album, Treat Me flattera les militants de L214. Incarnant un cochon face à son éleveur prêt à l’égorger, on se plonge dans les dernières réflexions d’un être trahi dans sa confiance et confronté à l’absurdité de la situation. Des dernières pensées incarnées dans un couple autodestructeur dans un clip bourré de dérision, où l’individu de sexe masculin incarne à merveille le goret. (#balancetonporc). Lors d’une soirée entre pote, Patrick reçoit un message de rupture de sa copine Estelle. Histoire de se changer les idées, sa bande l’entraine dans un road trip en voiture alcoolisé qui les mènera à se croiser la fameuse ex. Se comportant comme un goujat, Patrick éveille la fureur d’Estelle qui va réunir son girl Band en tenue de sex shop pour kidnapper et donner une leçon à l’indélicat. Ligoté à une table, il s’apprête à subir les pires sévices alors que sa team se ramène en Avengers version Wish pour libérer leur pote. Les deux bandes rivales se lancent dans une baston de série B alors que le couple à l’origine du conflit se roule de grosses galoches passionnées. Un petit côté West Side Story rock n’ roll alors que les lumières de la police viennent interrompre les hostilités. Un clip complètement barré dirigé par le réalisateur Eli Salameh.
You Said Strange réussit à nous captiver avec un album de psyché. Et rien que pour ça, ils méritent d’être reconnus pour leur talent. En associant la violence et l’engagement du punk à des mélodies subtiles et une structure musicale sophistiquée, le groupe étonne, captive, et surtout percute. On est rarement aussi impatient d’avoir entre nos mains le second volume. Tout sauf redondant, Thousand Shadows est une réussite totale qui permettra d’installer encore un peu plus le groupe comme pépite de ces dernières années.