Quelle posture plus ambiguë que celle de Yung Lean sur la scène hip-hop internationale ?
Ce roi sans couronne du hip-hop continue sa carrière en marge du rap actuel, tout en ayant inspiré, parfois sans qu’ils le sachent, bon nombre de rappeurs très populaires aujourd’hui.
Starz est le nom de son quatrième album studio, après sa mixtape Poison Ivy en 2018. Musicalement, le rappeur suédois s’est frayé son propre chemin qui le dénote totalement du cloud rap actuel, mais les émotions et l’ambiance sont bien reconnaissables : celles-ci ne cessent de nous rappeler à quel point Yung Lean était en avance sur son temps lorsqu’il perce en 2013 avec Ginseng Strip 2002, alors qu’il n’a que de 16 ans.
L’esthétique, la mélancolie, la revendication d’une tristesse, notamment portée par le nom de son groupe (dont il est le seul membre au départ) Sad Boys… Tout est alors inédit pour l’époque, l’esthétique white-trash se développe. L’idée d’utiliser des éléments de culture internet est bien en marge des préoccupations du hip-hop à ce moment-là. Pourtant, un bon nombre d’adolescents, souvent du même âge que lui, se retrouvent dans cet univers qu’ils comprennent. D’abord un succès en Europe, puis en Amérique, Yung Lean ouvre une brèche dans le rap.
Sans retirer aux rappeurs de la nouvelle génération leur authenticité, l’influence de Yung Lean est reconnaissable chez beaucoup d’artistes actuels : XXXTentacion, Lil Peep, Lil Xan… En France nous avons notamment PNL, TripleGo, Columbine pour ne citer qu’eux. Chaque rappeur s’est imprégné de cette vague « rap émotif » pour la digérer à sa manière. La nostalgie, la dépression, la drogue, Yung Lean partage sa créativité sans tricher, ce qui inspirera toute une nouvelle mouvance du rap international. Pour autant, Yung Lean est bel et bien un roi sans couronne : peu lui rendent hommage ou même ne connaissent son existence.
Pour ceux qui ont gardé le jeune rappeur dans un coin de leur mémoire, Starz sublime tous les aspects que l’on a pu apprendre à aimer au cours de la carrière de Yung Lean. Cette manière flegmatique de chanter faux est enrobée d’un package sonore justifiant toutes les imperfections caractéristiques de sa musique. Le rappeur suédois n’a jamais voulu rentrer dans le moule mainstream, il creuse son identité de manière expérimentale, à l’image du premier morceau My Agenda. Son seul point commun avec le hip-hop actuel est cette tendance à considérer le morceau de rap de 2020 autant par le prisme de la voix que de l’instru, mais la similitude s’arrête là. Musicalement, le morceau est inclassable, bruitiste, il ne laisse pas indifférent. On croirait entendre un morceau de dark ambient saturé sur lequel on délivre un spoken word fantomatique.
Lorsqu’on regarde la tracklist, on voit tout de suite que Yung Lean n’a aucune volonté de se réconcilier avec la scène rap : le seul featuring est un morceau avec Ariel Pink, figure de la pop expérimentale, témoignant une fois de plus du décalage complet de l’artiste avec ses racines hip-hop. Cette identité musicale le rattrape parfois avec des morceaux comme Pikachu, mais toujours dans un ambiance très contemplative et légère qui n’est pas sans rappeler son influence également sur le mouvement vaporwave.
Starz confirme toutes les promesses de Yung Lean depuis le début de sa carrière : créer un style alternatif et inspiré, tant musicalement que visuellement. Rien ne lui ressemble mais tout lui fait écho, Yung Lean est cette ombre aussi menaçante que rassurante qui plane sur le paysage du rap international, sans jamais frapper mais sans jamais se faire oublier.