Avec la sortie récente de l’album Beauseigne, Zed Yun Pavarotti a décidé de s’affranchir des codes du rap pour proposer la musique qui l’inspire le plus. Un cheminement qui a demandé de la réflexion, du travail mais aussi du temps. On est revenu, avec lui sur cette période pré-album mais aussi sur des éléments importants de Beauseigne.
LFB : Tu viens de sortir Beauseigne, comment te sens-tu ? Comment as-tu vécu les retours sur le projet ?
Zed Yun Pavarotti : Cela m’a fait du bien, ça faisait beaucoup de travail, ça faisait une assez longue période que j’étais dessus, presque un an et demi. Du coup, c’est déjà un accomplissement puisque c’est beaucoup de réflexion, de changement, de prise de risque. Une fois que c’est sorti, ça existe dans la réalité et pour la vie. Donc, cela m’a fait du bien. Après, les retours sont globalement très positifs. Les gens qui me suivaient ont compris mon propos, ils ont je pense aimé la prise de risque. Ils ont compris que je faisais des chansons et que c’était plus compliqué que juste être rappeur. Donc, je suis content.
LFB : Pour parler un peu du projet, le titre, Beauseigne vient du patois de St-Etienne, là d’où tu es originaire. C’était une volonté de ta part de rendre hommage à ta région ?
ZYP : C’était important parce qu’il fallait un nom de projet qui se rapproche le plus de qui je suis, de qui j’étais. Disons que ma tentative musicale elle arrive avec une réflexion assez profonde sur ce que j’aime intimement, sur ce que je veux faire. Donc, abandonner un peu les codes du rap de manière aussi brutale et sans me poser trop de questions, j’avais pas vraiment d’autres choix que de trouver un titre qui soit dans la même lignée. C’est à dire que là, je savais que personne allait comprendre ce mot. Je m’écoute jusqu’au bout.
LFB : Quel rôle, ce lieu de vie a pu jouer sur ton développement ?
ZYP : En tant qu’homme, je m’en rends pas compte, comme on se rend surement pas compte de qui on est vraiment. Du coup, je sais pas. Je sais que je ressemble plus à des gens qui viennent de là où je viens et c’est avec eux que je continue d’évoluer. Après, en tant qu’artiste, je pense que la grande solitude de cette ville et l’absurdité de la démarche et de l’ambition que j’ai pu avoir étant donné les chances que j’avais en venant de là-bas à constituer une bonne part de la couleur que j’ai aujourd’hui.
LFB : Tu parles de couleurs musicales, avant de plonger dans celles du projet. J’aimerais bien revenir sur ce que tu as pu écouter, et tu étais un amateur de métal, c’est bien ça ? Est-ce possible de te voir à nouveau changer de couleurs musicales pour tendre vers ce genre de sonorités ?
ZYP : Que je change encore de couleur musicale, c’est possible. Après, j’ai un maitre mot qui reste la pop, c’est ce que je trouve de plus artistique on va dire, c’est une fluidité mélodique, c’est des grosses lignes dévastatrices, c’est percutant la pop. C’est à dire qu’on se rend compte immédiatement de ce qui est en train de se passer et c’est cela qui me fait rêver. Donc, je garde le prisme pop, c’est pour l’instant ma seule motivation. Après, stylistiquement ce que moi j’en fais de la démarche pop, je penche plus vers la chanson car ça amène à tous les styles, cela met en avant le fait de raconter une histoire et de faire sonner des mots. Le registre de la chanson m’intéresse, après, le métal c’est impossible que j’y aille un jour parce que j’ai fait le deuil et c’est le genre de courant où soit on rentre soit on y retourne pas, parce que c’est un style extrême, donc on part du pic et on descend. Moi le pic je l’ai déjà eu très jeune, à un moment où j’écoutais peu de musique. J’ai vu 2/3 groupes de métal quand j’étais très jeune mais c’était pour me divertir, maintenant c’est terminé cette page.
LFB : La pop te permet de mélanger plusieurs sonorités différentes aussi et cela se ressent sur l’ouverture du projet avec le morceau Beauseigne qui comporte des sonorités grime. Comment t’es venu l’idée de poser sur ce style là ?
ZYP : Disons que la sonorité grime, c’est ce qu’a été le rock anglais sur l’électro aujourd’hui. C’est du minimalisme, de la mise à l’essentiel, les anglais ont toujours fait cela. C’est jamais surproduit, il y a seulement ce qu’il faut sur le morceau et rien d’autre. Donc, il y a beaucoup d’airs et la grime c’est cela. C’est de l’électro sans surcharge, avec des sons très froids. Il y a que sur le titre Beauseigne que je me rapproche un peu de la grime. C’est une rythmique que j’aime bien, globalement j’aime bien la musique dansante, je trouve que ce rythme là offre pleins de possibilités. J’aime bien m’y essayer, après je pense que jamais je ne ferais que ce style là et que sur le projet on est quand même plus proche d’influence folk ou rock anglais.
LFB : En plus, tu poses avec un flow unique, qui s’éloigne complètement des rappeurs anglais qui habituellement posent sur ce genre d’instrumentale.
ZYP : En vrai, j’ai aucune culture grime, je serais incapable de te citer un seul groupe ou artiste. Le seul truc, c’est qu’aujourd’hui, il y a la drill qui arrive et qui est un peu un dérivé de la grime. Moi, je suis pas spécialement intéressé par la drill, j’en ferais jamais car je m’affranchis des codes rap et maintenant c’est les codes rap. Après, c’est vrai que c’est étonnant parce que j’ai pas beaucoup de musiques électro non plus mais j’avoue que cette rythmique m’a toujours plu. Disons que cela permet d’amener du groove, un truc binaire, c’est pas de la techno. Moi je sais que la techno je pourrais pas, j’ai déjà essayé de faire des titres extrêmement binaires, avec un gros kick, un peu à la DJ Snake mais c’est pas du tout mon délire. Mais la grime, permet de garder un peu d’accroche à l’oreille, de nervosité, un truc un peu sale. Du coup, c’est naturel quand on s’essaye à cela. Puis, au final si on déconstruit, c’est une rythmique qui a beaucoup été utilisée dans la pop mais juste avec moins de percussions. Je pense que j’en referais parce que j’aime bien l’exercice.
LFB : Maintenant, on va plonger dans les thématiques de l’album, avec pour commencer un thème récurrent et qui se ressent aussi sur la tracklist qui ne compte aucun featuring, c’est la solitude. Cette volonté d’être seul sur ton projet, c’était pour coller à cette thématique récurrente ?
ZYP : Oui, cela répond à la logique du projet, de pourquoi je me suis lancé dans un album. Puis, comme je te disais, la donnée très intimiste que cela passe par le titre, par virage stylistique que j’ai pris collait pas au fait d’inviter quelqu’un parce que là je suis trop au coeur de qui je suis. Cela aurait desservi un peu mon ambition au niveau de l’écho que peut avoir l’album, ça perdrait un peu en sens. C’était pas le bon moment, là j’avais des histoires à raconter seul, raconter mon histoire donc personne n’était mieux à même à le faire que moi.
LFB : Tu as une manière d’écriture particulière, il y a souvent une double lecture de tes textes. De plus, tu te rapproches de la poésie en imageant ta musique. Comment tu bosses ton écriture ?
ZYP : J’ai pas beaucoup de réflexion au niveau de la partie texte parce que je pense que c’est la donnée que je maitrise le plus. Etant donné que j’ai commencé par le rap, où le texte et la manière dont il est placé est primordial. J’ai assez de facilité que pour le placer correctement puis le projet d’écriture ne me met pas à mal du tout. J’y pense pas trop et j’essaye de le faire le mieux possible. Mon défi maintenant, dans chaque chanson c’est, justement d’arriver à en faire une chanson, c’est à dire que je sais que j’ai tendance à poser des pavés qui ont un peu du mal à se diffuser parce que c’est très dense. Là, j’arrive à aérer, être un peu plus précis et à être plus dans la narration que dans le ressenti, l’explosion.
LFB : Tu l’as répété plusieurs fois, ce projet est très personnel, cela a pas été dur pour toi de te livrer à une si large audience ?
ZYP : Disons que je me suis laissé de la marge parce que je ne peux pas me livrer complètement dans un projet. Puis l’intérêt c’est pas de me livrer, mais de prendre la vision que j’ai de moi même et d’en tirer quelque chose d’analogique et qui servent aux autres. Forcément, cela se réattribue à qui je suis en permanence, c’est une boucle infinie. Là j’ai pris le prisme de la solitude de manière générale et aussi de la pensée personnelle. J’ai essayé de traiter, à peu près, toutes les situations dans lesquelles je trouvais des moments de solitude et j’ai essayé d’en tirer toutes les couleurs. Puis, c’est un sujet tabou la solitude, on se rend pas compte, c’est peut-être le pire cauchemar qu’on puisse vivre que d’être seul. Donc, si je peux arriver à créer des chansons qui s’attribuent à des moment de solitude pour d’autres, c’est réussi. Mais il reste pleins de choses à dire, vis à vis de moi-même. Je le ferais plus tard, j’y vais par étape et là j’ai donné le maximum de ce que j’avais.
LFB : Dis moi si je me trompe, mais on dirait que sur ce projet là, tu as vraiment trouvé ta ligne directrice et ton univers.
ZYP : Oui, je suis d’accord. Cela m’a libéré d’absolument toutes les chaines que j’avais. Là, je suis parfaitement en phase avec ce que j’ai envie de faire. Après, c’est clairement pas ma forme finale, c’est pas non plus une transition parce qu’elle est arrivée sur French Cash, c’était un premier accomplissement. Maintenant que je me suis trouvé, je vais essayer de me garder. Plus je me garderais longtemps, plus j’aurais des choses pertinentes à sortir. J’ai hâte de voir ce que je suis capable de fournir d’encore plus « moi » qu’avant puisque de toute façon c’est la mission d’inventer un truc, un style de musique que je serais le seul à faire.
LFB : As-tu vu ce changement sur le public ?
ZYP : Malheureusement, je ne peux pas m’en rendre compte pour le moment. C’est particulièrement désolant d’ailleurs parce que je me rends compte petit à petit qu’il y a pas de sorties sans concerts. Je pense que c’est le seul moyen de se rendre compte de ce qu’on a fait la scène parce que mettre en ligne un projet c’est très dématérialiser. Après, cela m’a quand même fait quelque chose mais je vois pas les gens l’acheter, le seul moment où je rencontre les gens et qu’on partage ma musique, c’est en concert. C’est vrai que c’est une donnée obligatoire et cela m’empêche un peu de lire correctement les résultats je pense et de savoir qui j’ai amené de plus dans mon univers, qui m’a lâché, est-ce que mon public a changé, les réseaux permettent pas de s’en rendre compte.
LFB : Pour terminer, que peux-t-on te souhaiter pour la suite ?
ZYP : De garder le cap, garder le vent dans le dos.