2020 année étrange, 2020 année bousillée, mais 2020 année musicale malgré tout. Alors comme tout bon média musical qui se respecte, on a décidé de partager avec vous les albums qui ont fait battre nos coeurs en 2020. Pour ce sixième acte, Clémence, Martin et Charles nous parlent de leur amour pour les albums de Gus Dapperton, Mammal Hands et Catastrophe.
Le choix de Clémence : Gus Dapperton – Orca
Nombreux sont les albums contre lesquels je me suis blottie pour tenter d’amortir les chutes sur cette route semée d’embûches qui entrera dans la postérité sous le nom de « 2020 ». Orca par Gus Dapperton fait partie de cette team, et il a été à la fois synonyme de redécouverte et de réconfort.
En 2017, j’ai tout de suite été conquise par le style singulier (tant vestimentaire que musical) du bonhomme. Si ses débuts tout en EPs et singles m’avaient un peu plus séduite que son premier album Where Polly People Go to Read (2019, AWAL), ce deuxième disque dévoilé en septembre chez AWAL ouvre une fenêtre sur une nouvelle facette un peu inattendue du jeune artiste (Orca devenant ainsi une des rares bonnes surprises que cette année nous aie apporté dans son petit panier en osier). Laissant un peu de côté sa signature bedroom-pop cartoonesque, Gus Dapperton se dévoile en 2020 de manière beaucoup plus intime et laisse transparaître sa vulnérabilité sur des morceaux délicieusement mélancoliques souvent teintés de guitares acoustiques. Il abandonne ici la pudeur qu’offrait précédemment l’excentricité de son personnage et s’expose à cœur ouvert sur des thématiques douloureuses qui assombrissent l’esprit et noircissent le ciel comme la dépression, l’anxiété, la maladie ou bien l’addiction.
En plus de son ouverture émotionnelle, Dapperton a, comme à son habitude, également enfilé sa casquette de président de la Fédération Américaine du DIY et est ici encore une fois seul au générique (avec toutefois des apparitions de Spike Stent pour le mix, de sa sœur et musicienne Amadelle aux chœurs et de la chanteuse Chela pour leur featuring My Say So). Cette implication à tous les niveaux élève Orca au rang de véritable catharsis qui, je l’espère, aura permis au new-yorkais de se libérer de ses chagrins déchirants tout en parlant à celles et ceux qui passeront sur son chemin et qui seraient traversé•e•s par des sentiments similaires.
En bref, malgré l’ambiance moyennement vida loca qui se dégage de ces 37 minutes, Orca est tout sauf démoralisant et apporte grâce à son honnêteté beaucoup d’appui face à la confusion générale qui finit par frapper et sonner la majorité d’entre nous à un moment ou à un autre. C’est un album courageux où Gus laisse finalement la place à Brendan.
Le choix de Martin : Mammal Hands – Captured Spirits
Depuis les débuts de la face B, j’aurais aimé vous parler plus de jazz que ce que je ne l’ai fait. Je ne sais pas vraiment expliquer pourquoi, si ce n’est parce que les mots me viennent moins facilement que pour d’autres genres. Le choix de l’album coup de cœur de l’année, plus personnel, me permet de commencer à corriger ce manque.
Cela fait désormais quelques années que je m’intéresse à cette scène, notamment Britannique, où je trouve quelque chose qui me touche au-delà de ce que j’ai pu connaître ailleurs. Cocktail d’une émotion, d’une intensité, d’une mélancolie aussi dans laquelle je me retrouve, le genre trouve une incarnation particulière derrière les traits de Mammal Hands. Le trio batterie-piano-saxophone me paraissait curieux au premier abord mais il a su m’apprivoiser et me provoquer certaines de mes plus belles émotions, que ce soit par leurs prestations studio ou en concert.
Cette année, ils nous ont livré Captured Spirits, dont la lourde tâche était de suivre Shadow Work, qui fait désormais partie de mon top 10 album absolu. Et s’il m’a moins marqué que son prédécesseur, toujours est-il que cet opus reste exceptionnellement qualitatif. Peut-être plus varié dans ses atmosphère, allant explorer même la Pop (Chaser) ou des sonorités plus africanisantes (Versus Shapes), et dans la dynamique, pouvant sans difficulté toucher le contemplatif effarant de simplicité puis l’intensité la plus puissante, il confirme un développement très intéressant de la formation de Norwich.
Depuis quatre albums et plus de 6 ans maintenant, ils montrent leur capacité à se renouveler tout en s’affirmant comme l’une des places fortes de la scène Jazz moderne et ce n’est pas un fait d’arme à minimiser. J’espère en tout cas pouvoir les retrouver sur scène au plus vite, mes doigts sont croisés.
Le choix de Charles #4 : Catastrophe – Gong!
Bonjour, c’est encore moi. La plupart des gens qui me connaissent vont surement sourire en voyant ça, parce que tout le monde sait ma grande capacité à ne pas savoir choisir, à ne pas vouloir choisir. Ma vie est une accumulation de coups de cœur, qu’ils soient éphémères ou permanents, mon amour pour eux est toujours sincère et incandescent. Tout ça pour dire, qu’au sein de cette année 2020, il me paraissait clairement improbable de ne pas ajouter Catastrophe à la liste des albums coups de cœur de La Face B.
Gong! comme le bruit de mon cœur dans ma cage thoracique à chaque fois que j’écoute leur musique, Gong! comme le nom de leur second album, Gong! une comédie musicale, une esthétique colorée, une utopie qui questionne, qui habite et qui guérit. Gong! plus qu’un album, une philosophie de vie.
Gong! finalement, c’est la vie, le temps qui passe de la fouge de la jeunesse à l’acceptation de sa propre vieillesse. De Encore à Solastalgie, il y a un véritable cheminement, une épopée vitale dans laquelle le groupe nous invite non pas en tant que spectateur, mais en tant qu’acteur, chacun à un rôle à jouer dans Gong! car les questionnements qui l’habitent grandissent aussi en chacun de nous. Le temps qui passe, la peur de la mort, le sens de l’existence, le besoin de vivre chaque jour comme une aventure à part entière, l’importance des autres ou la présence aberrante que prennent les réseaux sociaux dans nos vies…
Derrière les couleurs, derrière la joie grandissante, les harmonies vocales se trouvent une vraie profondeur, un vrai point de vue, que certains trouveront sans doute naïf, mais qui personnellement fait écho à tout ce que j’aurais pu vivre et penser au cour de l’année 2020.
Et puis bien sûr, il y a le plus important : la musique. En choisissant volontairement le genre de la comédie musicale, Catastrophe nous offre un spectacle technicolor, une bulle musicale qui nous enrobe et nous apporte toute la chaleur du monde en 12 titres (+ un bonus) et 43 minutes.
L’idée dans les mains d’un autre aurait pu être une catastrophe, mais sous les soixante doigts de ces formidables humains, derrière les gongs de ces six cœurs qui battent à l’unisson explosent une grandiloquence merveilleuse qui formera une barrière protectrice face au cynisme et à la merde du monde.
Alors avec eux, on rêvera en écoutant Gromit ou Le Grand Vide, on se prendra pour un grand danseur avec Danse Tes Morts et Les vivants et on finira par regarder les étoiles filer avec Les méridiens et Solastalgie.
Parce qu’aujourd’hui plus que jamais, on a besoin d’évasion, de rêverie, d’échange et d’amour, le meilleur des vaccins contre l’époque se nomme sans doute Catastrophe. Et si 2021 tient ses promesses, on ira les retrouver en live, et on dansera avec eux épaules contre épaules, cœur à cœur et sourires aux lèvres.
Parce que parfois la vie se doit d’être une comédie musicale, il faut, encore et encore, sonner le Gong! de la révolte.