2024- Les coups de coeur de La Face B – Acte I

Le rendez vous devient un classique; comme chaque année la rédaction de La Face B a aiguisé ses plus belles plumes pour vous offrir ses albums coups de coeur du cru 2024. Premier acte tout de suite.

Bibi Club – Feu de garde (Charles)

Lorsque je me suis lancé à la recherche des albums qui avaient marqué mon année, j’ai tout d’abord réalisé quelque chose d’assez effrayant et propre à la fonction de « chroniqueur » : ma vie musicale est en décalage constant avec la réalité.

Souvent, lorsqu’un album sort de manière publique, je l’écoute parfois depuis plusieurs mois, j’ai déjà réalisé une interview le concernant et je suis parfois déjà passé à autre chose … Alors lorsqu’il a fallu sélectionner deux ou trois albums qui avaient marqué mon année, je me suis simplement dit d’aller à l’évidence et de sélectionner ceux qui continuaient à tourner dans ma tête et mes oreilles au moment d’écrire ces mots.

Et forcément à ce petit jeu, Feu de garde de Bibi Club était la pointe de l’Iceberg qui constitue mon année 2024. C’est un peu de la triche en réalité, fin 2022 lorsque je parlais du soleil et la mer, leur premier effort, je disais ceci : « De quoi tomber en amour, tout simplement » et, alors que nous vivons les derniers jours de l’année, cette phrase a toujours plus de sens.

La chose marrante, c’est que l’album s’appelle feu de garde. On pourrait faire des blagues sur le fait qu’il a ravivé les flammes concernant ma passion (certain.e.s diraient obsession, ils n’auraient pas tout à fait tort) pour la musique d’Adèle et Nicolas.

En réalité, la beauté de feu de garde, ce qui en fait pour ma part un grand album, c’est qu’il ne se contente pas de reprendre une formule mais qu’au contraire il étend un territoire, il l’intensifie, confrontant une fragilité toujours aussi présente à une force et à une urgence qui se ressent aussi bien dans la composition que dans l’écriture des paroles.

Feu de garde est une bulle protectrice mais poreuse à l’autre, chaque personne qui voudra s’y réfugier pourra rejoindre un album qui porte en lui la nécessité de la communauté, de la bienveillance et de la tendresse.

Des morceaux comme Shloshlo, le feu ou l’île aux bleuets, tubes évidents qui éclairent cet album à la fois contemplatif et brûlant, cachent derrière leur énergie ce besoin d’être sensible et de se porter les uns, les autres pour avancer.

Morceau discret, reprenant des éléments textuels d’autres morceaux, les guides devient au fur et à mesure des écoutes, le morceau qui représente le mieux feu de garde : une marche en avant collective où l’on se laisse porter par le mouvement et guider par les éléments autant que par nos sentiments.

Il n’y a pour moi aucune raison de résister à feu de garde et c’est un album que je continuerai à partager avec les autres pendant un bon moment encore, histoire de remettre le temps musical dans sa course normale : celle d’albums qui durent et qui ont un impact concret dans l’existence de ses auditeurs. C’est à nouveau le cas pour ce second album de Bibi Club, en attendant l’arrivée du troisième. De quoi finalement, rester en amour.

Retrouvez notre entretien avec Bibi Club par ici

Geordie GreepThe New Sound (Sam)

Geordie Greep, la voix atypique du groupe black midi, tente l’échec et mat avec son premier album solo, The New Sound !

Alors que le groupe britannique vient d’annoncer une pause, Greep tape un saut de l’ange dans une expérience sonore où se mêlent jazz, rock progressif et musiques latines.

Pour la p’tite histoire : l’album nous met dans la peau d’un personnage rongé par ses illusions de grandeur. Les morceaux racontent ses mésaventures, souvent absurdes, parfois désespérantes, dans une descente progressive vers les enfers et l’oubli…
Le londonien y mêle narration théâtrale et instrumentations complexes, trouvant un équilibre unique entre intensité lyricale et dédale musicale.

Holy, Holy, illustre parfaitement cet équilibre. La chanson débute avec une ligne de batterie syncopée et des paroles où le narrateur cherche désespérément à s’affirmer dans un trip mégalo.
Plus loin, le morceau magnifie cette tension entre le drame et le grotesque avec, notamment, plusieurs montées instrumentales exaltées dans une structure non linéaire. Les guitares dissonantes et les rythmes frénétiques sont constamment au bord du chaos. En résulte une ambiance anxiogène, certes, mais aussi hypnotique ! Sentiment typique des habitué·es de black midi
Un clip vidéo est venu accompagner ce single et, on peut dire qu’il reflète fidèlement l’abrasivité incongrue de Holy, Holy. Au fil du film, de ses juxtapositions surréalistes et de ses cadrages serrés, un sentiment d’oppression et de folie pointe le bout de son nez. Le clip joue sur une dichotomie entre l’absurde et le sérieux ; reprenant le propos de l’album et l’énergie du blackmeridonial.

À travers de multiples influences, un son unique fait son chemin et renforce la singularité de Greep et de The New Sound. Celles-ci s’étendent en long, en large et en travers : du blues boom, du jazz noires, un rock glaçant et des salsas enflammées.

n.b. : Entre Londres et São Paulo, beaucoup de musiciens locaux ont participé aux enregistrements.

En plus de Holy, Holy, desola houleuses vogueront aux ressacs de The Magician et de Terra, deux tracks naviguant en eaux troubles, consolidant l’album entier dans son genre particulier de chimère musicale. Pour filer la métaphore, l’album aurait pu se nommer ‘‘The New Wave’’.

Avec The New Sound, Geordie Greep repousse les frontières de la musique contemporaine. Son humour noir et des thèmes clair-obscurs, associés à des arrangements si complexes, en font un voyage captivant. En bref, ce disque est à la fois un plaisir auditif et un labyrinthe mental. À écouter sans modération, mais … avec un esprit ouvert et une pincée de folie.
Cet album est une exploration personnelle et audacieuse : Good job, Geordie !

EMILE LONDONIEN – Inwards (Manu)

Vous l’avez remarqué, la rédaction a beaucoup apprécié le retour des strasbourgeois d’Emile Londonien. Avec leur second album studio, Inwards, le trio est parvenu à faire évoluer son art et donner une nouvelle dimension à un son qui était déjà très épais et plein de sens.

En arrivant à prendre un certain recul avec leurs influences premières, la formation prend un nouveau chemin qui s’oriente vers des sonorités plus sombres mais tout autant contemporaines.

On notera des morceaux comme Early Days, Inside ou encore In Motion qui explorent des couleurs plus froides, sans pour autant être dénuées de couleur et d’âme.

Certaines pistes se laissent tenter par l’incorporation de vocalistes au sein du son du trio. Easy, en collaboration avec Cherise ou encore Another Galaxy qui laisse la voix d’Ashley Henry s’intégrer aux sonorités des strasbourgeois.

Avec ce deuxième album, Emile Londonien fait preuve d’une maturité tant bien personnelle que créative indéniable. Inwards est le testament d’une évolution assurée et pleine de courage. Il s’agit d’une pièce importante surtout lorsqu’il est question de la reconstruction d’une scène qui cultive l’audace de redéfinir des codes.

Notre interview avec Emile Londonien est disponible ici

BéLi – XUV (Mathilde)

L’année 2024 a été marquée par l’émergence de talents prometteurs sur la scène musicale québécoise, et BéLi en est un exemple éclatant. Son premier album, XUV, lancé le 27 septembre sous l’étiquette Duprince, témoigne d’une créativité débordante et d’une volonté de repousser les frontières de la pop traditionnelle.

Originaire de Granby, Ariane Béliveau, alias BéLi, s’est fait connaître en tant que finaliste du Festival international de la chanson de Granby en 2021 et participante à la 26ᵉ édition des Francouvertes l’année suivante. Ces expériences ont solidifié sa présence sur la scène musicale et préparé le terrain pour la sortie de XUV.

L’album, coréalisé avec Blaise Borboën-Léonard (connu pour son travail avec Lydia Képinski) et Nader Abouzeid (alias Funkywhat, collaborateur de Magi Merlin), propose onze titres où se mêlent des influences électroniques, funk et hip-hop. BéLi décrit son style comme de la “pop rushante”, une musique éclectique et énergique qui déconstruit les codes de la pop tout en offrant des refrains accrocheurs.

Parmi les morceaux phares, Photoromance et G4ME 0VER illustrent parfaitement cette fusion des genres et l’audace artistique de BéLi. Sur scène, accompagnée de son groupe, elle dégage une énergie décomplexée, offrant des performances aussi singulières qu’exaltantes.

Avec XUV, BéLi s’est imposée comme une figure incontournable de la nouvelle scène pop québécoise, apportant une fraîcheur et une originalité qui ne laissent pas indifférent.

The Big Idea – Tales Of Crematie (Maryne)

Les six Rochelais de The Big Idea ont enflammé 2024 avec Tales Of Crematie, sorti le 2 février dernier.

Cet album constitue une pépite énergisante dont il est absolument impossible de se lasser ! Leur ADN réside dans leur humour implacable et dans l’ingéniosité de leurs compositions comme de leurs arrangements. Proche d’un rock psychédélique nageant dans un délirium permanent, les compères ont de la créativité à revendre.

Tales Of Crematie succède à un superbe opus, The Fabulous Expedition Of Le Grand Vésigue, enregistré lors d’une traversée de l’Atlantique. Le groupe enchaîne les expérimentations et ne cesse de se réinventer et d’étonner, le tout en transmettant une fougue et une passion à en déplacer les montagnes !

Ce dernier album invente une sorte de conte médiéval, entre histoire d’amour et batailles entre chevaliers. Tous les titres sont incroyables, il est alors impossible de se cantonner à une perle plutôt qu’à une autre. Si on ne devait en choisir qu’un, ce serait peut-être Vertigo Of Love mais cela serait trop réducteur et serait une insulte à ce diamant brut !

14 morceaux tout de même pour plus d’une heure d’écoute mêlant délectation, drôlerie et caresses musicales.

Qu’en est-il sur scène ? Et bien, The Big Idea nous propose encore une expérience inoubliable avec un presque one-band show. Les musiciens ne cessent d’échanger leurs instruments, montrant une maîtrise totale et évidente. Le spectacle, outre la musique, est très rythmé et les blagues s’enchaînent. Ce show revitalise énormément et installe un sourire pérenne au coin des lèvres. Personne ne souhaite que cela se termine et c’est pour cela qu’on va les revoir encore et encore !

Bref, ce n’est pas un coup de cœur de 2024 mais littéralement un coup de foudre !

Phosphorescent – Revelator (Paul)

 L’année 2024 a semblé particulièrement longue. Et lorsque notre regard se tourne vers mars dernier – ne s’est-il vraiment écoulé que 9 mois ? -, on peine presque à dire ce qu’il s’y tramait, tant un millénaire semble nous en séparer. Ne subsiste de mars qu’un souvenir évanescent : des allers-retours en banlieue ouest, le trajet quotidien d’un mois, des images imprécises de trottoirs bitumés et de ligne J. Mais au sein de ce souvenir évanescent subsiste une bande originale, elle, très précise.

Revelator est le huitième album studio de Phosphorescent. Lorsqu’il sort le 22 mars, on ne sait pas encore qu’il va devenir notre album le plus écouté de l’année ; on s’émerveille alors seulement de l’évidence harmonique de son titre d’ouverture, de cette mélancolie vieux Sud façon « trois accords et la vérité ». On contemple la nouvelle naissance de Matthew Houck (dont Phosphorescent est le pseudo) au cours d’un titre qui, justement, parle de page blanche.

On contemple sa liberté retrouvée au cours d’un titre qui, précisément, parle de confinement. C’est que le pire est derrière, et que, comme dit René Char (qui serait fort aise de voir son nom apparaître dans la chronique d’un disque d’Americana) : « le chant finit l’exil ». Mettre des mots, c’est éloigner le mal. Et si l’on peut chanter, c’est que la métamorphose a déjà opéré. Qu’une petite révolution, toute intérieure, s’est mise en route. I got tired of sadness/I got tired of all the madness/I got tired of being a badass/All the time chante le singer-songwriter.

Tout l’album durant, on s’émerveillera de ce son, qu’on attribue à la magie de Nashville, avec ses batteries feutrées, ses pedal steel guitars qui survolent majestueusement un disque rond, chaud, et finalement réconfortant. Les trois accords et la vérité de Phosphorescent nous toucheront tellement qu’ils nous feront voyager jusqu’à Anvers pour un concert. Il aura lieu au mois d’août de la même année.

Au milieu de la forêt belge, un amphithéâtre accueille un groupe de cowboys très légèrement parodiques – santiags, stetsons, clope au bec et verre près du piano-. Le soleil se couche, et, quoiqu’on hésite à chercher les apaches dans la foule, on tombe, raide, d’émotion. Revelator est le huitième album studio de Phosphorescent. C’est une nouvelle naissance. Et voilà ce qui est certain : c’est celle dont nous avions besoin.

La chronique complète est disponible ici