Le rendez vous devient un classique; comme chaque année la rédaction de La Face B a aiguisé ses plus belles plumes pour vous offrir ses albums coups de coeur du cru 2024. Sans plus attendre, voici notre troisième partie.
Marie Celeste – Feux de joie (Mathilde)
Dans la continuité de notre sélection des meilleurs albums de 2024, impossible de passer à côté de Feux de joie, premier opus du groupe québécois Marie Céleste. Originaire d’Alma, cette formation composée de cinq amis — Simon Duchesne, Philippe Plourde, Zachary Tremblay, Guillaume Sliger et Olivier Tremblay — propose une fusion captivante de folk, pop et rock, portée par une complicité artistique évidente.
Lancé le 9 février 2024, Feux de joie nous offre huit pistes éclectiques, où chaque titre explore une facette unique de leur univers musical. La chanson-titre, Feu de joie, énergique et fédératrice, donne le ton avec ses arrangements puissants. Des morceaux comme Kérosène, empreint de nostalgie urbaine, et Sur la Main, ode au boulevard Saint-Laurent, révèlent la richesse de leur écriture.
Leur musique, à la croisée de Radiohead, Alfa Mist et des sonorités jazz-rock progressives, prend toute son ampleur dans Maison-monde, où une chorale d’amis vient magnifier le morceau. Sur scène, le groupe déploie une énergie communicative, comme en témoigne leur performance mémorable au Théâtre Fairmount en octobre 2024.
Avec Feux de joie, Marie Céleste s’affirme comme un projet à suivre sur la scène musicale québécoise, offrant un univers riche en émotions et en surprises sonores.
Kaytranada – Timeless (Enzo)
À la base, je ne suis pas un grand expert de la musique de Kaytranada. Je connaissais surtout son nom en tant que producteur et quelques sons, notamment grâce à son album en collab avec Keytraminé. Donc quand j’ai enfin lancé TIMELESS en juillet (oui, clairement pas à sa sortie), j’étais curieux de voir ce qu’il allait proposer. Étrangement, même si c’est un gros succès, je n’avais pas vu grand-chose circuler à son sujet sur les réseaux, ce qui m’a encore plus donné envie de creuser.
C’était pendant un long trajet en train, donc je me suis dit que j’avais le temps de bien digérer les 21 titres du projet. C’est peut-être cliché, mais dès que Pressure démarre, le premier son, il y a ce truc où tu lâches ce que tu fais, et tu commences à froncer les sourcils. Ça m’a direct plongé dans l’univers du projet. Tout s’est enchaîné très vite après. Rochelle Jordan débarque et tu te retrouves à hocher la tête tout en gardant ce fameux froncement de sourcils qui te pousse encore plus à être concentré. Mais le vrai moment, c’était au troisième single. Là, tu décroches complètement. La bouche légèrement entrouverte, tu commences à faire ce mouvement de tête un peu en diagonal. Et au final, le trajet est passé à une vitesse folle. Merci à cet album.
Kaytranada signe un album qui voyage entre le R&B, la soul et le rap, avec des mélodies funk et groovy qui te prennent dès les premières secondes. On sent que c’est taillé pour l’été, un projet qui promet de faire danser sans trop d’efforts. Ce qui est cool, c’est que tu n’as même pas besoin d’écouter activement pour te laisser porter par le projet. Les feats ajoutent une vraie touche d’originalité et de cohérence, avec une mention spéciale pour les morceaux avec Childish Gambino, Lou Phelps, Durand Bernarr et Thundercat. À côté, les morceaux solo plus orientés DJ permettent de respirer un peu, surtout face à des tracks comme Drip Sweat ou Hold On, qui demandent un peu plus de temps pour bien tout comprendre.
J’ai le sentiment que ce projet a tout pour bien vieillir et revenir régulièrement dans les playlists, surtout en été, là où il trouve parfaitement sa place. C’est ça qui montre toute sa force. Et c’est peut-être la première fois qu’un artiste me donne autant envie de le voir en live uniquement grâce à un projet. Rien que pour ça, il se place direct dans mon top de l’année.
Cage The Elephant – Neon Pill (Matthieu)
2024 rimait avec nouvel album pour le groupe anglophone, avec douze titres empreints de toute l’identité de Cage The Elephant. On y retrouve en effet toutes les sonorités qui ont fait la réputation du groupe depuis presque vingt ans.
Dès les premières notes, HiFi (True Light) pose les bases d’un album plein de nuances. Le rythme entraînant est contrebalancé par des paroles où viennent se mêler nostalgie et mélancolie. Ces mêmes sentiments que l’on retrouve également sur le titre éponyme Neon Pill, avec le très planant Float Into The Sky ou encore sur Out Loud. Sur ce dernier titre, le piano combiné aux cordes offre une ambiance d’une tristesse infinie.
À côté, le groupe nous offre également des parenthèses énergiques, à l’image de Metaverse ou le très étonnant Shy Eyes. L’un des points forts de cet album est la continuelle évolution rythmique au fur et à mesure des morceaux, où beaucoup d’influences viennent se confronter pour traiter de sujets délicats tels que la santé mentale, offrant une réelle consistance au projet.
Over Your Shoulder, dernier titre de l’album, en est d’ailleurs la conclusion parfaite, liant nostalgie et instrumentation efficace.
Cinq ans après Social Clues, Cage The Elephant prouve avec ces douze titres qu’il n’a rien perdu de sa superbe.
MDNS – Posthume (Paul)
Celui là est sorti un peu plus tard dans l’année, le 31 mai. Mais l’été est passé vite, et il nous a fallu attendre le mois d’août pour s’intéresser enfin à cet objet unique. Lorsqu’on a lancé la lecture de son premier titre, Paradis, on était sur une place d’Anvers après une nuit blanche en Flixbus, et l’on attendait à demi-éveillé l’ouverture de l’auberge de jeunesse.
Peut-être était-ce là le bon moment pour le découvrir, après tout. Posthume est un album qui se vit à deux cent à l’heure, où il n’est question de rien d’autre que de course poursuite – avec soi, avec ses addictions, avec ses peurs. Un geste post-punk en français, entendu que le post-punk est une forme de punk à laquelle on a ajouté « une bonne dose de romantisme ».
Mais un post-punk dont il faut imaginer qu’il est produit comme un album de hip-hop. Et c’est là que la chose devient particulièrement intéressante. Le lillois MDNS a fait équipe avec le producteur Adam Vadel (Kanye West) et les musiciens de Skip the Use (presque une figure parentale de la scène musiques actuelles lilloise), pour créer cet album, on ose le dire, unique cette année. C’est qu’à la rencontre entre post punk et hip hop s’ajoute un autre paradoxe, un autre point de tension. Le noeud de l’être humain, qui est avant tout contradictions.
Qui veut la paix sans cesser la course, qui veut le ciel sans pouvoir ralentir sa chute. Sans complaisance, MDNS agite ses démons pendant rien de moins que seize titres. Seize titres à l’issue desquels notre auberge de jeunesse ouvre enfin ses portes. Lorsqu’on en franchit le seuil, on sait que l’on va réécouter Posthume un paquet de fois. Ce en quoi le no future en trouvera un. J’ai pas de futur/Et j’en ai rien à foutre chantait MDNS sur le premier titre.
Quelques mois plus tard, l’avenir du monde ne nous semble pas plus radieux. Les massacres se perpétuent. L’Amérique réactionnaire a élu son gourou. On adoptera alors la méthode du chanteur lillois. Secouer ses démons en espérant qu’ils se dissolvent dans la sueur.
Porridge Radio – Clouds In The Sky They Will Always Be There For Me (Maryne)
Toujours plus long ce nom d’album me direz-vous ? Pas simple à retenir et pourtant c’est un album qui s’ancre profondément dans notre psyché. Pourquoi ? Et bien parce-qu’il est de ceux qui déclenchent le frisson, font naître l’émoi. Chaque titre y est sublimé. Chaque titre porte ses propres empreintes. Comme Dana Margolin amène son empreinte vocale reconnaissable entre toutes.
Porridge Radio c’est son bébé : le groupe incarne son être personnifié. Et cette personne à la voix qui oscille entre tonalité rauque et apparente fragilité n’a de cesse de provoquer de profondes et intenses émotions pour celles·eux qui l’entendent et l’écoutent.
Clouds In The Sky They Will Always Be There For Me est une renaissance. Il est une révélation et assurément l’album le plus sublime qu’il nous ait été donné d’entendre de la part de Porridge Radio. Les morceaux mêlent nostalgie et fragilité desquelles éclate la plus profonde force. C’est un peu comme la vie. On traverse des épreuves, on tombe, on se relève. Porridge Radio retranscrit à merveille toute cette odyssée de vie.
Voici une liste non-exhaustive des morceaux les plus merveilleux de ce bijou : Lavender, Raspberries, God Of Everything Else ou encore Anybody ou Sick Of The Blues. On a écouté cet album moult fois depuis sa sortie le 18 octobre dernier et c’est un ravissement à chaque fois.
Porridge Radio pose ses valises en France prochainement. Ne ratez la tournée sous aucun prétexte, vous m’en direz des nouvelles !
The Cure – Songs of a lost world (Léa)
Est-ce qu’on ne détient pas un nouveau record d’attente entre deux albums toutes étiquettes musicales confondues ? Les irlandais shoegazers de My Bloody Valentine ont ouvert le top 3 avec 22 ans d’attente entre Loveless(1991) et M B V (2013), ils étaient suivis par les américains de Guns N’Roses avec 15 ans d’attente entre The Spaghetti Incident (1993) et Chinese Democracy (2008) et l’anglaise Kate Bush qui a laissé passer 12 ans entre The Red Shoes (1993) et Aerial (2005). Si on se faisait taquins mais respectueux de l’œuvre de Robert Smith, on dirait qu’il s’est en réalité passé 20 ans depuis leur dernière production et 10 ans depuis qu’ils en causaient.
Avec Songs of a lost world, la bande de Smith renoue avec une création romantique noire. Huit morceaux dans lesquels résonnent le deuil. En effet, pendant la phase de création, Robert Smith a été marqué par les décès successifs de ses parents et de son frère. C’est par ailleurs à ce dernier qu’est dédié I Can Never Say Goodbye. Disons-le clairement, on tient un album qui s’écouterait d’une traite sans problème. The Cure sait caresser le cœur dans le sens des émotions entrantes. Le premier single mettant un terme au silence de l’attente Alone annonçait de belles promesses parfaitement tenues. Une orchestration saisissante se propage sur les huit pépites satinées. Les larmes peuvent couler, elles seront celles du soulagement. A Fragile Thing dynamise le chemin, une étoile scintillante au milieu de la nuit noire où Robert Smith transpose les mots de sa dulcinée. Mal aimée, agitée, Drone:Nodrone trouve finalement sa place.
C’est peu dire que Songs of a lost world est un grand album. Un retour aux sources enthousiasmant et même encourageant dont il nous fallait faire mention dans nos albums de l’année 2024 au-delà de l’attente suscitée.