Zaho de Sagazan : « je suis plus obsédée par les émotions que par les faits »

Vous n’avez pas pu passer à côté : la tempête Zaho de Sagazan s’est abattue sur la France pour notre plus grand bonheur. On a eu le grand plaisir de la rencontrer à l’aéronef de Lille juste avant la sortie de son album pour une longue conversation. On a parlé avec elle d’émotions, de fantasmes, de mathématique et de sa manière de mêler musique électronique et chanson française.

portrait zaho de sagazan

La Face B : Salut Zaho, comment est-ce que tu vas ?

Zaho de Sagazan : Alors ça va très bien mais je suis très fatiguée. Ca va bien, le moral est bon mais grande fatigue. (rires)

La Face B : Quand on parle d’un artiste, on a toujours l’impression que l’artiste doit être dans la lumière et j’ai l’impression que toi, tu t’es construite, plus dans l’ombre, dans les salles de concerts, un peu masquée… Je me demandais à une semaine de la sortie de ton album, comment tu te sentais à l’idée de prendre pleinement la lumière, ce qui n’est pas forcément naturel…

Zaho de Sagazan : Je n’ai pas tant l’impression de prendre la lumière, j’ai plus l’impression de donner la mienne. Je n’ai pas le ressenti, quand je me dis que je sors mon album, d’être tout à coup éclairée. Par contre, j’ai plutôt l’impression vraiment d’être nue à la limite peut-être mais pas éclairée forcément. Je crois que j’ai beaucoup ce rapport-là où j’ai l’impression de donner à chacun plus que d’être face à une énorme foule que je ne comprends pas, c’est un truc très intime que je donne. Mais en tout cas, pour répondre à ta question de comment je me sens avant de sortir mon album, très bien, crevée comme je te dis mais très heureuse. J’ai qu’une hâte c’est qu’il sorte et de savoir ce que les gens en pensent, vont le faire vivre dans leur intimité à eux et puis tout ça. Mais je vis plutôt très bien à l’idée qu’il sorte.

La Face B : Je t’ai découverte il y a très longtemps, parce que j’avais un ami qui m’avait envoyé une vidéo de toi qui faisait une reprise sur Instagram en me disant « Regarde cette meuf-là c’est une future star ». Encore une fois, dans un truc où tout va très vite, tu as pris le temps de construire, de planifier un peu la musique que tu voulais faire et ce, sans en dévoiler la moindre chose. Je me demandais si ça c’était important pour toi d’avoir justement pris le temps de ce cheminement vers l’album qui va sortir.

Zaho de Sagazan : Je trouve que c’est primordial si tu veux faire quelque chose de beau, de prendre le temps de le faire. Je ne dis pas que je ne serai pas capable de faire le prochain album en deux mois, si ça se trouve il sera très beau mais par contre, tu ne deviens pas artiste en deux mois. Personne ne devient artiste en deux mois. Et j’ai pris beaucoup de temps à d’abord, découvrir ma voix, à comprendre comment manier les mots, comprendre que j’avais envie de le faire aussi, que j’avais envie de raconter des histoires, découvrir les sons que j’aimais, la couleur… Tout ça, ça prend du temps. Il n’y a pas tant une envie de tout planifier parce qu’en vrai, rien n’est planifié, on est tout le temps à la bourre. Je suis en train de finir le clip qu’on va sortir dans une semaine et puis je ne sais pas du tout comment je vais gérer ma promo et tout ça… Rien n’est planifié mais, par contre, tout ce que je sors, j’ai envie que cesoit vraiment bien. Et pour le coup, je suis très perfectionniste dans la chanson. Donc oui, on a pris le temps de faire cet album. Mais pour moi ce n’est même pas une question, il n’y a pas de possibilité de faire autrement. C’est peut-être un peu névrosé mais je vois pas comment j’aurais pu… Tout ce que je viens de faire là, j’aurais pas pu le faire en un an…

La Face B : Au final, on t’a même « forcée » à sortir ton premier morceau puisqu’il était pas prévu et c’est les INOUïS qui t’ont dit « Faut que t’aies un morceau avant » (rires). On t’a limite poussée un peu à te dévoiler alors que t’avais pas forcément envie de le faire immédiatement.

Zaho de Sagazan : Bah c’est ça. C’est surtout que je n’avais pas encore fini. J’avais déjà beaucoup de morceaux que j’aimais mais qui n’étaient pas terminés. C’est pour ça qu’on a fait La déraisonen trois jours, parce qu’en fait j’ai préféré composer du début à la fin une chanson spécialement pour ça que de sortir de manière précipitée un enfant à moi (sourire)… Mais comme quoi, parfois, parce que j’aime beaucoup La déraisonmaintenant, quand on te force et qu’on n’a pas le temps, on fait des choses belles, on n’est pas obligés de prendre un temps fou. Mais j’avais la chance de le faire avec des gens qui le connaissaient, qui avaient eu le temps de le connaître avant. Mais oui, y a eu un petit côté un peu forcé mais je ne regrette rien.

La Face B : Puis finalement ce n’est même pas un morceau qui apparaît sur l’album…

Zaho de Sagazan : Du fait qu’il ait été créé comme ça… Après je l’aime beaucoup mais ce n’était pas possible pour moi qu’elle soit dedans. Ce n’est pas que je l’aime moins, mais elle ne parle pas de la même époque, de la même façon de faire…

La Face B : C’était un morceau de l’instant en fait… L’album s’appelle La symphonie des éclairs, je trouve le titre de l’album magnifique. En écoutant l’album, j’ai l’impression que c’est aussi le morceau sur lequel tu te mets la plus à nu, toi en tant que Zaho en fait.

Zaho de Sagazan : Merci beaucoup. Complètement. C’est pour ça que je l’ai appelé comme ça. Déjà effectivement je me suis dit que le titre claque, je trouvais ça aussi très joli, très poétique. Par contre, je suis quelqu’un de poétique mais avant tout qui a besoin de mettre du sens partout, mais alors par-tout ! Donc le nom de l’album il fallait forcément qu’il ait du sens. Et quand j’écris La symphonie des éclairs, c’est une des dernières chansons que j’ai écrite, c’était pour moi une évidence.

J’ai galéré à la finir mais quand je l’ai fini, je me suis dit, ok c’est sûr elle est dans l’album et c’est aussi le nom de l’album. Parce queLa symphonie des éclairset ce qu’elle raconte cette chanson, c’est un peu tout le processus de cette petite fille qui n’allait pas bien ou qui en tout cas était très sensible et qui en avait marre de l’être, qui se trouvait trop sensible, qui voulait être autrement et qui un jour, découvre l’intérêt de cette sensibilité. Et ça c’est quand elle va découvrir la musique et qu’elle va décider de mettre toute cette sensibilité et surtout tout cet amour pour le sombre… Comme je te le disais, je suis quelqu’un de très gentil, très solaire mais j’écris dans le noir, les yeux fermés, j’aime les drames, j’aime les raconter, c’est des choses qui me fascinent.

Et donc, La symphonie des éclairs c’est ça pour moi, c’est plein d’éclairs dans la vie, les éclairs c’est des choses qui nous fascinent, qui en même temps font mal quand on est près, des trucs très forts, très dans l’instinct et pour moi ça représente des émotions fortes et négatives comme la tristesse, comme tout ce que je raconte dans cet album. Et j’aimais l’idée de cette symphonie des éclairs, on ne peut pas faire une symphonie avec des éclairs, ça va pas du tout ensemble. C’est dissonant. Ce n’est pas censé être beau. Et il y avait une évidence parce que cette chanson raconte ce qu’elle dit, que c’était obligé.

La Face B : Avec ce titre, y a aussi la pochette. Il y a toujours eu un travail très important chez toi sur le visuel et je trouve que la pochette elle dit beaucoup de l’album. Dans le sens où, il y a ce côté avec les machines, le personnage mais qui est de dos, avec ton nom en petit qui est une espèce d’absence d’égo avec un côté très onirique je trouve. Tout est presque dit sur la pochette quand on la regarde.

Zaho de Sagazan : Ca me fait trop plaisir. Parce que franchement je cherche ça ! C’est important dans une pochette. Parce qu’en fonction de la pochette d’un disque, tu ne l’écoutes pas pareil et donc c’était important pour moi de guider l’auditeur au bon endroit et aussi que de toute façon ça n’ait pas aucun sens. C’était évident pour moi que ça soit dans le noir. Parce que tout se fait dans le noir (rires). Que ça soit dans le studio, dans ma chambre ou je suis juste dans le noir. Il y a aussi ce côté onirique, du rêve comme tu le dis, qui est hyper important dans l’album où je n’ai fait que me raconter des histoires pour raconter ces chansons. Je n’ai vécu aucune histoire d’amour, je parle que de ça, je suis très dans le rêve et j’adore ça. Et en même temps, il y a ce truc-là un peu observation, mathématique qui est très moi. Il y a aussi ce que je cherchais depuis le début c’est ramener le côté synthétique, synthétiseur que j’ai adoré et que j’ai découvert en fait… Très présent pour le live et qui nous dénote un peu. Effectivement je fais de la chanson française mais aussi un peu de l’électronique.

Cette petite mise à jour que je trouve très jolie, qui est qu’en tournant des boutons, les boutons deviennent un univers, avec des planètes… Tu n’as peut-être pas vu l’arrière mais la pochette derrière c’est les trois garçons avec qui j’ai fait ce disque ; Pierre, Alexis et Tom. Qui sont eux aussi de dos sur des machines dans l’espace. Je trouvais ça aussi très joli l’idée qu’en tournant des boutons, on peut créer un univers comme en mettant des mots, on peut créer une histoire. Le rêve c’est le plus grand pouvoir du monde. Je m’invente ce que je veux, je vis ce que je veux et rien que l’idée que j’étais une cosmonaute avec mes potes je trouve ça génial (sourire). Donc j’aime les rêves et c’était très important pour moi de le mettre sur l’album, ravie que tu l’aies saisi !

La Face B : C’est bien tu as parlé de plein de choses dont on va parler après (rires). Quand j’écoute des albums, je me note des mots qui me viennent à l’écoute et là il m’en est venu deux . Je vais te les dire et après on en parlera : fiévreux et multiple. C’est des choses qui te parlaient ou pas ? (sourire) « Fiévreux » parce que je trouve qu’y a dans la façon dont t’écris et dont les sentiments sont exploités dans l’album il y a un truc proche de la transe, d’une personne qui a 42 de température et qui devient folle et tout est exacerbé dans l’album. Il y a un truc d’expiation… Et « multiple » parce que t’en parlais avant, même si c’est Zaho de Sagazan qui est marqué sur le titre de l’album et que c’est toi qui l’as écrit, tu n’es qu’un des personnages qui apparait dans l’album…

Zaho de Sagazan : En tout cas y a un côté où c’est comme si j’étais l’actrice de chaque personnage mais effectivement ça ne raconte pas forcément mon histoire. Ça raconte ce qui me touche, ma façon de voir les choses, la vie etc mais si je racontais juste vraiment ma vie on se ferait chier à mourir (rires). Sauf peut-être Mon corps, La symphonie des éclairset Tristessemais sinon les autres sont inspirées d’autres choses.

J’ai été inspirée par Barbara, j’adorais l’idée qu’elle pouvait mettre tout en chanson. Juste devant sa fenêtre en train d’attendre Pierre et qu’il pleut, elle va en faire une chanson. Y a pas grand-chose à dire mais elle va en faire un truc tout dingue. C’est trop beau. Je peux raconter un peu n’importe quoi. Généralement, J’ai un petit côté de moi, je tombe amoureuse, je tombe « en crush » beaucoup de fois, je ne vais pas dire je « tombe en crush », je vais dire je tombe amoureuse d’un inconnu. C’est too much mais c’est beaucoup plus, je vais plus loin, je deviens complètement folle etc. J’aime quand j’ai un travers, je vais aller au fond de ce travers et effectivement le rendre fiévreux. Je ne suis peut-être pas fiévreuse quand je le fais. Mais en tout cas, comme si je tournais la molette, accentuer ce travers, si je deviens complètement folle avec ça, qu’est-ce que ça donne…

La Face B : C’est aussi une façon de raconter des histoires, y a un sens de l’observation qui est assez important dans ce que tu racontes. Y a des morceaux que je trouve très fort. Y a vraiment ce truc de mettre des mots et de faire travailler l’imagination avec… Ce côté rêveur dont on parlait tout à l’heure qui est hyper important. Comme tu parlais de Barbara, y a un vrai amour de la chanson française et un côté très berlinois, on se disait avec Alexis (Delong) je me demandais comment tu as travaillé ce process pour utiliser les deux sans trahir ni l’un ni l’autre…

Zaho de Sagazan : C’était vraiment très long. Et ça, je ne l’ai pas fait toute seule. J’ai écrit toutes ces chansons toujours en piano-voix. Donc il y a toujours ce rapport très chanson française de chercher des mots pendant des heures et de partir du principe que la chanson se suffit en piano-voix et une fois qu’elle est assez belle comme ça et là je peux commencer à l’habiller d’artifices et de synthétiseurs etc. Il y a ce côté un peu puriste de la chanson française et en même temps, j’écoute beaucoup moins Brel et Barbara que toute la musique électronique que j’écoute H24. C’est ça qui me représente, c’est ça que j’adore. J’adore la coldwave, la synthpop, le punk, le rock…

Tout ce que j’écoute c’est rarement de la chanson française. C’est juste que la chanson française m’a appris énormément de choses mais ce qui m’inspire c’est Berlin, c’est l’électronique, c’est les machines… Et typiquement quand tu me parles d’Alexis, lui m’a aidée à aimer ça et Pierre avec qui j’ai fait l’album, sont des passionnés plus de Berlin que de chanson, en général. Ils aiment bien les mots mais je pense que ce n’est pas du tout ça qui les passionne (rires). C’est là où on a commencé à devenir complètement passionnés de chercher les sons et tout ça. J’ai tout de suite dit aux mecs, je veux faire pleurer les gens mais je veux aussi les faire danser, je veux possiblement faire un live avec un piano-voix et après je fais un truc en club Berlin.

En live, on va dans les extrêmes opposés. C’est un truc dont je savais que je voulais le faire et dont j’étais sûre qu’on pouvait le faire. Plusieurs fois, on m’avait dit tu feras un album piano-voix et puis tu feras un autre album, on peut pas passer du coq à l’âne comme ça… J’étais persuadée que si donc je suis très fière d’avoir réussi (sourire). Mais je n’ai pas réussi toute seule, j’ai vraiment réussi avec les mecs, qui ont été là pendant 2 ans et demi à sans cesse chercher avec moi en studio. Trois obsédés. C’est là où j’ai une chance extraordinaire d’avoir des amis qui étaient aussi passionnés par la musique que moi, qui avaient très envie de faire des choses avec moi et moi, j’avais très envie de faire des choses avec eux.

On a cherché très longtemps. Je suis très contente que ça se ressente dans l’album qu’il n’y ait pas un parti qui prend le dessus sur l’autre. Je ne voulais pas juste faire des chansons avec des prods qu’on n’écoute pas. Un beau synthé, ça me tue, ça me transperce. Sébastien Tellier, premier album L’incroyable vérité ces synthés, j’ai envie de mourir avec eux, dans la tombe (rires). C’est ça qui me plait. Y en a tellement plein d’autres. J’avais pas envie de passer l’instru au second plan.

La Face B : Quand on t’écoute, on a l’impression que la chanson française t’a donné des structures et que tu t’es amusée à les distordre en fait…

Zaho de Sagazan : Comme beaucoup, je suis inspirée par mille choses différentes et quand je dis « Je suis amoureuse de tous les garçons, je les aime tous à leurs façons » c’est que je crois qu’on a des choses à tirer de chacun, chez n’importe qui je vais apprendre sur moi, sur l’autre et sur la vie. Je crois que c’est pareil dans les genres musicaux. J’ai beaucoup à apprendre de la chanson française, comme j’ai beaucoup à apprendre de la musique de club et de son côté boucle répétitive et qui nous fait partir en transe, comme j’ai beaucoup à apprendre des symphonies de Mozart, Schubert ou Vivaldi, comme j’ai à prendre de Janis Joplin qui crie dans son micro, qui dit qu’on peut faire ce qu’on veut avec sa voix et de Pink Floyd qui met des rires partout…

Il a de tout à prendre et un truc dont je suis sûre et que je me suis toujours imposée c’est de ne pas me fixer de limites, c’est grâce à des artistes comme ça qui ne s’en mettent pas… Parce que la chanson française, on pourrait voir ça comme un truc classique mais Brel par exemple n’avait pas de limite, il pouvait avoir des chansons avec une voix… Je crois que je suis très inspirée par ces gens qui sont libres et qui se permettent tout ce qu’ils veulent et j’essaie de tendre le plus possible vers cette liberté sans moi-même me mettre des contraintes qui ne servent à rien.

La Face B : Tu parlais de boucle électronique, toi tu as fait des boucles de mots… Sur les morceaux quand tu lis les paroles, tu écoutes les chansons, tu as des mots qui reviennent en répétition qui font progresser l’histoire et le mot revient, ça devient presque aussi hypnotique et obsédant que la boucle musicale qui l’accompagne…

Zaho de Sagazan : Je l’ai appris sur la musique électronique mais aussi sur la chanson française. Typiquement, Maurice Fanon, il a fait une chanson que je trouve absolument fabuleuse qui s’appelleL’écharpe où il joue avec le fait d’user très peu de mots et de les réutiliser et pas les mettre au même endroit. Ce qui ne veut pas dire la même chose, ça veut dire à peu près la même chose mais il a une petite subtilité qui fait qu’on avance dans l’histoire. C’est un truc qui m’a complètement passionnée, j’ai trouvé ça extraordinaire. Les endroits où je mets plus ou moins les choses en boucle, c’est quand on est proches de la folie. Donc typiquement Aspirationon parle d’addiction ou même La fontaine de sang où je dis « des hommes des hommes des hommes » parce que les hommes ont commencé à prendre de la place sur la planète… Je trouve que la boucle électronique elle te met en transe mais la boucle de mots te ramène vraiment à un thème. Et que je mets en boucle « dernière cigarette », c’est que juste que moi j’ai en boucle, j’ai envie de fumer un pèt et ça en boucle. Si je veux décrire ça, je suis obligée de mettre en boucle moi aussi pour que vous le compreniez.

La Face B : Puis le mot change aussi parfois. Dans un titre comme Les dormantes, quand tu répètes « l’amour » il a pas le même goût, la même sensation et la même puissance au fur et à mesure de la chanson…

Zaho de Sagazan : Complètement ! Ravie, c’est le genre de truc où je me dis qu’il n’y a que moi qui vais comprendre. Et pour moi c’est hyper sensé ! Il y a des fois je me retrouve à dire l’amour alors que je n’ai pas besoin… Je me rappelle, une fois j’avais reçu un commentaire de quelqu’un qui disait « bah on fait quoi ? On s’aime plus ? » Comme cette chanson est à l’inverse, pour l’amour et que là je ne parle pas d’amour, c’est pas parce que je dis 40 fois l’amour dans cette chanson, c’est à l’inverse c’est de l’humour grinçant… Parce que c’est tout sauf de l’amour ce que je raconte.

La Face B : C’est finalement une personne qui maltraite l’amour…

Zaho de Sagazan : Et qui prend en otage l’amour, qui prend comme excuse l’amour… L’amour ça rend fou et je suis tellement amoureux de toi que tu me rends folle… Non tu n’es pas amoureux de moi, tu es autre chose et tu es violent, c’est tout. Donc effectivement, je suis ravie que tu aies de la subtilité… (sourire) Il y a une chanson qui joue sur cette répétition et qui dit d’abord « J’aimerai faire l’amour avec toi » et au début on se dit oh c’est sympa, elle parle de consentement et elle demande. Et plus le temps passe plus tu te rends compte qu’en fait c’est l’inverse, c’est quelqu’un qui ne fait que demander, demander, ça remet en cause cette parole qui semble être toute mignonne selon combien de fois tu la dis, tu vas la répéter, elle veut plus du tout dire la même chose…

La Face B : Par exemple, on parlait de La fontaine de sang, j’ai l’impression que c’est un morceau qui va en plus avoir des significations multiples. Ca va parler de la façon dont on a utilisé la Terre et pour l’assécher complètement et ça parle aussi de la féminité, de comment l’homme est carnivore sur la féminité jusqu’à un certain âge…

Zaho de Sagazan : C’est là où j’adore la poésie. C’est quand tu ne dis pas grand-chose, tu parles plus de concepts que de réel… J’aime quand une chanson laisse place au fantasme, à l’interprétation. Mais pas au point où je ne dise rien et qu’on peut tout s’imaginer mais si tu imagines quand tu écoutes La fontaine de sang que je parle de la Terre, tu vas te dire ça parle hyper bien de la Terre et c’est exactement ça. J’adore quand on peut voir différentes interprétations et hyper profondes. Moi, ce morceau personnellement, je le vois, vraiment sur la Terre. Le dernier couplet ramène à ça « On a tué nos enfants ». En plus, j’ai écrit cette chanson après avoir lu La fontaine de sang de Baudelaire qui lui parle clairement plus de femmes que de la Terre… J’aime l’idée qu’on puisse imaginer une chanson même sur des cochons qu’on vide… On peut tout voir quoi… Mais ça raconte surtout le fait d’être capables en tant qu’humains d’assécher quelque chose. Soit on assèche une terre, y a des gens qui assèchent des humains, une blague… Plus un concept, qu’un fait.

La Face B : Peut-être que tu vas me contredire, mais je trouve qu’il y a un rapport au féminin qui est très important sur l’album… Sur la façon dont certains morceaux sont écrits et de certaines choses dont tu parles… La fontaine de sang, j’ai vu ce sens-là mais j’ai aussi vu ce rapport de l’homme masculin, la chanson sur les garçons, la chanson où tu vas à confesse y a un rapport au féminin et même au masculin qui est très important… Un morceau comme Mon corps y a des choses qui sont faites, je trouve, qui se rattachent plus aux stéréotypes féminins en fait que tu brises dans les morceaux. Ce qui m’a marqué aussi finalement c’est que la façon dont tu parles d’amour, tu parles des garçons mais j’ai l’impression que tu pourrais parler de la même manière des femmes. La façon dont les sentiments et émotions sont exploités et exprimés, ça m’a beaucoup marqué. L’importance du texte et la façon dont tu le travailles, ça peut changer en fonction du regard de la personne et la vie de la personne, de façon parallèle… Je trouve ça très très beau.

Zaho de Sagazan : Je suis ravie. Parce qu’effectivement j’ai envie de ça, je suis plus obsédée par les émotions que par les faits. On vit tous la tristesse, le bonheur etc mais tous de différentes manières…

La Face B : Un morceau comme Tristesse, moi qui suis hypersensible, je trouve que c’est le morceau avec La symphonie des éclairs, qui est le plus brut de l’album dans la façon dont il est écrit. Je me voyais dedans, de se dire la tristesse et la mélancolie je vais les foutre de côté, ça me rattrapera jamais mais en fait tu passes du marionnettiste au pantin en un claquement de doigts…

Zaho de Sagazan : Pour le coup c’est la chanson que j’ai écrit la plus rapidement, j’ai du prendre une demie heure pas plus donc le côté brut ça ne m’étonne pas trop (sourire)… Quand j’écris des chansons, je ne les écris pas que pour moi, je les écris pour les autres aussi… Quand j’écris Mon corpspar exemple, je n’étais pas à l’aise avec mon corps parce que je le trouvais trop gros mais je n’avais pas du tout envie de parler de bourrelets ou de grosseur, parce que je sais qu’il y a des gens qui ne sont pas à l’aise avec leurs corps, parce qu’ils se trouvent trop minces ou trop grands, trop poilus… Et c’est important pour moi de parler d’émotions, de ressenti plus que de faits.

Tristessec’est le truc le plus instinctif. J’ai une copine qui passe de marionnettiste à marionnette de manière évidente mais des gens « stables », je pense qu’on passe tous d’un truc à l’autre au moment où on est sûrs de nous, on se croit super rationnels et tout puissants et le nombre de fois où ça nous rattrape dans la gueule… J’avais beau le penser, je ne faisais que chialer. C’est aussi une chanson qui est très brute parce qu’elle a comme conclusion Tristesse je te déteste, je suis une marionnette, on naît marionnette et on mourra marionnette… Bon. La symphonie des éclairs montre aussi une autre version de ce point de vue-là. Je l’ai écrite quand j’ai réalisé jeune, que j’allais avoir toute ma vie des émotions que je n’étais pas capable de gérer et que je ne pourrais pas contrôler toute ma vie et que c’est elles qui me contrôleraient, là ça m’a complètement rendue folle. Je crois que j’adore l’idée qu’on est tous pareils et qu’on est tous différents.

La Face B : Finalement ce côté multiple passe aussi par les différentes façons d’utiliser ta voix… Elle est différente d’un morceau à l’autre… On pourrait limite dire que ta voix c’est l’instrument le plus important de l’album.

Zaho de Sagazan : C’est pour ça que j’aime autant le rock et d’autres styles. Je trouve que la voix c’est un instrument qu’on sous-estime complètement. Beaucoup d’artistes se suffisent à prendre une tonalité qui est la plus agréable pour eux et poser leur voix. Sauf qu’il y a une histoire de tonalité, tu peux aller dans les graves, dans les aigus mais tu peux aller dans le chuchotement, dans le cri, la respiration… La respiration, je trouve que c’est un truc qui transmet tellement et qui veut tellement dire de choses… Je pense sincèrement que c’est l’instrument le plus dingue du monde. Y a plein de boutons, de fréquence, de modulaires… C’est une Janis Joplin qui me l’a fait comprendre et plein d’autres. Je trouve qu’en chanson, on peut être un peu timide alors que c’est l’instrument le plus déjà naturel au monde, très complexe, j’ai beaucoup encore à apprendre sur la voix.

La Face B : Ce qui m’a marqué c’est que je t’ai déjà vu en concert avant et il y avait ce côté très physique quand vous n’étiez qu’à deux. Et ce qui m’a le plus surpris c’était les moments les plus doux en fait, où t’en fais le minimum et tu vois toutes les fêlures qui apparaissent. Sur La symphonie des éclairs ou un autre morceau en piano-voix, où tu répètes les choses… Le dosage est parfait. Tu t’autorises des oscillations comme sur une machine…

Zaho de Sagazan : Complètement. J’adore ce truc-là. Mais je pense que j’ai un esprit hyper mathématique. Si je n’avais pas été sur scène, je serais un peu entourée par des machines qui ne font pas le même bruit, un truc de vaisseaux ou à l’hôpital ou je ne sais quoi. Mon esprit est très mathématique et je pense que ça se ressent dans mes chansons, hyper rationnelles et à la fois très émotionnelles évidemment, je reste quelqu’un de très émotive. Mais j’aime les maths et je crois que les maths, c’est très proche de la philosophie et de plein de choses, d’émotions etc. et je pense que ça se ressent effectivement dans la répétition, la logique d’écriture de chansons…

La Face B : Tu parlais du côté un peu universaliste de ta musique, malgré tout est-ce que toi t’as soigné des choses avec ta musique et avec ton écriture ?

Zaho de Sagazan : C’est encore plus que soigner des trucs. Tu m’aurais vu 2 secondes adolescente à 15 ans, plus que soigner… Je passais mon temps à pleurer. J’étais incapable de m’exprimer. Hypersensible, mais on ne peut plus sensible… Un mot de travers et mon cœur se brouillait, les larmes tombaient alors que franchement « Ta gueule Zaho » (sourire). Dès que je commençais à parler, je bégayais, il y avait un truc de trop de pression, je sentais qu’il y avait un truc à sortir quand même. Que ça soit des pleurs ou des cris, il y avait une envie de comprendre ce qui se passe dans ma tête et dans celles des autres parce que je comprenais rien de ce qui se passait dans ma tête… Un besoin infini de me faire comprendre, parce que je passais mon temps à pas être comprise et je savais bien que j’étais pas résumée à quelqu’un qui pleure.

J’étais intelligente et quelqu’un d’émotive, incapable de se construire et là où je pense que la musique m’a soignée énormément c’est juste pouvoir mettre des mots sur les choses et pouvoir chercher, passer des heures à choisir des mots pour essayer de faire comprendre quelque chose et La symphonie des éclairs, si tu me comprends pas, c’est pas grave mais j’aurais tout fait pour que tu me comprennes. Il y a beaucoup de fois où mettre des mots c’est un peu comme poser des équations. Le seul moyen de résoudre une équation c’est de la poser. Et je pense qu’y a beaucoup de problèmes, pour les résoudre faut les poser. Quand dans ta tête, y a trop de mots qui viennent, trop de choses faut poser ces mots-là et j’ai beaucoup compris comme ça, de toute façon je pense que mon corps avait besoin de sortir des choses et de crier des choses comme ça en concert, j’avais besoin de sortir des choses en moi et j’ai sorti La symphonie des éclairs. Évidemment que ça m’a soigné sur plein de trucs, j’espère que ça va aider à en soigner plein d’autres autour mais si y en a une qui a été soignée c’est moi, oui.

La Face B : Le plus beau compliment qu’on puisse faire sur cet album, en cherchant à te soigner toi et à te comprendre toi, tu vas aider les gens à se soigner et à se comprendre eux…

Zaho de Sagazan : Complètement. Ce que je trouve absolument magnifique c’est que je le comprends petit à petit, je découvre les choses, parce que je suis encore au tout début… Quand j’ai fait cet album au tout début, j’ai toujours cherché à ce que les autres me comprennent et inconsciemment j’avais envie que les autres puissent s’y retrouver. Je l’ai vraiment fait par besoin pour moi et puis je l’ai fait pour les copains, pour nous faire du bien et je découvre maintenant que plus de juste plaire, parce que j’espérais plaire mais c’est allé au-delà de mon espérance. Je reçois des messages sur Les dormantes parfois me disant que ça leur fait un bien fou. Ça va parfois passer juste sur la personne.

C’est très impressionnant. Quand je faisais ça, je pensais juste que je me rendais heureuse moi. C’est un métier fabuleux qui me rend et qui rend aussi les autres heureux. La petite Zaho qui voulait être infirmière elle n’est pas si loin finalement. Il y a un côté complètement égocentrique quand tu es artiste, tu es centré sur toi et tes émotions après sur celles des autres aussi parce que j’observe beaucoup les gens. Mais au final, c’est un des seuls métiers où parce que tu es autocentré, tu fais du bien aux autres. Si ça se trouve ça sera 2 personnes, ça sera 1 million. En tout cas le principal c’est plus que la quantité c’est vraiment la qualité. Je ne veux pas forcément toucher 1 million de cœurs, je veux en toucher un profondément au même titre que d’autres m’ont touchée. C’est un très beau métier (rires).

La Face B : Tes 2 premières dates de concert que t’avais faites c’était le Trianon et l’Olympia. Là tu remplis le Trianon à ton nom et t’annonces un concert à l’Olympia (désormais complet ndlr), t’as une énorme tournée qui est annoncée, tu es dans des festivals un peu partout, comment tu vois l’avenir proche et qu’est-ce qu’on peut te souhaiter rapport à tout ça ?

Zaho de Sagazan : L’avenir proche, clairement je vois mon emploi du temps de manière très rationnelle c’est la tournée… Parce qu’effectivement on en a annoncé sur internet mais on en a à peu près 5 fois plus qui arrivent. Mon avenir il est surtout sur la scène et j’ai la chance de tourner avec mes meilleurs copains, ça me ravit. Il va être rythmé par les dates, les rencontres avec les gens c’est aussi ça que j’adore dans ce métier, c’est que tu rencontres énormément de gens. Ce qu’on peut me souhaiter ? De pas perdre ma voix, de bien gérer tout ça, de m’espérer que je fasse de bons concerts, que je m’engueule pas avec mes potes (rires) et qu’on soit très contents de continuer à faire ça, qu’on s’en lasse pas et surtout de rendre heureux les gens qui seront devant moi en concert, j’espère être heureuse et rendre heureux les autres, c’est ça qu’on peut m’espérer.

La Face B : Est-ce qu’il y a des choses récentes un livre, un film, en matière de musique qui t’ont particulièrement marquée que tu souhaites partager avec nous ?

Zaho de Sagazan : En terme de films, on peut parler de quelque chose qui m’a beaucoup marquée, je suis complètement obsédée par ça en ce moment depuis 3 mois avec ma coloc c’est la série Lost. Mine de rien c’est une tuerie. Je suis marquée avec un fer, j’ai le logo de la dharma sur le cou (rires) Je suis complètement obsédée par cette série, j’en suis à la sixième saison et je suis terrifiée à l’idée de la terminer. Et en matière musicale, je suis en train de me refaire tout Kraftwerk parce que j’ai eu un choc l’été dernier à leur concert à Rock en Seine. Je savais que j’aimais leur musique mais là j’ai envie de rentrer dans leurs synthés. Je retourne dans cette boucle de l’enfer, je deviens un robot émotionnel de Kraftwerk (rires).

Retrouvez notre chronique de La Symphonie Des Eclairs ici

Crédit photos concert : David Tabary