Fatoumata Diawara : « On est en train de créer un nouveau style »

Alors que les contours de son nouvel album se précisent, nous avons eu le grand plaisir de discuter avec l’artiste malienne, Fatoumata Diawara, devenue incontournable dans le monde de la musique actuelle et au-delà. Dans son nouvel album, elle a invité ses amis proches – comme Damon Albarn, Matthieu Chedid ou encore Roberto Fonseca – à bâtir avec elle un nouveau son. On ne parlera, ni de world music, ni de pop africanisante mais plutôt d’une fusion multiculturelle et musicale, sagement orchestrée par Fatoumata Diawara. Ça fonctionne admirablement et l’on ressent un bien fou à écouter ce joyeux melting-pop.  

Crédits photos : Cédric Oberlin

La Face B : Tout d’abord, un grand merci pour nous accueillir en interview. Comment allez-vous ?

Fatoumata Diawara :   Ça va très bien.

La Face B : Cela fait maintenant déjà cinq ans que votre dernier album, Fenfo, est sorti. Votre nouvel album London Ko est prévu pour la mi-mai. Quelle nouvelle orientation avez-vous choisi de prendre pour celui-ci ?

Fatoumata Diawara :   Il y avait l’envie d’apporter quelque chose de nouveau à mon public. Je voulais pour toutes ces belles personnes qui me suivent depuis un bout de temps leur apporter quelque chose de magnifique en faisant aussi un bilan de toutes les collaborations que j’ai pu faire jusqu’à maintenant. Qu’est-ce qu’elles m’ont apportées ? Suis-je enfin prête pour fusionner la musique malienne avec d’autres genres musicaux ?

Quand je dis Nsera, cela veut dire : « Je suis arrivée quelque part ». Je fais le point. J’avais donné dans mes chansons tout ce que je pouvais donner. Je me suis demandé ce que je pouvais faire ensuite. Alors j’ai fait appel à mes frères d’âme. Tous ces frères qui m’ont épaulée, ceux qui ont toujours été là et qui font appel à toi depuis des années – Damon [Albarn], Matthieu [Chedid] ou Roberto Fonseca – l’Angleterre, la France et Cuba. Je me suis dit, appelle-les pour une fois. D’habitude, c’est moi qui réponds à leurs demandes. Cette fois, c’était à moi de les inviter, car je me sentais prête à le faire, enfin.

La Face B : Le titre de votre album, London Ko, est une façon de faire sonner Londres comme BamaKo. C’est un bout du Mali qui rejoint l’Angleterre.

Fatoumata Diawara :   Oui, c’est ça. Quand on a décidé de produire cet album avec Damon, on savait que l’on avait deux genres musicaux différents et qu’il fallait les fusionner. Comme j’écris et je compose, il devait s’adapter à cette musique malienne. Alors que la plupart du temps, ce sont les Maliens qui s’adaptent sur sa musique. Ce n’est pas du tout la même vision. C’est un challenge pour lui. Et pour moi aussi parce que ça pouvait ne pas marcher. On ne peut pas forcer ces choses-là.

Mais, quand on a finalisé la chanson Nsera – le premier titre que l’on a produit en studio – il y avait une telle joie d’avoir créé un nouveau style. On a créé quelque chose qui n’était ni de la pop africaine – celle issue de la nouvelle génération – ni de la pop anglaise. C’est un entre-deux. Il y a un truc qui a marché. On a compris dans quelle direction on souhaitait aller. C’est de là que London Bamako est né.

Damon m’a dit que cela faisait longtemps qu’il cherchait à construire un pont entre le Mali et l’Angleterre, trouver un style qui puisse représenter les deux pays. Il m’a dit : « Ce n’est qu’avec toi que je peux le faire. Je le savais et je viens d’en avoir la confirmation ». Le nom de London Ko vient de lui. Il dansait London Bamako, London Ko. Là, je me suis dit : « Ok, on va appeler cet album London Ko ». Le nom est venu, ainsi, spontanément.

La Face B : Et les autres morceaux sont venus après ?

Fatoumata Diawara :   Tout de suite après. On a eu, à chaque fois, un grand plaisir à partir au studio. C’était incroyable. A Lyon, à Paris. On était en tournée parce qu’il m’avait invité sur la tournée de Gorillaz l’an dernier. C’était fort. À chaque fois, avant les balances, après les balances, on allait au studio et l’on travaillait. On avait une telle joie d’être ensemble et d’expérimenter de nouvelles chansons.

La Face B : Ce sont vraiment des collaborations « magiques » que vous avez tissées que ce soit avec Damon Albarn ou Matthieu Chedid. Ils ont joué le rôle de bonnes fées

Fatoumata Diawara :   Ce sont mes grands frères. Ce sont des personnes qui m’ont tout de suite respectée. Ça, tu ne peux pas expliquer pourquoi. Les rapports hommes-femmes ont toujours été compliqués. Il existe parfois un rapport de domination ou d’infériorité. Face à ces grands messieurs, les femmes se sentent peut-être complexées. Tu peux vite te sentir complexé. Ce sont de grands hommes, de très grands artistes. Damon a un très grand caractère. Ce n’est pas tout le monde qui peut l’approcher. Matthieu est un grand monsieur aussi.

Mais depuis notre première rencontre, il s’est produit une fusion. C’est comme si on se connaissait déjà dans un autre monde, dans un autre univers. Quand Matthieu est là, on est connecté ensemble. On rigole de tout. Il prend sa guitare, fait deux notes et je vais tout de suite improviser. Ça nous fait rire parce que ce n’est pas avec tout le monde que tu arrives à te connecter ainsi. Il faut un sens de la pureté et de la sincérité. Une énergie sans filtre. On devient comme des enfants. Lorsque l’on a tourné le clip de la chanson Massa Den, sur le plateau, on nous a demandé d’arrêter de rire. On passe tout notre temps à rigoler parce qu’on éprouve ce plaisir d’être ensemble.

C’est la même chose avec Damon. Et ça tu ne peux pas l’expliquer. Ils m’ont tout de suite respectée. Ils m’ont souvent sollicitée pour travailler avec eux. C’était à mon tour maintenant de faire appel à eux. De venir croiser cette musique malienne abordée par une femme autrice-compositrice. Cela change beaucoup de choses parce qu’il y a davantage de réflexions et de recherches. C’est aussi plus confortable, car on se guide mutuellement : « Ça, c’est bien, on peut aller vers là, est-ce que cela te va ? Pourquoi pas ? On essaye ? À non ça ne marche pas … » C’est très beau.

La Face B : Ce sont de grands musiciens et qui ont des imaginaires gigantesques qui peuvent rejoindre le vôtre.

Fatoumata Diawara : Oui je crois que l’on a un quelque chose qui nous lie. En tout cas, on se sent bien musicalement. Rien n’est forcé, c’est naturel. Et c’est ce qui est important. La musique a besoin de la vérité pour fonctionner. Tu ne peux pas mentir avec la voix. C’est l’instrument le plus pur au monde. Même quand on ne comprend pas une langue, à travers la voix d’une personne, tu peux ressentir les vibrations de son âme.

La Face B : Inversement, qu’est-ce qu’ils ont retiré de vos collaborations ?

Fatoumata Diawara : Pour Massa Den, Matthieu est très content du résultat. Et moi pareillement. C’est vrai que l’on avait travaillé ensemble sur l’album Lamomali mais cela n’a rien à voir. Massa Den, c’est autre chose. C’est lui et moi, ensemble. Dans Lamomali, on était plusieurs, j’avais des petits bouts dans chaque chanson. Là c’est un duo, une vraie rencontre. Je pense que je le rencontre pour la première fois sans m’en rendre compte.

La Face B : C’est vrai que la chanson est magnifique.

Fatoumata Diawara : Elle est belle, elle est très très belle. Ce n’est pas pour me vanter, mais on fait ce métier pour cela. Quand c’est beau et si toi-même tu trouves une chanson belle, forcément les gens vont le ressentir. Parce que tu dois offrir d’abord la beauté de ton âme.

La Face B : Et puis dans London Ko, d’autres collaborations se sont tissées desservant également d’autres styles musicaux. Plus soul avec Angie Stone, rap pour M.anifest, jazz avec Roberto Fonseca, Pop africaine avec Yemi Alada

Fatoumata Diawara : J’ai l’impression qu’avec cet album, ceux qui s’intéressent vraiment à la musique vont trouver le futur de la musique africaine. Pas dans celle de la pop que l’on connaît aujourd’hui. Dans London Ko, on retrouve plutôt de la musique contemporaine, créée avec beaucoup de réflexion. On cherchait à créer un nouveau style. Je ne chante ni en anglais ni en français. Pourtant le langage est compréhensible par tout le monde. C’est universel. Et c’est quelque chose de rare. Soit, la musique est pop « dure » et on la comprend, soit elle est africaine – world music – et tu dois suivre un cheminement pour l’apprécier. Une musique qui réussit à associer les deux et qui soit fluide c’est rare. C’est ce que l’on a voulu atteindre dans ce projet et ça marche. On est en train de créer un nouveau style.

La Face B : Cela crée une ouverture vers d’autres sonorités 

Fatoumata Diawara : Angie Stone n’a jamais chanté sur un titre comme Somaw, et même s’il a une ligne de basse assez pop cela reste de la musique malienne. Je n’ai pas fait d’effort, j’ai juste puisé dans le patrimoine musical malien et j’ai chanté ma chanson. Quand elle l’a écouté, elle m’a dit « Ça a toujours été mon rêve d’expérimenter des chansons africaines ». C’est venu tout simplement. Et c’est comme cela que je vois la musique. Elle était très contente.

La Face B : Aujourd’hui, où le monde se déchire, la culture peut-elle encore être fédératrice et faire en sorte que l’on aille davantage vers l’acceptation de l’autre. La culture peut-elle encore être ce vecteur ?

Fatoumata Diawara : Certainement. Et je n’ai aucun doute là-dessus. En écoutant cet album, c’est l’exemple certain que la connexion entre artistes peut fonctionner et fonctionne. Beaucoup de gens nous suivent. Et forcément comme ils nous aiment, ils vont ressentir cette fusion, cette cohésion entre humains. C’est planétaire. Ça dépasse la musique. Il y a un grand message derrière tout cela. Matthieu est un artiste français, je suis une artiste malienne. Pourtant politiquement cela ne va pas trop entre le Mali et la France. Mais on s’en fout. On met les intérêts et nos envies avant la politique. Nous sommes d’abord des humains. Et en tant qu’artistes on ramène les gens vers cette humanité.

On dit : « Avant, nous étions frères. N’oublions pas cela. C’est ce qu’il faut souder » nous sommes une âme, nous sommes des frères et des sœurs, cultivons l’amour, cultivons la cohésion sociale. Gardons notre fraîcheur, car notre public a besoin de sentir que la fusion est encore possible. Que les liens sont encore bien tissés. La politique n’est qu’économique. Nous ne sommes pas qu’économiques. L’amour des gens doit être préservé. Les artistes travaillent sur ce lien fait d’un amour pur et basique. Nous sommes des êtres humains avant tout.

La Face B : En musique, le concert devient souvent un lieu de communion. On se sent ensemble réunis.

Fatoumata Diawara : C’est hallucinant. Mon public n’est pas malien. Il l’est peut-être à 10%. Les salles sont pleines, et on y trouve des gens de toutes les origines, des Asiatiques, des Arabes, des Français, des Anglais, des Allemands. Ça confirme le fait que nous soyons des humains d’abord. Je n’ai même pas besoin de chanter en anglais ou en français pour brasser autant de monde. Tu te dis que l’âme est encore présente. Que ce quelque chose existe encore. On ne peut pas le définir, mais il y a une vibration, une énergie qu’il faut préserver.  

Crédits photos : Cédric Oberlin

La Face B : Votre musique est porteuse de cet engagement. On pourrait se dire que le fait de chanter en Bambara pourrait être un frein. Mais non, l’émotion prend le dessus.

Fatoumata Diawara : Oui, je privilégie les émotions. C’est ce qui fait que je suis l’artiste malienne qui tourne le plus dans le monde. J’ai envie de guérir l’âme des gens. Dans mon enfance j’ai été confrontée à la dureté de la vie, j’ai eu des douleurs, des blessures. Je suis une enfant blessée, détruite au fond de moi. Quand je ne suis pas sur scène, je ne comprends rien dans ce monde. Tout va dans la division et il n’y a pas vraiment beaucoup de choses autour de nous qui nous ramènent à la lumière. On nous tire souvent vers l’obscurantisme. Et les enfants souffrent, les enfants sensibles comme moi. On les oublie. J’ai l’impression que l’on passe à côté de l’essentiel.

Du coup, la musique est pour moi un vecteur qui permet que l’on garde l’espoir de vivre. Et qui dit dépression, dit suicide. Cela peut vite tourner en dramaturgie. Il ne faut surtout pas en arriver là. Il faut que je survive pour sauver d’autres personnes qui sont comme moi. Et ces personnes n’ont pas de couleurs. Ils sont blancs, jaunes, noirs, ce sont des femmes, des hommes, des enfants qui viendront à mon concert.

Je me souviens de mon voyage à Oman, il n’y a pas longtemps. Des filles sont venues et ont pleuré quand elles m’ont vue. Elles m’ont dit : « On t’écoute pour garder l’espoir » pour être fière de notre féminité, pour se dire qu’une femme peut avoir aussi sa place dans un monde industriel très masculin. Un monde dans lequel les femmes sont souvent écrasées. Mais elles me disent : « Quand on te regarde, on a envie de travailler sur nos pianos, sur nos violoncelles. On sait que l’on peut aussi y arriver ».

En écoutant de tels témoignages, tu te dis que tu es en train de changer la vie de beaucoup de personnes sans même que tu t’en rendes compte. Car au fond, c’est le but. Dans ta dépression, tu décides de sauver les autres. C’est mon blues. Quand je fais de la musique, c’est une question de survie. Ce n’est pas pour l’argent. Sans la musique, je ne peux pas vivre. Ensemble, en me guérissant j’essaye de guérir. Je tends la main à toutes les personnes sur cette terre qui ont besoin de la lumière. La musique est la lumière.

Quand vous allez à un concert de Matthieu Chedid, tu te sens bien. Ce mec donne. Quand il joue de la guitare, il a envie de donner. Tu ne peux pas expliquer ça. C’est trop précieux, c’est très fort. Cette lumière est très puissante. On doit travailler sur cela. Aussi, la langue pour moi n’est pas importante. Le sujet et la langue viennent après. J’en profite pour changer la mentalité de la jeunesse malienne. Après les interviews, je vais donner quelques détails sur les thèmes abordés. Mais je vais plutôt privilégier des mélodies simples. Je vais pleurer les problèmes. Je veux chanter ces problèmes et l’espoir qui les accompagne. C’est le blues.

Crédits photos : Cédric Oberlin

La Face B : Les émotions d’abord. En dehors de votre prochain album et de la tournée qui va l’accompagner, envisagez-vous de vous impliquer dans d’autres projets comme vous avez pu le faire dans le Vol du Boli ?

Fatoumata Diawara : Non, je me suis un peu calmée. J’ai un projet de film dont j’ai commencé les enregistrements. Mais c’est surtout la tournée qui m’occupe en ce moment, j’ai pas mal de dates qui s’organisent. J’aimerais les faire toutes parce que le monde m’appelle et je dois répondre à cet appel. C’est vital. Je dois aller guérir les gens. Je dois aller leur faire du bien et aussi m’amuser. Qu’on s’amuse et que l’on oublie au moins pendant le temps du concert nos soucis quotidiens. Qu’on oublie tout pour laisser l’âme se reposer. Si tout le monde peut avoir ce petit moment avec moi, c’est déjà un grand rôle à jouer dans cette humanité.

Donc j’ai une très grande tournée qui arrive et il n’y a pas grand-chose autour. Mais c’est déjà énorme, car je vais parcourir le monde entier. Il y a les voyages, on ne dort pas beaucoup. Réussir à tout assurer est déjà un challenge en soi. Chaque concert est comme un nouveau jour. On donne beaucoup d’énergie. On donne tout ce que nous avons dans notre cœur comme s’il s’agissait de notre dernier concert. C’est une lourde responsabilité.

La Face B : Et pour la dernière question, que peut-on vous souhaiter ?

Fatoumata Diawara : La santé, la vie. Et que mon public soit ouvert à mes messages. Que cet album serve à quelque chose pour tous ceux qui auront la chance de l’écouter. Qu’à un moment ils puissent se dire : « Ah, ça me relaxe, ça me fait du bien ». Que l’album participe à leurs énergies positives. Cela me suffit. Si vous me le souhaitez, cela me fera beaucoup plaisir. Et si cela marche, on aura gagné quelque chose.

On a besoin de ces moments. Le monde nous vole parfois ces moments où l’on se sent relaxés. On nous préoccupe de trop de choses inutiles. On passe à côté de l’essentiel, de la vie. Et si de temps en temps il y a des musiques qui arrivent et qui nous ramènent à l’essentiel, ne serait-ce que la conscience de son corps, on pourra se dire : « En fait, tout va très bien ». Ne pas s’inquiéter, tout va bien aller. L’espoir, la lumière encore une fois. 

London Ko sort le 12 mai et Fatoumata Diawara sera sur scène le 23 mai au Théâtre Sébastopol de Lille et le 24 mai à la Salle Pleyel à Paris.