yyellow : Les roses fânent mais ne meurent jamais

Un coup de tonnerre retenti. Une fine pluie d’automne commence à tomber et les fantômes oubliés des ruelles brumeuses refont surface. Il y a une semaine, le 17 novembre précisément, yyellow entamait son retour avec l’album Cradle Of Roses. Sorti sur les labels Flippin’ Freaks et Nothing Is Mine, le projet mené par sa tête pensante Eoìn Ò Cóast, insuffle sur la scène bordelaise déjà très active et florissante, un rock hybride, dreamy et gothique qui aurait macéré dans une pop new wave des plus industrielles. Avis à tous les amateurs de Nine Inch Nails, Talk Talk, Depeche Mode et Happy Mondays, le voyage au centre d’un monde clair-obscur où espoir, angoisse, fantasmes et noirceur s’affrontent sur un champ de bataille, est lancé. Écoute intégrale et chronique de l’album.

Sans aucun doute, ce disque peut être perçu comme une thérapie, une auto psychanalyse, un examen précis et sentimental qu’Eoìn Ò Cóast effectue sur lui-même. Et cette introspection commence avec le morceau A2. Ballade poétique et amoureuse chantée… en français ! Oui, absolument, tout au long de l’album le leader, de sa voix fiévreuse et enivrante, alternera entre sa langue maternelle, et celle parlée outre-Manche. Cette entrée en matière, donc, instaure un climat oscillant entre nostalgie, mélancolie et joie désabusée. Les synthés complètement eighties planent sur les saccades de batterie et les guitares plongées dans les chorus et les reverbs s’envolent et font naître une ambiance extatique et sensuelle.

Eoìn Ò Cóast aka yyellow. (Crédits photos : Clément Pelofy)

La nappe de brouillard s’épaissit avec Cuffs. Coup de maître gothico-new wave rappelant à coup sûr les années dorées de Depeche Mode et la noirceur industrielle infusée d’EBM de Nine Inch Nails. Le tout est orchestré avec une surprenante habileté à rendre pop ce qui est ésotérique, à rendre chaud et puissant ce qui est glacial et terne. La voix envoûtante d’Eoìn Ò Cóast, plaintive mais assurée et vigoureuse, n’en finit pas de déclamer, de raconter, d’expliquer, tel un spectre qui se hanterait lui-même tout en chantant pour calmer les tortures de son âme.

Une radio grésille. Ce qui semble être de vieux démons essayent de communiquer avec nous à travers le bruit parasite. Puis, vient Cathedral. Sorti il y a deux mois, ce premier single clippé annonçait la sortie de Cradle Of Roses en posant la base d’un univers esthétique sonore et visuelle christique, crépusculaire, vaporeux et sépulcral. Beaucoup plus lancinante, cette track est une croisière noire et déroutante au milieu des cimetières et des vieilles églises. C’est la perdition, la recherche infinie de soi-même et pourtant la fuite de notre propre ombre également. La drum, lente et pénétrante, laisse place à des envolées de guitares presque psychédéliques qui transpercent l’âme et le coeur.

L’échappée continue. On s’enfonce un peu plus dans la dépression et l’autocritique. La dimension psychologique de Cradle Of Roses s’affine et se dévoile avec le titre J.N.C.P.E.M (littéralement l’acronyme de « Je ne crois pas en moi »). C’est ici-même qu’Eoìn Ò Cóast pose un bilan sincère et amer. Mais quel bilan ? Celui de son propre rapport à la performance, au succès et à la simple et bonne angoisse existentielle d’être vivant et de devoir servir à quelque chose. On peut par exemple entendre Eoìn affirmer : « Je ne finis rien, Dans tout ce que j’entreprends ». Ce qui n’est pas entièrement vrai vu la petite pépite qu’est Cradle Of Roses. Et on ne s’étalera pas sur la fine et subtile composition de ce morceau qui, entre violons aériens et guitare folk éthérée, est d’une puissance transcendantale majestueuse.

Vous vous souvenez ? Il y a deux semaines yyellow était apparu dans les clips de la semaine, et c’était avec ce single clippé nommé Lock Me In Your Basement, sorti juste une semaine avant la naissance publique de cet album, que l’on avait commencé à parler du projet ici-même sur La Face B. Assurément le titre le plus pop et le plus accessible du disque, Lock Me In Your Basement fait office d’affirmation quasiment testamentaire quant aux désirs, aux fantasmes et aux passions du leader du band. Telle une plongée érotico-mystique personnelle dans les tréfonds de l’inconscient, ce morceau a tout d’un Kinky Afro de Happy Mondays en plus sulfureux, plus moderne.

Et comme une bouffée d’air frais, Clouds vient nous envelopper. Traduction évidente de la versatilité et du génie artistique d’Eoìn Ò Cóast, ce virage vers la partie plus intimiste de Cradle Of Roses exprime à quel point ces neuf titres ont été pensés, composés et enregistrés avec sincérité. Le titre de ce morceau porte bien son nom. Les nombreuses guitares viennent napper l’espace sonore, se perdent dans un ciel immaculé et font partir en éclats les peurs, les sanglots, les doutes, pour un moment de pause au milieu des écorchures et des désillusions.

Mais le disque regorge également de mystères, d’épouvantes et comporte également bien entendu une facette plus expérimentale, comme le montre l’énigmatique interlude Tous Les Porcs Sont Alignés. Cauchemar flottant et impénétrable rempli d’entités infernales, de rituels interdits et d’êtres étranges nous dictant des phrases aussi cryptiques qu’effrayantes et dans lequel les synthés sombres se mêlent avec brio à des guitares qui résonnent dans des paysages lointains.

Eoìn Ò Cóast aka yyellow. (Crédits photos : Clément Pelofy)

Le même pattern mélodique que dans l’interlude précédente continue de résonner, mais cette fois-ci à travers des synthés nébuleux et obscurs, rythmé par une boite à rythme taillée pour des clubs qui seraient restés figés dans les années 80. Bétail surprend par sa radicalité électronique presque EBM et nous envoie dans un final des plus magnétiques, des plus subjuguants.

The Ostrich vient conclure l’album de manière sinistre et inquiétante. Montée stupéfiante et effroyable, à mi-chemin entre dark ambient, musique expé et musique gothique, cette conclusion apparait comme plus que logique et cohérente.

Finalement, yyellow impose complètement son style à part et très personnel avec ce nouvel album qu’est Cradle Of Roses. À la fois intimiste et profond, mais aussi parfaitement accessible et ouvert, ce disque illustre habilement et humblement l’hyper-modernité déjà décadente à laquelle on fait face tous les jours et les angoisses qui viennent avec. Il est une fenêtre sur les abysses de l’inconscient de son géniteur, fenêtre qui fait office de miroir, éventuellement, pour tous ceux qui l’écoutent.

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