Le samedi 06 juillet, Fishtalk vient à peine de quitter la scène de Beauregard lorsqu’on retrouve Corentin, le guitariste du groupe. En ce samedi d’avant élection, on a forcément parlé avec lui de politique mais surtout de la création et de l’histoire de Out, le deuxième EP de la formation caennaise.
La Face B : Comment ça va ?
Fishtalk : Ce n’est pas une période très facile, mais je pense pour personne. Pour rappel, on est dans l’entre-deux tours et ça vote demain. Ça va à peu près. On est contents d’être là mais on ne perd pas de vue tout le reste.
LFB : Est-ce que ce n’est pas surprenant pour vous de jouer aussi tôt ? J’ai l’impression que votre musique est beaucoup plus nocturne.
Fishtalk : Grave. On se posait la question cet après-midi avant de monter sur scène si on avait déjà joué aussi tôt dans la journée dans notre vie. On ne croit pas. C’est un peu bizarre de jouer quand il fait jour. Déjà, parce qu’on a plein de pédales et du coup, pour savoir si elles sont allumées, ce sont des petites lumières et moi je ne voyais absolument pas mes lumières. Donc c’était un peu relou. Ça et le fait de voir le public. C’est assez perturbant, surtout quand il n’y a pas beaucoup de public.
LFB : Ça te permet de profiter de tout le festival aussi.
Fishtalk : Oui voilà, ça va être cool.
LFB : Vous venez de sortir un nouvel EP, qui s’appelle Out. J’aime beaucoup le titre parce que j’ai l’impression qu’il peut avoir plein de sens. J’ai l’impression que c’est un EP dans lequel vous avez sorti à la fois tout ce qui vous mettait en colère et tout ce qui vous faisait peur. Et musicalement, toutes les énergies et influences que vous ne vous seriez pas autorisés à sortir avant.
Fishtalk : Carrément. C’est exactement pour ça qu’on aimait bien ce nom d’EP. En fait, il y a le fait d’extérioriser tout un tas de choses de l’ordre de l’émotion, de la colère ou des choses comme ça. Il y a le fait de s’assumer un peu plus donc il y a le côté un peu plus coming-out à la fois musical mais aussi politique parce qu’on s’est permis d’être un peu plus explicites sur les textes aussi. On s’affirme sur scène aussi. Donc c’était pour toutes ces raisons.
LFB : Est-ce que vous avez l’impression que c’est un renouveau et que c’est la véritable identité de Fishtalk par rapport au premier EP, où c’est souvent un peu flou, tu as certaines influences mais tu ne sais exactement où tu veux aller ?
Fishtalk : Exactement. Le premier EP, on avait des références communes à ce moment-là, on commençait tout juste à faire de la musique. Donc forcément, on collait un peu plus à nos influences. Après, de là à dire que cet EP nous correspond à 100%, je trouve que ce n’est jamais vrai parce que le temps que tu sortes ta musique, il s’est passé à chaque fois beaucoup de temps. Et là, la musique qu’on a envie de faire aujourd’hui, elle est encore différente de celle de l’EP qu’on vient de sortir. Je pense que c’est pour tous les groupes pareil. C’est lié à nos temporalités de travail.
LFB : Oui, tu as toujours le fait que tu aies un an d’attente.
Fishtalk : Grave. Les chansons, ça fait deux ans qu’elles sont faites. Donc entre le temps de les enregistrer, de les mixer, de les faire masteriser, de faire la promo, les clips, tu te réveilles et ça fait deux ans.
LFB : Je pense que vous n’aviez pas fait énormément de live avant le premier EP. En quoi l’expérience de la scène vous a influencés dans la création de votre musique ? Quand j’écoute le deuxième EP, tu sens qu’il y a un truc beaucoup plus collectif et compact dans le son et dans la manière dont il ressort.
Fishtalk : Ce n’est pas qu’on n’avait pas fait beaucoup de scène avant le premier EP, c’est qu’on n’avait pas fait de scène du tout. Du coup, on a composé les chansons couches par couches, limite chacun/chacune de notre côté dans nos chambres. Limite à ne pas réussir à s’arrêter de rajouter des couches. Du coup, quand on s’est retrouvés sur notre première scène à essayer de traduire ça en un set live, on s’est retrouvés carrément bloqués. Du coup, on s’est demandés ce qu’on faisait de ces chansons et on s’est rapidement rendu compte qu’il fallait qu’on en crée des nouvelles. Celles qu’on a faites, c’était vraiment en config live, c’est-à-dire on est quatre, on joue et c’est comme ça qu’on a composé grosso modo les six chansons du deuxième EP.
LFB : Est-ce que c’est important d’avoir une musique qui reste vivante ? Les morceaux que vous avez faits, du fait de leur longueur aussi, ils évoluent, peuvent surprendre et bifurquent parfois. Ça peut aussi être compliqué parce qu’il faut figer un morceau.
Fishtalk : Ouais. En termes de compo, je trouve ça hyper intéressant de travailler comme ça. En vrai, comme un peu tout le monde, on fait de la musique avant tout pour se faire plaisir et du coup, on fait des chansons qui nous font plaisir. Il se trouve que les chansons qui nous font plaisir sont des chansons qui évoluent. Effectivement, au début, on a des bouts d’enregistrements sur nos portables qui font 40 minutes et on se dit qu’il faudra que ça arrive de là à là. Du coup, de là on essaie d’arranger, de faire des collages, souvent des crescendo d’ailleurs. On se dit qu’on fait un peu trop de crescendo dans nos chansons, il faudrait qu’on arrive à faire autre chose un jour. Je trouve ça hyper intéressant de composer comme ça.
LFB : Il y a un travail de post-création qui doit être hyper important comme tu le dis.
Fishtalk : Grave. Il y a un premier taff où on joue ensemble, on fait des trucs qu’on trouve bien ou pas. On enregistre de la matière. Après, on réécoute et on se dit que ça c’est intéressant. Du coup, on part de là et on essaie d’arriver à un autre bout qu’on a sélectionné. C’est un taff qui est long, qui a plusieurs phases.
LFB : Je suppose qu’il marche aussi par rapport aux textes. J’ai l’impression que le texte à un côté très acéré, tranché sur certains mots et sur certaines idées, tout en gardant une force poétique assez forte aussi.
Fishtalk : Jusqu’ici, le texte arrive toujours après. Dans la phase de compo, Mathilde dans sa tête pense soit à un rythme, parfois elle a des idées de paroles. Le texte arrive dans un second temps mais la manière de placer le chant arrive souvent assez tôt, même si les paroles ne sont pas là.
LFB : Tout le monde intervient sur le texte ?
Fishtalk : C’est surtout Mathilde, qui fait je pense 90 % des paroles. En gros, quand il y a des trous dans les chansons, on est là, on prend nos carnets.
LFB : Est-ce que pour vous c’était important de revenir à une certaine idée politique de la musique, qui était de moins en moins présente et qui revient de plus en plus dans le rock en France depuis quelques années ?
Fishtalk : Ouais, c’était hyper important mais c’est arrivé de manière… La politique est arrivée dans notre musique parce que la politique est arrivée dans nos vies. On s’est vachement sensibilisés à beaucoup de choses et on a vécu des choses. Mathilde a vécu des choses aussi pas forcément faciles. Nous-mêmes, on a chacun/chacune découvert des choses sur notre identité. Tout est devenu moins évident que « on est un groupe de rock avec trois mecs et une fille ». Ça n’est plus vrai. Tout ça est arrivé un peu en même temps et du coup, ça s’est fait assez naturellement d’intégrer ça à notre musique parce que pour nous, ça n’avait pas de sens de séparer ça. Effectivement, ce qui nous a aidé, c’est de voir qu’il y avait des groupes qui commençaient à assumer leurs positions politiques et à se servir de la place qu’ils avaient en tant que musiciens/musiciennes pour transmettre des discours politiques. Du coup, ça nous a un peu aidés à le faire.
LFB : De dire que vous n’êtes pas seuls sur cette scène-là parce que c’est vrai que si tu regardes l’évolution du rock, c’était devenu soit un truc très hédoniste, soit un truc pas forcément connecté avec le réel. J’ai l’impression que votre musique, surtout dans l’EP, est très ancrée sur le réel. Ce qui est politique aussi, c’est que vous défendez et parlez de choses que vous avez réellement vécues.
Fishtalk : Sur la scène rock, ce qui est marrant, c’est qu’on s’aperçoit… Quand tu fais de la musique et que tu tournes un peu, tu rencontres vachement de gens. On s’aperçoit que les relations et les amitiés qui restent, ce n’est pas forcément avec les autres groupes de rock. Parce qu’effectivement, à part quelques groupes très en avance là-dessus, ça reste quand même beaucoup de groupes de mecs qui sont là pour kiffer leur life. Très bien pour eux mais ça fait qu’on a plus de mal à accrocher. Donc on se retrouve vachement à traîner avec des gens qui ont des projets très différents des nôtres mais finalement, ça enrichit peut-être notre conception de la musique et ce n’est pas plus mal en fait.
LFB : J’ai l’impression que même sur scène, il y a un côté qui est plus proche du jazz ou de la musique électronique où vous laissez beaucoup plus place à l’improvisation et à l’énergie qui peut passer sur le moment.
Fishtalk : Ouais, alors en ce qui me concerne, il y a 0% d’improvisation. Mais Isma plus, iel se laisse plus la place d’expérimenter avec ses textures sonores. Moi, c’est plutôt globalement toujours la même chose. Ça me rassure. Je ne pourrais pas faire de jazz. Moi le fait de jamer, ça m’angoisse, ça me fout des sueurs froides. Mais ouais, il y a un truc de l’énergie où je trouve que ça se rapproche vachement plus des concerts que j’ai pu faire d’électro où c’est un truc un peu intérieur, un peu plus méditatif. J’aime bien être dans ma tête et je ne suis pas trop du genre à affronter le public, à mettre le pied sur le retour, même si ce sont des choses que je peux apprécier mais ce ne sont pas des choses que j’apprécie de faire dans ma musique.
LFB : On parlait du temps de latence entre la création et le fait de l’amener au public. Là, vous êtes dans quelle phase ? L’EP est sorti il y a deux mois mais limite, vous pensez déjà à ce qui va arriver par la suite.
Fishtalk : Ouais, là c’est le dernier concert qu’on a de la saison. C’était une grosse phase de deux ans, de faire des concerts et parallèlement finir l’EP, faire nos releases, faire quelques concerts pour soutenir l’EP. Là c’est le dernier, c’est un peu un soulagement aussi. Dire ok, on se remet en grotte. On prend des vacances déjà parce qu’on s’est beaucoup vus ces deux dernières années. On prend des vacances et après, on se retrouve, on se met dans une pièce et on voit ce qu’on a envie de faire. Ça va être trop bien et on a clairement besoin de ça là. Il n’aurait pas fallu plus je pense.
LFB : Est-ce que tu as envie toi de diminuer ce temps de latence entre la création et la sortie ?
Fishtalk : Carrément. Ce sont des choses auxquelles on réfléchit. On essaie de trouver des solutions pour qu’il y ait moins d’inertie dans le projet. Ça va sans doute passer par le fait d’essayer de péter le format EP/album. Il y a plein de gens qui sortent chansons après chansons. On se dit pourquoi pas essayer ça ? Voilà, la prochaine phase de Fishtalk, ça sera peut-être 10 singles qui vont sortir. On ne sait pas.
LFB : J’ai envie de te laisser le mot de la fin donc je te laisse t’exprimer sur quelque chose que tu as envie de partager avec nous.
Fishtalk : C’est compliqué le mot de la fin. C’est une période assez compliquée pour à peu près tous les gens que je connais, du coup je pense que c’est important de faire groupe et communauté dans ces moments-là. On fait partie d’un truc qui est en train de se monter qui s’appelle « le front des musiques indépendantes ». Là, ça avait une visée électorale mais on va chercher à pérenniser le truc pour l’utopie de re-politiser la scène indé et tout ça. C’est quelque chose qui, en ce moment, donne beaucoup de sens à ma pratique musicale et me donne pas mal d’espoir. Même si je flippe de ouf pour la politique. Je pense que c’est important de faire communauté et de prendre soin les uns des autres.