La scène noise/post-hardcore attendait de pied ferme les Suisses de Coilguns. Leur quatrième album, Odd Love est enfin là. Le groupe s’est laissé porter et envoûter par les paysages célestes de la Norvège pour un enregistrement aux petits oignons, qui plus est, entouré de grands noms côté production, mix et mastering.
Odd Love est le nouveau-né du groupe suisse composé de Jona Nido à la guitare, Luc Hess à la batterie et Louis Jucker au chant. Paru sous le label Humus Records (leur propre label), l’album a été confectionné avec soin et dans les meilleures conditions. Le groupe s’est notamment entouré de Tom Dalgety côté production et de Robin Schmitt pour le mix et le mastering (tous deux nommés aux Grammy Awards). Effectivement, on ne peut rêver meilleures circonstances pour donner vie à un album, le tout dans un cadre idyllique incarné par la Norvège.
Un visuel brûlant.
Du côté du visuel de Odd Love, on est vite frappé par la photographie percutante qui permet de l’illustrer. Un feu énorme occupe la majorité de l’espace. Un homme, tout petit face à cette entité de feu, subit ce spectacle tête baissée. Il est dévêtu, comme en proie à un profond désarroi. Le cadre est posé d’emblée et laisse imaginer la suite.
Coilguns passe la première avec We Missed The Parade, un morceau qui se pare de mélancolie alors que la vitesse règne. Incluant un sentiment de tristesse marqué par le pattern de la guitare, c’est dans cette brutalité que celle-ci s’épanouit. Une impression empreinte d’un monde qui va trop vite, d’un monde qui brûle. Finalement, les émotions n’ont plus leurs places. Ce monde toujours plus violent où on ne s’écoute pas, où ressentir devient un fardeau. Un monde en constante évolution qui altère notre humanité, tait sa place. Le processus d’accélération et/ou de destruction est enclenché.
Placeholders, notre préférence.
Placeholders succède à We Missed The Parade. Avec comme trame une lourdeur poignante, les tambours battent dans la nonchalance des sifflements. Les sifflements prennent vie comme une voix à part entière. Les chœurs entêtants se fraient un chemin à travers les instruments comme un souffle rauque venu balayer l’abysse naissante. Comme un vent qui, par son souffle, permet le renouveau. Une lueur d’espoir peut-être ? Quoiqu’il en soit, on se doit de donner un coup de cœur à ce morceau.
S’ensuit Generic Skincare. On pourrait croire aux premiers sons qu’il est le titre le plus posé de l’album mais c’est un leurre. Le calme avant la tempête. C’est Coilguns ne l’oublions pas. Les musiciens sont des plus percutants comme s’ils se lançaient dans une lutte effrénée contre les éléments. On est frappé par ces incantations électriques et brutales.
Un hurlement collectif.
Puis, Black Chyme apparaît et étouffe l’atmosphère de sa noirceur comme si une épée de Damoclès pendait sur le monde, prémisse à un certain malheur. Une pause s’opère et un son venu de l’enfer se déverse sur les auditeurs. Ce morceau constitue le hurlement collectif de Coilguns comme si le jugement dernier était imminent. L’impératif consiste à cracher des mots avant de ne plus pouvoir. Parce-que nous sommes à l’aube d’un monde qui s’autodétruit.
Bandwagoning poursuit cet éclat sonore. Il se mue en révolte. À ce moment, on s’imagine très bien un petit wall of death des familles sur un live. Bandwagoning est le dernier titre dévoilé avant la sortie de Odd Love. On vous en avait déjà parlé il y a quelques semaines ici. Le son qui en émane paraît donner de la puissance à quiconque, de l’intensité, l’impression d’invincibilité.
En outre, Caravel opère une scission. L’énergie de ce titre est différente dans sa manière de déclamer notamment. Coilguns sonne les cloches, l’heure est grave mais appelle à l’espoir. En fin de morceau, la décadanse l’emporte et tout part à volo.
Venitian Blinds semble questionner notre posture face à tout ça. Se laisser aveugler, laisser le désespoir nous envahir ou choisir la grâce ? Que faire, comment se comporter dans ce monde qui part en vrille ? Que choisir ? Passivité ou activité ?
La fessée noise/post-hardcore.
Featherweight complète Venitian Blinds. Les interrogations se poursuivent après une longue introduction. On croit faussement rentrer dans un morceau de rock prog. Et non, c’est une grande claque bien noise et bien hardcore comme savent le faire les quatre compères. Comment faire face ? Faut-il se créer une façade pour affronter la vie tout en conservant un brin d’amour et d’optimisme ? Quoiqu’il en soit, il est crucial de se soutenir même si parfois tout paraît si vain et si futile.
The Wind To Wash The Pain fait écho à la soufflante de Placeholders. Des cycles se perpétuent que le vent vient souffler. Un moment figé dans le temps où il n’existe ni émotion, ni mouvement. C’est ce souffle qui commande, qui fait un reset. Un mauvais cycle peut laisser la place à un bon. Ce titre apporte une entrée en matière douce et mélancolique, lente et délicate. Le moment est solennel. Le début est la fin, la fin est au début, ce n’est qu’une question de point de vue. Une complainte qui vient adoucir la violence.
crédit photo Andy Ford
Bunker Vaults, dernier titre de l’album, se décline en deux entités. Une introduction qui se veut très atmosphérique pour un démarrage en douceur. Puis, une perte de contrôle, largement audible, prend le relais. Le ressenti traduit une évolution de la société qui change son comportement, se terre dans la noirceur et les émotions négatives pour finir par s’y complaire. L’opus termine en apothéose. Les riffs sont lourds et suintants. Bunker Vaults transpire la brutalité qui se confond avec l’amour. L’amour, oui, car c’est tout ce chemin parcouru ensemble en tant que groupe et cette joie palpable de jouer ensemble qui transparaît cependant. L’aboutissement de plusieurs années de travail dans un éclat qui sonne le glas. This is the end.
« Étrange amour ».
Odd Love est, comme beaucoup d’albums, un enfant du covid. Écrit en grande partie par le guitariste Jona Nido, c’est dans ses textes qu’il a exorcisé le tumulte et la brutalité de notre monde. La composition musicale qui englobe ces mots accentue ces aspects tout en s’attardant sur quelques pointes d’amour. Odd Love ou “étrange amour” traduit le paradoxe qui se crée entre ce qui est aimé et adulé, et ce qui est finalement haï. Stupéfiant mélange de passions contradictoires, il est une catharsis des membres du groupe comme de notre monde. Deux échelles différentes mais qui finissent par se rejoindre, qui se font écho. C’est un album très personnel même s’il évoque des sujets globaux. On retrouve Coilguns là où on les attendait. Une belle cure de noise et de post-hardcore à la portée de toutes et tous.