2024- Les coups de coeur de La Face B – Acte IV

Le rendez vous devient un classique; comme chaque année la rédaction de La Face B a aiguisé ses plus belles plumes pour vous offrir ses albums coups de coeur du cru 2024. Tout de suite, la quatrième partie de nos coups de cœur annuels.

Faye Webster – Underdressed at the Symphony (Pierre)

Après s’être fait connaître grâce à une folk influencée par des racines r’n’b et rap, la jeune Faye Webster continue d’alimenter sa musique d’influences diverses qu’elle arrive à, aisément, faire cohabiter. Pour son dernier opus, Underdressed at the Symphony, c’est du côté de la country que se dirige l’album. Sous une voix feutrée viennent alors se mélanger guitares lancinantes et cuivre majestueux. A mi-chemin entre la musique homemade et celle réservée pour les grandes occasions, cet album est une ballade de 36 minutes aussi hypnotique que symphonique.

Hypnotisante de par la voix de son interprète qui, même en répétant en boucle Thinking About You arrive à en faire un élément à part entière de la musicalité du morceau qui ne cesse d’évoluer, ouvrant parfaitement l’album qu’il introduit. C’est dans cet aspect évolutif que le projet se montre symphonique : constamment surprenant, il offre une riche variété d’instruments et de leurs utilisations. 

Son timbre de voix, chargé d’une nostalgie aussi douce que douloureuse, accompagne un récit fait de peine de cœur et d’une fatalité juvénile sur la vie d’adulte qui l’entoure. Si une dose de fatalisme habite ses chansons, elle garde une certaine ironie bienvenue pour aérer son propos. Cette dernière vient d’une approche parfois enfantine sur la manière de se raconter, comme sur Lego Ring, une collaboration avec son ami rappeur, Lil Yachty.

Constamment en train de laisser le récit percoler dans la tête de ses auditeur.ice.s en laissant simplement les mélodies se jouer, elle montre une gestion intéressante des silences, créant une pièce musicale immersive qui ne demande qu’à être jouée en boucle. 

L’album élève la manière dont elle s’approprie la folk, en jouant par moment avec des effets de voix audacieux et dans l’air du temps, conférant à ce projet une aura intemporelle que seul le temps pourra affirmer. 

Gringe – Hypersensible (Éloïse)

Gringe nous a pris par surprise avec son deuxième album solo, Hypersensible, quelques six années après la sortie d’Enfant Lune. En le voyant apparaître sur le grand écran et dans les librairies, on était nombreux à avoir jeté l’éponge. Pourtant, il signe là son projet musical le plus abouti et personnel, selon moi. Une claque, tout simplement, et un album qui méritait amplement de maturer pendant toutes ces années.

Hypersensible, c’est une introspection, un cheminement des tréfonds de l’obscurité vers la lumière. De titre en titre, Gringe se dévoile en nous parlant de la société, des violences policières, d’addictions, de dépression, de vulnérabilité. Comme un éclaireur, il nous donne à voir tout ce qu’il a trouvé en chemin, et nous entraîne dans un tourbillon d’émotions auquel on n’était pas préparé. 

Ce qui ressort de l’album, c’est que Gringe n’essaye plus de se cacher ou de se calquer à ce que l’industrie attend de lui. Il jette les armes et se montre dans toute sa sensibilité. Impossible de ne pas prêter l’oreille à ses confessions, se retrouver dans ses états d’âme ou être ému par ses tiraillements. 

Pour ma part, j’ai été tenue en haleine du début à la fin. Si je le place volontiers sur le podium de 2024, c’est parce que j’ai plusieurs fois été touchée en plein cœur au détour d’une phrase, qu’il est d’une sincérité rare, et que les prods de Tigri sont parfaitement taillées pour chaque morceau.

D’ailleurs, on a tellement aimé l’album qu’on en a fait une chronique et une interview – n’hésitez pas à y jeter un coup d’œil si vous hésitez encore à vous plonger dans le disque !

The Red Clay Strays – Made By These Moments (Léna)

Avec leur deuxième album Made by These Moments, sortie en septembre 2024, les Red Clay Strays confirment leur statut de figure montante de la scène rock américaine. Originaires de Mobile en Alabama, les cinq musiciens livrent un opus puissant, produit par Dave Cobb (connu pour son travail avec Chris Stapleton et Jason Isbell), qui explore des thèmes universels comme la rédemption, la solitude et l’espoir, avec une intensité sincère.

L’album s’inscrit dans un mélange vibrant de rock sudiste, de gospel et de country, le son du groupe comme une extension et un témoignage de la terre d’où ils sont issus et qu’ils portent toujours avec eux. Made by These Moments s’interroge sur les épreuves humaines et la quête de liberté intérieure, des sujets ancrés dans la tradition narrative du rock américain. Passant du désespoir sur des titres comme Wanna Be Loved et le dévorant Drowning, les Strays évoquent une résilience toute aussi puissante sur des morceaux comme le féroce Wasting Time et le résolu I’m Still Fine. On peut entendre l’âme du sud des Etats-Unis dans le rock endiablé Ramblin’, évoquant avec ferveur une année mouvementée sur la route, et sentir l’atmosphère des small towns dans l’hymne aux accents gospels On My Knees, qui évoque des visions de bancs remplis à chaque « Praise the Lord », ou dans le blues enflammé du profond Devil in My Ear. Revendiquant un lien ténu avec la religion catholique, ils invoquent une puissance supérieure sur la dernière chanson de l’album, God Does, qui évoque un réconfort trouvé sur les routes sinueuses.

La voix charismatique du meneur Brandon Coleman, rappelant des légendes comme Johnny Cash ou Elvis Presley, oscille entre puissance brute et douceur et se marie parfaitement aux riffs de guitare et aux rythmes entraînants du groupe. Cette combinaison donne à l’album une ambiance de concert live, capturant une intensité rare en studio.

Avec Made by These Moments, les Red Clay Strays consolident leur place parmi les groupes les plus prometteurs de leur génération. Leur capacité à mélanger tradition et modernité, puissance et sensibilité, laisse entrevoir un avenir brillant pour ce quintet à l’identité déjà marquante.

Retrouvez notre chronique ici.

Fontaines D.C. – Romance (Anthony)

Rien ne peut stopper leur ascension tant leur talent est incommensurable. Les irlandais de  Fontaines D.C. ont sorti leur quatrième album en cinq ans. On peut d’ores et déjà saluer leur immense productivité. On peut également être ébloui par ce parcours sans faute où chaque année, la formation parvient à évoluer son esthétique musicale à vitesse grand V. Dans Romance, on y trouve leur premier grand hymne qui a fait bondir leur renommée: Starbuster. Écrit en pleine tournée, Grian Chatten blague et pond ce morceau qui lui sert de réconfort suite à une crise d’angoisse à la gare de Saint Pancras de Londres. Les sonorités viennent mixer le post-punk avec le hip-hop (ils sont proches de KNEECAP)  tout en flirtant avec l’electronica. Le groupe parvient à sortir des contes irlandais pour embrasser des chemins plus audacieux.  

De plus, le leader et chanteur arrive à l’âge d’or de son art. Sa voix devient plus vibrante et théâtrale que par le passé, partageant davantage d’émotions comme si cela n’était déjà pas suffisant sur I Love You.  Il vient nous confier avec innocence et passion ses sentiments perdus sur In this Modern World.  Il n’y a pas plus belle composition contemporaine qui nous fasse autant larmoyer. Tout comme Bug créé pour la soundtrack du film Arnold, chaque piste se veut être un instant épique d’une romance hollywoodienne. La patte de James Ford apporte plus de.clarté et de lenteur à leur production musicale. Il parvient ainsi à mettre en valeur la qualité de chaque musicien où tous participent en support vocal désormais. Ces onze nouveaux titres s’immiscent déjà parfaitement dans l’intégralité de leur set en live comme ce fut le cas au Zénith cette année. Ils sont ancrés dans nos esprits pour nous accompagner le reste de notre existence.

Fontaines D.C. a su mettre de la finesse sur leur jeu, signe d’un groupe plus mûr que jamais Les influences 90s marquent cet album sans jamais être accentuées. Here’s The Thing et Death Kink grésillent à volonté avec une basse lourde en prime qui nous rappelle les débuts de Blur. On goûte également au shoegaze enivrant de Sundowner qui est sans conteste l’œuvre la plus détonante de l’album. Le bijou ultime reste le final Favorite qui navigue sans fin vers deux horizons contraires : la joie et la peine. Il rend hommage à l’amitié et aux doux souvenirs du passé, nous rappelant la même force du titre Heaven de The Walkmen sorti en 2012. Romance se veut ainsi plus raffiné que les précédents opus en mêlant l’énergie des premiers essais à la mélancolie du futur. 

Jordain Rakei- The Loop (Manu)

Londres est l’une des quelques centrales créatrices en ce qui concerne l’étroit monde du Jazz. L’australien Jordan Rakei fait partie de ces artistes qui déconstruisent et redéfinissent des frontières musicales trop établies dans le passé. The Loop, même s’il s’insère dans la scène londonienne, ne s’inscrit pas de manière acharnée dans le moule du Jazz. Il s’en écarte même à de nombreuses reprises comme sur le groovy et irréprochable Trust qui emprunte au Funk.

Cette pluralité de sonorités amène le compositeur à prendre le chemin d’une musique par moment très intimiste et touchante. Les exemples de Hopes and Dreams, Miracle et A Little Life sont des illustrations parfaites de cette tendance. Des ballades douces, qui témoignent d’une indéniable qualité d’écriture hors-normes permettant à l’artiste de s’exprimer sur des sujets personnels comme sa récente paternité.

Le savant alliage dont  fait preuve Jordan Rakei est hors-normes et nous prouve une nouvelle fois à quel point il est doué et doté d’une force artistique hors du commun. Pour tout fan de musique vivante, The Loop représente un bijou moderne qui ne doit pas être ignoré tant sa qualité et toute son énergie impressionne autant qu’elle fascine.

Jordan Rakei est à retrouver en interview par ici

UTO – When all you want to do is be the fire part of fire (Damien)

Notre rapport avec la musique, basé sur notre propre ressenti, est forcément subjectif. Souvent, nous préférons laisser l’illusion opérer sans chercher, sans arriver à déterminer ce qu’elle anime. Est-ce essentiel de comprendre pourquoi un morceau nous touche ?

À moins de rester au niveau de l’émotion qu’il nous procure, je n’en suis pas certain. Pour autant, ce qui pourrait caractériser la musique d’UTO serait sa faculté à nous transporter dans le monde qu’ils se construisent, à nous embarquer dans la spirale de leurs forces créatrices.

Les compositions de Neysa et d’Emile sont à la fois complexes et évidentes. Les paysages sonores qu’ils façonnent, à coup de voix et de synthés, sont suffisamment détaillés et diversifiés pour que l’on prenne plaisir à les parcourir de multiples fois en redécouvrant, toujours, de nouveaux points de vue. Ils constituent l’avatar sonore d’un monde ouvert, à l’image de leurs pensées. Avec leurs doutes, leurs convictions, leurs craintes et leurs espoirs.

L’album « When all you want to do is be the fire part of fire » se pose – ainsi – tel un moment de partage et d’échange, d’abord entre eux, puis avec nous. Un instant authentique, alimenté par les neuf somptueux titres qui le composent. Fermez les yeux et laissez-vous porter, car les compositions d’UTO se vivent de l’intérieur.

Le 13 mars 2025, ils seront sur la scène de la Gaité Lyrique. Prenez date et ne les loupez pas.