Lorsque l’extraordinaire percute le quotidien, cela donne l’objet musical non très identifié qu’est devenu aujourd’hui le collectif Astéréotypie. Ce projet est né il y a une dizaine d’années d’un atelier d’écriture mené par Christophe L’Huillier au sein de l’Institut Médical Educatif (IME) de Bourg-la-Reine. La poésie qui se dégageait des phrases composées par des pensionnaires ayant des troubles du spectre autistique a incité à les orchestrer. Christophe qui est aussi musicien (Infecticide) s’en chargea, rejoint par Eric Tafani et Arthur B. Gillette (Moriarty). C’est ainsi que la magie opéra.
Ce collectif a su gagner l’affection d’un public toujours plus grand pour la beauté lyrique des textes, l’authenticité originelle des sujets, la sincérité émouvante de leurs convictions et aussi pour la musique, celle qui sait si bien nous unir. L’univers d’Astéréotypie est fait de parties d’Uno infinis, de fascinations paradoxales et d’attractions lunisolaires. Patami est le troisième album d’Astéréotypie qui évolue aujourd’hui en dehors de toute structure éducative. La veille de sa sortie, nous avons rencontré Christophe L’Huillier, instigateur et catalyseur du projet, Eric Tafani, magicien des rythmes et chef de la grosse caisse, ainsi que Yohann Goetzmann, slameur émérite et animateur hors pair.
La Face B : Comment allez-vous ?
Yohann : Je vais très bien dans la mesure où je vais à mon rythme. Quand on est dans un groupe, on sait comment il faut être prêt. Dans une semaine, on part en tournée. Déjà, il faut être sur une démarche positive qui reste unique. La raison qui fait que cela reste incongru, c’est quand on a vu le clip vidéo et que l’on doit en défaire les différences. Là on sera assez sûrs de nous. Et puis on se dit également qu’il faut être prêts et dispo. Demain, c’est le grand soir. Il faut le vivre à fond. À fond, à fond ! Qu’est ce que tu en penses Christophe ?
Christophe : Je pense que tu es pour moi ce qui représente la vérité, Yohann. Tu es mon oracle. Donc, si tu dis que l’on va être à fond c’est que l’on sera à fond.
Yohann : Un oracle qu’est-ce que c’est.
Christophe : C’est celui qui va dire à l’avance. Celui qui détient la vérité. Tu es un sage Yohann.
Yohann : Oh, merci.
Yohann : « La gestation permet de congeler le stress et de le remplacer par la graduation »
La Face B : L’oracle fait le lien avec les Dieux
Yohann : Ça, c’est dans l’album qu’ils le disent. Et peut-être clairement qu’il y a une différence assez profonde qui suggère le système. On parle de gestation.
Christophe : Oui, c’est un projet qui est en gestation.
Yohann : La gestation permet de congeler le stress et de le remplacer par la graduation. C’est-à-dire que l’on peut graduer encore un sommet. On peut graduer le sommet d’un pas et ensuite monter encore un échelon pour arriver jusqu’en haut. Donc, il n’est pas impossible…
Christophe : Moi, je n’ai pas envie d’arriver jusqu’en haut parce qu’après, cela voudra dire qu’il faudra redescendre. Je n’ai pas spécialement hâte d’arriver là-haut. Tu vois ce que je veux dire ? J’aime bien monter avec toi. Je te laisse méditer…
Yohann : Non, non, non… Je ne dis rien. Je sais comment faire !
Christophe : Alors, je te fais confiance. Je te suis. Tu es notre leader.
Yohann : Moi, je fais confiance et je reste dans notre groupe. Je serai toujours à côté, très serviable.
La Face B : Sachant que là, c’est la sortie de votre troisième album.
Eric : Oui c’est vendredi. Demain, jeudi, on fait une petite release party.
Christophe : Pour que, à minuit, nous fassions le décompte comme des enfants : « Cinq, quatre… » [Rires]
La Face B : Et ça, comme tu le dis, c’est une graduation. Une libération aussi ? Tu parlais tout à l’heure de gestation. C’est le fait d’arriver à quelque chose ?
Yohann : C’est ça. Quand on arrive à l’objectif. Lorsque l’on atteint ce niveau-là, le risque est grand. Il peut être deux fois, dix fois plus grand et suivre à la trace les échanges.
La Face B : Le risque est mesuré parce que l’album est vraiment très bien. C’est votre troisième album studio.
Yohann : Il s’appelle Patami.
Christophe : « Ce bon vieux Patami »
La Face B : Cela signifie quoi justement Patami ?
Yohann : C’est une sorte de plat, de pomme de terre.
La Face B : Et tu mettrais quoi comme ingrédients dans ton plat de Patami ?
Yohann : De la viande, des pommes de terre et du riz.
Christophe : C’est ton Patami idéal.
Yohann : Oui, ça peut être mon Patami idéal.
Christophe : Un Patami c’est un concept de Stanislas parmi ceux qu’il a développés sur le morceau Je ris pour autre chose. Ce sont de vieux concepts dont il nous avait déjà fait part, il y a de nombreuses années et dans lesquelles il s’y identifie. La « Boulgourine », le « Poste-informatique-la-confiance » … Et aussi le « Patami des enfants ».
C’est une sorte d’ami imaginaire qui serait Dieu, mais au service des enfants, qui les gâterait, les consolerait. C’est quelque chose de très réconfortant que l’on a appliqué au Patami tout court, donc pas forcément que pour les enfants. Stanislas, son grand jeu est de faire dire aux gens : « Est-ce que vous connaissez le Patami des enfants » et, comme cela ne veut rien dire, les gens répètent : « Patami ». Ça le fait exploser de rire. On a voulu faire une blague pour que tout le monde, tous les journalistes, tous les gens finissent par prononcer le mot Patami.
Eric : Et l’idée au niveau du design de la pochette est de faire en sorte que chacun puisse créer son propre Patami. Un Patami à soi qui fait du bien. C’est un personnage légendaire pour tout le monde.
Christophe : Ce bon vieux Patami.
Yohann : Oh non, non, non. Ça, c’est vraiment un truc qu’il ne faut pas oser.
Christophe : Avant tout pour toi, ton Patami c’est un plat avec du riz, des pâtes et de la viande.
La Face B : Un plat peut être réconfortant.
Christophe : Complètement
Yohann : Ce qui veut dire que tout peut changer. Tout peut changer d’ici là.
Christophe : Et tout changera, Yohann.
Yohann : Tout changera, forcément.
La Face B : Oui et heureusement, tout évolue.
Yohann : Oui dans l’évolution. Attractif. Évolution attractive.
Yohann : « Aujourd’hui, le changement dit qu’on est là pour aller encore plus haut »
La Face B : Justement, en parlant d’évolution, entre les différents albums, il y en a eu beaucoup. En termes de prods, de conception, de structure. Au début le projet a pris forme au sein d’un IME. Là vous en êtes tous sortis.
Christophe : Le projet est né au sein d’un IME avec mon ami Yoyo. Le projet initial a démarré en 2010. C’était un atelier d’écriture. C’est devenu un groupe. Je suis musicien, mais j’étais là-bas, surtout en tant qu’éducateur. Il y a eu une volonté de faire quelque chose autour de la poésie. D’apprendre. De montrer des choses. Et puis, finalement on a inversé le regard pour plutôt absorber ce qu’ils avaient et la façon dont, Yohann notamment, ils disaient les choses. La musique est venue dans un second temps. Au fur et à mesure des rencontres avec Eric, Benoit, Arthur et d’autres musiciens qui ont croisé la route d’Astéréotypie. Il y a eu une volonté de faire du rock.
Yohann : Cette natalité, on appelle ça.
Christophe : Il s’agit de la natalité rock du projet. Quand Yohann a commencé à faire des roulades alors qu’il n’y avait pas de public et que la musique était très calme. On s’est dit qu’il fallait faire du rock.
Yohann : Et là on se dit qu’aujourd’hui, il y a peut-être de grands changements qui peuvent se profiler.
Christophe : Tout à fait.
Yohann : Aujourd’hui, le changement dit qu’on est là pour aller encore plus haut.
Christophe : Effectivement. Du coup on a été plus haut. Le projet est complètement sorti de l’institution. Astéréotypie est un groupe de musique avec un label, un tourneur, un attaché de presse avec lequel tu es en lien.
Yohann : Il y avait un assistant et du coup, il n’y avait pas besoin de le faire dissoudre.
Christophe : On va dissoudre l’assistant [Rires]
La Face B : On a suffisamment dissous de choses dernièrement !
Yohann : Tout est dissolu, on peut dire ! Tout peut-être dissolu.
La Face B : Vous continuez aujourd’hui à exister en dehors de la structure
Christophe : Oui complètement. Mais on peut dire également grâce à la structure parce que c’est elle qui nous a poussés. C’est Stéphane Durand – à qui l’on ne rendra jamais assez hommage – qui est (toujours) le directeur de l’institution qui m’a rapidement poussé à faire exister le projet en dehors de l’institution en me disant qu’il n’y trouverait pas vraiment sa place. Qu’il valait mieux qu’il existe dans le monde ordinaire !
Yohann : « tout peut changer dans les dix prochaines années »
La Face B : Et vous arrivez toujours à trouver des moments de convergence où vous vous retrouvez ?
Eric : Ce sont maintenant les studios de répétition ou d’enregistrement.
Christophe : Le train !
Eric : Et le train. On voyage en train parce que ce serait trop compliqué en camion pour différentes raisons. Après, comme disait Christophe, il animait l’atelier d’écriture à Bourg-la-Reine. Maintenant, ce qui est plus compliqué, c’est de leur rappeler d’écrire des textes, faire attention à ce qu’ils ont comme thèmes. Nous, on note des phrases. « Tiens, tu pourrais écrire là-dessus ». C’était plus facile avant. Christophe avait ce lieu pour les faire écrire. Nos points de convergence, on répète, on prépare l’album comme on peut parce que l’on a chacun d’autres projets à côté.
Christophe : On se voit facilement deux ou trois fois par mois.
Eric : Pour l’album, oui. Pour les tournées, également deux-trois fois par mois pour les répétitions.
Yohann : Donc tout peut changer dans les dix prochaines années.
Eric : On va un peu plus se voir pour préparer la tournée. On va faire une résidence début janvier pour les nouveaux titres que l’on a hâte de jouer. Même carrément hâte !
La Face B : Et toi, Yohann, quels sont les moments où tu préfères écrire ?
Yohann : Je trouve un moment très relatif. Moment très solennel avec un niveau exceptionnel, et franchement ça vaut le coup. Et maintenant, je dis l’après. Je me dis après. Pas une seconde de répit. C’est ce que l’on arrive à faire tourner le violon comme on dit.
Christophe : « Il a commencé à écrire et à la fin il n’écrivait plus, il me dictait »
La Face B : Mais quand tu écris, tu préfères être chez toi, dans les transports…
Yohann : Si j’écris, je les mets sur une feuille de cahier. Je le mets sur une feuille et…
Christophe : Ou sur l’ordinateur aussi pas mal.
Yohann : Exactement, ou je mets ça sur l’ordi pour faire vérifier l’orthographe. S’il y a une faute d’orthographe ou pas.
Christophe : Yohann nous envoie souvent des propositions. Des fois, on pousse un peu pour qu’il y en ait des nouvelles. Des fois, au contraire, il faut ralentir. Et puis on va un peu réduire. En général, c’est toujours très long. On essaie de réduire pour adapter les textes aux futurs morceaux. Mais, on ne rajoute rien. Yohann a un morceau qui s’appelle Texte pour les vivants que j’aime énormément. J’adore les textes de Yohann. Le train était en retard et, sur le quai, il y avait une affiche pour un musée. Et il a commencé à commenter et à faire une description du tableau avec un hibou qui y figurait. Cela a pris une tournure incroyable dans tes mots Yohann.
Yohann : Oui, dans mes mots.
Christophe : Il a commencé à écrire et à la fin il n’écrivait plus, il me dictait. Je ne voulais surtout rien perdre. Et ça c’est fait en one shot [Claquement de doigts].
La Face B : Ce sont des petites portes qui s’ouvrent donnant accès aux grands univers qui se cachent derrière.
Christophe : La description du tableau a été une super source d’inspiration.
Yohann : Description parfaite comme on dit.
Yohann : « La soirée tranquille ne saurait durer longtemps »
La Face B : À propos de « parfait », tu as aussi écrit un morceau sur l’album avec Félix, Une Soirée Parfaite. On y retrouve la description de deux soirées, une tranquille et une autre beaucoup moins.
Yohann : La soirée tranquille ne saurait durer longtemps.
La Face B : Vous l’avez écrite à deux ?
Christophe : C’est un vieux texte de Félix qui aurait pu être sur le disque d’avant, mais on avait envie d’y apposer quelque chose d’autre. Félix a toujours des textes qui tournent autour de l’interdit et des limites.
Yohann : Un peu emparé.
Christophe : Il est effectivement un peu emparé. Il a toujours un rapport aux limites. C’est un univers qui nous fascine. On s’est dit que la solution serait peut-être de mettre le texte en opposition avec Yohann, qui a une tout autre perception de la vie. Du coup, on leur a proposé. Pour Félix, on l’enregistre tel quel. Et « Si tu es d’accord, on aimerait voir ce que cela donne avec Yohann ». Et le jour même, Yohann a sorti ça en deux temps, trois mouvements. Félix était intrigué et après on a mis la voix de robot. Et oui, il y a une très forte opposition entre ces deux univers. Ce sont deux super textes.
La Face B : Donc, la voix de robot c’était toi Yohann.
Yohann : C’est moi le robot !
Yohann : « C’est comme Intervilles »
La Face B : Pour parler d’autres chansons que tu as écrites, il y a la chanson sur le UNO.
Yohann : Cela veut dire que ce nouveau texte, ils l’ont fait par une qualité incroyable et qui pensait qu’il s’agissait d’un jeu de cartes qu’on pouvait révolutionner. Et depuis, on croyait qu’ils pouvaient faire. Mais ça, il était déjà possible.
Eric : C’est vrai. Tu as raison. Tu as révolutionné le UNO. Déjà ton jeu doit bien faire mille cartes.
Christophe : Yohan, je vais peut-être t’offrir un nouveau jeu qui s’appelle le Trio.
Yohann : Il faut être dans les starting-blocks et ainsi groover.
Christophe : C’est vrai que, Yohann, quand tu joues (et on joue beaucoup avec toi) tu commentes comme si c’était un match. Et comme tu adores tout ce qui est combat de boxe, dans tes commentaires, il y a des choses qui se mélangent.
Yohann : C’est comme Intervilles.
La Face B : Et dans le UNO – comme dans beaucoup de jeux – on passe rapidement de la joie quand on gagne, à la peine quand ça ne va pas. Cela engendre par moment de grosses frustrations.
Christophe : À titre personnel, dans ma famille, on est à fond sur le Monopoly. Et c’est horrible de se regarder perdre pendant une heure et demie. La frustration, ça me parle.
La Face B : Et puis dans le UNO, souvent on invente les règles. Il y a une règle, mais en même beaucoup de variantes différentes. Il y a une adaptation constante des règles.
Eric : Yohann, ce sont un peu des règles évolutives.
Christophe : Je ne sais pas où tu les as choppées ces règles-là. Finalement, je les ai retrouvées ailleurs aussi. C’est comme les règles de baby-foot, pissettes…
La Face B : Chaque ville ou même chaque café dans la ville a ses propres règles.
Christophe : Et on les retrouve parfois à l’autre bout de la France. Ce ne sont pas toujours les mêmes termes, mais on retrouve un peu près les mêmes règles.
Yohann : « Ils savent qu’on prépare pour 2025 une année explosive. »
La Face B : Que pourrait dire l’Astéréotypie des débuts à l’Astéréotypie de maintenant. Quelle est ta vision d’aujourd’hui, Yohann ?
Yohann : Ma vision, elle a du bon sens. Le bon sens a une vie. Et tout simplement, je dois dire aux Français qu’ils sont extraordinaires. Ils savent qu’on prépare pour 2025 une année explosive.
La Face B : Et au début de l’aventure, il y a 14 ans, tu t’imaginais monter sur une scène, faire des disques.
Yohann : Peut-être sur les plus grandes scènes du monde
Christophe : Il faut toujours grimper Yohann, c’est bien.
Yohann : Et pourquoi pas le Grand Rex ?
Christophe : Oh non, c’est une salle assise. On ne va pas jouer dans une salle assise, c’est déprimant !
Eric : L’Olympia.
La Face B : Oui L’Olympia c’est bien. Il y a des places debout et assises.
Christophe : Normalement, on devrait faire La Cigale le 13 novembre 2025.
La Face B : Mine de rien, vous avez déjà rempli la Maroquinerie trois mois avant la date et avec un nouveau disque qui n’est pas encore sorti.
Christophe : Je suis très content de faire La Maroquinerie.
Eric : Humainement, c’est une salle qui est superbe. J’ai vu les Psychotics Monks là-bas. Le son était sublime.
Christophe : J’ai pris de grosses claques dans cette salle. De manière consensuelle, on était content de faire cette salle, même si on savait qu’elle était un poil petite pour Astéréotypie. On a été surpris que cela se remplisse aussi vite d’ailleurs parce qu’elle n’est pas non plus si petite. En termes de son c’est une de mes salles préférées. On a les instruments dans les retours, mais on ressent l’acoustique naturelle de la salle.
La Face B : C’est une caisse de résonance. Lorsque le public chante, le son se propage dans toute la salle. Cela sera très bien pour vos chansons. Et dans les autres morceaux – qui ne sont pas les tiens – lesquels tu aimes bien ?
Yohann : Il y a celui de Stan avec 20 euros.
Christophe : Et dans le nouvel album ?
Yohann : Je ris pour autre chose de Stanislas.
Christophe : « On l’a refaite à notre sauce. La boucle est donc bouclée »
La Face B : Et pour Claire, dans Que la Biche Soit en Nous, vous avez ouvert le dispositif en incluant Rebeka Warrior.
Christophe : Elle avait participé à un festival [Colis Suspect] avec Claire. Je lui avais proposé de faire des choses avec nous dans le cadre d’un autre festival dont j’assure les missions de coordination et de programmation [Festival Futur Composé]. Elle m’avait demandé si elle pouvait travailler avec Claire. Elle a fait trois textes, trois nouveautés qui étaient prévus à l’époque pour le prochain Astéréotypie. Cétait pour un live à la Station. Finalement, Claire et Rebeka étaient particulièrement contentes d’un des morceaux, Que la Biche soit en moi. Il était très réussi et on sentait l’apport de leur collaboration. Il a été vraiment créé à deux. Une ligne de chant de Claire sur les accords proposés par Rebeka. Elle a voulu le sortir. Et on a fait une reprise de la version de Rebeka.
On l’a refaite à notre sauce. La boucle est donc bouclée. Ensuite, les autres textes, on les a remis dans les versions qui étaient initialement prévues.
Eric : « on a eu au dernier moment des éclairs de musique pour certains textes »
La Face B : Et plus généralement, dans la conception, comment s’opère l’articulation entre texte et musique ?
Eric : Pour les compositions, en général, on a des bases de textes et, musicalement, Christophe et Benoît amènent leurs idées. Des ébauches que l’on arrange. On choisit de faire coïncider textes et musique. Telle ambiance de texte pourrait aller sur telle ambiance de musique. Et parfois, c’est évident. Et même si le texte n’est pas encore finalisé, on arrange autour de tout ça. Donc, texte et musique, ça peut aller dans les deux sens. Ce n’est pas figé.
Christophe : Oui, il y a une souplesse.
Eric : Sur Patami, contrairement au précédent album, on a eu au dernier moment des éclairs de musique pour certains textes. Des éclairs nés en studio. Une musique prévue sur tel texte, mais qui ne marchait pas trop… Alors, on a quasiment improvisé dessus.
Christophe : On les a testés en studio. Sur Les orques adorent le foie de requin, la musique ne marchait pas trop bien. Et donc, on a bougé les choses.
Eric : « On se donne une liberté, un droit à l’erreur. »
Eric : Et puis aussi Les Vivants. En fait, on n’arrive pas avec des prémaquettes hyper formatées que l’on ne doit plus bouger d’un iota. C’est ce qui est super.
Christophe : L’idée est d’arriver avec du rab et de se faire confiance.
Eric : On se donne cette liberté en studio. Ce n’est pas terminé et il existe toujours une ouverture. Et même si j’ai tendance à être un inquiet « Et, les gars, il faut être un peu plus prêt… », en fait, je ne le devrais pas. Parce que l’on s’entend et on se comprend tellement bien entre nous en un temps record – une semaine, dix jours – on arrive à pondre les instrumentaux. Les textes sont enregistrés dessus.
Et c’est pareil sur scène. Ce qui est génial avec Astéréotypie, c’est que chaque concert est différent. Eux, chaque soir, ils sont différents. Surtout Yohann ! Il y a toujours une surprise, un truc particulier qui se passe avec le public. Je ne l’ai jamais vécu dans les autres groupes où j’étais. On se donne une liberté, un droit à l’erreur. On se marre. Il y a quelque chose d’humain qui opère. Et le public est sensible à ça. En tout cas, on m’en a souvent parlé après les concerts. On n’est pas là pour proposer le même show tous les soirs. De toute façon avec eux, ce serait rigoureusement impossible !
Christophe : « Le rythme de croisière, c’est celui de la grosse caisse »
La Face B : Et toi, Yohann, qu’est-ce qui te fait plaisir dans les concerts ?
Yohann : Moi, c’est l’ambiance. Le fait qu’il y ait du monde et puis aussi du rythme. Un rythme de croisière, on appelle cela.
Christophe : Le rythme de croisière, c’est celui de la grosse caisse. Une boîte à rythme de croisière [Rires]
Yohann : Ah ouais ! The flying moon ! Je ressens bien la musique autour de moi.
Christophe : Je me souviens des premiers concerts d’Astéréotypie où il n’y avait pas encore autant de public que maintenant. Yohann, pour toi, ce n’était pas normal qu’il n’y ait pas de monde en face, direct à la barrière. C’est logique. Tu leur disais « Rapprochez-vous ». Ils n’osaient pas.
Yohann : Maintenant, ils savent mieux se rapprocher.
Christophe : Maintenant, ils sont même devant avant que l’on commence.
Eric : Dans les premiers concerts, je me souviens de celui à Blois dans ce centre incroyable – la clinique de la Chênaie… Yohann arrive sur scène genre …
Christophe : « Vous avancez sinon je ne joue pas !»
Eric : Quasiment ça ! « Non, mais là… vous vous rapprochez s’il vous plaît. Vous vous approchez et là on peut commencer ». Les gens étaient « Ok ». J’avais rarement vu ça.
La Face B : Yohann, interagir avec le public c’est quelque chose que tu aimes bien, je crois.
Christophe : Oh que oui !
Yohann : Interagir, oui, bien sûr. On fait ça de manière très claire et ça va passer tout seul !
Christophe : Yohann fait des slams et tout !
Christophe : « Au départ, le projet n’a pas trouvé sa place dans le monde du handicap »
La Face B : Et pour finir, que peut-on vous souhaiter ?
Yohann : On souhaite bonne chance et on est là pour s’amuser et on va arriver au sommet !
Christophe : Ben non, il ne faut pas arriver au sommet parce qu’après on va devoir redescendre. Mais la réponse de Yohann est très bien.
Eric : Je suis hyper fier de ce « deuxième » album… En fait, il a un côté « deuxième » album pour moi parce que je n’ai pas pu complètement jouer sur le premier. Dans ce qui nous est arrivé, il se pose un peu comme le fameux « deuxième » album, le test après le premier. Brad Pitt fait office d’une certaine manière de « premier » album, puisqu’avec lui on a explosé. Je n’en reviens toujours pas. Je pense que les gens vont bien aimer Patami. En fait, je ne l’avais pas réécouté depuis l’enregistrement et y a du matériel ! [Rires]
Christophe : Le public nous est très fidèle. Ce n’est peut-être pas si populaire que ça, mais j’ai l’impression que les gens qui nous écoutent ne le font pas avec légèreté. Ils connaissent vraiment les morceaux. On vend également une grosse quantité de vinyles. Les gens attendent, ils ont envie d’avoir les objets et de repartir avec.
Eric : Moi, je trouve que notre public est populaire parce qu’on y trouve vraiment tous les styles de personnes. Et ce que j’adore. Tous les âges, familles, enfants, des gens très branchés, des gens absolument pas branchés…
Christophe : Des gens dans le social…
Eric : J’ai des amis de 60/70 ans qui n’écouteraient jamais cette musique rock que l’on fait – un rock pas classique – et ils sont complètement scotchés par eux. L’univers est tellement dingue. Et, moi le premier, je le ressens également. À chaque concert, je suis très ému. C’est vraiment incroyable. Quand on a commencé à jouer hors réseau IME, on a rencontré un premier public dans des festivals assez pointus, comme le Sonic Protest. Et puis, quand on a commencé à jouer dans des festivals moins branchés, cela a touché les gens, direct. Personnellement, je ne le pensais vraiment pas à ce point. Ça m’a scotché !
Christophe : Au départ, le projet n’a pas trouvé sa place dans le monde du handicap. On pouvait croire que c’était une volonté et maintenant cela en est une. À l’époque, on n’avait pas le recul. Je pensais d’abord m’adresser à des éducateurs, des gens qui auraient envie d’entendre. Ce sont des personnes comme Arthur, Eric, le directeur de l’institution, qui m’ont dit « Mais non, ce projet n’a pas sa place dans une institution ».
Ils ont eu tout à fait raison, car il n’y a pas eu un grand intérêt de la part du milieu du monde du handicap ou de la philanthropie. Alors que, pour moi, ça aurait dû être une évidence. Cela a d’abord matché dans la musique pointue. La musique à niche est pointue, mais est beaucoup plus accessible que ce que l’on voudrait faire croire. On a eu une reconnaissance médiatique avec l’Énergie positive des Dieux sans pour autant avoir trouvé un public très large. C’étaient d’abord des gens très fidèles, puis des gens très branchouilles, un peu punk, un peu pointus et après ça s’est diversifié comme tu le disais, Eric.
Et maintenant, on a un retour des gens du social, ce qui n’est – je le répète – absolument pas une évidence. Au début, on m’a même reproché de leur faire dire ou de leur laisser dire des trucs que la musique était trop bizarre. Alors qu’en fait rien de tout cela est inaccessible.
Eric : « Il fallait qu’un public au-delà des IME découvre ça »
Eric : Quand tu parles, d’Arthur… Arthur et moi, on jouait ensemble dans Moriarty. Et le responsable du centre dont parlait Christophe nous a contacté parce qu’il savait que Moriaty était curieux sur des trucs qui sortaient dans sentiers battus. Arthur et moi, nous sommes allés voir là-bas. Je connaissais déjà le centre avant. J’étais déjà intervenu avec un autre groupe dans lequel je jouais. Et on s’est pris une baffe politique. C’est vrai que l’on s’est dit qu’il fallait absolument amener le projet sur scène, sans se dire que ça allait marcher. Il fallait qu’un public au-delà des IME découvre ça. Ce n’était pas possible que les gens passent à côté de ce truc.
La Face B : Il y a un côté poétique et ludique
Yohann : Et peut-être aussi un côté rythmique aussi !
Yohann : « Je vais en faire un de l’extérieur »
La Face B : Forcément, derrière la poésie et le rythme, il y a le slam.
Yohann : Tu veux que j’en fasse un ? Je vais en faire un de l’extérieur :
« Au début du printemps,
on me disait qu’il y avait des chevaux noirs qui sont groupés.
Cela ne considère pas.
Que faut-il faire ?
Les planter ou les mettre en légumes ?
Difficile de juger de la sorte. »
Vous l’avez sans doute compris, Astéréotypie s’écoute mais se découvre aussi sur scène. Cela tombe bien, ils commencent bientôt une tournée qui les mènera du Grand Sud de Lille à la Cigale à Paris. Ne les loupez pas !
Liste non encore exhaustive : [Lille le 25 janvier, Pantin le 28, Le Mans le 30, Vannes le 31, Paris (La Maroquinerie) le 14 février, Lyon (Feyzin)le 27, Grenoble le 28, La Roche Sur Yon le 12 mars, Poitiers le 13, Bordeaux le 14, Cogolin le 4 avril, Istres le 5, Toulouse le 11, Mont de Marsan le 12 et Paris (La Cigale) le 13 novembre]
Retrouvez Astéréotypie sur les réseaux sociaux : Facebook, Instagram