Bad Bunny démarre 2025 avec DeBÍ TiRAR MáS FOToS, un sixième album profondément ancré dans l’identité portoricaine. Plus qu’un projet musical, cet opus est une déclaration d’amour à son île natale, mêlant rythmes captivants, traditions locales et engagement politique. À travers 17 titres, l’artiste célèbre la culture de Porto Rico tout en dénonçant les menaces qui pèsent sur elle.

Destination Porto Rico
Bad Bunny n’a jamais caché son amour pour Porto Rico. Bien au contraire, il le célèbre constamment à travers ses paroles, ses interviews et ses prises de position. Avec DeBÍ TiRAR MáS FOToS, il franchit un cap, livrant un album profondément enraciné dans son héritage culturel. Qualifié par le New York Times comme l’un de ses projets « les plus portoricains », cet opus incarne un hommage vibrant à son île natale.
Pour exprimer cet amour, Benito Antonio Martínez Ocasio, de son vrai nom, excelle dans l’art de raconter des histoires. Cela se reflète dans le court métrage qui accompagne l’album, une œuvre sincère et émotive. On y suit un vieil homme, incarné par Jacobo Morales, accompagné d’une grenouille Concho, une référence au sapo concho, un crapaud en voie d’extinction devenu symbole de la préservation de la biodiversité de Porto Rico. À travers leurs échanges, le vieil homme exprime la douleur de voir un Porto Rico qui s’efface peu à peu, victime de la perte de sa culture et de ses valeurs face à l’influence croissante des États-Unis. Ce sentiment de fragilité et de nostalgie se manifeste également dans le regret du personnage principal de ne pas avoir pris plus de photos pour immortaliser ses souvenirs, une réflexion qui fait écho au titre de l’album. En seulement 12 minutes, Bad Bunny nous plonge dans un univers d’émotion, de sincérité et de respect, en appelant à ne pas oublier ses racines.



Dans un souci de préserver la beauté de son île natale et de la transmettre aux générations futures, Bad Bunny a mis en place une initiative originale. Chaque titre de l’album, disponible sur YouTube, est accompagné d’un encadré explicatif retraçant un aspect clé de l’histoire de Porto Rico. Ces encadrés abordent des sujets variés tels que les premières colonisations, l’invasion de 1898, les universités de l’île, le gouvernement militaire ou encore les défis d’une génération en crise. En tout, 17 encadrés sont proposés, un pour chaque chanson, permettant au public de s’immerger dans l’histoire souvent méconnue de Porto Rico.
Nostalgie et mélodies
Dans une démarche cohérente, Bad Bunny choisit de s’entourer exclusivement d’artistes portoricains pour ce projet. Il collabore avec RaiNao, étoile montante de la scène locale, la chanteuse Chuwi, et le groupe El Pleneros de la Cresta, experts en Plena, style d’origine portoricaine. Ce casting minutieusement sélectionné lui permet de rendre un hommage authentique aux traditions culturelles et musicales de Porto Rico. Et bien sûr, il conserve son jargon portoricain, qui s’intègre parfaitement dans l’univers de DeBÍ TiRAR MáS FOToS.
Le projet se distingue immédiatement par son caractère universel, une essence capturée dès la pochette de l’album. Deux chaises blanches en plastique, simples et familières, évoquent l’idée d’une musique qui se partage sans artifices. Imaginez-les dans un jardin de palmiers, quelques bières à portée de main : voilà le décor idéal pour écouter un album. Ces chaises, symbole emblématique de Porto Rico, sont partout : dans les jardins, les rues et bien évidemment les fêtes.
Puis vient une vague de nostalgie, une ode à la culture portoricaine. Bad Bunny nous emmène dans un voyage sonore où il réinterprète des classiques qui ont marqué l’histoire musicale de l’île. Dès NUEVAYol (New York en argot espagnol, Ndlr), il revisite avec audace Un Verano en Nueva York du maître de la salsa, Andy Montañez.
Ce voyage musical propose une véritable célébration des sonorités caribéennes. La salsa est à l’honneur, notamment avec des titres comme La MuDanza et l’inoubliable Baile INoLVIDABLE, un morceau qui brille par sa virtuosité. Le boléro s’invite aussi dans l’album, avec des mélodies délicates et minimalistes, soutenues par une guitare d’une beauté rare dans TURiSTA. Enfin, WELTiTA nous transporte avec ses rythmes sensuels et envoûtants, inspirés de la bossa nova. Et bien sûr, l’album ne serait pas complet sans le reggaeton signature de Bad Bunny. Des titres comme VeLDÁ, EL CLúB et KLOuFRENS viennent rappeler pourquoi il est le maître incontesté de ce genre, créant ainsi une œuvre à la fois respectueuse de ses racines et résolument actuelle. Bien sûr, ce ne sont que les styles les plus marquants, mais l’album regorge de surprises et de clins d’œil musicaux.
Amor, amor y amor
Quoi de plus puissant et universel que l’amour pour animer cet album? Bad Bunny, romantique invétéré, nous ouvre son cœur et ses cicatrices. Dans BOKeTE, il résume sa quête avec sincérité : « Je suis tombé amoureux 515 fois, et avec toi, ça fait 516. Ce n’est rien de nouveau. Il faut continuer, ignorer et oublier. » Une confession qui illustre parfaitement son éternelle recherche de l’amour parfait, même si celui-ci semble toujours lui échapper.Mais l’album ne se limite pas à célébrer l’amour : il en explore aussi les failles et les regrets. Que ce soit dans BAILE INoLVIDABLE, où il refuse d’oublier une relation marquante, ou avec TURiSTA, dans le souvenir d’une touriste qu’il aurait voulu garder à ses côtés, Bad Bunny nous rappelle que l’amour, aussi beau soit-il, est souvent teinté de nostalgie.
Au fond, DeBÍ TiRAR MáS FOToS est une ode au temps qui passe, un hommage aux fragments de vie qui construisent une identité. Le portoricain nous rappelle que chaque sourire, chaque paysage, chaque moment partagé mérite d’être capturé, non seulement en photo, mais aussi dans nos cœurs. Un discours qu’illustre parfaitement DtMF : « J’aurais dû prendre plus de photos quand je t’avais, j’aurais dû te donner plus de baisers et d’étreintes quand j’en avais l’occasion j’espère que les miens ne déménageront jamais«
Dénoncer un Porto Rico qui se perd
Cependant, DeBÍ TiRAR MáS FOToS ne se contente pas d’être un déclaration d’amour à son île. Bad Bunny y aborde également les défis politiques et sociaux auxquels Porto Rico fait face, en particulier la menace de l’effacement culturel et de l’appropriation de ses terres et de ses ressources par les États-Unis. Ce message de résistance se fait particulièrement entendre dans le morceau Lo Que Le Pasó a Hawaii. Il y dépeint la douleur de son île, victime d’une domination américaine persistante depuis l’annexion de 1898.
Dans ce morceau, l’artiste dénonce la manière dont les terres de Porto Rico sont prises au profit de projets étrangers, transformant l’île en une ressource exploitable pour des intérêts extérieurs. Il évoque la souffrance des habitants, contraints de voir leur terre se transformer et leur culture se diluer. Les paroles « Ils veulent me prendre la rivière et aussi la plage, ils veulent mon quartier et que grand-mère parte » traduisent l’expérience quotidienne des Portoricains, forcés de subir les conséquences de cette domination.
Quieren quitarme el río y también la playa
Quieren el barrio mío y que abuelita se vaya
No, no suelte’ la bandera ni olvide’ el lelolai
Que no quiero que hagan contigo lo que le pasó a Hawái
Le parallèle avec Hawaï est évident : comme à Porto Rico, l’histoire de l’île d’Hawaï est marquée par une colonisation et une industrialisation imposées par les États-Unis, au détriment de la culture indigène. « Dans la montagne verte à l’intérieur, on ne peut pas respirer, on entend le paysan pleurer, un autre qui est parti. » Ces mots traduisent la douleur de ceux qui restent, mais aussi celle des exilés qui n’ont eu d’autre choix que de fuir.
Cependant, malgré cette douleur, le Portoricain célèbre la résilience de son peuple. Il appelle à la résistance et à la préservation de l’identité portoricaine face aux forces extérieures. Le morceau se termine sur un cri du cœur : « Non, ne lâche pas le drapeau et n’oublie pas le lelolai. » Ce refrain symbolise la nécessité de garder vivantes les traditions et la mémoire de l’île, malgré les pressions extérieures. Avec Lo Que Le Pasó a Hawaii, Bad Bunny ne se contente pas de dénoncer, il invite à l’action, à la fierté et à la défense d’une identité portoricaine unique.