Pour Max, alias Feux, tout commence en secret sur GarageBand. À l’abri des regards, le jeune élève du lycée français de Londres compose ses premiers sons aux inspirations Boom bap. C’est un peu plus tard, alors qu’il partage sa passion avec ses amis que naîtra Feux. L’artiste polyvalent impose son univers complet où productions musicales et clips cinématographiques ne font qu’un. Comment passe-t-on du Hip-Hop de ses débuts à un style inclassable ? Comment l’art visuel nourrit-il sa musique ? L’artiste londonien s’est confié à La Face B sur son évolution, ses inspirations et son ambition de maîtriser le français, pour découvrir cette autre part de lui-même. Interview bilingue.

Version anglaise plus bas / English version below
La Face B : Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ?
Feux : Je m’appelle Max. Je suis chanteur, producteur et créateur. Je viens de Londres, où je suis né et que je vis actuellement.
La Face B : D’où vient ton nom d’artiste, Feux ?
Feux : Mon nom de scène, Feux, est né un peu par hasard lorsque je faisais du « MCing » à Londres. À l’époque, je n’avais pas beaucoup d’expérience avec la musique ou la scène. C’est presque parti d’une blague avec mes amis. Comme j’étais le seul à parler français, ils me surnommaient « MC Baguette » ou « MC Croissant ». Puis, l’un d’eux a lancé « MC Feu », ou quelque chose comme ça, en référence à l’expression anglaise « it’s fire » qui signifie « c’est le feu ». C’est resté et je pense que ça fait partie de mon identité.
Je suis francophone, pas Français, mais Belge de par ma mère, et j’ai fréquenté l’école française à Londres presque toute ma vie. Le français fait donc partie de mon identité et c’est quelque chose avec lequel j’essaie de renouer, car cela fait partie de ma culture. Donc mon nom, même si la traduction littérale est « Feux » au pluriel, se démarque dans le contexte anglophone, « it stands out ».
La Face B : Pourquoi avoir ajouté un « X » à « Feu » ?
Feux : Je suis quelqu’un de très visuel et je trouve que, tout simplement, ça rend bien esthétiquement.
La Face B : L’héritage de la langue française dont tu parles, on la retrouve sur tes morceaux. Il n’est pas rare de t’entendre rapper en français et à la fin du clip de Pile, par exemple, tu as mis le mot « Fin ».
Feux : Oui, exactement. Ces petits détails sont importants pour moi. J’adore le cinéma français et, pour ce clip en particulier, je voulais lui donner une touche cinématographique.
La Face B : Qui t’inspire du cinéma français dans tes clips ?
Feux : En fait, je collabore avec de nombreux Français. Je pense notamment à un ami, Owen Kasparian, qui a réalisé plusieurs de mes clips. Je l’ai rencontré l’année dernière, ici à Paris. Il est venu me voir pour me proposer de faire des vidéos ensemble.
Ce qui est intéressant, c’est que nous étions dans la même école, mais on ne s’est jamais vraiment parlé à l’époque. C’est la vie, chacun suit son propre chemin. Ce n’est pas parce que tu fréquentes le même établissement que tu deviens forcément ami avec tout le monde. Mais quand Owen est venu me voir, j’ai tout de suite vu sa passion et son éthique de travail. C’était suffisant pour que j’aie envie de m’investir avec lui. Il y a deux ans, nous avons tourné trois clips ensemble : deux en Normandie et un à Paris.
La Face B : Vous n’en avez pas fait un à Marseille ?
Feux : Si, nous en avons tourné un à Marseille également. C’est un réalisateur que je respecte beaucoup, et le fait de collaborer avec quelqu’un qui comprend l’esthétique du cinéma français, ça change tout. Il a réussi à capter quelque chose de spécial. Je trouve que les vidéos plus cinématographiques sont plus cohérentes avec ma musique ; ce ne sont pas de simples clips, mais de véritables projets dans lesquels nous mettons beaucoup d’efforts.
La Face B : Sur la création des clips, tu réfléchis beaucoup en amont à l’image ? Ou tu te laisses un peu guider par le réel ?
Feux : Ça a toujours été primordial pour moi d’être impliqué dans l’aspect visuel.
La Face B : Même les images en général ?
Feux : Absolument tout. Les pochettes, la direction artistique… c’est très important pour moi de participer à l’ensemble du processus. Parfois, je me considère presque plus comme un artiste visuel que comme un musicien. Mais en réalité, les deux sont à 50-50 pour moi. C’est la raison pour laquelle j’accorde autant d’importance aux clips et à tous les éléments visuels.

La Face B : Dans une interview, tu disais que tu voulais être un artiste « de forme libre ». Est-ce que ça veut dire qu’il va y avoir d’autres formes d’art qui vont arriver ? Vas-tu te lancer dans la création d’autres choses que des clips et de la musique ?
Feux : Oui, bien sûr. Je pense que la musique est connectée à toutes les formes d’art. J’ai par exemple eu l’opportunité de travailler avec des amis, par exemple avec ceux qui créent des vêtements, ce qui est une superbe expérience. La musique m’ouvre des portes vers l’art visuel, elle m’a même permis de réaliser mes propres clips. C’est ça qui est intéressant, ça donne l’opportunité de s’essayer à plusieurs médiums. J’aime créer des vêtements, j’aime réaliser… Évidemment, la musique reste la part la plus importante de mon projet, mais j’apprécie d’être considéré comme quelqu’un de plus qu’un simple musicien.
La Face B : Et d’ailleurs, comment as-tu commencé la musique ?
Feux : J’ai commencé à l’école. Il y avait une salle de musique au sous-sol que personne n’utilisait en dehors des cours. Je n’ai jamais appris la musique de manière académique. En revanche, mes parents, qui travaillent tous les deux dans le domaine de l’art, m’emmenaient beaucoup dans les musées et non à des concerts. On voyageait pour voir de l’art. C’est quelque chose qu’ils aiment profondément et ça m’a naturellement influencé.
Je crois que j’ai une connexion innée avec la musique, sans doute grâce à ma mère, mais j’ai réellement commencé à en faire à l’école. Honnêtement, à la base, c’était simplement un besoin de m’exprimer. C’est comme ça que tout a commencé.
La Face B : Tu étais tout seul ou avec des potes ?
Feux : Au début, j’étais seul chez moi, sur GarageBand. J’avais un ami qui créait des prods, et c’est avec ça que j’ai commencé. J’ai enregistré cinq ou six morceaux que j’ai mis sur SoundCloud, mais pendant près de six mois, je n’en ai parlé à personne. C’était vraiment un projet personnel.
Plus tard, j’ai commencé à utiliser le studio de mon école pour monter un petit projet. Ensuite, je suis parti à Glasgow, et c’est là que j’ai eu plus d’occasions de faire des petits concerts et de rencontrer d’autres artistes. Les choses ont évolué progressivement à partir de là. Puis, avec la pandémie de Covid, j’ai dû quitter l’université pour rentrer à Londres, ce qui m’a donné beaucoup de temps pour me consacrer pleinement à mes projets et travailler sur ma musique.
La Face B : Quand tu as commencé, j’ai l’impression que c’était très Hip-Hop, presque Boom Bap. Maintenant, on voit que tu touches à plein de styles différents. Comment te définirais-tu aujourd’hui ?
Feux : C’est une chose que je suis encore en train de découvrir. Quand j’ai commencé la musique, le Boom Bap correspondait à ce que je préférais. Je pense que, de nos jours, le rap est une porte d’entrée assez accessible dans la musique. Mon grand frère écoutait beaucoup de rap et m’a fait découvrir énormément de Hip-Hop, principalement du Boom Bap ; jamais rien de très moderne ou rapide. J’avais donc l’impression d’être un peu unique en faisant du Boom Bap. Avec le temps, j’ai trouvé que ça pouvait devenir un peu répétitif. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à trouver ma voix, à chanter davantage et à mélanger le rap et le chant. Cinq ou six ans plus tard, j’expérimente toujours pour trouver ce que je préfère faire. Mon prochain projet, justement, reflétera cette évolution de mes goûts musicaux au fil des ans. Souvent, un artiste cherche à être reconnu pour un style précis, mais il faut parfois savoir évoluer. J’ai un peu fait l’inverse : j’ai commencé en explorant de nombreux styles, en chantant, en rappant… et c’est maintenant que je ressens le besoin de consolider tout ça.
La Face B : C’est vrai que ton style est très varié. Ce n’était pas évident de te catégoriser au début, mais sur tes derniers sons, y compris visuellement, j’ai l’impression que ça devient plus… compact.
Feux : Oui, ça se compacte. Ça me fait plaisir d’entendre ça. C’est une tendance que j’ai d’aller un peu dans tous les sens, donc c’est important pour moi d’arriver à me définir, et c’est ce que j’essaie de faire en ce moment.
La Face B : Tu disais que tu aimais surtout le boom bap au début. Est-ce que tu écoutes de nouveaux genres aujourd’hui ? Qu’est-ce qui t’inspire ?
Feux : Ma playlist contient environ 5000 morceaux, ce qui explique un peu pourquoi j’ai du mal à m’enfermer dans un seul style. Le spectre de ce que j’écoute est immense. Honnêtement, ce sont des questions que je trouve assez difficiles. L’inspiration peut venir de n’importe où. Ça peut être une abeille sur une fleur, c’est un peu poétique de dire ça, mais c’est l’idée. Le simple fait de voir quelque chose peut m’inspirer. Parfois, j’écris des chansons basées sur les expériences de mes proches. Quand tu n’as pas forcément quelque chose à dire sur toi, tu peux puiser l’inspiration dans la vie des autres. Musicalement, ma mère jouait du piano classique.
La Face B : C’est ta première inspiration ?
Feux : Pas vraiment elle, mais plutôt le sentiment que sa musique procurait. Une émotion pure, sans paroles, juste la musique. C’est probablement ça, ma première inspiration.
La Face B : Pour revenir au français, comment choisis-tu ce que tu vas dire dans cette langue ? Y a-t-il des choses qui sont plus faciles à exprimer en français qu’en anglais ?
Feux : C’est une excellente question. La réponse arrivera bientôt… En fait, j’ai enregistré un morceau entièrement en français il y a deux semaines.
La Face B : Ah oui, 100% en français ?
Feux : Oui, et j’ai aussi produit l’instrumental. Mais c’est une autre paire de manches, it’s another beast comme on dit en anglais. Pour atteindre le niveau que je vise en tant qu’artiste qui s’exprime en français, ça va me demander encore du temps, peut-être quatre ans. Je me mets volontairement dans des situations qui me forcent à évoluer. C’est difficile… On dit souvent qu’on pense dans une seule langue. Honnêtement, je ne saurais pas dire avec certitude, mais pour moi, c’est probablement l’anglais.
La Face B : Et pour finir, quelle est la suite pour toi ?
On travaille sur plusieurs projets. D’ailleurs, on vient tout juste de sortir un nouveau single, « From the Start », que j’ai créé en 2022.
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Feux: ‘I’m looking for the purest connection with the music around me.’
For Max, aka Feux, it all began in secret on GarageBand. Hidden from view, the young student at London’s French lycée composed his first Boom bap-inspired sounds. A little later, as he shared his passion with his friends, Feux was born. This multi-talented artist has created a world of his own, where music and film clips are one and the same. How does one go from the hip-hop of his beginnings to an unclassifiable style? How does visual art feed into his music? The London artist talks to La Face B about his evolution, his inspirations and his ambition to master French, to discover this other side of himself. Bilingual interview.
By Adèle Thiery & Raphaël Baumann
La Face B: Can you introduce yourself for those who don’t know you?
Feux: My name is Max. I’m a singer, producer and designer. I come from London, where I was born and now live.
La Face B: Where does your stage name, Feux, come from?
Feux: My stage name, Feux, came about a bit by chance when I was MCing in London. I didn’t have much experience of music or performing at the time. It almost started as a joke with my friends. As I was the only one who spoke French, they nicknamed me ‘MC Baguette’ or ‘MC Croissant’. Then one of them started calling me “MC Feu”, or something like that, in reference to the English expression “it’s fire”. It stuck and I think it’s part of my identity. I’m a French speaker, not French, but Belgian through my mother, and I went to French school in London for most of my life. So French is part of my identity and it’s something I’m trying to reconnect with, because it’s part of my culture. So my name, even if the literal translation is ‘Feux’ in the plural, stands out in the English context, ‘it stands out’.
La Face B: Why did you add an ‘X’ to ‘Feu’?
Feux: I’m a very visual person and I think that, quite simply, it looks good aesthetically.
La Face B: The heritage of the French language that you talk about can be found in your songs. It’s not unusual to hear you rap in French and at the end of the video for Pile, for example, you put the word ‘Fin’.
Feux: Yes, exactly. These little details are important to me. I love French cinema and, for this clip in particular, I wanted to give it a cinematic feel.La Face B: Who inspires your videos from French cinema?
Feux: In fact, I work with a lot of French people. I’m thinking in particular of a friend of mine, Owen Kasparian, who has directed several of my videos. I met him last year here in Paris. He came to see me and suggested we make some videos together.
What’s interesting is that we went to the same school, but we never really spoke at the time. That’s life, everyone follows their own path. Just because you go to the same school doesn’t mean you’re friends with everyone. But when Owen came to see me, I immediately saw his passion and his work ethic. That was enough to make me want to get involved with him. Two years ago, we shot three music videos together: two in Normandy and one in Paris.
La Face B: Didn’t you do one in Marseille?
Feux: Yes, we shot one in Marseille too. He’s a director I have a lot of respect for, and working with someone who understands the aesthetics of French cinema changes everything. He’s managed to capture something special. I find that the more cinematic videos are more consistent with my music; they’re not just simple clips, but real projects into which we put a lot of effort.
La Face B: When you’re creating your videos, do you put a lot of thought into the image beforehand? Or do you let yourself be guided a bit by reality?
Feux: It’s always been essential for me to be involved in the visual aspect.
La Face B: Even the images in general?
Feux: Absolutely everything. The covers, the art direction… it’s very important for me to be involved in the whole process. Sometimes I almost consider myself more of a visual artist than a musician. But in reality, the two are 50-50 for me. That’s why I attach so much importance to music videos and all the visual elements.
La Face B: In an interview, you said you wanted to be a « free-form » artist. Does that mean there are going to be other forms of art coming your way? Are you going to start creating things other than music videos and music?
Feux : Yes, of course. I think music is connected to all forms of art. I’ve had the opportunity to work with friends, for example, who design clothes, which is a great experience. Music opens doors to the visual arts, and has even enabled me to make my own music videos. That’s what’s interesting, it gives you the opportunity to try out different mediums. I like designing clothes, I like directing… Obviously, the music remains the most important part of my project, but I appreciate being seen as more than just a musician.
La Face B: By the way, how did you get started in music?
Feux: I started at school. There was a music room in the basement that nobody used outside lessons. I never learnt music in an academic way. On the other hand, my parents, who both work in the art world, used to take me to museums a lot, not to concerts. We travelled to see art. It’s something they love deeply and that naturally influenced me.
I think I have an innate connection with music, probably thanks to my mother, but I really started doing it at school. Honestly, at the beginning it was just a need to express myself. That’s how it all started.
La Face B: Were you on your own or with friends?
Feux : In the beginning, I was alone at home, on GarageBand. I had a friend who created prods, and that’s what I started with. I recorded five or six tracks that I put on SoundCloud, but for nearly six months I didn’t tell anyone about it. It was really a personal project.
Later, I started using my school’s studio to put together a small project. Then I moved to Glasgow, and that’s where I had more opportunities to do small concerts and meet other artists. Things developed gradually from there. Then, with the Covid pandemic, I had to leave university to return to London, which gave me a lot of time to devote myself fully to my projects and work on my music.
La Face B: When you started out, I get the impression that it was very hip-hop, almost Boom Bap. Now we see that you’ve touched on lots of different styles. How would you define yourself today?
Feux: That’s something I’m still discovering. When I started out in music, Boom Bap was what I liked best. I think these days rap is a pretty accessible gateway into music. My older brother listened to a lot of rap and introduced me to a lot of hip-hop, mainly Boom Bap; never anything very modern or fast. So I had the impression that doing Boom Bap was a bit unique. Over time, I found that it could become a bit repetitive. That’s when I started to find my voice, to sing more and to mix rap and singing. Five or six years later, I’m still experimenting to find what I like best. My next project will reflect this evolution in my musical tastes over the years. Often an artist wants to be known for a particular style, but sometimes you have to evolve. I started out exploring a lot of different styles, singing and rapping… and now I feel the need to consolidate all that.
La Face B: It’s true that your style is very varied. It wasn’t easy to categorise you at first, but on your latest sounds, even visually, I get the impression that it’s becoming more… compact.
Feux: Yes, it’s all coming together. I’m pleased to hear that. I tend to go in all directions, so it’s important for me to be able to define myself, and that’s what I’m trying to do at the moment.
La Face B: You said you were mainly into boom bap at the beginning. Do you listen to any new genres these days? What inspires you?
Feux: My playlist contains about 5,000 tracks, which goes some way to explaining why I find it hard to confine myself to a single style. The spectrum of what I listen to is immense. Honestly, I find it quite difficult to answer these questions. Inspiration can come from anywhere. It could be a bee on a flower, it’s a bit poetic to say that, but that’s the idea. Just seeing something can inspire me. Sometimes I write songs based on the experiences of people close to me. When you don’t necessarily have something to say about yourself, you can draw inspiration from other people’s lives. Musically, my mother played classical piano.
La Face B: Was she your first inspiration?
Feux : Not really her, but rather the feeling that her music gave. Pure emotion, no words, just the music. That was probably my first inspiration.
La Face B: Coming back to French, how do you choose what to say in that language? Are there things that are easier to express in French than in English?
Feux: That’s an excellent question. The answer will come soon… In fact, I recorded a song entirely in French a fortnight ago.
La Face B: Oh yes, 100% in French?
Feux: Yes, and I also produced the instrumental. But that’s a different kettle of fish, it’s another beast as they say in English. To reach the level I’m aiming for as an artist who expresses himself in French, it’s going to take me a long time, maybe four years. I deliberately put myself in situations that force me to evolve. It’s difficult… It’s often said that we think in one language. Honestly, I couldn’t say for sure, but for me it’s probably English.
La Face B : And finally, what’s next for you?
We’re working on several projects. In fact, we’ve just released a new single, « From the Start », which I created in 2022.