Le son d’un nuage qui se dissout : Rainy Sunday Afternoon de The Divine Comedy

Une bouffée d’harmonies, aussi mélancoliques que sublimes, nous caresse l’ouïe avec Rainy Sunday Afternoon, nouvel opus réussi signé The Divine Comedy.

Entre deux silences

La richesse du talent de Neil Hannon n’est plus à prouver depuis maintes années. Après quelque temps de pause et d’échappées personnelles depuis Office Politics en 2019, le mélodiste a prêté sa plume au cinéma : LOLA, œuvre sonore fantôme introuvable sur le net, et Wonka, tapisserie orchestrale partagée avec Joby Talbot. Mais, comme un boomerang jeté depuis le bord d’une falaise, l’inspiration lui revient toujours en plein cœur. Il ne sait pas s’éloigner longtemps des chansons. Il en est prisonnier, peut-être, mais d’une cage dorée, celle où la mélodie sert de mémoire et de refuge. C’est à Abbey Road, ce ventre mythique saturé de culte mélodique, que lui et ses musiciens ont déposé ces onze morceaux, gravant sur la bande des fragments d’existence. Rainy Sunday Afternoon s’y est formé comme se forme un nuage : lentement, d’abord en vapeur, puis en pluie, enfin en lumière.

Les minutes suspendues

Cet opus est la patience du temps qui passe, la lente respiration de celles et ceux qui n’ont plus besoin de prouver mais simplement de dire. Tout commence avec un soldat mythologique qui regarde la mort en face, non pas celle d’Achille, mais celle de chacun de nous, chaque fois que le monde nous blesse. Et déjà, quelque chose se tisse : une conversation entre l’héroïque et le minuscule, entre la mémoire collective et nos petites tragédies personnelles.


Le vieux monde s’écroule doucement, mais le musicien irlandais ne s’y oppose pas, il le contemple, avec ce regard fatigué et tendre qu’on réserve à un parent âgé qui s’efface. The Last Time I Saw the Old Man où le temps palpite dans un souffle. Nous sentons presque la main fragile sur la nôtre, la chaleur d’un adieu qu’on n’a pas su prononcer.


C’est ainsi que la mue arrive, absurde et sublime. The Man Who Turned Into a Chair fait basculer la réalité dans le rêve. Nous y voyons notre propre immobilité se matérialiser, notre confort se transformer en piège. C’est drôle, bien sûr, mais d’un rire triste, de ceux qui se brisent au milieu de la gorge. Et très soudainement, une ligne d’amour se tend. I Want You réintroduit la flamme, le besoin brut, l’obsession sincère de l’autre, sans détour, sans posture.

Une pluie pour adoucir le monde

Le disque respire comme un corps. Après la tension, la pluie. Le titre éponyme de l’album est le cœur battant du disque, sa confession, sa vérité nue. Une fenêtre ouverte sur un dimanche gris dans nos têtes, un moment aérien entre la dispute et la tendresse retrouvée. L’eau venu du ciel nettoie ici. Elle lave nos colères, nos illusions, nos petits désastres.

Une porte s’ouvre. Derrière, All the Pretty Lights est la mémoire de l’enfance, les lumières de Noël, Londres qui scintille comme un souvenir trop vif pour être réel. Hannon y redeviendrait presque un enfant, à genoux devant le jouet qu’il ne possède plus. Mais il ne cherche pas à revivre, seulement à comprendre pourquoi la beauté, parfois, fait mal.


Down the Rabbit Hole nous tire par le col dans un monde inversé, absurde, où les vérités se retournent sur elles-mêmes. Les échos du présent y résonnent. Le délire des puissants (notamment d’un en particulier), la logique déformée d’un monde numérique qui tourne à vide. Et comme si cela ne suffisait pas, Mar-a-Lago by the Sea nous plonge dans la satire pure, le grotesque doré des puissants qui s’autoconsomment. C’est acide, mais jamais amer. Le musicien n’accuse pas, il transforme la laideur en opéra, l’excès en ritournelle et le ridicule en légèreté éphémère.

Marcher dans la brume

Ce parcours entre ces notes s’épure. The Heart is a Lonely Hunter ramène la poussière et le vent, le galop du cœur en quête de sens. La chanson avance comme un cavalier dans le brouillard, et nous sommes ce cavalier : perdus, magnifiques, obstinés à chercher une lumière là où il n’y a que des ombres. C’est une marche lente et savoureuse, presque nostalgique, qui traverse les fibres, comme si une révélation soudaine nous était parvenue dans un ciel pesant.

Can’t Let Go ne s’encombre pas de ces sublimes vers de Neil Hannon, mais regarde là où un message peut être plus subtil ou plus intime.

Le fil qui ne rompt pas

Invisible Thread, ce fil invisible qui relie tout : les vivants et les morts, les amants et les absents, la musique et le silence. C’est la dernière pluie avant le beau temps, la dernière phrase avant le silence. Tout s’y résout sans se conclure, car Neil Hannon, accompagné en fond sonore de Willow Hannon, ne cherche pas la fin. Il cherche la continuité et la transmission. Ce lien ténu, presque imperceptible, qui fait que nous restons liés les uns aux autres, malgré tout. Revenir à ce qu’il y a de plus cher en lui, ce pourquoi les jours qui passent auront toujours une saveur malgré un temps implacable : sa fille.

Rester dans la lumière douce

L’album se referme comme un livre de souvenirs. Et nous, qui avons traversé la pluie, la mémoire, la satire, la tendresse, nous en ressortons apaisés. Pas heureux, si, quand même, mais surtout lucides. Rainy Sunday Afternoon est une leçon de beauté, de mélancolie lumineuse. Ce n’est pas un disque qui sert à fuir le monde, c’est un moyen pour l’habiter autrement, les yeux grands ouverts, avec un peu de douceur dans la gorge et des chansons encore inoubliables dans la tête.

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