On a eu la chance de pouvoir rencontrer Le Cha pour parler de son dernier EP Irréprochable, de sa release party à FGO ainsi que de son rapport à la vulnérabilité et à l’humour.

LFB : Comment ça va ? Il y a 15 jours, tu jouais à FGO Barbara pour la sortie de ton nouvel EP Irréprochable. C’était comment ?
Le Cha : C’était trop bien. On a beaucoup travaillé sur cette date. On a tout organisé de A à Z depuis février et ça l’a fait… C’était presque complet, alors on était trop contents. Le lendemain, j’étais vidé.
LFB : Tu as eu des retours ?
Le Cha : Ouais, bien sûr, j’ai eu plein de bons retours. J’ai pas eu de mauvais retours par contre. C’est dommage, j’aurais bien aimé un petit mauvais retour.
LFB : J’ai trouvé que la guitare était très mal accordée sur le dernier morceau.
Le Cha : Oui, ça c’est vrai.
LFB : Plus sérieusement, c’était un super concert. Ça faisait six ans que je ne t’avais pas vu, alors je découvrais plein de choses, et notamment comment tu occupes l’espace scénique. Ta manière de ne pas parler avant le morceau J’ai pas envie de parler (avant le début du morceau, Le Cha fait semblant de regarder son téléphone sur scène comme s’il n’avait pas envie d’être là, et en réalité prend un selfie avec le public NDLR)…
Le Cha : Tu as aimé ? Trop bien. J’avais peur que ça soit un peu forcé… C’est la première fois que je le faisais aussi long. Mais le truc du téléphone, ça devient une tradition à chaque concert. Je le fais au tout début du concert, comme ça j’ai aussi une story avec le public. Les gens qui ne sont pas là en direct peuvent quand même se dire « tiens, ça vient de commencer » en regardant sur Instagram. C’est marrant.
LFB : Et alors, tu fêtais la sortie de Irréprochable, ton dernier EP.
Le Cha : Absolument.
LFB : Pourquoi est-ce-que ça avait du sens de faire un EP et pas un nouvel album, après le premier qui est sorti en 2023 ?
Le Cha : Parce que… Il y a plein de raisons. J’avais pas mal de morceaux d’avance. Mais ils avaient deux moods différents. Il y a l’ambiance de Irréprochable qui est un peu pop-chanson, et une ambiance avec davantage de production, plus moderne, dans l’EP à venir… Je voulais les séparer, pour privilégier un format court et avoir deux objets cohérents de A à Z.
Il y a aussi que les chansons d’Irréprochable sont toutes écrites autour d’un évènement et d’un moment de ma vie, alors ça avait du sens de les réunir. Et puis, un album, c’est beaucoup d’investissement de temps, d’argent… Pour, au bout du compte, lâcher 12 titres, et, si ça marche, tant mieux, si ça marche pas, tant pis… Alors qu’un EP c’est presque une compilation de singles que l’on peut travailler individuellement.
LFB : Le premier morceau que tu as sorti sur ton tout premier EP, en 2019, s’appelle C*nnard.
Le Cha : Oui, c’est vrai.
LFB : Le premier morceau du dernier EP, en 2025, s’appelle FDP.
Le Cha : Oui, c’est vrai.
LFB : Au delà de la coïncidence, est-ce que tu dirais qu’il y a des choses qui ont changé dans ton écriture depuis le premier EP ?
Le Cha : Oui, je pense.
LFB : Qu’est-ce qui a changé dans ta manière d’approcher l’écriture, dans ta manière de faire des chansons ?
Le Cha : En fait, je ne sais pas bien. Je crois que je ne sais toujours pas écrire. C’est un peu instinctif. Je n’écris pas souvent… Quand je le fais, c’est que j’ai une idée. Mais je n’ai pas de technique, et je ne me considère pas comme auteur non plus. Juste, parfois, j’arrive à écrire des trucs.
Ceci dit, peut-être qu’auparavant je me cachais derrière l’humour pour dire des choses. Je faisais des blagues qui me permettaient de moins me dévoiler… Je pense qu’avec le temps, j’ai réussi à lâcher un peu cette chose là. Mais ça reste marrant malgré moi, je crois.
LFB : C’est en effet la sensation que j’ai eue en écoutant l’EP. On y entend une vulnérabilité que tu n’avais pas exprimée jusqu’à présent, ou pas de cette manière. Jusqu’à présent dans tes chansons, la vulnérabilité n’était là que par allusions, il fallait la deviner derrière le second degré…
Le Cha : Oui, il y avait des petites pointes.
LFB : Mais ici, elle est explicite. Est-ce que ça faisait peur, cette vulnérabilité ?
Le Cha : Ça faisait peur et je ne savais pas comment formuler la vulnérabilité sans la rendre lourde. Je pensais qu’il y aurait forcément quelque chose d’un peu forcé, d’un peu pathos. Ça n’est pas dans ma nature de beaucoup m’apitoyer ou de dire ce qui ne va pas… Lorsque c’est le cas, j’essaye de régler les choses avec moi même, pas de les transmettre… Raconter ce qui ne va pas n’est pas un réflexe.
Mais cette fois-ci, je ne pouvais pas faire autrement. J’étais dans une période qui rendait nécessaire d’écrire ces choses-là.
Et désormais, je crois que je trouve davantage de sens à écrire des choses plus personnelles et vulnérables qu’à faire des chansons drôles.
LFB : En écoutant l’EP, on se dit presque que ça n’est plus l’EP du Cha, mais que c’est celui de Victor. Il est en effet très personnel.
Le Cha : Trop bien.
LFB : Et justement, ce qui m’a beaucoup touché, c’est que j’avais envie de rire et pleurer en même temps pendant l’intégralité de l’EP. Comme la sensation que les deux émotions pouvaient se défendre sur chaque titre. C’est un équilibre difficile à atteindre… Et je trouve, un geste d’écriture très fort. On peut parler un peu de la réalisation, il me semble que là aussi, il y a des choses qui ont bougé, notamment en laissant davantage de place à ta voix. Comment tu l’as conçu cet EP ? C’était une co-réalisation avec Edgar Michaud, c’est bien ça ?
Le Cha : Oui. C’est vrai que sur les anciens projets sortis du Cha, il y avait un travail de groupe, de musiciens. L’album Recette secrète a été enregistré en studio en jouant live. Et dans la démarche, il y avait presque l’idée que c’était la musique au premier plan sur laquelle on rajoutait du texte. Même si le texte était important, notre attention était focalisée sur les petites subtilités, les petites mesures, les petits breaks, les petits trucs malins…
LFB : Un côté un peu projet du conservatoire ?
Le Cha : Un tout petit peu. Et puis aussi ce truc-là, fan de Vulfpeck, il fallait que ça groove… Maintenant j’aime un peu plus les morceaux simples, ceux qui vont à l’essentiel. Et ça se sent aussi dans la musique, elle laisse de la place au texte, parce qu’il y a moins d’accords de partout, qu’elle est plus simple, davantage droit au but…
LFB : Vous l’avez toujours enregistré live ?
Le Cha : Non, pas du tout. Cette fois, c’était très différent. Je suis parti de maquettes faites chez moi, plus ou moins avancées selon les morceaux… FDP, elle était quasi comme elle est sur l’EP sauf qu’on a tout rejoué, puis enregistré la batterie, la basse, le piano chez moi avec sa sourdine qui grince…
LFB : Il sonne super, ce piano.
Le Cha : Oui il sonne bien, il est un peu sale, un peu faux, mais merveilleux, on entend les marteaux sur l’intro et mon siège qui craque…
LFB : Avec ta voix au premier plan, ça fait quelque chose de très cohérent, très exposé.
Le Cha : C’est peut-être celui qui sonne le plus live de l’EP. Mais pour le reste, ça a été fait bout par bout, assemblé à des endroits différents… Parfois, on a beaucoup changé la direction des maquettes. Fantôme était beaucoup plus rock à l’origine, un peu inspiré par le super groupe Fizz.
LFB : Je ne connais pas…
Le Cha : Un groupe avec Orla Gartland et Dodie, une sorte de réunion qui sonne un peu comme Queen avec plein de choeurs partout… Je pense que tu vas aimer, pour moi c’était une claque.
LFB : Ça fait un moment que je n’ai pas entendu parler de Dodie, il faut que je me remette à la page, j’avais adoré les premiers EP…
Le Cha : Fizz n’a finalement pas grand chose à voir avec ce qu’elle fait actuellement… C’est presque rock prog… Et après elles ont splitté. Bref, j’avais découvert ce truc, je m’étais dit « trop stylé », et avais voulu faire un morceau dans le style. Mais ça ne marchait pas bien, ça sonnait forcé… Alors je l’ai ramené à Edgar, et on est reparti de zéro. On a tout fait dans son petit studio chez lui, de A à Z. On y a passé du temps. Il y a eu 18 versions, je crois.
Globalement, sur l’EP, on a travaillé chaque morceau comme s’il s’agissait d’un single. On a eu beaucoup de temps pour revenir en arrière, peaufiner les choses. Entre la fin de l’écriture et la fin de l’enregistrement, il y a eu presque un an. J’ai bien aimé ce temps long.
LFB : Je repense à ce que tu disais tout à l’heure. Pour moi, dans chaque chanson, il y a une ligne très mince qui sépare premier et second degré, comme une espèce de frontière microscopique. Certaines penchent plus d’un côté, certaines davantage de l’autre… Et toi, sur Irréprochable, tu es pile-poil au milieu. Sur la ligne. Est-ce-que tu as l’impression, maintenant que tu as réussi à atteindre cet équilibre, que tu vas à nouveau pencher d’un côté dans le futur ? Passer vraiment dans le premier ou revenir dans le second ?
Le Cha : Bah… Je suis toujours un peu entre les deux… Mais en fait, je fais pas exprès. C’est à dire que FDP, pour moi, elle est dramatique.
LFB : Elle l’est, mais pas que !
Le Cha : Mais moi, je m’attendais vraiment pas à ce que les gens rigolent.
LFB : Elle est dramatique et hilarante à la fois.
Le Cha : En l’écrivant, je ne m’en rendais vraiment pas compte. Je ne fais pas exprès… En fait, il y a une phrase pour moi qui est un peu marrante, c’est la première. Mais quand je l’ai écrite, j’étais hyper triste. Cette phrase… C’était un petit sourire, mais qui exprimait ce que je pensais plutôt qu’une idée drôle. C’est pas une punchline.
LFB : C’est la manière de chanter aussi qui crée cette ambiguïté, et puis, je trouve, cette manière de moquer les codes de la masculinité, de vouloir jouer les gros bras vengeurs et de se débiner dans la même phrase…
Le Cha : En fait, pour moi, c’était pas drôle. C’était vraiment : j’ai envie de lui défoncer sa gueule, et en même temps, je vais jamais le faire parce que c’est exactement ce que beaucoup de gens feraient. Je me faisais des films dans ma tête, tout en me disant : c’est pas la réalité. La réalité c’est qu’on est civilisé, et que c’est la vie, que c’est comme ça. Et ça a fait une phrase drôle.
Tout à l’heure je réécoutais la captation du concert à FGO, et à la fin du premier refrain, quand je dis « si tu reviens j’oublie tout », il y a des gens qui se tapent une barre. Et moi je me dis « c’est fou quand même, c’est vraiment pas si marrant… ».
LFB : C’est aussi parce qu’on a eu une piste de lecture pendant le concert qui était plutôt comique, alors quand cette chanson arrive, elle est prise dans la même grille de lecture que les autres…
Le Cha : Oui, c’est vrai… Mais même quand je l’ai sortie en ligne, les commentaires, sur les réseaux, c’était « Haha, trop marrant, MDR ». Alors que pour moi, c’était mon morceau sensible…
LFB : C’est terrible, je crois que je connais très bien cette sensation. Il y a deux ou trois ans, je jouais des chansons très premier degré en concert. Je me souviens d’un morceau de rupture, où, à l’issue du premier refrain, j’entendais souvent des rires dans la salle. Au début, j’étais vexé…
Le Cha : Oui… C’est aussi lié à une posture, à ce que tu incarnes sur scène… On fait tous les deux des blagues entre les morceaux, on cache des choses derrière ça, et puis, dans mes souvenirs, on est tous les deux pas très fort pour faire genre qu’on va mal. On a pas ce truc torturé… Mais c’est peut-être un peu cool aussi, que les gens aient plus envie de rire que de pleurer en notre présence.
LFB : J’aime bien demander aux gens qui écrivent des chansons de me raconter l’histoire d’une chanson, à savoir comment l’idée est née, quelles sont les questions que tu te posais pendant le processus, pendant l’enregistrement… Peut-être qu’on peut en prendre une au hasard, par exemple : Gros camion.
Le Cha : Alors, c’est une histoire complètement vraie. Je rentrais d’un concert à Magny-Le-Hongre, à File7. Il devait être une heure du matin sur l’autoroute… Un camion sur la file du milieu, un petite voiture sur celle de gauche, et tout d’un coup, le camion dévie. Il obstrue le chemin de la petite voiture qui lui est rentrée dedans… Même si elle a pas explosé comme dans le morceau. Moi j’étais derrière, j’ai pilé et les gens sont sortis de leur véhicule, ils allaient bien. Donc je suis reparti.
LFB : Avec un traumatisme. Mais je trouve que la chanson est super forte aussi parce que là encore tu es vraiment sur la ligne. Cette histoire de gros camion et de petite voiture est tout sauf naïve.
Le Cha : Parce que c’est un peu horrible, ce qu’on se dit après. Dans le morceau, je vais plus loin en sous-entendant qu’il y a eu des morts. Mais ils auraient pu arriver.
LFB : Ils auraient pu arriver.
Le Cha : Et si j’étais parti deux secondes plus tôt, ça aurait pu être moi dans la petite voiture.
LFB : Comment vous l’avez enregistrée celle-ci ?
Le Cha : C’est la plus vieille de l’EP. Elle doit avoir 2-3 ans. On l’a beaucoup jouée en concert avant de l’enregistrer. On a d’abord fait la batterie, puis, la basse, vraiment les choses dans l’ordre. Puis le petit piano où j’ai mis du gaffer sur les cordes.
LFB : Il y a aussi ce son de splash un peu bizarre dans la rythmique, qui fait un peu accident justement…
Le Cha : Il y a des bruits de voiture qui freine, et puis aussi des harmoniques de guitare de Louis (Ledoux, NDLR, le guitariste du Cha)… Avec de la reverb, ça fait une sorte de recul de camion.
LFB : Peut-être que l’équilibre vient aussi de là. Une chanson faussement second degré, qui est très arrangée, avec un sourire de musicien, ce solo à la fin avec l’accélération…
Le Cha : Cette accélération à la fin, on l’a faite à l’ordinateur. C’était une idée de prod… On se demandait : « qu’est-ce qu’on fait de cette fin ? ». À la base, il y avait trois solos successifs. Moi, je trouvais ça marrant, mais c’est un peu relou. Du coup, Louis a enregistré son solo sur la première partie. Après, on s’est dit, on va accélérer la fin. Donc on a pris le solo de Louis, on l’a copié-collé deux fois. Finalement, ça fait le même solo accéléré et transposé.
En fait c’est un solo au tempo normal. Qui est déjà très stylé, ça n’enlève rien à son mérite. D’ailleurs il peut le rejouer à la vitesse si on lui demande de le faire.
LFB : Une de mes phrases préférées de 2025, c’est sur Parfait : « je suis comme Jésus en pas connu ». Je m’y rattache beaucoup, même si j’ai pas la barbe pour pouvoir le prétendre.
Le Cha : Les cheveux marchent mieux.
LFB : J’essaye de rentrer dans le personnage. Au concert, tu disais qu’il y allait y avoir un second EP. Tu peux nous en dire plus ?
Le Cha : Il va s’appeler Insupportable. J’aimerais bien qu’il sorte en octobre prochain, un an après celui-là. Pour l’instant, il y a trois morceaux écrits. J’aimerais bien en avoir deux ou trois autres. Dans Irréprochable, je parlais beaucoup d’une rupture, et dans Insupportable, j’aimerais bien parler de ce qu’il se passe ensuite, lorsqu’on a passé le cap, que l’on rencontre quelqu’un d’autre, avec qui la relation est forcément influencée par ce qu’on a vécu avant. Cet EP là sera plus moderne, plus prodé. En tout cas, c’était vraiment mon point de départ pour les morceaux.
J’ai encore du mal à trop en parler parce que je sais pas trop.
LFB : Tu sais déjà que tu veux l’appeler Insupportable.
Le Cha : Oui, parce qu’il y a deux morceaux qui m’inspirent. Et que ça fait écho au précédent.
LFB : Pourquoi tu avais appelé le précédent Irréprochable ? C’est à cause de Parfait ?
Le Cha : J’J’ai écrit Parfait après avoir trouvé le titre. En fait, j’ai écrit Parfait pour répondre au titre qu’on avait trouvé. Pour le titre, on buvait des coups avec tout le groupe. On était bien éméchés et on parlait de la vie qui n’allait pas. Et Louis me dit, de toutes façon, toi t’es irréprochable comme mec. Et il ajoute : ça ferait un super nom d’EP.
LFB : Et voilà.
Le Cha : Et puis encore une fois ça cultive le paradoxe parce que le premier morceau s’appelle FDP. Quand on le regarde sur une plateforme de streaming, c’est deux lignes l’une à côté de l’autre sur le même écran. C’est marrant.
LFB : Il faudrait que le premier morceau d’Insupportable s’appelle Petit Ange.
Le Cha : Petit Ange, oui. Fils de personnes sympathiques. Fils prodige. Fils prodige, oui.
LFB : Est-ce qu’il y a quelque chose que tu veux ajouter ?
Le Cha : Là, comme ça, je ne vois pas. Merci beaucoup.
LFB : Merci à toi.