L’interview qui cultiva Un Jardin de Silence

A l’occasion du spectacle autour de Barbara, justement nommé Un Jardin de Silence, nous avons rencontré le comédien Thomas Jolly, le musicien Babx et la chanteuse L (Raphële Lannadère). A travers cette entrevue nous avons planté le décor en invoquant Barbara, la vérité dans l’art, puis le hasard.

LFB : Bonjour, vous jouez dans quelques heures, vous n’êtes pas trop stressés ? 

Thomas Jolly : Quelques heures, même pas quelques heures ! 

Raphaële Lannadère : Dans une heure dix huit..

T.J : T’es stressée toi ? 

R.L : Non, pas très mais ça va monter doucement 

T.J : Là ça va. Le stress arrive dix minutes avant le lever de rideau. 

Vous présentez un spectacle autours de Barbara. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous ? 

R.L : Quelque chose de l’ordre de la « maman de musique », un modèle mais aussi un carcan. 

T.J : Je connaissais les grands titres de Barbara part une amoureuse que j’ai eue au lycée qui était fan, mais je n’ai jamais eu d’admiration folle pour Barbara. La proposition que m’a faite Raphaële il y a deux ans m’a fait complètement rentrer dans son œuvre, où j’ai découvert des perles que je ne connaissais pas. L’Œuvre, mais surtout l’artiste, la femme. Elles ne faisaient qu’une. J’ai été absolument frappé, complètement fasciné par sa posture de chanteuse et son implication dans son œuvre. Elle tente une explication, une mise à nu, une vérité.

Babx : Elle représente certainement la cinquième religion monothéiste érigée par ma mère, dont j’ai voulu à tout pris m’extraire. A chaque fois que je la fuis, je cours très vite pour la semer mais elle est toujours là. Elle arrive à m’avoir par ces chansons, par ce qu’elle est. 

LFB : Babx, vous avez commencé la musique en jouant pour une troupe de théâtre. L, vous avez un chant comme Barbara, très expressif et récité, proche du théâtre. Et vous, Thomas Jolly, vous jouez mais vous chantez également. Est-ce que c’était une évidence de faire une pièce à la fois musicale et théâtrale ? 

R.L : Oui, je pense. Par rapport à Barbara, c’est difficile de ne pas faire de musique… 

T.J : … ou de théâtre ! 

R.L : Absolument, car elle est très théâtrale. Puis, de travailler ensemble c’était quand même l’idée. 

T.J : Il y a aussi l’idée de faire un pas de côté. Je n’avais jamais mis en scène de la chanson, ni même réellement chanté. Il y avait cette volonté d’échanger nos disciplines, de les partager. De sortir de la zone de confort de chacun parce que je pense que ce n’est pas évident pour nous trois. 

LFB : Les précédents hommages à Barbara, vous ont-ils inspirés ? 

R.L : On a vu Depardieu

Babx : Ceci dit, il faut être honnête, Depardieu et Amalric, c’était génial. Je pensais même qu’on ne pourrait plus rien faire après ça … comme quoi. (Rires) 

LFB : Justement, comment vous décrieriez le spectacle que vous jouez ? 

Babx : Un chef d’oeuvre ! Un tabac, tout Paris en parle ! (Tout le monde rit) C’est une évocation. Moi qui suis plus en retrait – en n’étant pas un des personnages principaux comme pourraient l’être Raphaële et Thomas – je les observe beaucoup. C’est vrai qu’on dirait un portrait comme un corbeau ! Comme si on avait découpé des petits bout de Barbara un peu partout qu’on recollait où à la fin, on fait un des portraits possibles de cette femme là. 

LFB : Sur le processus créatif, comment ce projet a-t-il démarré ? Vous avez développé le spectacle à partir de chansons, ou alors vous aviez déjà des idées puis vous êtes allés chercher les questions ? 

R.L : C’est sa parole, davantage que les chansons. On a vraiment relevé beaucoup beaucoup d’interviews d’elle et on a bidonné. Il a des choses que je connaissais d’elle : je savais qu’elle pouvait être drôle mais là, j’ai découvert une grosse punk qui peut répondre du tact au tact des choses complètement incroyables aux journalistes. 

T.J : Les interviews ont été la trame, puis les chansons. L’idée n’était pas de faire un best-off. Pour être clair, on est allé dans son répertoire le plus caché, le plus dissimulé, en écho avec ce qui a été dit ou avec la période où elle avait dit cela. Après, je pense qu’il faut rappeler que c’est un spectacle un peu accidentel. Au début, c’était une carte blanche donnée à Raphaële pour le festival Les Émancipés. On avait quatre jours de travail et on a fait ce montage. C’est de là que la directrice du centre culturel de Vannes – où nous jouions – nous a dit de la développer davantage. Il y a eu au départ une impulsion inopinée. C’était un hasard. 

LFB : Est-ce qu’il y aura une autre évolution.. par exemple une captation vidéo ou un disque ? 

R.L : Un disque, je ne pense pas.

Babx : Thomas Jolly chante Barbara. (Rires)

T.J : Je sais qu’une captation est en cours de réflexion. Ça ne dépend pas que de nous, mais aussi des chaînes, de la production etc. Après, le spectacle a une jolie vie : on est à Paris jusqu’au 03 novembre, puis en tournée dans toute la France. 

LFB : C’est un spectacle très travaillé, notamment sur les sens : le son, bien sûr, la vue avec les couleurs chaudes, les détails, le toucher avec les plumes, la douceur des tissus qu’on devine, l’odorat, on sent la fumée de cigarette. Avez-vous travaillé tous les trois sur la scénographie ?

T.J : Oui et non, ce spectacle étant un accident au départ. A un moment donné, je me pose la question du décor, de la scénographie. On avait un budget de l’ordre du presque rien. Alors j’ai pris les fauteuils, les tables, les petites consoles et les petites commodes qu’il y avait dans le hall au théâtre (rires) et on a organisé un espace qu’on voulait comme un intérieur réconfortant mais qui serait mangé par l’extérieur, la végétation. La directrice nous a dit qu’on ne pouvait pas les emmener car c’était quand même les meubles du hall du théâtre. (Rires) Du coup, on en a chiné un peu avant. C’est Sylvain Wavrant qui nous a fait les costumes et participé à la scénographie. L’idée des fleurs est arrivée dans un deuxième temps. 

LFB : Et du coup, le renard empaillé, il est arrivé quand ? (Rires)

Babx : (D’un ton sec, froid et ironique) bah après qu’on l’ait buté ! (Rires)

T.J : Il est arrivé dans un second temps, sur la monture scénographique. Sylvain est un plasticien et taxidermiste… Je tiens à préciser que les animaux qu’il empaille sont tous des accidentés de la route. Ce ne sont pas des animaux tués pour ça… Dans son travail, il a toujours quelque chose autour de l’animalité, des poils, des plumes. C’est pour ça qu’il y a un renard empaillé qui dort dans le jardin de Barbara.

LFB : Justement, comme jardin intime, le rôle que vous jouez, Thomas Jolly, est d’un journaliste à la frontière du confident voire même du psychologue.

T.J : Comme on mêlait beaucoup d’interviews, dont certaines passionnantes, je pense à Denise Glaser, d’autres complètement aberrantes. Aussi, parce qu’elle trouble, elle perturbe les journalistes. Car elle est tellement vraie, tellement directe. Même au début de sa carrière. Il fallait trouver une figure qui soit à la fois celle de l’ami mais aussi un peu l’insolent. Je pense beaucoup à Absolem, la chenille dans Alice au pays des merveilles. (Rires) Il y a un côté un peu Alice dans mon personnage, à la fois il la déteste, il l’aime fort, on ne sait pas l’on peut lui faire confiance. 

LFB : A juste titre, vous parliez de la vérité, l’authenticité. Il me semble que ce sont des choses importantes pour vous trois… 

R.L : Certainement, c’est ce qui me touche chez elle. On retombe toujours sur elle, sur cette vérité. Par exemple, une chanson comme La Solitude. On peut ne pas l’écouter pendant cinq ans, s’en porter bien mais le jour où on retombe dessus, ça nous arrache le cœur, on ne peut pas lutter.

LFB : Il y a d’autres choses très fortes dans ces passages d’interviews comme cette phrase : « je crois qu’il faut les brûler, vivre passionnément, jusqu’à la déchirure ». Est-ce que ça résonne en vous ?

Babx : Ça me rappelle surtout le chanson de Brel : « aimez jusqu’à la déchirure, même trop, même mal. » Je pense que quand on est artiste, c’est ce point là qu’on cherche. Quelle que soit la forme que ça peut prendre. Ça peut être une déchirure extrêmement heureuse, comme une déchirure extrêmement tragique. Dans les deux cas, je crois que ce qu’il y a d’intéressant est cet engagement dans la vie. Être artiste c’est d’aller chercher ça. Et d’ailleurs, je pense que des figures comme Barbara sont toujours là parce qu’elle nous ramène à ça. Il me semble qu’il y a peu d’artistes aujourd’hui qui jouent leur vie. Ça fait du bien de rappeler cela. 

T.J :  Son rapport médiatique par exemple, aujourd’hui il serait impossible. Il y a quand même une femme qui a juste vécu sa vie et sa vie d’artiste comme bon lui semblait. Elle chantait quand elle voulait, arrêtait les tours de chant quand elle n’en sentait plus la nécessité, allait faire du théâtre, une comédie musicale avec Gérard Depardieu. En fait, une liberté absolue de ces choix qui va avec le luxe qu’elle se donne, et sa propre vérité. Ça passe ou ça casse, on reste ou on part. 

Si L en reprenant Barbara disait qu’elle ne sait pas dire je t’aime, nous, oui. La Face B a aimé Un Jardin de Silence, à retrouver en tournée dans toute la France.