D’abord repérée au sein de la formation pop Agua Roja de 2015 à 2018 (Clément Roussel, Benjamin Porraz), November Ultra est une étoile qui depuis, continue de briller de plus en plus fort. Quand son premier single soft&tender sortait en novembre dernier, l’artiste éveillait déjà en nous une curiosité et une admiration certaines à son égard. C’est donc pour ces raisons que l’on a décidé de partir à sa rencontre afin de découvrir qui se cache derrière cette voix de velours et ces kilomètres de tulle rose bonbon. Retour sur cet échange où elle y justifie le rôle salvateur de la musique et son côté libérateur nécessaires quand souvenirs et sentiments débordent.
La Face B : Hello November Ultra ! Chez La Face B, il est coutume pour nous de demander aux artistes quels sentiments les animent au moment de l’interview. Quels sont alors les tiens ?
November Ultra : C’est drôle de prendre ce petit temps pour se scanner, j’ai l’impression de le faire seulement lorsque je déborde d’une émotion en particulier. Je dirais que je suis très excitée par la sortie du clip de Miel (interview réalisée le 24 février, ndlr) et en même temps très stressée parce que j’ai toujours peur de décevoir, donc je suis dans cet entre-deux là aujourd’hui.
LFB : Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter ?
NU : Alors je fais de la musique, je l’écris aussi et je la produis donc je suis musicienne, chanteuse, songwriteuse et productrice. Je dirais que je fais de la bedroom pop ou de la pop alternative, c’est toujours un exercice ardu de définir son genre musical mais j’aime bien la musique quand on ne sait pas trop où elle nous emmène, la musique qu’on reconnaît mais qui est pleine de petits glitch, comme les feuilles d’un arbre qui virent au violet sur un petit chemin qu’on a emprunté mille fois.
LFB : De 2015 à 2018, tu faisais partie d’Agua Roja. Que t’a apporté cette expérience de groupe ?
NU : J’apparente beaucoup ces années à un cours accéléré, je l’ai ressenti un peu comme si j’avais fait le collège-lycée-université de la musique avec deux amis. J’ai beaucoup appris, j’ai appris un métier, le fait d’être en studio, d’être sur scène, le fait d’écrire et de composer tous les jours, les contrats, l’industrie musicale, comprendre ma méthodologie de création propre à ma personne, ce qui fonctionnait pour moi. J’ai fait beaucoup de premières fois. On a vécu des choses folles, merveilleuses mais aussi très dures. Et c’était moins effrayant de faire tout ça accompagnée de Clément et Benjamin, mes anciens bandmates.
LFB : Qu’est ce qui t’a poussé à la création de ton projet solo ?
NU : J’avais des choses à dire, des façons de chanter, des petits terrains à explorer qui commençaient à ne plus trop coller avec ce qu’on faisait. Puis surtout, on a tous les trois pris un chemin dans la musique assez différent, comme si pour passer au prochain niveau on devait le faire face au boss final et seul.e.s cette fois-ci. C’était une décision incroyablement terrifiante et compliquée, mais je crois que c’est Bowie qui a dit que les choses les plus excitantes arrivaient toujours à l’endroit exact où on commençait à ne plus avoir pied. Donc c’était un peu ça, de partir en solo, aller nager loin de la bouée, voir ce qu’il s’y passe et ce que je suis capable de faire.
LFB : Tu dis être timide et introvertie. Chanter en anglais est-il une façon pour toi de camoufler ces traits de ta personnalité ? Quid du français ?
NU : J’étais très timide et plutôt introvertie quand j’étais enfant, c’est vrai. J’étais très extravertie avant mes six ans et après, ça a switché. A partir de ce moment-là, tout a commencé à me sembler très compliqué, je ne voulais plus chanter devant les gens, j’avais honte de tout, honte de moi, j’ai pris conscience que j’étais grosse et que du coup, je devais me cacher, ne pas prendre trop de place etc. Mais j’avais aussi incroyablement envie et besoin de chanter alors je le faisais dans ma chambre. Et quand j’ai commencé à écrire des paroles, c’était finalement comme avoir un journal intime oral alors je me suis tournée vers la langue que ma mère ne comprenait pas qui était l’anglais. Donc l’anglais finalement, c’était mon cocon à moi, comme une langue inventée à l’intérieur de ma maison. Mais l’ironie, bien sûr, est qu’en fermant cette porte à ma mère, j’ai ouvert une fenêtre sur le monde. Quant au français, j’ai des amis qui l’écrivent et le chantent très bien, mais je ne m’y sens pas très à l’aise et je suis très en paix avec ça. (rires)
LFB : Vois-tu également dans le fait d’être artiste, la possibilité de t’affranchir de cette timidité ?
NU : Clairement, ce sont des vases communicants. Il y a quelque chose d’assez inéluctable dans le fait d’être artiste, on sent souvent qu’on n’a pas vraiment le choix de l’être ou pas et c’est vrai que ma mère me dit souvent « Toi qui étais si timide… » quand elle me voit sur scène. Alors j’ai beaucoup de chance, parce que c’est ce besoin viscéral qui fait que souvent j’ai le courage de sortir de ma zone de confort et de faire des choses comme monter sur scène ou jouer la comédie dans un clip, et à chaque fois, en faisant ces choses-là, je ressens beaucoup de fierté et beaucoup de bonheur et d’excitation, d’euphorie, d’adrénaline, et ce sont des sentiments auxquels je me rattache dans ma vie de tous les jours, ça rend mon quotidien plus facile parfois. Un peu comme Clark Kent et Superman. Ça se nourrit. Mais bon, c’est encore difficile pour moi d’aller acheter des cartes postales ou d’appeler quelqu’un que je ne connais pas au téléphone, il me reste du travail. (rires)
LFB : Chaque artiste conte des histoires dans ses morceaux. Quelles seront les tiennes ?
NU : Je raconte ce que je ressens, ce qui m’obsède, là où j’étais et là où je suis. J’ai comme un trop plein de sentiments et de souvenirs tout le temps, je me trimballe dans la vie avec tous ça tout le temps, des cartes postales par milliers alors mes morceaux, je les vois surtout comme une petite pensine dans laquelle je peux déverser tout ça pour faire de la place dans mon cerveau, vivre et emmagasiner de nouvelles choses tout en ayant la possibilité d’aller revisiter d’anciens ressentis en ouvrant une session Ableton.
LFB : Ton album est né au sein de ton home studio, dans l’intimité de ta chambre. Créer hors de ta zone de confort, c’est envisageable pour toi ?
NU : J’ai beaucoup écrit pour moi et pour d’autres dans des studios où chez d’autres personnes, j’ai écrit dans des conditions stressantes parfois, avec des contraintes de temps, de texte, de thème ou dans d’autres pays avec des artistes que je viens de rencontrer etc. Donc je l’ai fait, je le fais et c’est chouette parce que toutes les situations créent différentes façons de faire de la musique et donc différentes chansons. C’est magique. Mais moi, pour moi, pour faire le travail que j’ai fait sur mes chansons solo, sur mon album, j’avais besoin d’être dans cet espace-là justement, celui de ma chambre, celui de mon salon, celui d’une maison avec des amis. De ne pas avoir d’autre choix que moi, de ne pas sortir des tricks techniques de mon chapeau et de dire les choses de manière simple. C’était dur. C’est dur de faire simple. C’est dur de pas froncer le nez quand on fait une chanson d’amour, c’est dur d’avouer qu’on ne sait pas si on voudra avoir un enfant un jour. Je crois que j’avais besoin du confort de mon intimité pour oser faire quelque chose d’inconfortable.
LFB : Quelles ont été tes premières réactions suite à la sortie de soft&tender ?
NU : Je suis toujours assez en PLS les jours de sortie de morceaux, mais j’étais étrangement très calme quand soft&tender est sorti, j’étais pleine de gratitude, je le suis toujours, on était en novembre et il faisait très beau, je recevais plein de messages de gens qui me disaient que le morceau leur faisait du bien. Il y avait Koh-Lanta le soir-même et mon anniversaire le lendemain, j’avais mis toutes les chances de mon côté pour que ce soit une sortie méga douce et méga tendre. (rires)
LFB : Selon toi, les chansons les plus difficiles à écrire sont les chansons heureuses. Pourquoi ?
NU : C’est sûrement personnel, mais j’ai toujours beaucoup écrit de chansons tristes, mélancoliques etc. J’étais ce genre d’enfant et d’ado, un peu silencieuse, un peu triste, avec une vie intérieure et une imagination très forte. Du coup, écrire des chansons plus sombres, c’était un peu ma patte pendant longtemps, puis il y a eu soft&tender qui m’est un peu tombée dessus, j’avais jamais écrit une chanson comme ça, si pleinement et frontalement heureuse et je crois que ça a ouvert une nouvelle porte chez moi, une nouvelle façon de chanter aussi, l’idée de la berceuse, du réconfort. Avant j’avais besoin de sortir l’ombre de moi, maintenant je me rends compte que j’ai besoin de faire rentrer la lumière.
LFB : L’état de nostalgie te freine-t-il dans tes élans créatifs ?
NU : J’ai une très bonne mémoire et je suis quelqu’un de très obsessionnel, je pense que c’est ce combo qui crée cet énorme sentiment de nostalgie que j’ai pour tout, pas seulement pour ce que j’ai vécu mais aussi pour ce que je vais vivre et ce que je vis parce que je pense à quand ça sera fini. C’est chiant dans la vie de tous les jours, on ne va pas se mentir parce que ça mouline sans fin, mais c’est un terreau méga fertile pour la création. Il faut beaucoup d’obsession pour arriver au bout d’un morceau, d’une œuvre quelle qu’elle soit parce que ça prend du temps de la créer, de la finaliser, puis de la sortir, de la promouvoir… Donc au contraire, je me dis que j’ai de la chance dans le fond.
LFB : L’onirisme, la tendresse et la douceur omniprésentes de ton univers sont-elles là pour contrer l’amertume du monde actuel ?
NU : Je ne sais pas, c’est une bonne question. On est clairement le reflet de l’actualité, de ce qu’il se passe autour de nous. C’est un peu comme dans Matrix, plus Néo devient fort, plus sa contre-force devient forte elle aussi. Il y a un truc d’équilibre, de push and pull. Alors sûrement que pour contrebalancer l’anxiété et le stress, il y a eu soft&tender. Je crois que c’est aussi l’énergie que j’aimerais pouvoir remettre dans le bain du monde, de la douceur et de la tendresse parce que dans le fond, en étant douce et tendre avec l’Autre, ça me permet aussi de l’être avec moi-même et de combattre ma propre anxiété.
LFB : J’ai cru comprendre que ton papi a joué un rôle majeur dans ton éducation musicale, une éducation notamment tenue par les comédies musicales des années soixante. Quelles influences ont-elles eu sur ta manière de percevoir la musique ?
NU : Mon papi Ramón est espagnol et c’est un obsessionnel comme moi, il aime savoir les histoires derrières les films, les chansons, les rencontres d’artistes etc. Il m’a dit il n’y a pas trop longtemps qu’il avait été incroyablement heureux quand il avait décelé chez moi ce même penchant obsessionnel pour la musique, qu’il s’était dit qu’il aurait enfin quelqu’un avec qui partager tout ça. Des comédies musicales, j’ai pris l’amour d’une belle mélodie, de la dramaturgie aussi, des sentiments. Tu ne peux pas être blasé je trouve, tu ne peux pas le faire à moitié, avec ironie, te cacher derrière du cool. Dans les comédies musicales, tu dis ce que tu ressens pour faire avancer l’histoire. On n’a pas trop l’habitude de ça, ça nous dérange, c’est rigolo. Et j’aime l’idée d’une musique sans âge, et qui peut traverser les années, être transmise, accompagner la vie d’une personne de l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Un My Favourite Things de La Mélodie du Bonheur qui devient un standard de jazz puis un sample d’Ariana Grande, c’est un exemple parfait d’un classique qui traverse et s’adapte à son époque.
LFB : Enfin, as-tu des coups de cœur récents à partager avec nous ?
NU : J’ai eu la chance de découvrir Romain Gary/Emile Ajar très tard avec La vie devant soi donc je suis actuellement en train de dévorer ses romans. Sinon, je suis en monomanie sur l’EP Tristesse d’Iliona, le Bisou de Pi Ja Ma et je binge-watch Une nounou d’enfer et c’est la meilleure décision que j’ai prise depuis un bout de temps.
© Crédit photos : Pauline Darley