Artisan discret de la pop française, Chevalrex a dévoilé au début de l’année Providence, sublime album à l’élégance qui nous aura réellement bouleversé. On a eu le plaisir de longuement échanger avec lui alors que se profile son retour sur la route la semaine prochaine. L’occasion de revenir sur ce dernier opus, mais aussi sur sa vision de la poésie, de l’importance du visuel et de la nécessité d’ouvrir sa maison à d’autres musiciens.
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La Face B : Salut Rémy, comment ça va ?
Chevalrex : Écoute ça va plutôt bien. Les concerts vont reprendre très bientôt donc c’est assez enthousiasmant. J’ai été ravi de l’accueil réservé au disque cet hiver/printemps mais c’est resté très virtuel donc jouer les chansons va sûrement rendre tout ça plus concret.
LFB : En préparant l’interview je me suis amusé à écouter ta discographie en chronologie inversée. En faisant ça, je me suis demandé si tu voyais providence comme la somme de tes presque 10 ans en tant que Chevalrex ?
Chevalrex : Oui je parle d’ailleurs souvent de synthèse par rapport à ce disque. Ça ne fait pas encore 10 ans que Chevalrex existe mais depuis 2013 et mon premier disque, Catapulte, pour chaque album j’ai suivi un processus de construction très différent. Alors pour l’élaboration de Providence, j’ai un peu mélangé toutes ces méthodes entre des choses construites seul à la maison, d’autres en studio avec les musiciens et enfin beaucoup de temps passé à déconstruire, mixer, remixer, rejouer, malaxer la matière.
LFB : Si je te dis que c’est un album “d’adulte”, est-ce que c’est une définition qui te convient ?
Chevalrex : J’y ai passé plus de temps, j’ai beaucoup plus pensé les choses aussi mais ce que je cherche c’est toujours une forme de candeur, de fraîcheur, dans l’expression. C’est probablement lié à mon enfance et mon adolescence, à une forme d’insouciance, de passion, qui sont nées à ce moment-là. Ce qui est peut-être un peu plus adulte sur ce disque, c’est que j’ai probablement mieux canalisé cette fougue, en faisant beaucoup de tri, en affinant au maximum les lignes.
LFB : Si je te demandais ça, c’était aussi par rapport à la pochette de ton album. La pochette de Providence, c’est la première où tu t’affiches dans “le réel”, où c’est toi sur la pochette et non une illustration.
Chevalrex : Effectivement tu as raison de parler de cette pochette et de cette façon de s’afficher tel qu’on est. Je pense que c’est peut être ça finalement la définition de l’âge adulte.On arrête de vivre en fantasmant ce qu’on sera plus tard, on est ce qu’on est là maintenant. Même si la pochette du disque se situe sur une plage, sous des palmiers et qu’il y a malgré tout quelque chose de l’ordre du fantasme là aussi, c’est une image travaillée, ça reste au fond quasi naturaliste.
Et en fait, dans le disque il y a un peu ça, des allers-retours entre réalité et fantasmes. Il y a beaucoup de moi, beaucoup de choses très littérales et à la fois beaucoup de glissements, de dérapages, de choses plus abstraites, plus liées à des rêves, moins conscientes etc…
LFB : Tu parles de thématique de l’album. S’il y en a une qui traverse ta musique depuis le départ, c’est l’amour. Je me trompe peut-être mais j’ai l’impression que c’est la première fois que tu emploies le mot en tant que tel dans ta musique.
Chevalrex : Tout à fait. En fait, sans que je me le sois vraiment dit, ça faisait un peu partie des mots interdits, et ça depuis toujours. Il y a pourtant plein de chansons que j’adore qui le chantent. Je pense notamment à L’amour de Dominique A qui est sur son 2e album de 1994, et une chanson de Murat qui s’appelle Le berger de Chamablanc où les refrains sont ponctués par ce fameux mot “… l’amour”.
Ces chansons-là m’ont toujours beaucoup plu mais la plupart du temps, quand j’entends ce mot dans d’autres chansons, j’ai l’impression que c’est un gimmick, une facilité. Au lieu d’exprimer les choses de façon précise, on met ce mot là, comme une sorte de passe partout. Donc je m’en suis toujours méfié. Mais en fait, là, ça s’est imposé, je n’ai pas cherché à tourner autour du pot.
LFB : Est-ce que ta vie personnelle a eu un impact sur tes albums, des choses qui auraient permis l’utilisation de ce mot ?
Chevalrex : Oui très probablement, chaque disque a toujours été le témoin de ce que j’ai traversé et de ce que je vis. Mais là, ce n’est pas anodin, sur cette pochette on est deux, elle a été prise à l’endroit où je me suis marié avec Polina qui est sur la pochette. Donc il y a quand même une histoire d’amour qui est au cœur de ce disque. Mais cette histoire était déjà présente dans mes autres disques, sous d’autres formes. Là il y a sûrement une forme d’aboutissement de cette histoire et donc de logique à assumer complètement le mot “amour”.
LFB : Est-ce que dans cet album tu as envisagé certains morceaux comme des dualités. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de morceaux qui fonctionnent à deux.
Chevalrex : Alors je ne sais pas auxquels tu penses, il y a effectivement quelques paires qui fonctionnent ensemble mais ce n’était pas volontaire au moment de l’écriture des chansons. C’est plutôt une sorte d’écriture a posteriori, au moment du montage final de la séquence du disque, de la tracklist. Les morceaux d’ouverture et de clôture, Au crépuscule et Désirade, par exemple sont très liés, 2 faces d’une même pièce, 2 lumières différentes sur un même sujet.
Sinon je pense aussi à Ophélie et Ophélie suite qui sont au cœur du disque. Ce sont 2 chansons différentes mais c’est un seul et même texte qui s’est retrouvé coupé en deux et séquencé sur 2 musiques différentes. C’est très parlant je crois par rapport à ma façon d’écrire les textes et la musique. Il y a parfois des premiers jets de chansons qui restent mais j’écris beaucoup de textes dans des carnets et une phrase peut se retrouver dans telle ou telle chanson alors que la suite de cette phrase finira dans une autre.
Il y a, avec cette technique du collage, des liens complètement invisibles qui relient parfois certains titres donc je comprends qu’on puisse associer certaines chansons. Tu pensais à d’autres titres ?
LFB : Oui par exemple, si on prend Dis à ton mec toute seule, ça sonne comme une chanson hyper légère, qui ressort de choses un peu plus graves dans l’album. Mais si tu la prends avec Une rose est une rose par exemple, l’ensemble relève une espèce d’ambiguïté, quelque chose qui n’est pas forcément apparent au premier abord quand tu écoutes la chanson. Et en y revenant après l’écoute, tu la vois différemment.
Chevalrex : C’est une idée que j’aime beaucoup. Au delà du processus d’écriture, dans la construction d’un disque, travailler sur les échos que tel ou tel titre peut avoir avec un autre m’intéresse. Et comme je le disais à l’instant, il y a toujours des liens invisibles entre les titres. Ce sont un peu des spectres qui traversent ou habitent un album.
Les deux morceaux dont tu parles se suivent et ce n’est pas complètement un hasard, ce sont 2 morceaux que j’ai abordé un peu comme des exercices de style. Le point de vue du narrateur n’est pas le mien, ce qui est rare dans mes chansons où je me déguise assez rarement finalement.
Pour Dis à ton mec,j’avais vraiment cette idée d’un mec un peu provocant qui veut emmener une fille avec lui, qui cherche la merde, un truc un peu vintage et hétéro. Ça m’amusait. Et la chanson d’après, c’est un duo de mecs qui règlent leur compte, parlent de leur histoire, on est clairement dans une romance homo. L’ambiguïté qui s’est posée entre ces 2 chansons m’a intéressée, le premier degré qu’on peut présumer dans Dis à ton mec est vite perverti par Une rose est une rose. J’aime bien tendre des pièges, créer des zones de flou, des questions dans les disques, dans les chansons.
LFB : Tu dis que tes chansons étaient écrites de ton point de vue. Est-ce qu’il y a eu évolution particulière sur cet album là ? J’ai l’impression que tu t’autorises à le faire plus que ce que tu faisais avant, avec beaucoup de recul et sans mettre d’ego justement, ce qui pourrait être un piège. Je trouve qu’il y a une maturité et un vrai recul sur la manière dont tu écris et vis ces chansons-là.
Chevalrex : Mes chansons ne sont pas un journal intime, ce n’est pas tout à fait comme ça que je les considère mais j’aime l‘idée. Je sais en tout cas que je suis absolument en phase avec ce que j’écris. Je crois que ces chansons me ressemblent énormément. Je pense que c’est depuis Anti slogan que j’ai pris un peu plus conscience d’écrire à la 1ère personne, de me dire “je fais de la musique à la première personne, je me mets en jeu, c’est ce qui m’intéresse”. Je le faisais déjà mais sans me l’être dit, c’est sûrement pour ça que c’est plus palpable aujourd’hui.
LFB : Ce qui marque quand on écoute ta musique, au delà du fait que je la trouve très accessible, c’est que c’est une musique très élégante. Je me demandais si c’est le texte qui vient et qui impose la mélodie, où l’inverse ?
Chevalrex : L’étincelle, c’est vraiment la musique. Je compose et enregistre beaucoup. Les textes viennent dans un second temps ou sans connexion à la musique. J’écris beaucoup de choses de façon informelle, dans mes carnets, et c’est la musique qui vient réveiller certaines phrases notées ici ou là ou en déclencher d’autres. Souvent il y a un petit déclic d’une phrase qui peut apparaître au moment des premières notes de musique et je battis ensuite autour mais autant la musique peut venir très facilement, autant les textes peuvent suivre un processus plus accidenté. Il y a des chansons dont les musiques sont terminées et où je mets parfois plusieurs années à finir les textes. Si il arrive que des chansons soient écrites assez vite, texte et musique, il y en a d’autres, et c’est une grande partie, qui ont besoin de temps pour se déposer complètement.
LFB : Récemment, j’ai interviewé Lonny et elle était assez impressionnée par ton écriture, et par la simplicité et le quotidien qui venaient de tes mots. Du coup je me suis demandé quel est ton rapport aux mots ? Est-ce qu’il n’y a pas une volonté d’éviter un rapport un peu trop évident à la chanson française, aux grandes envolées, aux grands mots ?
Chevalrex : En fait, mon rapport à la chanson française, je dirais qu’il est contrarié. Je ne suis pas un grand amateur de chanson française. Si tu regardes ma discothèque et ce que j’écoute quotidiennement, je pense que la chanson française doit représenter 4 ou 5 %. Je suis souvent arrêté par les mots. Il y a pleins de musiques françaises que je trouve très chouettes mais je coince sur les paroles.
Je n’ai pas ce problème là avec des musiques anglo-saxonne ou autre, parce que la langue n’est pas ce qui va m’arrêter tout de suite. Je ne vais pas chercher le sens ou l’entendre directement. Ça va rendre mon écoute plus générale, comme un tout.
Du coup, je peux affirmer que les mots ont une vraie importance pour moi, peut-être même une importance supérieure. J’essaie d’avoir une écriture la plus limpide et simple possible, qui me ressemble. C’est quelque chose de très difficile à décrire. J’ai l’impression de chercher l’inverse du lieu commun dans l’écriture, de chercher le lieu particulier.
LFB : C’est quand même assez osé et impressionnant de rendre un texte poétique quand tu parles par exemple d’odeur de pisse tu vois. Je n’ai pas l’impression que ce soit à la portée de tout le monde de faire ça. Même dans l’utilisation hyper simple de papa et maman, le rendre poétique et évident comme tu le fais. Comment tu fais pour garder cette forme de naïveté enfantine dans ta musique, tout en le rendant poétique et adulte ?
Chevalrex : La poésie, je ne sais pas trop ce que ça signifie, qu’est ce qui va être poétique ou pas. En tout cas, je ne me pose pas la question en ces termes. Ce que j’essaie de conserver le plus possible, ce sont des choses qui vont me surprendre.
Là, tu parles de la phrase dans Claire “Et si je sens la pisse, m’aimeras-tu encore ?”, pour le coup, c’est un premier jet. Elle n’a pas été écrite mais enregistrée directement sur mon dictaphone au milieu d’un chant en yahourt.
Le premier réflexe que j’ai eu ensuite, c’était de vouloir la changer et trouver autre chose mais face à ce genre d’épine dans une chanson, ce genre de choses qui nous échappent, ne pas arrondir les angles, garder l’aspect saillant ou tranchant, est une grande part du travail.
Et en fait, ce qui va m’intéresser au fond, c’est justement que ça m’a échappé. Ça doit raconter un truc assez profond. Une grande partie du travail d’écriture pour moi est lié au fait de ne pas recouvrir les choses qui émergent. Ce sont souvent les plus signifiantes, les plus étranges ou surprenantes qui déboulent toutes seules. Ce genre d’approche peut donner une sensation de “fraîcheur” ou “naïveté” j’imagine. Après tout se passe sur plusieurs niveaux, le truc qui me plaît c’est le mélange de différentes strates. Qu’on entende des choses très naïves et brutes et des choses beaucoup plus élaborées.
LFB : Puis finalement ça maintient l’attention sur la chanson aussi. Le fait d’avoir des espèces de rappels ou de flashs qui peuvent parler à tout le monde. Ce que je trouve beau dans ta musique, c’est qu’à la fois c’est hyper élégant et qu’il n’y a rien de concret en fait.
Chevalrex : Et bien je te remercie. Je ne sais pas si c’est une volonté consciente mais effectivement j’ai toujours envie que ça reste à l’échelle humaine. J’aime bien l’idée qu’il puisse y avoir une forme de lyrisme dans la musique mais que les morceaux puissent t’embarquer avec des choses très intimes.
LFB : Je voudrais revenir sur les thèmes qui sont dans l’album, et qui pour moi semblent nourrir ta musique depuis le départ. J’ai repéré trois choses : le mouvement, l’enfance et le rapport aux souvenirs.
Chevalrex : Le troisième c’est un peu la synthèse des deux premiers. L’histoire du premier jet dont je parlais à l’instant, c’est relié à l’enfance je crois. C’est le jeu que tu fais dans ton coin, sans aucun filtre, où tu n’as aucun regard d’adulte qui vient se poser sur toi pour te dire “non, ça tu ne vas pas le faire, c’est mal… ». Tu le fais, et après tu te fais engueuler si tu as fais des conneries ou pas.
Du coup ce qui m’intéresse dans la musique et la création en général, c’est de retrouver cet état où tu peux mettre tous les filtres, les inhibitions que tu as, de côté. Et après vient le temps du tri. Souvent, j’y pense là, je dis “je gratouille” ou “je bidouille” pour dire que je suis en train de travailler, ces termes sont en fait très clair pour moi, sur leur provenance, je me vois enfant qui joue dans la terre avec des petits bouts de bois et des petits cailloux. Il y a ce truc là de plaisir, d’être absorbé complètement par ce qu’on fait.
Mais malgré ça, l’idée du mouvement est essentielle, je trouve que c’est assez juste que tu le soulignes, dans le sens où je ne suis plus un enfant et ça ne m’intéresse pas d’en rester un. Il a donc bien fallu s’en extirper de cette enfance. À la fois garder ce qu’il y avait à garder et à la fois s’évader, la fuir cette enfance. Je parle assez souvent dans les chansons de l’idée de départ, de quitter des gens, des lieux… Je pense que la musique m’aide à faire le tri entre ce que je garde et ce que je ne garde pas. C’est une sorte de tension permanente entre ces 2 interrogations, qu’est-ce qui nous donne du poids, de la gravité, et qu’est-ce qui nous plombe.
LFB : Est-ce que les lieux dans lesquels tu crées la musique et que tu enregistres ont une influence sur toi et la couleur d’un album ?
Chevalrex : Pour Catapulte, mon premier disque, que j’avais enregistré tout seul, j’habitais dans la Drôme, j’avais un studio dans ma maison avec plein d’instruments et du matériel un peu partout. J’étais complètement autonome. Entre ce premier disque et le dernier, les choses ont pas mal évolué. Je vis à présent à Montreuil. Les premières années ici, je n’avais pas d’endroit réel pour enregistrer. J’étais dans mon salon sans matos, je maquettais donc beaucoup de petites formes et c’est là que j’ai commencé à travailler avec des musiciens, faire des séances en studio etc..
J’avais besoin de ça pour enregistrer les choses que je voulais, continuer à avancer. Et en fait, jusqu’à Providence, ça a été un peu l’histoire d’une ouverture vers les autres. Là où Providence a été un peu la synthèse des précédents disques, c’est que j’ai à nouveau un lieu de travail et d’enregistrement, j’ai donc beaucoup travaillé seul et à la fois beaucoup travaillé avec Angy Laperdrix qui a réalisé le disque avec moi. Le studio avec les musiciens est venu ponctuer ce travail de laboratoire plus solitaire et le disque reflète ces différentes approches.
LFB : Est-ce que tu as vu un changement dans le fait de laisser la porte ouverte aux autres musiciens, d’être moins control freak, et de laisser d’autres personnes apporter leur pattes sur tes compos ?
Chevalrex : Je pense que j’en avais besoin en fait. Ce n’est pas un hasard d’avoir ouvert la porte à d’autres musiciens. Avant mon premier disque sous le nom Chevalrex, j’avais déjà fait beaucoup de disques. J’avais un groupe avec mon frère avant, on avait fait 3 albums que j’avais enregistré, joué et mixé seul, j’avais fait des disques solo de musique instrumentale sous un autre nom, j’avais aussi enregistré pour pleins d’autres groupes…
Donc ça faisait déjà une dizaine d’années que je faisais de la musique sous différentes étiquettes. Soit c’était pour mes musiques à moi, soit pour le groupe avec mon frère, soit pour d’autres groupes, mais c’était toujours au final moi presque seul qui gérait un peu tout. Je pense que je suis arrivé à un point où je me suis dit : ok, maintenant j’ai envie de connaître autre chose, je peux faire confiance à ce que j’écris, je peux travailler différemment pour voir, je ne suis pas obligé de faire toutes les trompettes et tous les violons d’un disque pour que ce soit valable.
LFB : On en vient à Une rose est une rose, je me trompe peut être mais c’est la première fois qu’il y a un duo sur un de tes albums non ?
Chevalrex : Oui tout à fait, et ça s’est fait assez simplement. J’adore Thousand, j’adore ses disques, on se connait depuis quelques années. Ce morceau-là était un peu un nœud, je l’avais écrit mais je n’arrivais pas à trouver la bonne forme instrumentale. Je n’étais pas convaincu par les premiers arrangements que j’avais fait mais pourtant c’était un morceau que je trouvais intéressant.
Le texte était écrit en ping-pong entre deux voix, c’était venu comme ça. Je pensais au départ à une femme mais je n’avais pas de vision de qui pouvait chanter ce texte, quelle voix féminine, et d’autant plus que l’instru ne me plaisait pas encore complètement, j’avais du mal à me projeter… Et en fait, à un moment donné, ça s’est débloqué.
Il y a eu cette guitare électrique qui est apparue et tout s’est dénoué, elle a donné sa couleur au titre. Je me suis dit qu’il fallait que ce soit deux mecs qui chantent et j’ai tout de suite pensé à Stéphane à qui j’ai écrit, ça s’est réglé en une journée. Il est venu le lendemain et on a enregistré, c’était super.
LFB : Ce qui est intéressant c’est que la chanson ne dénoterait pas que ce soit dans un album à toi ou un des ses albums à lui. Qu’est ce qu’il a apporté sur la chanson ? Il est juste venu chanter ou s’il avait mis autres choses sur le titre ?
Chevalrex : Il est vraiment juste venu chanter. Et ce qui est chouette, c’est qu’à ce moment-là, personne n’avait écouté les nouveaux morceaux, à part les musiciens avec qui on avait enregistré, donc cette chanson était encore fragile pour moi, je n’étais pas certain qu’elle serait dans le disque. En lui envoyant la maquette, j’espérais qu’il la trouve suffisamment intéressante pour la chanter donc sa réaction et son enthousiasme ont vraiment porté l’affaire. Comme je disais, il est venu, on a enregistré sa voix, sans rien changer au texte, juste en choisissant qui ferait quel rôle. Tout lui allait, donc c’était très agréable.
LFB : Ce qui est marrant, en fait dans des registres très différents vous avez un peu la même façon de faire la musique. Pour moi vous faites une musique très personnelle dans ce que vous racontez, mais qui laisse énormément de place dans l’interprétation. J’ai l’impression que ta musique comme la sienne, mais on va rester sur la tienne, est quelque chose qui est très abstrait pour laisser aux gens la possibilité de se l’accaparer.
Chevalrex : En fait je pense qu’il y a une vraie famille musicale. Sans avoir spécialement parlé de ça avec lui, je crois qu’on a un background musical pas très éloigné, des cultures musicales indépendantes et anglo-saxonnes assez voisines. J’aimais d’ailleurs ses premiers disques qui étaient en anglais mais depuis ses deux albums en français, je trouve qu’il y vraiment quelque chose qui s’est passé qui pour moi le révèle complètement, c’est devenu absolument singulier justement et je trouve ça passionnant.
Et je pense d’ailleurs que c’est surtout au niveau des textes qu’on peut probablement trouver quelques points de passage intéressants entre nos 2 approches. Je sais qu’il écrit beaucoup à partir de ses rêves. Il y a quelque chose de labyrinthique dans son écriture, avec des motifs qui se répètent. Mes textes n’ont pas exactement cette forme là, je ne suis pas embarqué par la même musique ni les mêmes images mais il y a quelque chose de très lié à l’inconscient dans nos chansons, des choses qu’on laisse surgir. Je pense que l’émergence de rêves, de formes abstraites ou inconscientes, relie probablement aussi nos disques par le fond.
LFB : Est ce que ça t’intéresse la façon dont les gens s’approprient et analysent ta musique ? De quelque chose qui pour toi peut paraître assez clair, de voir que les gens s’en font une image ou une opinion très différente.
Chevalrex : Je n’ai pas toujours une idée très claire de ce qui se joue dans une chanson. Je sais que j’en suis le point de départ mais je laisse ensuite la porte ouverte. Je pense à La Tombe de Jim par exemple. Cette chanson, on peut parler d’une histoire de deuil si on veut. Cette chanson là a été pour moi une évidence au moment de l’écrire, elle s’est imposée comme ça, avec ces mots, ce titre, ce prénom Jim. Ça m’a interpellé et ça raconte des choses mais je ne crois pas qu’il soit très intéressant de parler de son sujet.
Son sujet, il y a plein de gens qui en ont trouvé des différents et à chaque fois j’ai trouvé ça très intéressant, à chaque fois ça m’a plu et semblé assez juste. Je crois que ça n’a pas d’autres vocations que ça en fait, laisser émerger des choses. Ça parle très probablement de moi mais ce que j’ai envie, c’est de ne pas m’arrêter dessus, c’est avancer et passer à autre chose. Pour des chansons comme Ophélie ou Ophélie suite, c’est un peu la même chose. Ce sont des collages de bouts de textes qui parlent autant de deuil que d’imposture, de migrations que d’origine.
Il y a vraiment pleins de choses qui traversent ces chansons et j’aime bien l’idée que par une phrase, une personne puisse entrer dans une chanson, ou que telle autre rentre par une autre phrase, ou encore que pour d’autres ce soit grâce à la musique… Par moment, ça peut être un peu complexe et pas très fléché mais je crois que je ne suis pas très intéressé par l’idée de flécher les choses ou de prendre les gens par la main. C’est de la musique, pas de la signalétique.
LFB : Pour résumer un peu bêtement, tu fais confiance à l’intelligence des gens qui t’écoutent en fait.
Chevalrex : Oui, complètement, je ne pourrais pas dire mieux que ça. C’est d’ailleurs ce que j’aime dans les livres, les disques ou au cinéma, quand on ne me dit pas ce que je dois penser, qu’il y a une place pour moi et que je peux en faire ce que je veux. Après il y a sûrement mille et une façons d’arriver à ce genre de choses mais moi, la façon dont j’y arrive, enfin dont j’espère y arriver, c’est en partant de moi, d’où le titre de la chanson L’endroit d’où je parle d’ailleurs, avec ces sons là et ces mots là.
LFB : Je voudrais revenir sur la musique “sans les paroles”. Pour avoir re-écouté ta discographie plusieurs fois, je me demandais quel était ton rapport à l’épique et à la grandiloquence dans la musique ?
Chevalrex : Ça rejoint un peu de ce que je disais tout à l’heure. J’aime bien à un moment donné qu’il y ait une forme de lyrisme qui embarque un peu le tout, mais que le point de départ ce soit toujours moi, seul. Et du coup le côté grandiloquent, je ne sais pas si c’est un mot qui m’intéresse beaucoup, mais j’aime bien que les musiques puissent être un peu plus grandes que moi. Qu’elles donnent une dimension un peu supérieure au récit. Dans ma musique, je pense que j’essaye de doser ces choses-là.
LFB : Pour faire une clôture sur Providence, on parlait du côté carte postale, la plage … Est-ce que musicalement, on peut dire que Providence, c’est un peu une plage où on alterne entre des moments de tempête et des moments d’accalmie ?
Chevalrex : Il y a plusieurs strates dans ce disque mais je voulais vraiment que le premier abord soit doux et chaud. C’était la fonction de la pochette de guider les premières écoutes du disque vers cette impression. On a d’ailleurs travaillé le mix dans cette direction, notamment avec une vraie proximité dans la voix. Je suis notamment hyper content du mix qui me semble le plus réussi de tous mes disques et sur lequel on a passé un temps fou en revenant sur chaque détail.
Je le trouve à la fois très accueillant et à la fois très étrange, par moment presque abstrait au niveau des textures etc. Je crois qu’on a réussi cette synthèse entre formes naturelles et d’autres bien plus trafiquées. Mais si je voulais cette première couche assez douce et colorée, c’est que je voulais introduire des choses plus nuancées, plus sombres à l’arrière plan.
D’ailleurs c’est assez drôle, cette plage sur l’île de La Désirade où on a fait la photo de la pochette, elle paraît assez idyllique comme ça mais en vrai, il y a des sargasses qui sont des grosses algues qui viennent malheureusement envahir la mer, se déposer sur la plage et polluer les Antilles plus largement. C’est un vrai problème là-bas, écologique et de santé publique notamment. Il y a aussi le fait que dans le sable, il y a pleins de petites épines qui viennent de plantes séchées, comme des épines de chardon, qui peuvent blesser.
Donc il y a un truc qui me plaît là aussi, c’est une photo qui donne à imaginer quelque chose, mais dans la réalité tout est beaucoup plus intéressant selon moi, et beaucoup plus agressif aussi.
LFB : Je voudrais parler de ce qu’il y a autour de la musique. Je trouve que tu t’impliques énormément que ce soit dans les pochettes ou dans les clips. Quelle est l’importance du visuel pour toi ? Qu’est ce que ça apporte à ta musique ?
Chevalrex : C’est très imbriqué tout ça en fait. Quand ce n’est pas moi qui réalise les clips, je travaille vraiment de façon très étroite avec les réalisateurs, je m’implique effectivement beaucoup sur ces questions. Mon rapport à l’image, j’en ai souvent parlé, tout jeune, adolescent, quand je faisais mes premières chansons, j’enregistrais mes cassettes, je faisais les pochettes en même temps.
Du coup il y a tout de suite l’idée de l’image qui s’est associé à la musique, le dessin ou collage qui va aller avec les chansons… Aujourd’hui je réalise d’ailleurs beaucoup de pochettes de disques pour d’autres artistes également.
LFB : Mais même dans les clips, je pense à Tant de fois ou encore La tombe de Jim, je trouve que encore une fois c’est des clips qui amènent des questionnements et qui ouvrent des pistes à l’interprétation des chansons. Des clips qui se nourrissent l’un de l’autre.
Chevalrex : Je pense que la façon dont les clips ont été écrit est très proche de la manière dont j’écris mes chansons. Par exemple, pour Tant de fois, j’ai envoyé le texte traduit de la chanson à Daniel Brereton, qui est le réalisateur anglais avec lequel j’ai travaillé, et lui y voyait plein de choses, il était touché par certaines phrases particulièrement.
On a donc creusé entre ce que ça lui évoquait et ce que j’avais mis moi dans la chanson. C’était assez ouvert et l’idée du rite initiatique s’est imposée comme ça, avec cette figure, ce personnage qui change, se transforme pour finir en flamme… Quand j’ai écrit la chanson, je ne me suis pas dit que ça parlait de quelque chose de très précis. Mais en parlant avec Daniel, ça a révélé certains aspects.
Et je trouve ça très intéressant de me dire que finalement, si j’avais travaillé avec quelqu’un d’autre pour ce clip, ça aurait complètement pu révéler un autre aspect de la chanson. Donc ça ouvre des voies, des brèches, c’est une histoire de choix qui a été fait et dans lequel je me retrouve. Je suis très content de ce clip, il a une magie, une étrangeté, que j’aime beaucoup.
LFB : Mais même sur La tombe de Jim, il y a un côté presque post-apocalyptique, qu’on imagine pas forcément avec la chanson, mais qui permet d’ouvrir sur des choses différentes.
Chevalrex : Là c’était beaucoup plus simple, on avait vraiment envie de faire ce clip là autour de moi et du piano. Une chose presque comme une session, un truc très simple et pas trop narratif. Et puis en fait, en travaillant, on s’est dit que ce serait quand même important d’amener quelques petites couleurs un peu différentes.
Ce petit singe, ce lieu, sont venus enrichir le propos et à partir de là avec le piano, il n’y a eu qu’à filmer. On a pas du tout essayer de raconter quoi que ce soit à travers ça. On a juste fait confiance à nos instincts, à la journée où on a filmé et au montage. Et ça c’est vraiment ma façon de travailler, souvent je mets tout sur la table et à un moment donné il suffit juste de se jeter à l’eau et de faire un assemblage avec tous les éléments qui sont sur la table. C’est à la fois faire confiance dans le fait qu’on a mis des éléments intéressants sur la table, et ensuite faire confiance à son geste final.
LFB : Est-ce que tu te verrais faire du cinéma à un moment ou un autre ?
Chevalrex : Je ne sais pas. Pour avoir travaillé sur quelques clips avec d’autres réalisateurs… Autant pour la musique, je maîtrise vraiment la chaîne, je sais à partir du moment où tu écris la chanson, comme ça marche jusqu’au mastering, et même jusqu’à la fabrication du disque, je prends vraiment du plaisir à ça. Autant pour le cinéma, ça pourrait m’intéresser d’écrire des choses, d’en essayer d’autres de façon très modeste, mais j’ai surtout trouvé chez d’autres des qualités complémentaires aux miennes et c’est là où ça m’a intéressé. Je suis plus un bricoleur et j’aime bien les petits formats clips qui permettent de faire des choses assez simples.
LFB : Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour le futur proche ? J’imagine la réponse, mais je préfère te le demander quand même.
Chevalrex : Ah ben je ne sais pas ce que tu imagines, c’est intéressant, je serais curieux de savoir.
LFB : Faire des concerts ?
C : Faire des concerts, ah ben oui, c’est ce que j’ai dit au début (rires) ! Tout est bouclé depuis un moment donc la réouverture prochaine est vraiment bienvenue. J’ai hâte qu’on puisse défendre ce disque en groupe. Mais le fait que le disque soit sorti et qu’il ait été vraiment bien accueilli m’a procuré beaucoup de plaisir. J’ai donc surtout très envie de continuer à faire des disques et de la musique. Là j’écris d’autres chansons, je suis déjà un peu sur le travail du prochain disque. Ce qu’on peut se souhaiter donc, c’est qu’il n’y ait plus de nouvelles fermetures de salles.
LFB : Tu les as déjà travaillé pour le live ces chansons ?
Chevalrex : Oui oui, en fait on avait tous l’espoir que cet hiver soit déconfiné et que les salles soient ouvertes. Donc on avait une tournée qui était prévue et qui aurait dû commencer fin février. Du coup depuis cet automne on a commencé à travailler avec le groupe, on va être cinq sur scène. Il y a un tel travail de production sur le disque que chercher à reproduire ça sur scène ne serait pas forcément intéressant et n’apporterait pas un résultat vraiment chouette. J’essaie donc de rendre les choses plus directe, plus frontale. Il reste encore quelques petites étapes de travail, mais on sera prêt pour les premiers concerts fin juin.
LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur à partager avec nous ?
Chevalrex : Là je suis en train d’écouter énormément un groupe qui s’appelle Infinite Bisous, il y a deux albums je crois. Il y avait déjà des morceaux qui m’avaient interpellé, mais là je fais vraiment un petit blocage dessus, je n’écoute que ça ces jours-ci. Je trouve ça absolument génial au niveau de la production, des sons, de l’écriture… tout est remarquable. C’est un coup de cœur, littéralement.