Il y a des albums qui s’écoutent et d’autres qui se vivent. The Wonderful Labyrinth of the Mind, fantasie radicale et exigeante de B77 fait clairement parti de la seconde catégorie. On a donc décidé de se connecter avec Luca et Léo pour parler longuement de cette oeuvre totale et passionnante. L’occasion de revenir sur sa pochette, sa conception en forme de monument entier mais aussi de parler de liberté, de boucle et de la nécessité de déconnecter après un album pareil.
La Face B : Salut B77 ! La première question que je pose toujours aux gens c’est : “Comment ça va” ?
Léo : Très bonne question.
Luca : Vas-y, réponds ! Toi !
Léo : Ecoute…eux ! Tranquillement. Ca va. Assez bien.
Luca : Franchement, ça va ouais. Normal.
Léo : On ne peut pas se plaindre de quoi que ce soit.
Luca : Stationnaire, je pense. Un peu comme tout le monde.
Léo : Et toi, ça va ?
LFB : Pareil que vous en fait. J’évite de trop me poser la question. Du coup, on est là pour parler musique. Mais…avant de parler de l’album, j’aimerais bien que vous me parliez de la pochette. Parce que moi, la pochette, je la trouve hyper importante de l’image qu’on peut se faire de l’album, en fait.
Luca : Ouais c’est bien vu. C’est vrai que c’est un album qui s’est monté en parallèle de la pochette. On savait que ça serait notre pochette bien avant que l’album soit terminé.
Léo : Donc c’est possible que ça ait influencé la fin de la création de l’album. La direction, en fait.
Luca : Les deux se sont influencés. On a commencé par la musique, la musique a influencé la pochette. Et l’inverse, comme ça.
Léo : Bien souvent, on se référait à ce bonhomme qui symbolise un peu… ben du coup c’est album, c’est un peu comme un voyage initiatique. Très symbolique. Le voyage de ce petit personnage dont la voix narrative parle.
Luca : Et après il y a aussi le côté un petit peu dérangeant. Psychédélique. Et ça contribue à cet aspect psychédélique. Comme un rêve.
LFB : Justement, quand vous dites que ça a influencé un peu l’album…avec le recul, est-ce que la pochette ça ne serait pas la première track de l’album ?
Léo : On peut dire que c’est une des tracks de l’album, oui. C’est le douzième homme.
Luca : Et c’est vrai que parfois, on nous parle plus de la pochette que de l’album. Ce qui a tendance à nous énerver un peu (rires). Les gens préfèrent la pochette à l’album (rires).
Léo : C’est vrai que la pochette a plus de succès que la musique. C’est notre impression, en tout cas.
LFB : Cette pochette, comme vous l’avez créée. Est-ce que ça vous plaisir que l’album sorte en vinyle et qu’elle puisse exister en dehors d’un écran d’ordinateur ?
Léo : Oui à fond ! D’ailleurs, on vient de découvrir le vinyle en version physique. (interview réalisée en mai ndlr) Et pour nous, c’est important qu’il y ait un objet matériel autour de l’album. On a essayé de faire un truc assez soigné.
Luca : On était un peu stressé, pas tranquille jusqu’à ce qu’on voit le vinyle parce qu’on avait envie d’un truc bien, visuellement.
Léo : Oui parce qu’il faut savoir que c’est vraiment une pochette qui a été ‘bricolée ». Parce qu’on n’est ni graphiste ni dessinateur. Et c’est vrai qu’on avait un peu peur que ça rende mal en version physique. Et je crois qu’on s’en sort assez bien.
Luca : On est super content.
LFB : La pochette retranscrit deux choses qui sont hyper importantes dans votre musique : le côté psychédélique et le côté enfantin. Quelque chose de très pur qui se déroule dans la musique.
Luca : Complètement.
Léo : C’est vrai que c’est album, c’est un retour aux sources. Tu parles de pureté et on est vraiment allé chercher, peut-être au fond de nous, une certaine pureté qu’on a exprimé… Comment dire ? Sans vouloir forcément plaire à des gens. On est allé puiser dans des vieux souvenirs, des vieilles émotions. Du coup oui, la pureté est un mot qu’on peut utiliser, je pense.
Luca: Quand on parle, parce qu’on a souvent de grandes discussions philosophiques sur la vie, sur la musique, sur tout et n’importe quoi…on se décrit souvent nous-même comme des petits enfants qui font de la musique, soit dans leur chambre soit au sommet d’une colline. C’était déjà présent sur les autres projets qui avaient moins ce côté enfantin et là je crois que c’est l’album dans lequel on est le plus allé puiser dans ce côté enfant qu’on a en nous. Et on essaye constamment de renouer avec cet aspect-là. Comme si on essayait de retourner dans ce monde de l’enfance parce qu’il y a un truc qui nous fascine là-dedans et dans cet album, on a bien réussi à retranscrire cet aspect du groupe, de nos personnalités.
LFB : Ce qu’il y a d’intéressant aussi, c’est que par rapport à « Fleurs », qui est l’EP qui vous a fait découvrir, entre guillemets, au public, l’album semble moins produit mais plus radical. J’ai l’impression, comme tu disais en rigolant, que c’est un album qui est fait de manière très égoïste et qui malgré tout touche les gens. Parce que l’album m’a touché et j’ai plein de potes qui l’ont adoré. je trouve qu’il n’y a pas de réflexion mercantile derrière ce que vous avez fait, Alors que dans la façon de produire « Fleurs », on ressentait une volonté d’attirer le public, par la musique.
Léo : Tu as raison. C’est exactement ça. On a crée l’album de manière égoïste. Luca et moi, on est comme dans un bulle. Il n’y personne autour. Comme si on s’enfermait. Même si on travaille à distance, on s’enferme un peu dans un truc et on l’a crée de manière égoïste. Ce qui fait que c’est un album très personnel.
Luca : C’est vrai que ça revient souvent dans nos discussions. On le fait pour nous mais on en est très content parce que c’est, de loin, notre projet préféré de tout ce qu’on a pu sortir jusqu’à maintenant. Et on a puisé pas mal de références dans le rock progressif où il y a souvent des projets « libérés » de musiciens qui n’avaient pas forcément cette volonté de dimension marketing. Sur le tout premier EP, il y avait une volonté de…non pas de faire des tubes mais…
Léo : Oui au début quand on a créé le groupe, on voulait faire des tubes. Mais on s’est de plus en plus rapproché d’un truc très personnel. C’est le le chemin que le groupe a pris, très naturellement. On ne s’en est même pas rendu compte. Mais c’est d’abord parti d’une volonté de plaire. Ensuite, il y a eu Fleurs dans lequel il y avait un petit retour à des trucs un peu plus expérimentaux et celui-ci c’est vraiment nous. Après, je ne dis pas qu’on va faire ce style de musique toute notre vie. Le prochain sera certainement très différent mais celui-ci, c’est le plus proche de nous. D’ailleurs, j’adore cet album, je l’écoute une fois par mois, le redécouvre et l’adore. C’est la preuve que c’est un truc qui nous ressemble beaucoup.
LFB : Vous avez signé chez Half Awake Records et, pour moi, c’est un label qui est très reconnu dans l’idée d’avoir des projets à la personnalité très forte et libre, cela vous-a-t-il soulagés qu’ils vous laissent faire votre musique comme vous l’entendiez ?
Luca : C’est marrant que tu poses cette question parce qu’il y a un truc qui revenait très souvent, c’était « Ah ouais mon gars, le manager de Half Awake ne va jamais accepter de sortir cet album« . On se disait ça souvent. Et pourtant à la base, il nous a signés justement pour cet aspect-là, bien barré sur Fleurs mais qu’on a poussé X1000 sur cet album là. On se disait qu’il n’allait peut-être même pas vouloir le sortir.
Léo : Il était quand même très surpris. On l’a vu à Paris pour le mastering et là il nous a dit que c’était très très spécial. Il ne s’attendait pas à un truc autant extrême. Mais c’était une des conditions pour qu’on signe sur ce label : une liberté artistique totale. Et il a tenu sa parole. Il a validé sans nous demander de changer quoi que ce soit et c’est cool.
Il a compris le délire, la direction. C’est ce qu’il veut. Que nous-mêmes soyons convaincu de notre projet. Après… est-ce qu’il a aimé…on le saura jamais mais je pense pas. ‘Fin, on sait pas en fait (rires).
LFB : Vous disiez, et c’est marqué dans votre bio, que vous travailliez à distance. Est-ce un truc que vous avez gardé de votre passé de beatmaker et d’avoir travaillé dans le Hip-Hop ?
Léo : Il y a de ça, ouais. D’avoir travaillé avec Luca et d’autres potes avec qui t’envoie des samples, oui. Et l’habitude de travailler avec Dropbox, Drive..tout ça.
Et puis le fait que Luca habite à Lausanne et moi à Fribourg… c’est pas loin, il y a une heure de train. Mais on ne le fait pas tous les jours. La raison numéro un, c’est ça : qu’on n’habite pas dans la même ville. Mais ce que tu dis, c’est vrai aussi.
Luca : Justement, ça a une grande influence sur cet album en particulier. C’est un album qui a un peu été construit comme un cadavre exquis : quelqu’un amène une première partie, l’autre une deuxième, ça complète comme un collège et ça donne des morceaux avec une structure presque bizarroïde. Et ça, si on avait un studio commun, il y aurait peut-être moins cet aspect très morcelé. Mais au final, ça tient et ça donne un ensemble de manière très cohérente. Mais ça apporte aussi une certaine folie dans les structures.
Léo : Et une troisième raison. Moi, j’aime travailler tout seul. J’ai l’habitude de travailler tout seul. Et Luca aussi. Du coup, on a le luxe de pouvoir travailler à deux mais séparément.
Luca : Et ça, ça vient peut-être plus du Hip-Hop que du rock où souvent, le band travaille et compose ensemble.
Léo: Parfois, il y a quelqu’un d’autre dans le studio et je ne sais pas par où commencer. J’ai « peur » de commencer parce qu’au début, tu passes toujours par une phase où la musique est pourrie. Quand tu commences à composer, il y a toujours cette boucle « nulle à chier » qui tourne. Et j’aime bien être seul dans ces moments-là. Des moments où il faut chercher. Alors, je me sens plus confortable quand je suis tout seul. Et je pense que toi aussi (à Luca). Mais c’est pour tout. Quand on fait du montage vidéo, on la fait de notre côté, tout seul. Voilà (rires).
Luca : Mais, ça ne nous empêche pas de nous retrouver ensemble en studio pour finaliser. Mais ça va toujours partir d’une démo qui a démarré soit chez moi, soit chez Léo et on n’a jamais commencé un morceau ensemble, en allumant les machines ensemble. Ça n’existe pas dans notre manière de faire de la musique (rires). Mais on vient de l’école du beatmaking, l’école de la débrouille. On n’est pas des musiciens de base donc on fait notre musique dans notre coin.
LFB : Et ça, vous l’avez développé un peu partout dans le projet. Vous faites vos clips vous-même aussi ?
Léo : Pour ce projet, non. On a fait appel a des mecs sur deux clips. Sur The rainbow et The garden. Sur The rainbow, c’est Danny Perez, un américain. Sur The garden, c’est Salvadore Cresta. On les a découverts sur Instagram. Des artistes qu’on aimait bien et qui sont accessibles, pas trop connus encore.
Luca : Après pour répondre à ta question, on fait encore beaucoup de vidéos ensemble. Pour The rainbow, on a quand même filmé nous-même et on a envoyé les images pour qu’il rajoute les effets. Nos visus de concerts, on les fait nous-même. Là, on vient de sortir une vidéo promotionnelle pour l’album qu’on a faite nous-même. On a quand même l’habitude d’aller tourner avec une vieille caméra VHS…on bricole la vidéo, disons ! Et les pochettes… on a un peu la mainmise sur tous les paramètres.
LFB : Un petit côté « control freak » sur certains aspects ?
Luca : On est très « control freak » (rires).
Léo : Mais malgré tout, en ce qui concerne les deux mecs qui ont fait nos vidéos, on a validé sans difficulté. On faisait confiance. Ça matche avec l’univers.
LFB : Si je vous dis que, pour moi, c’est un peu un album de portes. Chaque chanson ouvre la porte sur une chanson différente et sur une évolution différente. Avez-vous envisagé les choses comme une continuité au niveau de l’écoute ?
Luca : On s’est toujours dit que c’est un album que tu écoutes de A à Z. Alors que si tu écoutes un morceau de l’album, tu ne captes pas le délire. On a sorti un premier single. Puis, on nous a demandé de sortir un deuxième single. Et on n’était pas trop chaud parce que, pour nous, c’est un album qui doit sortir d’un bloc.
Léo : Maintenant, la manière de promouvoir la musique c’est de sortir un single, puis un deuxième, puis un troisième et là, on voulait pas. On a dit « un seul et c’est tout ». C’est un album qui s’écoute en entier, avec une belle cohérence dans les morceaux. Ça, c’est par rapport à l’ordre, qu’on a choisi toute à la fin. On a réussi à trouver l’ordre qui fait que, comme tu dis, un morceau en introduit un autre etc… donc oui, c’est une aventure qui s’écoule comme un fleuve.
Luca : Chaque morceau est une partie différente du labyrinthe. La rivière, le monde de la plaine. On a pensé l’album comme ça. C’est pour ça que chaque titre représente un endroit, d’où cette espèce de labyrinthe.
LFB : C’est chapitré, en fait.
Luca : Oui. Et la narration vient amplifier tout ça. Cet album, c’est un conte pour enfants, une histoire qui se consomme de A à Z.
Léo : Mais pour moi, l’histoire n’est pas très importante. Selon moi et la façon dont j’écoute cet album, c’est très abstrait. Un côté très rêve insensé aussi. Et qu’il faut conserver parce qu’il y a beaucoup de musicalité dans le psychédélisme, dans l’abstrait. Si le message est trop fort, la musicalité perdrait du terrain.
Luca : On a l’impression d’une histoire mais ça n’est pas très linéaire. Si tu écoutes la voix narrative, ce qu’elle dit ne crée par une histoire totalement cohérente. Ce n’est pas ultra-scénarisé.
Léo : Ça reste très flou, très aspect, très « drogue ».
LFB : J’espère que vous ne m’en voudrez pas mais , moi, je n’ai pas prêté trop attention aux paroles tant j’ai eu l’impression que la voix était plus utilisée en tant qu’instrument qu’en tant que guide. Je n’ai pas eu l’impression que les textes allaient bouleverser les sensations que donnait la musique.
Léo : Non. Les textes doivent apporter une sorte de présence humaine, quoi. Pour cet album, il y a eu une volonté de faire une musique non pas analogique, mais organique. La voix, telle qu’elle est enregistrée, apporte un côté organique donc oui, elle a un rôle sonore dans le mix, dans les fréquences des morceaux. Un spectre. Une sorte de richesse dans les médiums. C’est le premier aspect de la voix.
Mais il ne faut pas se focaliser sur les paroles. C’est une sorte de champ lexical. Un champ lexical basé sur la nature… c’est abstrait mais il fallait conserver un cadre. Ne pas dire n’importe quoi avec des mots qui sortent du cadre. Les paroles sont quand même très réfléchies. Pas importantes mais réfléchies. Si tu vas lire les paroles, tu y verras des réflexions sur la nature, sur la vie. Avec des mots très simples parce que notre anglais est basique mais il y a une grande réflexion sur les paroles, même s’il n’est pas important de comprendre tout ce qui est dit.
Luca : C’est une écriture qui se veut assez floue. Qu’on peut interpréter de manières différentes. Comme une métaphore. C’est des pièges dans lesquels on essaye de ne pas tomber mais on n’essaye pas de transmettre un message derrière les paroles. C’est pas un travail hyper important …
Léo : … mais qui doit couler avec le reste, dans le flot de l’album.
LFB : Je le vois comme une musique qui va peut-être plus s’adresser à la partie primitive de la personne qui va l’écouter plutôt qu’à l’intellect. C’est presque physique, la façon dont la musique est perçue. Et la réflexion se fait plus sur les émotions qu’elle engendre que sur le propos.
Léo : Exactement. La musique est quelque chose de physique. Des choses qu’on ne peut pas expliquer dans la façon dont on mixe. L’aspect primitif nous guide vers quelque chose de physique. Notre cerveau nous a guidés vers telle ou telle direction. Ca reste de la musique « intellectuelle »… on parlait de rock progressif plus tôt, et c’est souvent considéré comme de la musique pour les intellos qui la comprenne.
Luca : C’est pas forcément de la musique qui facile d’accès. Mais cette partie intellectuelle ne passe pas du tout par les paroles.
Léo : Plus par les compositions, les arrangements…pas par les paroles.
Luca : Mais de toute façon, notre manière d’appréhender les paroles correspondait à ce qu’on recherche en tant que musiciens.
Léo : Oui. J’ai jamais écouté les paroles dans une chanson. Tu es captivé par la musique, le rythme, l’énergie. Les sons plus que les paroles.
Luca : Ça impacte la manière de faire de la musique.
LFB : Je voulais revenir sur l’album. J’ai eu l’impression que d’une chanson à l’autre, il y avait des espèces d’échos… une sonorité d’une chanson qui revenait sur d’autres morceaux. Est-ce que je me trompe ?
Léo : Un pote m’a toujours dit « Si tu veux faire un bon album, Il faut que certains instruments reviennent au minimum deux fois dans un album. Si tu mets des cuivres, il faut en mettre à un endroit, et en remettre à un autre endroit de l’album ». Et c’est une théorie que j’applique pour tout ce qu’on fait.
Donc oui, il y a des moments où, en finalisant certains morceaux, on est allé chercher des trucs qui se passent dans d’autres morceaux. Donc il y a des effets qu’on a mis à plusieurs endroits de l’album, pour cette cohérence. Il y a un morceau qui s’appelle The Darkside et un autre qui s’appelle The Beauty. Et celui-là est un prolongement de Darkside. On a repris les pistes et les accords et on a créé un morceau à partir de The Darkside. Comme l’intro mise au début et toute à la fin. Il y a en effet plein de petits trucs qu’on a repris et qu’on a placés par ci par là.
Luca : Il y a plusieurs fois des trucs qui trainent. On a samplé The Garden pour faire The Forest par exemple. Ça part de la même base. Comme pour l’intro reprise à la fin. C’est symbolique. On pense être sorti du labyrinthe sauf qu’on en est prisonnier, en fait. C’est une boucle qui recommence donc c’est presque une volonté inconsciente de replacer des éléments.
LFB : Ce qui est drôle c’est que, quand on écoute l’album tout du long, il a cet effet d’écho. Et la sensation varie complètement. La musique peut être totalement lumineuse sur un morceau et beaucoup plus sombre sur un autre. Il y a cette façon de garder un écho mais de traiter les choses différemment et d’amener quelque chose de différent à chaque fois.
Léo : Quand on fait un album autant riche, avec beaucoup de couches, il ne faut pas tomber dans le piège d’en faire trop. Que ça devienne indigeste. On a du calmer le jeu, par moments On aime la musique lumineuse, pour employer ton terme. Mais il faut aussi accepter les parties plus minimalistes pour faire la balance.
Luca : On a essayé de jouer sur les contrastes. Le meilleur exemple, c’est The River. Où pour mettre en valeur la partie jolie, belle, on a décidé de mettre avant et après des parties ultra-dark. Il fallait contrebalancer les parties sucrées avec des parties plus sombres. Il y a la même chose dans The Rainbow. Le début est inquiétant mais ça débouche sur quelque chose de gentil, de lumineux.
Q/ Il y a des côtés « retour d’acides ». Si on reste sur l’idée psychédélique ?
Luca : Des redescentes, oui.
Léo : Oui, il y a de temps en temps des petits « bad trips », comme ça.
LFB : Si je vous dis que pour moi, votre musique est plus une musique de salon qu’une musique de concert, est-ce que vous êtes d’accord ou pas du tout ?
Luca : Complètement ! D’ailleurs, c’était une source d’angoisse parce qu’on parlait de faire un live autour de l’album. C’est une volonté qui venait du label et nous, on savait vraiment pas ce qu’on allait faire de cet album en live.
Léo : Le label nous disait « En live, ça va donner super ! » et nous, on était bloqué. Il n’y a pas de rythme. On n’est pas musiciens du coup notre truc pour les live, c’est de faire de l’électro. Genre Justice et tout ça. Avec cet album, ce n’est pas possible de faire un concert électro. On a donc réfléchi a des trucs, à engager des musiciens… mais ce n’est pas notre truc. Donc oui, pour nous c’est clairement de la musique de salon, et pas de live.
Luca : (à Léo) tu l’avais dit d’ailleurs, dans une interview pour une radio suisse. Que c’était un album qu’il fallait prendre le temps d’écouter. De rentrer chez soi, de se le mettre et de se poser. Donc oui, c’est quelque chose dont on avait totalement conscience.
Léo : La musique, c’est devenu un truc… il faut un rôle, quoi. Genre j’écoute telle ou telle musique pour faire du sport. Ou quand je suis en voiture. Cet album, l’écouter doit justement être l’activité principale.
Luca : C’est pour ça qu’il a pas du tout marché. Il n’est pas adapté à l’époque (rires).
Léo : Non, il n’est pas adapté. Sur une playlist, ça le fait pas. Si tu veux vite écouter l’album, tu ne le comprends pas.
Luca: C’est pour ça que beaucoup de gens qui ont pris le temps de l’écouter nous ont dit qu’ils ont été transportés, déconnectés du monde…
Léo: Oui, il y a eu une sorte de dualité dans les retours. Soit rien du tout, soit des gens qui nous disaient « c’est la bande originale de ma vie« , des trucs comme ça. C’est très contrasté.
LFB : Je trouve que c’est album qui colle très bien à l’année et demie qui vient de se passer. Tu parlais de boucle et au final, c’est un album qui peut s’écouter en boucle et diffuser ses ambiances. Comme une boucle où chaque journée se ressemble.
Léo : Okay… et donc c’est positif ou négatif ?
LFB : Pour moi, c’est complétement positif. C’est un album que j’ai écouté trois fois de suite et à chaque fois, j’ai percuté des sonorités différentes.
Luca : Un autre journaliste nous avait dit que c’était un album qu’il était important de sortir aujourd’hui, à l’époque dans laquelle on vit. Car c’est un album qui fait du bien an ce moment bizarre qu’on traverse. On n’a pas été influencé par ça, par cette période. Mais pour les gens qui ont fait l’effort, c’est un album qui leur a fait du bien, qu’ils n’auraient pas autant apprécié s’il était sorti deux ans auparavant, dans un contexte plus normal, on va dire. Mais oui, c’est revenu plusieurs fois : ce lien entre le contexte et l’album. Mais nous à la base, on a pas trop été impacté par tout ça parce qu’on est assez casanier dans notre vie de tous les jours mais…ouais…on l’aurait fait même hors-Covid.
LFB : La finalité la plus évidente pour cet album, c’est de sortir un vinyle. Au sens de l’écoute.
Luca : Encore faut-il le vendre (rires) !
Léo : Moi, j’ai toujours un problème avec les albums qui ressortent en vinyle de nos jours. Par rapport au son, en fait. Le vinyle n’apporte pas forcément quelque chose dans la mesure où c’est numérisé et tu dois le remettre sur vinyle. Dans les années soixante-dix, c’était la bande qui était gravée sur le disque…donc d’un point de vue technique, j’écouterais plutôt cet album sur les plateformes de streaming pour éprouver plus de plaisir. Mais du point de vue de la philosophie de l’écoute, ça a beaucoup plus de sens d’avoir l’objet et de l’écouter de A & Z.
Luca : Dans le sens où en vinyle, tune vas pas avoir envie d’aller chercher ailleurs, de te balader comme sur Spotify.
Léo : Et comme tu dis, les vinyles…encore faut-il les vendre !
Luca: Mais c’est vrai que niveau son, on était content. On s’en sort assez bien. Sur « Fleurs », on était plus frustré. On n’était pas satisfait du son sur support vinyle. Mais c’est vrai que, de base, on a la trentaine passée et on fait partie de cette génération qui a connu le support physique.
Et de temps en temps, il y a cette petite frustration parce que tu le sors en vinyle et il ne sonne pas comme tu voudrais qu’il sonne. D’un côté, tu es content d’avoir un support, un objet et de l’autre tu as ces petites frustrations techniques. Mais bon, ça fait partie du jeu.
LFB : J’ai l’impression qu’on partage la même philosophie. J’ai cru comprendre que vous travailliez à côté de la musique et je me demandais quelle influence cette espèce de vie normale et d’indépendance financière vous apportait dans votre façon de vivre votre musique ?
Léo : Un liberté totale. Aucune pression. Et le fait de travailler sans pression commerciale, ça te permet de faire des trucs…comme ça…qui viennent du plus profond de nous-même sans être stressés par le fait de vendre, d’avoir des streams…on n’est pas dépendants de ça.
Luca : Pour moi, c’est à double-tranchant. L’aspect positif, c’est qu’il n’y a pas cette pression. du coup, on est très libre car on est très loin de vivre de la musique. On vit de nos jobs respectifs. Du coup quand on fait de la musique, c’est pour se faire plaisir. On se met aucune contrainte et on fait des albums comme on l’a fait.
L’aspect un peu plus négatif, c’est que ça peut aussi te faire sortir du truc. Parfois tu oublies presque que tu as un groupe parce que tu as des périodes dans ta vie où tu fais ton taf… et tu ne fais pas de musique, tu ne fais rien. Nous, on a pris l’habitude de rester en contact, on communique énormément mais des fois, on ne va pas se voir pendant un mois, un mois et demi, on ne va pas faire de musique pendant trois mois et tu oublies que t’as un groupe.
Léo : Des fois, ça permet de prendre un peu de recul mais des fois, on sort un petit trop et on en oublie le groupe. Donc oui, c’est vraiment à double-tranchant. Si on vivait de la musique, si on se voyait tous les jours, qu’on avait des lives tout ça…c’est cool parce que ça te permet de vivre à fond l’expérience d’avoir un groupe de musique mais…
Luca : C’est un juste-milieu à trouver. Autant si tu t’écartes trop, ça sort un peu de ta vie. Mais s’il y a trop de musique, tu peux en faire une overdose.
Léo : Et manquer de recul sur certains trucs que tu fais.
Luca : Il faut faire des coupures, des fois. Faire de la cuisine, aller au ciné…ça fait du bien, des fois. Caresser son chat (rire) !
LFB : Quels sont vos plans d’avenir pour le groupe ? Est-ce qu’il y a des choses qui arrivent ou est-ce que vous avez des envies particulières pour le futur ?
Léo : C’est très lent mais, ça va arriver. Je crois qu’on a toujours envie de créer de la musique. Et je crois qu’on aura toujours envie de créer de la musique. C’est une constante qu’on a depuis…quinze…seize ans… là, il y a une grande pause mais l’envie grandit et on va ressortir de la musique.
Luca : Contractuellement, on est tenu de faire encore deux albums avec le label donc, quoi qu’il arrive, il y aura deux albums. On a pas le choix !
Léo : Mais de toute façon, on a envie ! On a envie de créer de nouvelles choses. Mais moi je suis nostalgique de la période où on faisait des lives et de temps en temps, je me dis que ce serait bien qu’on puisse recommencer à faire une petite tournée…des envies de live. Mais sinon, c’est surtout l’envie de créer, d’innover.
Luca :Tout est très flou mais le prochain projet ce sera…un nouvel album.
Léo : On a toujours des projets, des petites maquettes, des petits trucs. On travaille toujours sur quelque chose et tout d’un coup on se met à… à appuyer sur l’accélérateur.
Luca : On prend aussi beaucoup de temps pour définir ce qu’on a envie de faire, en fait.
Léo : C’est ça qui est difficile. Quand tu viens de sortir un album comme ça, il me faut une pause où je n’entre même plus dans mon studio pendant un mois minimum. Parce qu’en fait, je ne sais pas quoi faire. Il ne faudrait pas replonger dans un truc comme ça, avoir les mêmes automatismes, mixer les mêmes choses…donc…mais après, quoi faire ? Et ça, ça prend du temps. Donc, il faut vivre certains trucs, se déconnecter complètement…et d’un coup, il y a un nouveau cadre. On commence à entrevoir un nouveau cadre pour un prochain album. On pose les bases, on définit le cadre et on y va à fond. Et là, on est dans cette phase où on est en train de définir le cadre de ce qu’on voudra faire.
Luca : Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il y aura un prochain album et qu’il sera complètement différent. On va sortir du rock psychédélique et des champignons magiques, des forets et des rivières (rires).