Difficile depuis plusieurs années de classer POND sous l’étiquette homogène de « rock psyché australien », tant le groupe de Perth compose désormais une pop inquiète, entre velléités électroniques et fulgurances bowiesques sur fond d’anxiété climatique. Alors que paraît aujourd’hui leur 9e opus, sobrement intitulé « 9 », une rencontre s’imposait avec Nick Allbrook, leader du groupe, pour parler de ce tournant sonore qui allie danse et mélancolie.
English version below
La Face B : Salut Nick ! Alors, comment tu te sens par rapport à la sortie du 9e album de POND ? Impatient, nerveux ? Tu en es fier ?
Nick Allbrook : Ouais, je suis fier. Pas nerveux non, juste fier. J’ai hâte que les gens en profitent, qu’ils l’écoutent et l’apprécient.
LFB : Tu penses qu’il risque de surprendre les gens ? Dans le communiqué de presse, je crois que c’est toi qui affirmes que tu as toujours aimé la musique qui suscite des désaccords. Est-ce que ça signifie que l’album va diviser les fans de longue date ?
Nick Allbrook : Tu ne peux jamais savoir. La manière dont les gens prennent les choses à cœur peut être surprenante. Tu vois, on s’est rendu compte que cet album est finalement beaucoup moins… Enfin, je me suis rendu compte qu’il est beaucoup moins agressif et étrange qu’on l’avait imaginé. Je pense que certaines personnes pourraient être troublées… Je sais pas, certains ont eu une réaction un peu bizarre quand on a sorti Pink Lunettes. Peut-être que ça va les contrarier (rires). Je sais pas trop.
LFB : Oui, Pink Lunettes m’a surprise aussi, mais dans le bon sens du terme. J’ai lu d’après Jay que vous vouliez que l’album sonne punk, ou plutôt comme le sentiment de la musique punk – plus succincte, frénétique, rapide. Et c’est ce que vous souhaitiez, mais en fait c’est pas vraiment ce qui en ressort, non ?
Nick Allbrook : Ouais, exactement. Je pense qu’on voulait tous faire preuve de plus d’énergie, tu vois, rendre les choses plus rapides et un peu plus irrévérencieuses. Et genre, sommaires et grossières. Ouais… Juste un peu plus con, du genre « allez, on s’en fout ».
LFB : Ce qui m’a le plus marqué, c’est la beauté des morceaux, particulièrement dans la seconde moitié de l’album. Comme si c’était la continuité de The Weather et Tasmania, où je trouve que la nostalgie joue une part importante dans l’atmosphère des deux albums. Et il y a également une certaine mélancolie dans cet album qui est peut-être encore plus tangible. Est-que c’était délibéré ? Est-ce que je projette quelque chose ?
Nick Allbrook : Bien sûr que tu projettes (rires). Mais j’imagine que c’est à ça que sert l’art.
Mais tu as aussi raison, dans le sens où il y a une mélancolie profonde et un certain épuisement. Tu vois, ça fait longtemps que j’écris des paroles sur le changement climatique et tout le reste. Et à ce stade, c’est juste… Je crois même plus avoir le courage de m’y replonger, parce que c’est trop concret, et tellement profondément déprimant. Donc ouais, bien sûr que c’est mélancolique, et bien sûr que tu finis de toute façon par en parler, parce que c’est le grand… C’est la seule préoccupation.
LFB : Le grand mal de notre époque.
Nick Allbrook : C’est la seule chose dont on devrait parler. Je sais même pas pourquoi je fais cette musique en fait (rires).
LFB : Oui mais quand même, tu écris toujours des morceaux à connotation politique taillés pour la danse. Ça reste des chansons sur lesquelles on peut danser.
Nick Allbrook : Ah, tant mieux. Tant mieux.
LFB : Ça n’était pas conscient ?
Nick Allbrook : Si, bien sûr que ça l’était. Mais je suis content que ça s’entende. Et oui, je pense qu’à l’heure actuelle, le corps est la seule chose qu’on puisse vraiment écouter. Car intellectuellement, c’est plutôt vraiment accablant.
LFB : Donc comment tu as abordé cette idée pendant le processus de composition ?
Nick Allbrook : J’ai commencé par me concentrer sur de toutes petites choses, de tous petits éléments de ma vie. Au lieu de prendre de la distance et de regarder le contexte global, j’ai zoomé et observé de tous petits instants, chez moi, jusque dans mes chaussures, ou dans le jardin. Et de cette manière, quand tu y regardes de plus près, il y a tout un univers dans chacune ces choses, qui sont tout aussi vastes que notre univers plus large.
LFB : Et tu penses que paradoxalement ça rend les paroles plus universelles ? Ou au contraire plus intimes et personnelles ?
Nick Allbrook : Eh bien un peu des deux, j’espère. Comme parler de quelque chose de concret et tangible. Ouais, qu’on puisse s’y identifier. Mais bon, je crois que des fois je pars dans des conneries poétiques qui ne parlent peut-être pas aux autres. Je sais pas. C’est à celui qui écoute de s’en emparer.
LFB : Est-ce que la plupart des nouveaux morceaux ont été écrits individuellement, comme vous l’avez fait pour Tasmania, ou est-ce que ça faisait partie d’une session d’écriture en groupe, ou d’impros ?
Nick : Non, rien à voir avec Tasmania, ou The Weather, ou Man It Feels Like Space Again. Beaucoup de morceaux sont nés d’idées très basiques comme une boucle qu’on construit progressivement, ou genre, oui, des moments d’impros pendant lesquels on déconne pendant des heures en espérant que quelque chose d’écoutable en sorte, qu’on puisse le développer, le mettre en boucle et le couper, jusqu’à ce que ça fasse une chanson.
LFB : Mais finalement, vous êtes parvenus à un résultat très cohérent, alors que quand tu décris le processus d’écriture, on dirait que tu parles d’un album de prog rock. Alors que ça n’a rien à voir !
Nick Allbrook : Ouais, j’arrive pas à croire que ça ait donné des chansons définies, parce que c’était vraiment une façon bizarre de commencer un album avec tous ces petits bouts soniques étranges et morcelés, tu vois ?
LFB : Pendant l’enregistrement, est-ce que vous écoutiez un certain type de musique qui aurait pu vous servir à rendre ce nouveau son ? Des musiques qui vous aurait aidé à convoquer cette mélancolie ?
Nick Allbrook : Je pense que la mélancolie c’est juste… Juste le genre de musique que j’aime et que je veux écouter. Je trouve que ça vient plus facilement. Et quand je joue quelque chose avec ce genre de sentiment, c’est là où je me dis « Ouais ça, ça sonne bien ». Mais clairement… Genre on écoutait ESG et même beaucoup de trucs que j’écoutais quand j’étais ado, comme John Spencer Blues Explosion… Des trucs vraiment énergiques et saturés. On écoutait beaucoup de compilations de no wave de New York. Le genre de trucs bien funky, mais déconstruit et dissonant.
LFB : Qu’est-ce qui vous a décidé à produire vous-mêmes l’album cette fois-ci ? Est-ce que vous aviez le sentiment que vous deveniez trop à l’aise avec votre son ?
Nick Allbrook : Ouais, faut juste que ça change. L’idée de simplement refaire la même chose encore une fois n’était pas la bonne.
LFB : Y a-t-il une autre différence par rapport à Tasmania et The Weather que tu n’aurais pas relevée ? J’ai l’impression qu’il y a quand même une continuation, si on parle des textes… Ce « fossé générationnel » dont tu parles dans Pink Lunettes et Rambo.
Nick Allbrook : Ouais, je crois que je me suis laissé aller… Enfin peut-être que je le suis tout le temps. J’avais l’impression d’être plus cynique et démoralisé (rires).
LFB : (rires) Ça c’est punk.
Nick Albrook : Peut-être ? En tout cas, du punk à l’ancienne (rires).
Non mais je crois qu’il y a une part biographique plus importante dans cet album. Le fait d’observer les histoires des autres comme une optique à travers laquelle voir notre propre histoire.
LFB : Jusqu’à quel point l’album est lié à l’histoire australienne ? Tasmania était évidemment très spécifiquement localisé.
Nick Allbrook : Mmh… Moins ? Une petite part ? Toast aborde des sujets australiens. Human Touch est plus ou moins née d’un truc que j’ai observé en Australie. Mais je pense que c’est beaucoup moins lié en fait. Beaucoup moins. Même des paroles qui ont été écrites d’un point de vue australien ou d’après une situation en Australie ont fini par s’en éloigner. Donc ouais, quand j’y pense, beaucoup de choses sont inspirées d’autres endroits en fait.
LFB : Donc pas autant que Tasmania… Pourtant, je n’ai pas pu lire toutes les paroles, mais par exemple America’s Cup relate de manière évidente un épisode de l’histoire locale de Fremantle non?
Nick Allbrook : Carrément. Non mais t’as raison, j’avais pas pensé à ça. C’est tellement comparable. Rien n’a changé en fait, à qui je veux faire croire ça ? (rires)
English version
La Face B : Hi Nick! So how are you feeling about the fact that POND’s 9th album is set to be released soon? Are you excited, nervous? Are you proud of it?
Nick Allbrook : I am. Yeah, I’m proud of it. I’m not actually nervous. No. I’m just, yeah, I’m just proud. I’m looking forward to people enjoying it, listening or enjoying it if they want to.
LFB : Do you think people are gonna be surprised by it? ‘Cause in the press release, I think you said you’ve always loved divisive music. Does that mean that it’s going to divide longtime Pond fans ?
Nick Allbrook : You never know. Like, it’s surprising… It’s surprising how people take things. Like, you know, we thought that this album ended up being a lot less… Well, I felt like it ended up being a lot less sort of aggressive and weird than we wanted it to be. I think some people you know, some people might be put out by it… I don’t know, some people are a bit weird about like when Pink Lunettes came out. Maybe they’ll be upset about it (laughs). I’m not sure.
LFB : I was surprised by Pink Lunettes too. But in a good way. I’ve read that Jay said you guys wanted the album to be like punk music, like the feeling of punk music, more succinct, hectic, fast. And that’s what what you guys wanted, but it didn’t come out that way, right ?
Nick Allbrook : Yeah, exactly. I think we were just getting you know, we all just wanted to exert a bit more energy, you know, make things faster and a bit more irreverent. And, like, abstract and obscene. And yeah… Just kind of dumb, like, ‘fuck it’.
LFB : What struck me the most was how beautiful the songs are, especially in the second half of the album. It’s like a continuation of The Weather and Tasmania, where I felt like nostalgia was playing quite an important part in the whole vibe. And there is a certain melancholy in this album too, which I think is even more tangible, maybe. Was that deliberate? Am I projecting something ?
Nick Allbrook : I mean, of course, you are (laughs). But that’s what art is for, I guess.
But you’re also right. In that, yeah, of course there’s like deep melancholy and fatigue. Yeah. You know, like, I’ve been writing lyrics about, you know, climate change and all that shit for ages. And it just, I think at this point it’s… I couldn’t even summon the strength to go into it again, cause it’s so real and so deeply depressing. So yeah of course there’s melancholy, and you know, of course you end up talking about it anyway, because it’s the great… It’s the only issue.
LFB : The great woes of our time.
Nick Allbrook : It’s the only thing anything should be about. I don’t even know why I’m doing this music (laughs).
LFB : Yeah, but still, you still write dancefloor-charged political takes. We can still dance to most of these songs.
Nick Allbrook : Yeah, that’s good. Good.
LFB : Wasn’t that conscious?
Nick Allbrook : Yeah, of course, it was. I’m just glad it comes across. And yeah, I guess at this point, the body is the only thing that we can really listen to. Because intellectually, it’s all quite overwhelming.
LFB : So how did you approach this vision during the writing process?
Nick Allbrook : Um, I started concentrating on very small things, very small parts of my life. Like, instead of zooming out and looking at the, you know, the grand scheme of what’s going on, I zoomed right in and looked at very, very small moments in my house or my shoes, or the garden. And sort of like that, when you zoom in quite close, there’s a whole universe inside those things, that’s as big as the wider universe.
LFB : And do you think it makes the lyrics, paradoxically, more universal? Or more intimate and personal?
Nick Allbrook : I mean, hopefully, a little bit of both. Like talking about something very real and tangible. Yeah, it’s relatable. But um, but I think I also sometimes use talks such like, you know, poetic bullshit, that maybe it’s not relatable. I don’t know. It’s up to whoever’s listening to.
LFB : Were most of the new songs individually written, like you did for Tasmania, or was that part of a group session, or jam sessions ?
Nick : Yeah, no, it wasn’t done like Tasmania, or The Weather, or Man It Feels Like Space Again. A lot of the songs came out of very kind of basic ideas like a tape loop you just sort of build, or yeah like, you know, jam sessions, where we just fuck around for ages and hope that something listenable would come from it, and we can build it and loop it and snip it, until it’s a song.
LFB : But you came out with an album that’s very cohesive, whereas when you describe the process, it sounds like prog rock. When it’s nothing like prog rock!
Nick Allbrook : Yeah, I can’t believe it came out like, you know, defined songs and all of this, because it was such a weird way to start an album with all these little strange sonic pieces of a mosaic, you know?
LFB : During the recording process, were you listening to any kind of music that would help you serve this new sound? Music that would help you convey this melancholy?
Nick Allbrook : Yeah, I think the melancholy is just… That’s just the music I like and I wanna hear. You know, I find it comes easiest. And when I play something with that sort of feeling, that’s when I think like, ‘yeah, this is sounding good’. But they were definitely like… We were listening to like ESG and even stuff I used to listen to when I was a teenager, like John Spencer Blues Explosion… Things that are just really like, really high energy, distorted shit. We were listening to a lot of New York no wave compilations. Like real funky, but kind of deconstructed, dissonant, type of stuff.
LFB : What made you decide to produce the album on your own this time? Did you feel like you were getting too comfortable with your sound?
Nick Allbrook : Yeah, you just gotta change it. The thought of just doing the same thing again was not a good thought.
LFB : Is there another difference in this album from Tasmania and The Weather that you haven’t specified yet? I feel like there’s still a continuation, lyrically speaking… That ‘generational divide’ that you’re talking about in Pink Lunettes and Rambo.
Nick Allbrook : Yeah. I think I let myself get a bit more… Ah, maybe I always am. I felt like I was being more cynical and defeated (laughs).
LFB : (laughs) That’s punk.
Nick Albrook : Maybe? Well, old punk (laughs).
Yeah, no, I think there’s a lot more biography in this one. Like just looking at other people’s stories as a lens through which to see our own story.
LFB : How much of the album is related to Australia’s history? Tasmania was obviously very specifically located.
Nick Allbrook : Um… Less ? Some of it ? Toast, I guess, touches on Australian subjects. Human Touch kind of started from a thing that I witnessed in Australia, I guess. But I think a lot less actually. A lot less. Even lyrics that come from an Australian perspective or an Australian situation, I think they sort of balloon out into something else. But um, yeah, a lot of the things when I’m going through the images and stuff in my mind are from other places, actually, yeah.
LFB : So not as Australian as Tasmania. I didn’t read all the lyrics, but I was under the impression that it was related to the same extent. Like America’s Cup is obviously related to Fremantle’s local history.
Nick Allbrook : Totally. No, you’re right. I didn’t think about that. It’s so similar. You know. Nothing has changed. Who am I kidding? (laughs)