ADN : Acide du noyau des cellules vivantes, constituant l’essentiel des chromosomes et porteur de caractères génétiques. Avec ADN, La Face B part à la rencontre des artistes pour leur demander les chansons qui les définissent et les influencent. Aujourd’hui, c’est Hervé Salters aka General Elektriks qui nous dévoile les cinq morceaux qui constituent son ADN musical.
Stevie Wonder – Too High
Il y a beaucoup de musiciens qui ont eu un impact sur ce que je fabrique, mais Stevie Wonder prend une grande place dans mon mini Panthéon personnel.
Déjà de part son utilisation du Clavinet, un clavier électrique développé dans les années 60 par la marque allemande Hohner pour imiter le clavecin, et qui devait servir à la base à jouer du Bach dans son salon. C’est Stevie Wonder qui le premier en a compris le potentiel rythmique (potentiel dû au fait que les tampons sous les notes tapent des cordes) et qui l’a transformé en machine à funk (voir Superstition, dont l’intro est comme la 5e de Beethoven du Clavinet).
Je continue d’être scié par la richesse de ses accords et de ses mélodies, tout particulièrement sur ses albums de la première moitié des 70s. Sur Too High, il atteint des sommets harmoniques qu’à mon avis personne n’a même approché dans la musique populaire des 50 dernières années, comme un grand écart dément entre le funk, jazz et la pop. Réussir à faire quelque chose d’aussi sophistiqué musicalement et le rendre aussi catchy qu’une comptine pour enfant est franchement miraculeux. Ajoutez à ça son groove céleste sur tous les instruments (il joue tout sur le morceau), et le réalisme social du texte (il est question d’une fille qui tombe dans une spirale de drogue et devient junkie), et vous avez une chanson unique en son genre.
David Bowie – Ashes To Ashes
J’avais 10 ans quand Ashes to Ashes est sorti, c’est un des premiers 45 tours que j’ai acheté. Le morceau me semblait complètement magique, un peu incompréhensible. Cette sensation était encore accentuée par le clip acide et bizarroïde qui accompagnait la chanson, avec Bowie en Pierrot Lunaire déviant.
Tout comme Too High de Stevie Wonder, Ashes to Ashes est un mélange de genre qui trace sa propre route. Ce n’est pas juste un morceau pop ou rock ou funk, c’est tout ça à la fois, le tout enrobé par le falsetto trouble de Bowie. Bizarrement, il y est aussi question de quelqu’un abusant de substances illicites, mais ici on sent que le texte est inspiré par l’expérience personnelle du Thin White Duke, il ne s’agit pas d’un constat social.
Charles Mingus – Goodbye Pork Pie Hat
J’adore le côté blues tordu de cette composition. Techniquement parlant, la mélodie sort rarement de la gamme blues, mais les accords que Mingus met dessous lui fait perdre pied. Ce qui fait que l’auditeur est à la fois en terrain connu (la gamme blues, sur laquelle une grande partie de la musique populaire du 20e siècle est basée) et en terre inconnue.
Il en ressort une ambiance façon coup de mou que je trouve géniale. On imagine que Mingus est dépité d’avoir perdu son chapeau ‘porkpie’ (c’est le nom d’une forme de chapeau, comme celui que porte Gene Hackman dans French Connection) et lui écrit cette ode comme au revoir.
Avant de déménager aux USA il y a plusieurs années, je ne savais pas que ‘porkpie’ désignait un genre de chapeau. Du coup je ne comprenais rien au titre, je ne voyais pas le rapport entre un pâté de porc et un chapeau, ha ha!
Kendrick Lamar – How Much a Dollar Cost
J’aime ne pas comprendre ce qui m’arrive quand j’écoute un morceau pour la première fois. Étant maintenant musicien depuis un petit moment, les albums qui me prennent complètement au dépourvu se font plus rares. To Pimp a Butterfly est un de ces disques, et tout particulièrement le morceau How Much a Dollar Cost. La cadence du rap de Kendrick Lamar est géniale, il se pose en 4/4 sur un instrumental conçu en 6/8. Vous ne pouvez pas vous empêcher de battre le beat de la tête mais en même temps vous n’êtes pas tout à fait sûr d’où vous êtes. Il se dégage une part d’inconnue de ce décalage, comme un groove sur sables mouvants.
Le morceau parle d’un dollar qu’un mendiant demande à Kendrick Lamar à une station essence. ‘Combien coûte un dollar?’ Certaines phrases du SDF le font réfléchir. Lucide, Lamar attribue en partie son succès à son égoïsme et décide à la fin du morceau de continuer dans cette direction, il refuse de donner le dollar au mendiant. Ce dernier s’avère être envoyé par Dieu, et le dollar coûte à Lamar sa place au paradis.
The Beatles – Tomorrow Never Knows
Je suis un grand fan des Beatles et en particulier de leur album Revolver. Tomorrow never knows est le morceau le plus mutant du disque. Les Beatles et George Martin expérimentent ici avec des boucles faites à l’aide de bandes et de multiples magnétophones. Le groove de Ringo Starr est fabuleux, et le son de batterie est révolutionnaire pour l’époque, l’ingénieur du son Geoff Emerick plaçant pour la première fois dans l’histoire du rock le micro à l’intérieur de la grosse caisse et compressant le son à l’extrème, créant ainsi une esthétique sonore qui allait changer la manière dont on enregistre une batterie en studio.
L’expérimentation va jusqu’au son de la voix de Lennon, que George Martin a fait passer par une cabine Leslie (un amplificateur à rotor habituellement utilisé pour l’orgue Hammond). C’était la première fois que qui que ce soit faisait passer autre chose qu’un orgue dans une Leslie (il n’y avait d’ailleurs pas d’entrée pour un micro sur la Leslie, il a fallu que Geoff Emerick modifie son circuit). Personnellement ça me fait un bien fou d’entendre des morceaux comme-ça, il y a une sensation de liberté folle qui ressort de toutes ces explorations sonores, j’ai l’impression de décoller du sol (ce qui colle avec le sujet du texte: la méditation transcendantale!).