Le 6 novembre dernier, de passage dans la capitale après avoir donné un concert acoustique des plus qualitatifs quelques jours plus tôt, nous avons pris le temps d’aller à la rencontre de Ryder The Eagle. Une rencontre enrichissante durant laquelle on y a parlé de son aventure en solitaire en campagne écossaise, de son rapport à l’amour ou encore de sa relation de cœur sacrée avec le continent américain. Retour sur cet échange.
LFB : Ton prochain album prévu pour le 18 février s’appelle Follymoon. Qu’est-ce que ça signifie concrètement ?
Ryder The Eagle : C’est un jeu de mots avec honeymoon qui veut dire lune de miel, c’est un peu pour matérialiser la période qui se passe après un divorce. Ce n’est pas un album de rupture, c’est un album sur ce long processus de deuil qui se passe quand tu as eu une relation pendant longtemps. En ce qui me concerne, c’était une relation de dix ans donc tu sens que c’est une nouvelle vie dans le sens où il y a vraiment un chemin à faire, ça ne se fait pas en un an. Je voulais représenter toute cette période assez longue, je voulais parler de ça dans l’album et donc j’ai inventé ce mot car j’avais l’impression qu’il n’y en avait pas excepté le deuil mais qui selon moi, est rattaché à la mort.
Et par rapport au deuil amoureux sur du long terme, je voulais aussi un mot qui représente ça et mon expérience car je suis parti à Londres, au Mexique, j’ai traversé les Etats-Unis etc. Je voulais vraiment représenter cette idée de voyage et puisque la honeymoon c’est un peu un voyage, je voulais une honeymoon mais différente. Le terme folly dans follymoon est un terme que les anglais utilisent peu, il signifie la folie dans le sens déraisonnable. C’est une période où j’avais l’impression de perdre la raison et de faire peau neuve en même temps, j’entamais quelque chose d’assez euphorique, mélancolique voire nostalgique. Ce terme évoque donc le côté paradoxal des deux sentiments.
LFB : Ton divorce ainsi que les échecs sentimentaux qui ont suivi ce dernier constituent les thématiques principales de ces nouveaux morceaux. Alors que l’idée de base est de te défaire de ce poids émotionnel, comment anticipes-tu le fait de tourner un disque qui ressasse un passé qu’il faudrait peut-être oublier ?
RTE : C’est vrai mais le problème c’est que je ne réfléchis pas à l’avance. Si je réfléchissais de manière sensée et si je mettais ma santé mentale en priorité, je n’aurais pas fait un album là-dessus. Quand je compose et que j’ai de l’inspiration, c’est parce que j’ai besoin de parler des choses qui m’habitent et qui me tourmentent sur le moment. Si je me force à faire des chanson sur autre chose, ça n’aura pas la même sincérité. C’est plus important pour moi d’être sincère dans mon art que de me préserver mentalement, ce qui est sûrement une erreur en tant qu’être humain. Mais en tant qu’artiste, c’est pour moi important. C’est paradoxal car le fait d’en faire un album et de romantiser cette douleur fait que tu t’y accroches et je dois reconnaître que c’est le cas car j’en parle en concert, ce qui est un peu dangereux car il y a des moments où j’ai l’impression de m’infliger cette douleur. C’est quelque chose de lourd, ça ressortira forcément à un moment donné dans ma vie et ça peut aussi empêcher d’avancer à d’autres niveaux. Je suis quand même content d’explorer tout ça même si c’est un peu noir car je sais que lorsque ce sera fini, je pourrai vraiment passer à autre chose de manière totale.
LFB : Ton disque Follymoon est un condensé de tes mésaventures amoureuses, ce qui le rend assez cathartique finalement. Faire ce disque t’a t-il alors aidé à surmonter ces aléas sentimentaux ?
RTE : Carrément et c’est vraiment pour ça que j’ai commencé à faire de la musique car j’en ai besoin plus que j’en ai envie. Faire un album là-dessus, que ce soit sur mon divorce ou l’après avec mes échecs amoureux, en faire un journal intime, expliquer pourquoi je me sens mal coupable en étant indisponible émotionnellement, ça aide et ça me permet de mieux comprendre. En faire une chanson tout en utilisant l’humour et en faisant quelque chose d’un peu cinématographique, ça me permet d’en faire un objet qui n’est pas forcément noir mais qui peut être aussi marrant à écouter car quand ça fait rire les gens, ça me fait du bien, ça me permet de prendre du recul sur tout ça et de passer à autre chose plus facilement en apprenant de mes erreurs et de celles des autres. C’est un espace où je m’auto-analyse et ça m’aide énormément. Si je n’avais pas la musique j’aurais des problèmes d’anxiété et de dépression, c’est sûr et certain.
LFB : Les neuf morceaux qui composent cet album sont nés dans cette petite bourgade écossaise de Plean. Pourquoi avoir décidé de poser tes valises là-bas ?
RTE : J’habitais à Londres à l’époque et j’aurais pu enregistrer là-bas mais j’aime bien partir quelque part pour sortir de ma zone de confort sinon j’ai l’impression de tourner en rond. J’ai besoin de me faire violence et de me mettre dans des situations d’inconfort et de non-familiarité pour que ça me pousse à sortir quelque chose en moi qui est vrai. Je ne savais pas où partir, je savais juste que je voulais un vrai piano et donc j’ai cherché des Airbnb qui avaient un piano. Le seul que j’ai trouvé était à Plean en Ecosse mais si ça avait été ailleurs, je serais allé ailleurs. Je cherchais en Grande-Bretagne car j’avais ma voiture en Angleterre, mon matos à Londres et si je pouvais éviter de traverser la Manche, c’était plus simple.
J’ai donc trouvé Plean, en banlieue de Glasgow et je me moquais complètement que ce soit morose, que je ne connaisse personne. J’y suis allé, j’ai fait accorder le piano là-bas et j’ai passé trois mois à faire l’album. C’était assez déprimant mais en même temps j’étais content d’avoir du temps pour moi dans un univers sombre pour vraiment explorer tout ce truc du divorce. Je me sentais un peu cosy dans la déprime car je savais qu’il fallait que je passe par là pour aller mieux plus tard. J’adore l’Ecosse en plus, c’est assez particulier, il y a une ambiance qui est vraiment différente de l’Angleterre et ça me plaisait beaucoup. Je suis parti quelques fois dans les Highlands pour voir les paysages, c’était un moment triste et solitaire mais aussi très beau et c’était vraiment ce dont j’avais besoin pour l’album. Mais c’est vrai que ce n’était pas une partie de plaisir tous les jours, c’était assez intense.
LFB : J’en déduis que cette aventure en solitaire, à l’écart du brouhaha citadin, a été assez bénéfique d’un point de vue créatif ?
RTE : Absolument. Il y a quelques chansons qui étaient déjà prêtes avant d’aller là-bas, des chansons que j’avais composées quand j’étais à Londres ou en tournée. En arrivant là-bas, j’en ai fait pas mal d’autres donc oui, le fait d’être seul et dans un endroit que je ne connais pas, ça m’a clairement inspiré. Je ne connaissais pas du tout cette ville donc c’était cool d’être dans un univers inconnu et de pouvoir aller chercher des choses que je n’avais pas encore racontées. Ça m’a fait faire plein de rêves et cauchemars toutes les nuits, ça m’a vraiment permis de gérer toute ma douleur, ce qui a amené de nouvelles idées et de nouvelles perspectives sur le problème. Quand j’étais à Paris, ma perspective était proche et là, le fait de prendre ce recul et cette isolation extrême, m’a permis de voir les choses différemment. Il y a beaucoup d’humour dans certaines chansons alors que c’était un moment où je n’avais vraiment pas envie de rigoler. C’était un peu de la survie de me servir de l’album.
LFB : Tu as toujours eu l’âme d’un vagabond, tes périples européens et outre-Atlantique ont été nombreux. Tant sur le plan humain qu’artistique, que t’ont apporté ces expériences jusqu’ici ?
RTE : C’est une bonne question. J’ai toujours besoin de partir à l’aventure, de tester mes limites, de me mettre hors de ma situation de confort, parfois en danger. C’est un peu fucked-up mais c’est comme ça que je fonctionne car ça apaise mes angoisses. J’ai toujours été attiré par l’idée de partir seul, de m’isoler, de quitter les gens d’une certaine manière et de me faire oublier. J’arrive pas trop à l’expliquer à vrai dire car je n’y ai jamais réfléchi mais j’ai ce besoin de me confronter à l’inconnu et de voir ce qu’il s’y passe et ce qui en découlera. À chaque fois où je me suis retrouvé en situation de danger ou en galère et que je m’en suis sorti, ça me donne confiance en moi et je me dis que je peux surmonter tel ou tel problème, ça me donne beaucoup de force pour affronter les choses de la vie qui sont extrêmes.
Par exemple, on peut dire qu’il y a pire que de se faire quitter mais ce sont des choses que je vis tellement intensément à l’intérieur, que j’ai besoin de partir, de dormir dans la rue aux Etats-Unis en plein hiver pour me rendre compte que je peux survivre à ça. Et si j’ai survécu à ça, je peux alors survivre à une rupture. C’est un peu bizarre mais c’est nécessaire pour me rappeler cette force que j’ai en moi. C’est légèrement autodestructeur comme comportement, enfin pas totalement puisque je ne prends pas de drogues, je n’ai pas envie de me faire du mal mais par contre j’ai envie de me mettre en difficulté, m’en sortir, être fier de moi pour me donner du courage et aller toujours plus loin. Je crois que ma plus grande peur c’est d’être dans la peur tout le temps. C’est un peu dangereux aussi car à chaque fois que je fais ça et que je teste mes limites, je me sens on the edge et devenir fou. En Écosse, je me sentais le devenir quand je me réveillais de mes cauchemars et que je faisais mes chansons.
LFB : Dans ta bio d’artiste, il est écrit que tu as passé la moitié de ta vie à chercher le grand amour, ce qui en fait dès le départ une quête vouée à l’échec puisque l’amour ne se cherche pas mais nous tombe dessus. Tout cela laisse alors supposer que tu as un rapport quelque peu obsessionnel avec l’amour, non ?
RTE : Alors si, tout à fait. Et je crois que je n’ai pas besoin de psy car tu le fais très bien. (rires) C’est un peu mon gros problème, en grandissant j’étais très idéaliste et je recherchais cette idée d’amour absolu, puis il se trouve que je suis tombé sur quelqu’un qui avait selon moi la profondeur pour rendre ça possible car ce n’est pas quelque chose que je pourrais trouver seul. Et tu as raison, l’idée de partir en se disant qu’on veut le grand amour, c’est déjà biaisé car on tombe dessus, lorsque ça arrive du moins. J’ai toujours eu tendance à me battre un peu trop pour l’idée de l’amour.
Maintenant, avec tous mes échecs amoureux, je pars un peu plus défaitiste mais avant, l’idéal de l’amour était plus fort que tout, je le faisais passer avant tout, avant la réalité même, ce qui a mené à là où j’en suis aujourd’hui, c’est à dire une désillusion inévitable car tu te rends compte que tu ne peux pas contrôler ces choses-là. C’est quelque chose que j’ai trop essayé de provoquer et j’ai cru que par ma volonté je pouvais le trouver. Je ne sais même plus si je crois en cette idée du grand amour, je crois toujours en l’amour tout court par contre. J’ai connu le grand amour pendant dix ans et peut-être que je ne le revivrai jamais, on ne peut pas savoir. Je ne cours plus après ça en tout cas et c’est peut-être en ça que j’ai évolué et cet album me l’a fait valider. Je n’ai plus cette quête de ce truc un peu religieux, que tu vénères, invisible, qui t’aide à tenir mais qui est fabriqué toutes pièces, qui est seulement dans ton esprit et pas forcément matérialisable.
LFB : Ton disque est d’une sincérité absolue, tu y chantes tes pensées sombres, ton intimité, ton passé et ce, sans filtre ni pudeur. Ryder The Eagle c’est un peu l’opposé absolu d’Adrien Cassignol en fin de compte ?
RTE : Pas vraiment car dans la vraie vie j’ai aussi tendance à faire ça, un peu trop même. (rires) Si je rencontre quelqu’un que je ne connais pas, je vais tout dire. Ce sont des trucs que la plupart des gens ne dirait pas car beaucoup ont une certaine méfiance mais moi j’en ai aucune et c’est sûrement un défaut. Dès que je rencontre quelqu’un, je pars du principe que cette personne est bienveillante, ce qui n’est pas forcément le cas, et je dis tout. C’est aussi une manière pour moi de me montrer vulnérable car j’ai l’impression que lorsque tu montres tes faiblesses dans les relations humaines, c’est un moyen de dire « regarde, moi aussi je suis fucked-up et je ne suis pas strong comme on essaie tous de le montrer ». Et ça, ça laisse la possibilité à la personne en face de moi de montrer également les siennes, ce qui instaure une relation de confiance et c’est très important pour moi.
Ça peut être mal interprété par certaines personnes, ça peut être trop intense et les gens peuvent en faire un mauvais usage et retourner ça contre moi car forcément lorsque tu dis des choses intimes, on peut te faire du mal derrière. Mais je n’arrive pas à faire autrement comme lorsque je pars voyager, je n’ai pas cette peur de l’autre ou de l’inconnu, au contraire, ça me fait du bien d’être confronté à des choses que je ne connais pas et c’est pareil avec les gens. Pour te répondre, Ryder The Eagle c’est un peu une version exagérée et amplifiée de moi dans le sens où moi j’ai ce truc où je parle aux gens de tout mais pas autant que dans mes chansons car dans mes chansons je vais dans les détails et j’aime bien choquer, c’est un vrai défouloir.
LFB : Ton morceau The American Dream mentionne une rencontre Tinder euphorique mais qui est malheureusement arrivée à terme. Le rêve américain est-il alors synonyme de désillusion pour toi désormais ?
RTE : Bonne question encore une fois. Il se trouve que dans la chanson, je fais un parallèle entre le rêve américain et mon rêve à moi, mon idéal d’amour et mon idéal américain car j’ai une relation de cœur avec les Etats-Unis, c’est un endroit où lorsque j’y suis j’ai l’impression d’être chez moi. Cette idée du rêve américain est intéressante car ce qui me fascine dès le début c’est la désillusion inévitable et je pense que je rapproche l’idée du rêve américain, qui a eue lieu dans les années cinquante, de mon idée du grand amour que j’ai poursuivi. C’est comme avoir un rêve au fond de toi, illusoire certes, mais que tu poursuis quand même car ça te permet d’aller plus loin. C’est un peu le principe de la religion et de toutes ces choses-là qui te donnent une raison de continuer à avancer, d’aller toujours plus loin, qui te donnent une force supplémentaire que la force que tu as déjà.
Cette idée m’a toujours fascinée car on sait que ça va mal finir, on sait qu’il va y avoir de la déception, que c’est plein de paillettes et que c’est trop parfait par rapport à la condition humaine. Mais il y a quelque chose de beau et de pur dans le fait de poursuivre ce rêve-là et c’est ça qui me fascine là-dedans. Il y avait un peu de ça aussi dans mon histoire avec cette fille où j’idéalisais le fait d’être avec une américaine, j’étais encore dans cet idéal et le fait de poursuivre ce rêve avec cette fille, que ça se termine mal et de me retrouver face à ma désillusion après avoir été face à ma désillusion du grand amour sur un autre plan, m’a fait comprendre qu’il y a une beauté là-dedans.
Je trouve que c’est quelque chose qui est beau à explorer, que ce soit dans le cinéma, la musique et même la condition humaine de manière générale car j’ai l’impression que l’existence est une désillusion constante, on croit en des choses, on avance dans la vie pour se rendre compte qu’il n’y a pas vraiment de raison d’être là, pas de but mais juste l’instant présent. L’idée de désillusion est indirectement rattachée à l’idée de rêve et le rêve est propre à l’esprit humain car on a la conscience contrairement à un animal. Toute la beauté humaine est dans la capacité à rêver et dans le caractère tragique de la désillusion qui amène toujours les humains à leur propre perte, que ce soit par le climat, les guerres, toutes ces erreurs que l’on répètent, c’est un cycle sans fin. Et avec ces chansons, c’est ce que je voulais mettre en mots et en musique car c’est un thème qui m’est cher.
LFB : Il y a quelques jours, j’ai eu l’occasion de découvrir ton prochain album dans un format acoustique (Ryder The Eagle a donné un concert le 2 novembre dernier à L’Auguste Théâtre, ndlr) . Comme toujours, chacune de tes performances reste très intense, très brute. La scène est-elle libératrice pour toi ?
RTE : Oui et je devrais trouver un autre mot car c’est plus que libérateur. Je fais de la musique pour la scène, j’adore écrire des chansons, les enregistrer et que les gens les écoutent, c’est déjà énorme. S’il n’y avait pas la scène, il me manquerait 60% de ce pourquoi je fais de la musique car c’est la finalité, le truc absolu. Tu as écrit quelque chose et au lieu de le jouer à des gens sur une chaîne Hi-Fi, tu le chantes en direct aux gens qui sont en face de toi qui se prennent non seulement ta voix mais aussi les paroles, le sens de ce que tu dis et la vibration de ce que tu donnes physiquement et toi, tu ressens ce que eux donnent et comment ils le reçoivent.
Dès que je monte sur scène, c’est plus qu’un défouloir, plus qu’une thérapie ou un exutoire, il y a un truc un peu religieux où il se passe quelque chose que je ne pourrais pas décrire. Que le concert soit bien ou pas bien, j’ai quand même l’occasion de donner quelque chose de moi que je peux donner nulle part ailleurs. Je peux pas être comme je suis sur scène avec mes ami.es, ma famille, ma femme quand j’avais une femme et ni quand je suis seul chez moi car il n’y a pas ce rapport à l’autre. Il y a un peu un caractère exhibitionniste dans le fait de faire ça devant des gens quand j’exhibe ma douleur, mon être et tous mes tourments intérieurs pour voir ce que ça donne. Je ne pourrais pas vivre sans ça, ça me donne une espèce de preuve d’existence de mes sentiments et ça me permet de matérialiser tout le bordel de ces derniers devant des gens, il y a des témoins de tout ça, ce qui moi me permet de donner du recul à ces choses pour que ce soit moins chaotique à l’intérieur.
J’ai du mal à exprimer ce que ça me fait après le live mais c’est vraiment un truc que je place au dessus de tout. La dernière fois, quand j’étais à l’hôtel après un de mes concerts à Nancy, je me disais que s’il y avait un mécène qui pouvait me dire « je te paye pour que tu fasses des concerts toute ta vie dans le monde entier, même dans les endroits pourris », j’accepterais direct car c’est mon rêve absolu que je place au-dessus du fait d’être connu, d’avoir du succès, de l’argent ou même rencontrer le grand amour. Si je peux toujours être dans ce voyage perpétuel, de partage avec les gens et cette expression personnelle, je signe tout de suite. Je ne demande pas plus que ça car la scène est vitale pour moi.
LFB : Comment envisages-tu le live pour ce disque ? Penses-tu opter pour une configuration de groupe ?
RTE : Je veux être solo dans un premier temps et pendant un moment car je sors l’album en février et je vais le tourner aux Etats-Unis, au Mexique, au Canada puis ensuite en Europe. J’organise tout ça un peu tout seul, avec mes contacts et vu que j’aime tourner partout dans le monde, c’est important pour moi d’être seul sur scène car comme ça je peux être libre. Quand j’ai commencé à jouer seul, j’ai découvert ce truc de liberté absolue où je joue mes backing tracks et chante par dessus et du coup, avec cette formule-là, je peux aller n’importe où, du jour au lendemain, jouer mon truc et puis repartir. Je n’ai pas besoin de demander à des gens s’ils sont disponibles, de répéter avec eux, je suis auto-suffisant et c’est très important pour moi, même dans ma démarche artistique par rapport à mes chansons, mon voyage spirituel, par rapport à moi-même et mon auto-analyse.
C’est très important d’avoir cette liberté, de pouvoir être auto-suffisant. Je vais faire ça pendant toute la tournée de l’album et à terme j’aimerais, pourquoi pas, quand je ferais une salle plus grande, faire une formule avec plein de musiciens sur scène pour amener une force différente au live et pour que les gens qui m’ont vu dans un truc très vulnérable, tout seul, puissent aussi voir ce que ça donne avec plus de moyens d’expression, quelque chose de plus luxuriant et un peu plus épique, ce qui collerait à ce côté épique déjà présent dans mes chansons mais qui serait alors matérialisé par des personnes et du son qui serait joué en live.
En tant qu’artiste, c’est beaucoup plus dur d’être seul sur scène car lorsque tu es en groupe, tu es backupé par des gens donc tu te sens moins en danger car tu sais que si tu te goures sur les paroles, eux peuvent continuer à jouer. Il y a une espèce d’énergie de groupe qui te porte alors que lorsque tu es seul, tu es obligé d’être à nu et sincère sinon ça va se voir direct et sonner faux. Il faut vraiment se jeter à l’eau et être toi-même, essayer d’être à l’aise avec toi-même. Et en terme de travail personnel, même au-delà de la musique, c’est quelque chose que j’adore faire.
LFB : Aujourd’hui, tu vis au Mexique. Que t’apporte ce pays que tu ne retrouves pas ici ?
RTE : Ca m’apporte la notion d’inconnu. Le fait de vivre ailleurs est, comme je l’ai dit plus tôt, une manière de me confronter à l’inconnu, au nouveau, le champ des possibles est plus large. À côté de ça, j’ai un amour particulier pour les Etats-Unis et d’une manière large, pour le continent américain car je retrouve au Mexique, une sensation que je retrouve aussi aux Etats-Unis mais nulle part en Europe. La nature est plus présente partout, plus forte, plus puissante, il y a quelque chose de plus grand à ce niveau-là et tu te sens un peu plus comme un petit être humain dans une immensité de possibles tremblements de terre, de déserts et montagnes.
En Europe, tout est beaucoup plus habité et les campagnes sont petites. Que ce soit au Mexique ou aux Etats-Unis, il peut t’arriver d’aller manger dans un restaurant, d’en sortir, marcher puis te retrouver au milieu de nulle part. Il y a là-bas une espèce de lourdeur du silence que je n’ai jamais retrouvée ailleurs. Ça m’apaise et me stimule, ça me donne envie de voyager, de faire des choses là où en Europe je suis un peu plus oppressé par la petitesse des choses. Les esprits sont un peu plus étroits, à Paris par exemple, alors que là-bas, la culture hispanique est très basée sur les ancêtres, les croyances, quelque chose de très profond, ce qui fait que les gens ont une manière un peu moins étroite de voir la vie.
Je me suis souvent senti étriqué à Paris, dans la façon dont les gens te perçoivent et te décrivent alors qu’en étant au Mexique, dans les milieux que je fréquente et que j’ai envie de fréquenter, je ressens quelque chose de plus large, où je peux être moi-même. La météo est mieux aussi, le soleil c’est vital pour moi, pour tout le monde même mais pour ma santé mentale, le fait de me réveiller le matin, de descendre dans la rue et de sentir le soleil contre ma peau, ça change vraiment ma journée et rien que pour ça, j’ai envie de rester là-bas.
LFB : Enfin, aurais-tu des coups de cœur récents à partager avec nous ?
RTE : Je n’écoute pas trop de musique en ce moment car je n’ai pas envie de savoir ce qui se fait, ce qui est cool, ce qui n’est pas cool car je n’ai pas envie que ça me fasse me sentir mal par rapport à ma musique ou je fasse quelque chose qui n’est pas moi. J’aime quand même découvrir des choses qui me touchent mais ça n’arrive pas souvent. La dernière personne qui m’a vraiment touchée c’est Billie Eilish, je me sens proche d’elle dans sa démarche de sincérité, dans le songwriting etc. J’aime son intensité émotionnelle et son personnage est fascinant. Il y a aussi Packs, un groupe canadien avec qui je vais faire des concerts et qui est très cool. J’aime beaucoup Bambina, une artiste de Los Angeles et Alan Power dont je suis très fan et je pense que les gens qui aiment ma musique aimeront forcément la sienne. Et enfin, dans la catégorie musique il y a aussi mon frère jumeau Jazzboy, c’est trop bien ce qu’il fait. Côté films, j’ai parfois des gros crushs sur des films sortis il y a longtemps comme Buffalo ’66 avec Vincent Gallo, c’est un de mes films préférés et je le recommande à quiconque lira cette interview.
© Crédit photos : Inès Ziouane