Montréal Bagarre 2, l’introspection dansante de Of course

Lorsqu’on parle de Of Course, c’est toujours avec une petite touche d’émotion. En effet, en 2019, Montréal Bagarre fut le premier projet dont on parla sur La Face B. Depuis, de l’eau à coulé sous les ponts, mais on porte toujours Will et Émile dans nos cœurs. Et ce n’est pas cette seconde Bagarre qui nous fera dire le contraire, puisque ce premier long format renforce les qualités déjà aperçues chez le désormais quatuor, et y ajoute en prime une dose de sérieux et un petit côté sombre qui leur va à merveille.

À la fin du dernier épisode, on avait laissé Of Course dans une certaine nonchalance. Un côté branleur de jeune trentenaire qu’ils exprimaient parfaitement dans les morceaux Trente ou Oublie-Moi, et qui laissait malgré tout entrevoir une certaine part de sérieux à travers le très bon track Elle ne veut pas danser. Un style musical bien affirmé émanait de ces 7 titres, enrichis de deux singles collaboratifs et groovy à souhait : Laisser Glisser, qui tirait à boulet rouge sur les langues de pute qu’on a tous croisés un jour ou l’autre, et puis Paris bastonne, merveille transatlantique et mélancolique qui ramenait le duo à ses souvenirs parisiens. Et puis …

Et puis la course du monde, ou plutôt son arrêt, a mis un coup de frein aux ambitions de Of Course. Si cela aurait pu tourner à la catastrophe pour un projet qui commençait tout juste à trouver son rythme de croisière, Émile et Will ont fait contre mauvaise fortune bon cœur et ont préféré en rire, avec l’hilarant Pangolin et son clip fait maison. Une période de transition qui aura permis au groupe de libérer certaines choses, et d’assumer une double volonté assez claire : d’un côté, l’envie de faire danser et de divertir, de l’autre, celle d’affirmer une écriture plus sérieuse, plus intime et plus forte. 

Ce passage de témoin aura lieu en 2021 avec deux singles que l’on retrouve sur ce premier long format : d’un côté, le lancinant et sensuel Jouer plus easy, qu’ils partagent avec les très bons Dope.Gng. Un titre positif et proche par moment de l’égo-trip. De l’autre côté du soleil, Of Course présente Pleurer pour Elle. Et sous couvert de petits tubes dansants à la base sexy et aux intonations très pop, les garçons prennent de front les thématique de la dépendance aux réseaux, la dépression et les relations qui s’étiolent dans un monde qui n’a plus rien de réel. 

Toutes ces idées se retrouvent aussi dans le superbe visuel de Marie-Pier Mercier. Sorte de personnage de l’ombre du projet, la graphiste teinte ce nouveau projet de bleu, couleur plus rêveuse que le rouge de Montréal Bagarre. Surtout, pour la première fois, on retrouve un personnage en pied, en pleine élévation, comme s’ il se retrouvait emporté par ses pensées vers un ailleurs mystérieux. Tout Montréal Bagarre 2 se retrouve donc ici : une introspection dansante et profonde qui amène Of Course vers une étape plus importante.

Et cette sensation impalpable prend corps dès le premier morceau de l’album. Les premières notes de Mtl Bgrr 2 ramènent au précédent effort d’Of Course, mais se transforment très rapidement, comme si on basculait dans une réalité différente. Un côté plus physique, des notes synthétiques et une sensation presque oppressante d’urgence et de danger s’emparent de nous. Le dancefloor est sous nos pieds mais il semble étrangement cauchemardesque, comme un retour d’acide qui nous frapperait en pleine fête. Ce premier morceau nous happe totalement, et l’on s’attend donc à prolonger ce voyage …

Mais ça, c’est mal connaître Of Course et son art du contrepied. Loin du sol, c’est dans les nuages qu’ils nous font voguer avec L’aventure. Plus organique, avec sa batterie qui claque et son rythme tout en cassures, le morceau nous rappelle tous ces instants où, enfermés chez nous, on s’est évadés dans nos esprits, ou alors ceux où on est allés chercher l’extérieur sous sa forme irréelle, faute de pouvoir l’approcher de manière tangible. Le chant, comme l’instru, joue sur les rythmes : tantôt lancinant, tantôt trop rapide, il se pare du rythme des émotions.

C’est aussi le cas de Pas le temps. À toute allure, le morceau file comme les jours qu’on ne voit plus passer, porté par une ligne de basse complètement dingue et des sonorités de piano ingénieuses et enlevées. On écoute Will se transformer en lapin blanc, analyser l’insatisfaction d’une époque où tout va trop vite et où l’on ne profite de rien. 

Si les premiers morceaux semblent assez sérieux, et un peu sombres, T’es beau vient apporter une petite éclaircie funky et groovy. En s’adressant à un autre, Of Course délivre un grand message d’acceptation profondément positif, qui reste également très dansant. Le groupe ajoute une nouvelle corde à son arc avec des sonorités plus pop et solaires. On se prend le morceau en pleine face et on ne résiste pas très longtemps à l’envie de remuer son corps, tant le titre se fait très vite irrésistible.

Morphée permet de reprendre son souffle. Le morceau ralentit le rythme et introduit la première invitée de l’album : Oré. Doux et reposant, le titre est à l’image de son sujet : presque surréaliste par moment, laissant apparaître ici et là des images qui viennent frapper nos esprits grâce à une écriture très visuelle. Le couplet d’Oré traite ainsi à merveille de ces sensations qui nous envahissent lors des moments d’insomnie. 

Et puis, vient le morceau qui pour nous est le plus important de l’album. On parle souvent d’élément central, et c’est tout sauf un hasard si N’oublie Jamais est ainsi le cœur de Montréal Bagarre 2. Il en est le morceau le plus sincère et pur, sans doute le plus triste aussi. Destruction et reconstruction, le titre traite d’un sujet souvent laissé de côté, encore plus par un artiste masculin : la grossophobie. Choix sociaux, influence des parents, conséquence sur une vie souvent définitivement gâchée ou marquée au fer rouge, N’oublie Jamais est un morceau puissant et nécessaire qui marque profondément. 

Il agit aussi comme une sorte de libération, puisque la suite s’avère bien plus légère et souriante, notamment avec le superbe Regarde Moi, qui parle d’amour et de tendresse, de coup de foudre et de monde qui bascule, toujours porté par les lignes de basses fracassantes d’Émile et le flow habité de Will, le tout surélevé par des ambiances très cinématographiques. 

La trêve, avec Vendou, revient sur une base plus hip hop et continue cette sorte de thérapie dansante entamée depuis le premier morceau. Ici, on chasse les démons et on se réconcilie avec soi-même et au final, aussi avec les autres. Un appel au laisser-aller, à la paix, et à l’acceptation des erreurs que l’on a pu faire.

Sucré Salé et sa guitare funky est sans contexte le petit hit de l’album, et nous pousse à danser encore et encore, tandis que L’enfer et son rythme trépidant traite de psychoses et d’addiction à des petites pilules qui ont le don d’éloigner la folie pour un moment… un moment qui ne dure jamais très longtemps. Là encore, Of Course alterne avec précision et perfection la légèreté et le sérieux, avec toujours cette envie de ne jamais sacrifier le rythme au sens. 

On retrouve alors Jouer Plus Easy, alors que Small Talk, un morceau presque entièrement instrumental, vient clôturer l’aventure du disque sur une note humoristique, mais toujours aussi groovy. Un au-revoir en forme de clin d’œil et une ouverture bien sentie sur la suite. 

Avec Montréal Bagarre 2, Of Course nous offre donc bien l’uppercut tant attendu. Plus mature, plus assumé et assuré, ce premier long format est définitivement une introspection dansante, dont ressort le besoin de ne rien éluder, mais de le faire avec panache, style et musicalité. Pleurer sur le dancefloor pour ensuite réapprendre à sourire, la mission est accomplie avec brio par Of Course.