Adrien Legrand en session avec Au Revoir Mr. Sakamoto

On a discuté avec Adrien Legrand de son morceau Au Revoir Mr. Sakamoto dont on vous dévoile aujourd’hui une session live exclusive.

La Face B : Comment s’est passé la session qu’on a enregistré pour Au-Revoir Mr Sakamoto ?

Adrien Legrand : Grave. C’était trop bien. Je suis arrivé la veille chez Adrien, aussi pour le voir. Le lendemain matin, j’ai un peu bossé le morceau, parce qu’il a fallu que je le bosse. Entre le moment où je l’ai composé et la session, je ne savais pas trop le jouer. Je l’ai fait un peu par à-coup. Du coup, tous les jours je répétais le morceau. C’était cool, ça m’a mis dans une dynamique un peu différente. Et voilà, j’ai répété ça le matin. Greg est arrivé sur les coups de midi. On a du faire trois prises. Au début j’ai fait une version ultra tendue, je jouais vite, je pressais, j’ai repris plusieurs fois. Je foirais, je n’étais pas dedans. J’en refais une qui était hyper bien, beaucoup plus douce et clairement, on a senti la diff’. On l’a réécouté et c’était celle-là quoi. On tout et pour tout, il y a une trois prises et c’est surtout la deux où j’ai tout fait d’un seul coup. Parce que le morceau est assez long mine de rien.

LFB : Avant de parler de Sakamoto, j’aimerais bien… Parce que je pense que ce morceau-là, en plus de la réalisation au réalisateur, elle parle d’une relation que tu as, celle que tu avec le piano. J’aimerais bien que tu m’en parles.

Adrien Legrand : Qu’est-ce que tu veux savoir ?

LFB : Je t’ai connu à travers Veik, après à travers ton projet solo ou les projets que tu avais avec d’autres et c’est vrai que quand tu m’as dit que tu faisais un morceau de piano solo de six minutes, ça m’avait un peu surpris parce que je trouvais au départ que c’était un peu écarté de ce que tu faisais. Mais après, ça me paraissait aussi logique parce que j’ai l’impression que tu t’intéresses à ouvrir tes horizons musicaux à plein de choses différentes. Je pense que pour faire un morceau de piano comme ça, il faut quand même avoir une relation forte avec le piano et une connaissance du piano qui traîne depuis des années.

Adrien Legrand : Tu as très bien résumé le truc. En fait, le piano a toujours été là. C’est mon instrument. J’ai dû faire trois ans de cours quand j’étais petit. Après, j’ai arrêté. Au début, quand j’ai pris des cours, c’était des trucs assez classiques, un peu chiants. J’ai lâché tout ça au bout de trois ans et après, période collège et tout, j’ai découvert la pop music, le rock, la guitare. Donc le piano pour moi, c’était derrière. Au final, j’y suis revenu quand je suis allé à la fac. Après que j’ai eu mon bac, j’ai vécu un peu chez mes grands-parents et il y avait un gros Synthé en bas.

C’était un gros Yamaha, il avait un son de piano qui était pas mal. Là, avec la culture que j’avais emmagasiné en écoutant du Beatles par exemple, ou les Doors, il y avait beaucoup de claviers, beaucoup de piano, d’orgue. Je me suis mis à retourner vers cet instrument-là comme ça, petit à petit. Retourner au clavier. Après, il s’est passé ce qu’il s’est passé avec mes différents projets où j’étais vers des claviers mais au sens large, synthétiseurs, tout ce que tu veux. Le premier EP que j’ai sorti était vachement piano parce que c’est là-dessus que j’ai composé au tout départ. Il y avait une volonté d’avoir un son piano tout le long, je me souviens. Mais une fois sorti de cet EP, sur l’album, je ne voulais pas du tout réintégrer le piano. Je ne sais pas, je n’aimais plus du tout le piano, il y avait un truc.

Aussi ce qu’il s’est passé, c’est qu’il y a eu une période où j’écoutais beaucoup de jazz au piano à la fac. J’ai découvert plein de compositeurs, de compositrices et j’étudiais un peu l’harmonie jazz au conservatoire mais juste en dilettante. J’avais quand même passé un concours d’entrée, je m’étais fait recalé. Mais heureusement, parce que je n’aurais pas eu le temps d’assumer un cursus jazz, le fait de jouer dans Veik. Finalement, c’est un mal pour un bien mais j’avais quand même passé des cours d’harmonie jazz et ça me fascinait déjà. Toutes les couleurs que tu peux déployer. Et d’ailleurs, on en retrouve dans Sakamoto. Il y a eu un peu ce rejet sur Bel-vu et je ne sais pas, j’y suis revenu il y a peut-être un an et demi. J’en ai réécouté et finalement, je compose toujours tout de manière assez pianistique. Je pars souvent un clavier, des accords, j’essaie de jouer.

C’est une approche très piano, même si ce n’est pas tout le temps un son de piano. Après, le piano est revenu là, je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas. J’y suis revenu peut-être de façon naturelle. En fait, je pense qu’il n’est jamais vraiment parti. Ça a toujours été ma base et là je me suis plongé dans l’oeuvre de Sakamoto et dans l’œuvre d’autres compositeurs, compositrices. Et aussi par la musique de film. Ça me parle à mort. C’est très pop. C’est en ça que je trouve que Sakamoto est hyper fort. Au-delà de sa largeur et de la profondeur de tout ce qu’il a fait, c’est aussi ce truc pop qui est là. Ça me parle complètement. C’est un peu fouillis mais ça répond à ta question.

LFB : Ce qui est intéressant, c’est que quand les gens parlaient de Sakamoto, quand ils en reparlent avec ton morceau, les gens parlaient beaucoup de son côté compositeur de films, de choses comme ça mais ce qu’il y a d’intéressant aussi, c’est que c’est vraiment un artiste qui était protéiforme. C’est un mec qui a fait de la musique électronique, de la pop, qui a fait plein de choses. J’ai l’impression que plus que la musique de film, c’est ça qui te rapproche de lui.

Adrien Legrand : Complètement. Ça me fait plaisir que tu dises ça parce que je trouve que c’est un idéal de carrière. A son échelle, c’est clairement une carrière même s’il ne l’entendait peut-être pas comme ça. Il a connu le succès très jeune et tout ça mais après sa célébrité lui a permis de faire plein de choses, peut-être de façon plus confortable. En tout cas, il a toujours eu envie, jusqu’à très tard dans sa vie, avant d’être malade, il a donné des cours au conservatoire. La musique électronique, il n’a jamais lâché. Tout ce qu’il faisait en musique ambiante avec Alvanoto, il a fait plein de collab. Je trouve ça super ce truc qu’il a eu de toucher à tout en fait. Que tout soit lié par le piano. Là il te sort un album où il réinterprété tout son répertoire au piano. Tout est relié au piano, ça prend plein de formes et j’adore. J’ai clairement envie de mener ma barque un peu de cette façon-là.

LFB : Est-ce que ça te donne des envies de faire des bandes originales de film ou des choses comme ça ?

Adrien Legrand : Ouais, grave. J’aimerais bien. Je ne suis pas encore dans le réseau. Ça demande un effort là-dessus de mise en réseau, de rencontres. J’y pense de plus en plus ces derniers temps. J’aimerais vraiment beaucoup. C’est un exercice que j’adorerais. Je ne sais pas. Ça me parlait, je pense que j’y arriverais assez facilement, sans être prétentieux. Il y a un truc à faire. La composition comme ça pour moi, c’est beaucoup plus simple. Écrire des textes pour moi, ça demande beaucoup plus d’engagement, de réflexion, d’abnégation. La composition finalement de mélodies, de suites d’accords, c’est quelque chose que je fais tous les jours et que j’adore faire. Donc ouais, j’aimerais bien me diriger vers ça mais je n’ai pas encore enclenché.

LFB : J’ai l’impression que ce morceau-là est un peu une sorte de CV pour ça.

Adrien Legrand : Complètement. Je le présente un peu comme ça. Dans les textes de présentation que j’ai un peu diffusés et à chaque fois que j’en parle avec des gens, je compare ça un peu à un générique de fin. Il y a ce côté « au revoir », ce dernier message que j’envoie à Sakamoto, un peu sous forme de générique de fin, de musique de film comme ça. Complètement. Ouais, il y a un peu ce côté carte de musique si on peut dire.

LFB : Ce que je trouve intéressant sur le morceau, la chose la plus importante, c’est que tu es dans l’hommage sans jamais sombrer dans le pastiche. Je trouve que c’est quelque chose de très important à faire, surtout sur un artiste aussi reconnu et référencé, de ne pas trop plonger dans la copie bête et méchante. Je me demandais comment tu l’avais travaillé/imaginé ?

Adrien Legrand : Ce qui est venu en premier, c’est cette mélodie de base qui revient souvent. Après, je n’ai pas trop essayé d’aller dans des harmonies contemporaines comme peut faire Sakamoto. Je ne suis pas trop allé plonger là-dedans et je suis resté vraiment très pop avec des accords main droite comme je peux faire dans mes morceaux pop. Je suis resté là-dessus sauf que j’ai beaucoup étiré et j’ai voulu… Alors je suis allé beaucoup plus vers la pop dans le format, dans la répétitions, dans le fait d’enchaîner des thèmes. Chose que fait Sakamoto mais pas tout le temps finalement. Tu as vachement ça avec Merry Christmas Mr. Lawrence mais c’est un peu une exception aussi. Si tu regardes dans la plupart de ses thèmes, parfois c’est vachement étendu et c’est peut-être une approche classique dans le sens où le piano classique, technique, harmonique… Il va beaucoup plus loin lui. Je n’ai pas du tout son bagage. Donc quelque part, je fais avec ce que j’ai et ça donne peut-être ce côté plus frontal, plus pop que j’ai parce que je ne sais pas faire et parce que ça me parle complètement. Je voulais un truc facile à écouter mais en même temps, qu’il y ait un peu d’épaisseur émotionnelle. Pour ça, le piano c’est énorme et Sakamoto là-dessus, il est incroyable. Parfois, avec quelques notes dans des silences, il arrive à te charger émotionnellement ce que tu entends.

LFB : Tu dis que c’est facile à écouter mais ce qu’il y a de cool avec le morceau, c’est sa teneur un peu universelle et le fait que tu n’aies pas forcément besoin d’avoir connu Sakamoto avant pour trouver l’émotion dans le morceau, que tu n’aies pas besoin d’avoir une grande technique ou une grande réflexion. Il a ce côté un peu direct qui peut toucher tout le monde.

Adrien Legrand : Oui, complètement. C’est là où il est fort. Il arrive à être très direct, à ne pas que ça sonne technique en fait.

LFB : C’est ce que tu as fait aussi sur ce morceau-là.

AL : Il y a aussi quelqu’un qui m’a dit que ça lui faisait penser à du Joe Hisaishi. Le compositeur de Miyazaki. Je l’adore, j’en ai beaucoup écouté et on a tous grandi avec ses films. D’ailleurs, Le Garçon et le Héron est en salles. Quelqu’un m’a dit que ça lui faisait un peu penser à ça par moment. Alors, pourquoi pas. Il y a un côté aussi vachement pop universel mais aussi parfois un peu virtuose, un peu tempête d’émotion, un peu romantique qui me parle moins.

LFB : Oui, ou alors si tu veux éviter ça, il faut plus aller vers les BO qu’il a fait pour Kitano.

Adrien Legrand : Ouais complètement, genre Hana-bi ou Kikujiro c’est énorme.

LFB : Pour revenir à ton morceau, tu parlais de générique de fin mais ce qu’il y a de marrant, c’est qu’on le ressent. Je trouve qu’il y a un côté très évanescent et presque hypnotique.

Adrien Legrand : Je n’hésite pas à faire tourner les parties, ça c’est sûr. Après, il y a cette fin qui est voulue. Tu vois le dernier passage vraiment en suspension, c’est clairement un petit clin d’oeil à ce qu’a pu faire Sakamoto notamment sur Merry Christmas Mr. Lawrence mais d’une façon différente. Il a une fin très évanescente, un peu plus dark mais très en suspens. Il le fait aussi sur un autre morceau qui s’appelle A Flower is not a Flower qui est un super morceau où il y a toute une fin où il va jouer sur les cordes. Tu as l’impression qu’il y a des fleurs qui sont en éclosion, c’est magnifique. Je voulais un peu finir comme ça sur un truc qui s’évanouit, qui s’évapore. Qu’il n’y ait pas vraiment de fin, qu’on ait le sentiment que le passage puisse tourner indéfiniment, maintenir ça. Je pense que ça rejoint ça quand tu parles du côté hypnotique.

LFB : Oui et il y a le truc un peu léger. Mais ça tient aussi je pense aux notes. Il y a un truc un peu chaleureux et pas agressif dans la façon dont le morceau est fait.

Adrien Legrand : Ouais, clairement, sans tomber dans la grosse mélancolie. Je ne voulais pas ça non plus. Il y a ce côté pop. Il y a toujours cette main gauche qui marque un peu le temps et qui entraîne, qui amène ce truc pop et qui tourne, qui tourne, qui tourne, qui ne te lâche pas. Il y a quand même quelques pauses mais finalement, tu repars toujours dans quelque chose.

LFB : Est-ce que ça t’a donné des envies d’explorer ? De faire un album de piano ?

Adrien Legrand : Oui, exactement. Il y a un album de piano qui est en préparation. J’ai plein de démos, plein de bouts de morceaux que je bosse un peu tous les jours entre deux trucs. Donc ouais, grave. C’est marrant parce qu’il y a quelques années, au temps de Bel-vu, je n’aurais jamais imaginé me dire que j’allais tourner et jouer du piano, que j’allais me retrouver dans un endroit seul face à un piano et que j’allais jouer des morceaux. Alors que maintenant, ça m’excite trop. J’ai grave envie de faire ça bientôt donc je poursuis la compo de ce truc-là. Et j’espère faire ça, jouer des morceaux de piano, sortir un album de piano d’ici un an et demi, deux ans. Complètement. C’est lié, c’est vrai que ça m’a redonné envie, à fond. Le fait qu’il y ait ce morceau… Il n’était pas prévu malheureusement. Je l’ai sorti parce que j’ai appris le décès de Sakamoto et ça m’a touché comme ça m’avait jamais touché. C’est la première fois que je badais parce qu’un artiste que j’aimais est décédé. Ça ne m’avait jamais fait ça. Et très naturellement, j’ai eu envie de faire un morceau et finalement, je l’ai sorti parce que j’en ressentais le besoin. Mais ouais, ça rejoint cette dynamique de redécouverte du piano, d’envie d’aller plus loin.

LFB : Ta relation avec le piano, c’est un peu une relation avec un pote. On s’éloigne, on se rapproche. On ne peut pas se voir et puis finalement, on finit par refaire des choses ensemble parce que c’est logique.

Adrien Legrand : Carrément. C’est exactement ça.

LFB : Avec Bel-vu ou même avant, ton rapport à l’image avec les clips a toujours été important dans ta musique. Pour revenir à cette idée de Sakamoto, si toi tu pouvais réaliser la bande originale, ça serait quel genre de film et ça serait quoi ton fantasme absolu dans cette idée-là ?

Adrien Legrand : Il y aurait plein de choses possibles. J’aime bien les drames assez réalistes, les histoires de famille, de potes. Notamment ce que refais Kore-Eda, j’adore. Des films très lents où tu es dans le vrai, ça traite de la vie comme elle est, c’est-à-dire dans sa complexité. Ce n’est pas polarisé, rien n’est facile. On se débrouille comme on peut et on s’en sort comme on peut. Ça clairement, ça me parle. Un film comme ça peut-être. Un film lent, réaliste avec des personnages desquels on peut s’identifier. Pourquoi pas un film totalement d’aventure, un peu en mode animé, ça pourrait marcher totalement. Ou tout simplement, un drame français réaliste. Oui, je pense que de ce côté-là, ça pourrait fonctionner. Après, j’ai envie de dire que tout est possible. Pas les films d’horreur, ce n’est pas mon truc. J’ai plus envie de m’échapper avec ce genre de choses.

LFB : Kore-Eda ça collerait bien je pense. D’ailleurs, il a un nouveau film qui sort cette année.

Adrien Legrand : Kitano a fait des drames aussi dans ce genre-là. Teintés d’absurde, de choses ultra violentes aussi mais toujours en jouant sur des contrastes assez fous. Je me retrouve pas mal là-dedans. De manière globale, je me retrouve pas mal dans la culture japonaise. Pas mal de choses, pas sur tout. J’étudie pas mal ce pays. D’ailleurs, j’y vais l’année prochaine pour la première fois. Je suis comme un dingue. Il y a des trucs que je déteste et d’autres que j’adore. Toi comme moi, on a grandi avec un apport massif de cette culture-là à un moment donné.

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