Le duo belgo-japonais Alek et les japonaises a sorti son nouvel album le 27 mars dernier. Un corpus pas banal, de l’ordre de ceux où tout peut arriver. Où chaque évènement est si imprévisible que le plus prosaïque des textes devient lui-même une curiosité, achevant peut-être ce que l’art peut faire de plus précieux : restituer notre capacité à nous étonner.

Sur la pochette, on voit deux perroquets en lévitation au dessus d’une fumée curieuse. Ils sont peut-être les animaux totems du duo Alek Boff et Maï Ogawa ; ils se regardent les yeux dans les yeux, visiblement complices, et l’ensemble est sous-titré : Tranquille. Le tout est paru le 27 mars dernier sur le label GNiGNiGNiGNiGNi (cinq fois, avec le i en minuscule). Ça n’est pas un premier album, mais pour nous qui découvrons le duo Alek et les japonaises, il en sera à jamais la porte d’entrée.
On vivrait mal à la Face B d’être accusé de recyclage, mais voilà tout, notre premier contact avec Alek et les japonaises, c’était un clip que nous avions chroniqué en mars dernier. Plus précisément : celui de Tranquille, qui ouvre l’album. Et puisqu’il nous semble révélateur de la démarche du duo, on veut bien en parler à nouveau ici. Imaginez donc : une chemise cornetto dont se détache petit à petit un objet rouge, ni oiseau, ni homme, mais présentoir à glaces désuet. Une silhouette dégingandée qui fait progresser ce dernier sur une plage de sable fin. Un clip qui va de surprise en surprise, mais dont la sérénité cocasse achève de nous convaincre. Et puis une chanson, surtout, qui fonctionne sur le même mode : imprévisible et paisible tout à la fois. Synthétiseurs en huit-bits, guitares estivales et drum machines sur lesquelles s’élance la voix d’Alek. Son texte moitié prose anti-lyrique, moitié poésie mystique (« depuis combien de temps sommes nous assis ici/et j’ai des fourmis/moi aussi/à travers les nuages, le message est passé« ). On est conquis, mais on sait pas bien à quoi on est en train d’assister. C’est peut-être que, pour mieux comprendre la démarche, il faut écouter le reste de l’album.
Et celui-ci se poursuit avec le titre en japonais You-wa-ku. Où, on l’avoue sans peine, on a pas la moindre idée de ce qui se raconte. Mais qu’à cela ne tienne : ce ne sera ni la première ni la dernière fois que l’on s’entiche d’une musique à laquelle on ne comprend pas grand chose. Ne chantait-on pas Wonderwall en yaourt à huit ans ? Bon. Voici ce qu’on peut néanmoins en dire : il y a les synthétiseurs, élégamment produits, une drum machine et la voix de Maï Ogawa qui se perche par dessus tout cela. Que l’on est tenté aussi de doubler en yaourt dès la deuxième écoute. Il y a enfin cette étrange sensation de liberté qui s’annonce, ce pressentiment qu’Alek et les japonaises s’autoriseront toutes les rencontres. Que, donc, dans cette album, tout pourra arriver. Le beau étrange, le sémillant imprévu.
Imprévu encore comme dans le troisième titre de l’album – à l’heure où l’on écrit ces lignes, notre préféré. Ni chaud ni froid, où la liste de courses sur fond de doux accords (« un brocolis par ci, un céleri par là ») se transforme en illumination dansante à l’approche des tapis de caisse (« mon cœur n’en peut plus de se dandiner au milieu de toutes ces choses qui passent et disparaissent« ). Une réjouissance très enfantine, et osera-t-on, philosophique : dans le fond, n’est-ce-pas merveilleux qu’un brocoli existe ? Rien ne prévoyait qu’il fût, et pourtant, le voici dans notre panier avec sa touffe émeraude et sa drôle de dégaine. Une déambulation en supermarché qui, peut-être, résume un peu la démarche du duo. Disons : son regard. Une manière de constater toutes les bizarreries que le monde contient, doublée d’une envie de toutes les aimer et les utiliser.
Ici et là dans l’album, quelques titres instrumentaux (Seeno), un duo de flûtes à bec sur fond de percussions électroniques (Najet), et puis une merveille : Je mange du pain. Où le plus monacal – et néanmoins théâtral – des démarrages cède à une forme de dadaïsme lorsque, tout en voix de tête, Alex s’écrie « dans le ciel/un ange qui mange/c’est beau/honey/beautiful, beautiful, yeah ». Ce qu’il faut dire à propos d’Alek et les japonaises, c’est l’extrême joie que l’on ressent à leur écoute. La liberté créative contagieuse qui émane de leur musique. Celle d’un duo qui ne s’interdit rien, qui va où son propre plaisir l’emmène. Joie qui, finissons-en avec les apôtres du ouin-ouin, n’est en rien moins profonde que la tristesse. La condition humaine est absurde, certes : de cela il vaut mieux se réjouir.
Pour achever l’album, une invitation : envolez-vous. Synthétiseur jupitérien (comme le jupiter 8, qu’on se comprenne), l’écho d’un theremin et une écriture à plusieurs voix : « oubliez où vous êtes et restez là-bas« . On le voudrait bien : mais l’album s’arrête. Il nous aura fait, tout de même, le plus beau des cadeaux. C’est que, d’une certaine manière, il y a dans Tranquille un mystérieux élixir de jouvence. De ces élixirs qui restituent la plus indispensable des facultés humaines : l’étonnement.
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