Jeff Mailfert : « L’album retrace ces cinq dernières années de vie »

Jeff Mailfert dévoile ce 4 avril son premier album, Save My Soul. L’artiste, qui célèbre également ses dix ans de carrière, a vu les choses en grand : enregistrement analogique, tournée européenne, documentaire. Il a pris le temps de nous raconter tout ça autour d’un café quelques semaines avant la sortie. L’occasion de se plonger dans ses multiples influences, d’échanger sur l’importance de bien s’entourer et sur les défis auxquels sont confrontés les artistes Folk en France.

Crédits : Maya V.

La Face B : Comment te sens-tu à l’approche de la sortie de ton album ?

Jeff Mailfert : Beaucoup d’excitation, car ça fait trois ans que j’y travaille. Il y a des chansons qui ont presque dix ans! Forcément un peu de stress aussi, parce que j’ai beaucoup de choses à gérer par moi-même.

LFB : Est-ce que tu avais déjà une vision bien précise de ce que tu voulais faire de cet album, il y a trois ans ? 

Jeff Mailfert : Pas vraiment, c’est un album qui s’est fait par les rencontres. J’ai rencontré Guillaume, du Studio Audioscope, à Paris. J’adorais son studio, qui est complètement analogique, avec un enregistrement sur bandes. On a eu un vrai coup de cœur humain et musical. Je n’étais pas sûr de trouver les fonds pour enregistrer mon album en analogique, mais grâce à un crowdfunding, j’ai pu payer les musiciens et le studio.

Et c’est comme ça que je me suis lancé, il y a trois ans. On a enregistré un premier titre, Broken Trust, qui vient de sortir, avec mon ami Mat Hood. C’est le premier test, qui a été enregistré en février 2022. Un an après, j’ai enregistré le reste de l’album avec l’équipe de musiciens que j’avais réunie.

Clip du morceau Save My Soul – exclusivité La Face B

LFB : Tu as sorti pas mal de morceaux ces trois dernières années, deux EP en 2023. Comment as-tu sélectionné les morceaux qui apparaîtraient dans l’album ? 

Jeff Mailfert : J’ai gardé la crème de la crème, je pense. Il y a des morceaux que j’ai composés il y a 7-8 ans, d’autres que j’ai composés pour l’album, avec mon co-réalisateur Glenn Arzel. Ça s’est fait assez naturellement. Les EP que j’ai produits, c’était dans des conditions particulières. Wooden Rhapsody, par exemple, a été écrit et produit dans mon chalet, en autonomie. J’ai gardé les morceaux que j’avais vraiment maturés depuis des années pour l’album. 

LFB : Tu disais tout à l’heure que l’album a été enregistré en analogique, sur bande. Peux-tu rappeler en quoi ça consiste, et expliquer ce choix ? 

Jeff Mailfert : C’est à l’ancienne, en fait. On était sur des bandes qui avaient 15 minutes d’enregistrement, 24 pistes. Et il fallait jouer en live. Il n’y avait pas de possibilité d’édition, comme le permet le numérique. Je voulais qu’on ressente l’énergie du live sur l’album. Qu’on puisse entendre les imperfections, tout ce qui fait que ça vit. Et puis ça attrape de la chaleur, du grain. Comme la photo argentique, où on fait une seule photo, qui fige l’instant. Là, on a fait un instantané de mes chansons.

LFB : J’imagine que ce type d’enregistrement s’accompagne de quelques défis…

Jeff Mailfert : Il faut être carré, déjà. Parce que c’est très difficile d’éditer derrière. Tu as quinze minutes, trois prises, et si tu veux en refaire une, il faut effacer. Donc ce sont des prises de décisions qui ne sont pas toujours faciles. C’est un défi, mais c’est génial. J’ai adoré l’expérience. Et ce côté live a permis aux musiciens d’apporter leur patte. C’est aussi ce qui fait que je suis super fier de cet album : ce n’est pas que le mien. Chacun a pris sa place, a proposé des choses. Ça s’est fait simplement et c’était magique. 

Crédits : Jules Rohart

LFB : Est-ce que tu peux me parler des musiciens qui jouent sur l’album, justement ?

Jeff Mailfert : Glenn Arzel et Alex Wajzer sont ceux que je connais depuis le plus longtemps. Glenn a co-réalisé l’album, il m’a aidé à guider les musiciens. Alex est un batteur exceptionnel, qui a joué sur la plupart de mes EP. Il y a aussi Thomas Leiva, qui a fait les pianos et les Rhodes sur l’album. C’est un vieil ami, il m’accompagne beaucoup. Après, Josh Aldrich, que j’ai rencontré grâce aux soirées Folk & Friends. J’adore son jeu de guitare, il a un son qui est très Ben Howard.

Et puis les deux nouveaux, ce sont Adam Derrez, du groupe King Krab, qui est un bassiste qui groove, et c’est exactement ce que je voulais pour l’album. Et Alexandre Delmas, qui fait beaucoup de synthés, de Moogs, qui apporte des textures. Car je ne voulais pas que ce soit un album uniquement Folk. Individuellement, ce sont des musiciens formidables qui m’ont énormément apporté, je leur suis hyper reconnaissant. 

LFB : Est-ce que ce sont eux qui t’accompagnent sur scène ? 

Jeff Mailfert : C’était trop compliqué, pour des questions financières et logistiques. Mais je suis accompagné par deux autres musiciens géniaux : Zacharie Defaut et Kevin Lika. Kevin, c’est notamment le batteur de Cocoon et de plein de beaux projets. Zac, qui a aussi son projet solo, a mixé six titres de l’album et m’accompagne à la basse en live.

LFB : Quelle direction artistique avais-tu en tête avant de commencer l’enregistrement de l’album ?

Jeff Mailfert : Je viens avant tout du milieu de la Soul – j’ai grandi avec Marvin Gaye, Otis Redding, Paolo Nutini. Et puis la Folk, bien sûr – Angus & Julia Stone, James Bay, Ben Howard… Et pour l’album je voulais un mix entre tout ça, et un peu de Rock aussi. C’est un album qui célèbre mes dix ans de carrière, donc je voulais qu’il me représente, quitte à ne pas avoir une direction artistique hyper unifiée. Pour Ocean Breeze par exemple, l’inspiration c’était clairement Jason Mraz. Et pour Sweet Candy, je voulais un son vraiment Soul.

Après, la direction artistique s’est aussi décidée sur le moment, avec Guillaume et Raphaël du Studio Audioscope. En analogique, on passe beaucoup de temps à choisir les bons micros et à les placer. Tu as déjà un pré-mix qui est fait au moment de la prise, d’une certaine manière. 

LFB : Deux morceaux de l’album, Trecolpas et Nowhere, sont déjà sortis sur tes EP précédents. Pourquoi as-tu souhaité les intégrer à l’album ? 

Jeff Mailfert : Parce que ce sont les deux morceaux dont je suis le plus fier, sur lesquels j’ai eu le plus de retours et qui ont changé des choses dans ma carrière. On les avait joués avec Thomas Leiva lors d’un concert Sofar Sounds Paris, en piano-guitare-voix et j’avais adoré le feeling. Donc j’ai proposé à Thomas qu’on réenregistre tous les deux pour l’album, et ça a donné des versions purement live et épurées des morceaux. C’est aussi un petit bonus que je voulais offrir aux gens qui me suivent depuis longtemps.

 LFB : Tu les as évoqués tout à l’heure, mais peux-tu me raconter l’histoire derrière les deux featurings de l’album, avec Tiger Finkel et Mat Hood ?

Jeff Mailfert : Broken Trust, c’est une chanson assez lourde. Avec Mat, on a vécu quelque chose de très compliqué psychologiquement avec notre premier producteur. C’était une personne perverse, qui a eu de l’emprise sur nous. On a ouvert la parole suite à la sortie de ce morceau, et on a reçu beaucoup de messages d’artistes qui se sont faits avoir par la même personne. Il y a eu des vols de propriété intellectuelle, des menaces, c’est allé très loin. Ça a brisé des artistes. Aujourd’hui, je ne touche rien sur mon premier EP, et je ne suis pas le seul.

En tant qu’artiste, l’entourage c’est essentiel, donc ça me paraît important d’en parler, de sensibiliser ceux qui se lancent sur la nécessité de s’entourer des bonnes personnes, de faire relire leurs contrats.

L’autre duo, c’est avec Tiger Finkel, un ami et artiste que j’adore. On s’est retrouvé en Ardèche ensemble, il faisait froid et on avait envie de faire du surf au soleil, alors on a composé Ocean Breeze

LFB : Lors de ta précédente interview avec La Face B il y a deux ans, tu avais dit “mes chansons reflètent vraiment mes émotions, là où j’en suis dans ma vie”. Qu’est-ce que cela représente pour toi dans le cadre de cet album, qui s’étend sur plusieurs années ?

Jeff Mailfert : J’ai l’impression d’avoir un peu bouclé la boucle, avec cet album. Waiting For The Sun et Will You ont suivi la séparation avec mon ancien projet musical, Morgane et Jeff, qui a été une période difficile. Puis j’ai rencontré quelqu’un, qui a amené beaucoup de soleil dans ma vie. Elle m’a beaucoup aidé sur mon projet, m’a donné la force de continuer. C’est à ce moment-là que j’ai écrit Save My Soul, par exemple, qui était destiné à cette personne – avec qui je ne suis plus. Mais aussi My Grace et Sweet Candy, qui est une chanson d’amour.

Il n’y a que Green Oaks qui sort un peu de ce schéma, puisque je l’ai écrite pour ma grand-mère et ma grande-tante qui ont eu la maladie d’Alzheimer. Mais en gros, l’album retrace ces cinq dernières années de vie.

LFB : Je voulais justement te parler de Green Oaks, qui est mon morceau préféré de l’album. Je n’avais pas le contexte derrière le morceau et ça m’intéresserait de savoir comment tu l’as écrit.

Jeff Mailfert : Je l’ai écrit pendant le confinement. On venait d’apprendre que ma grand-mère avait la maladie d’Alzheimer. C’est une maladie qui est vraiment bouleversante pour les proches. J’avais quelques accords en tête, que je faisais tourner dans ma chambre un soir, et j’ai commencé à percevoir cette mélodie. Puis le titre m’est venu, je ne sais pas trop pourquoi. Et en cherchant “green oaks” sur internet, le premier résultat, c’était un institut de recherche sur Alzheimer aux États-Unis.

J’ai déroulé la chanson comme ça, en imageant beaucoup, en essayant de me mettre à la place des personnes qui voient leurs souvenirs partir, ce qui doit être une souffrance terrible. Mais j’ai voulu garder un message d’espoir, comme toujours dans mes chansons. Mathyas Vj joue du violoncelle dessus. C’est un musicien que j’adore, il joue pour plein d’artistes, comme Amel Bent ou Grand Corps Malade.

Il se trouve que cette chanson m’a ouvert une grosse opportunité, aussi. Elle m’a permis de travailler avec Connor Seidel qui est un producteur de génie au Canada. Il a produit le premier album de Charlotte Cardin, Hollow Coves, Half Moon Run… Quand je lui ai parlé de mon projet et que je lui ai envoyé l’album, sa préférée était Green Oaks. C’est ce qui m’a permis de collaborer avec lui sur plusieurs morceaux de l’album, qu’il a mixés. J’ai reçu le mix le jour où ma grand-mère est partie, et j’ai remercié Connor pour ce magnifique hommage.

LFB : Je sais que tu es un amoureux de la nature. Tu y vis et on trouve des références à des éléments naturels dans la majorité de tes chansons. Est-ce que tu peux me parler des paysages qui ont inspiré les morceaux de l’album ? 

Jeff Mailfert : Toute l’esthétique de l’album va tourner autour de l’Islande, même si je n’ai pas composé de morceau là-bas. J’avais enregistré toutes les instru avant de partir, donc je les ai écoutées sur les routes islandaises. Ça m’a inspiré beaucoup de choses. On y a tourné le clip de Waiting For The Sun, aussi. J’ai eu un gros coup de cœur pour ce pays, un appel émotionnel. Après, dans le processus d’écriture, il n’y a que Trecolpas que j’ai écrite vraiment en étant face à la nature.

Globalement, je suis très inspiré par tous mes voyages, et si je n’écris pas sur le moment, je garde les photos en tête. Et puis, quand je veux écrire sur une émotion, quelle qu’elle soit, j’ai un paysage qui se dessine. Je pense qu’il y a une partie de pudeur là-dedans : le fait d’imager mes émotions permet de rendre la chose moins personnelle.

LFB : Tu évoquais l’Islande, est-ce que tu pourrais me parler de la tournée que tu y as faite en juin dernier ? 

Jeff Mailfert : Ça a été une aventure. J’ai pris le bateau au Danemark, la traversée a pris deux jours. On a eu une bonne tempête. J’ai fait cinq dates là-bas, dans des lieux très différents. Une auberge de jeunesse, un vieux phare, un bar/scène/bibliothèque dans le centre de Reykjavik. Et j’ai enregistré deux titres dans un studio analogique aussi, que je mettrai sur la version Deluxe de l’album. Parler en Anglais sur scène aussi ça m’a plu, ça m’a donné envie de jouer autant que possible à l’étranger. 

Crédits : Maya V.
Crédits : Maya V.

LFB : Tu penses à quels pays ? Tu as déjà des projets ? 

Jeff Mailfert : Oui, j’ai une belle tournée qui se prépare à la sortie de l’album. Je pars pour vingt dates en avril : Belgique, Luxembourg, Allemagne, Autriche. En France, c’est de plus en plus compliqué d’être booké, surtout dans mon esthétique. Quand les programmateurs entendent “Folk”, ils ont souvent l’impression que ça va être mou, que ça ne va pas bouger et donc ne pas plaire. Il y a plein de gens qui aiment ce style de musique en France, mais souvent en tant qu’artistes on n’est pas pris au sérieux, donc je préfère viser l’étranger. Il y a aussi une incompréhension de ce qu’est réellement la Folk, car les gens en écoutent souvent sans le savoir. Et d’ailleurs, quand des artistes internationaux comme James Bay viennent en France, ils remplissent les salles.

Il y a quand même un mouvement de retour de la Country-Folk en France – comme c’est le cas aux États-Unis – porté par des artistes hyper talentueux, notamment beaucoup d’artistes féminines. En ce qui me concerne, dans les pays à développer, il y a avant tout le Canada, puisque j’ai maintenant un bon réseau sur place.

Crédits : Maya V.

LFB : Difficile de parler de la Folk en France et à Paris, sans parler des concerts Folk & Friends, que tu as co-organisés pendant quatre ans. Que retiens-tu de cette expérience, d’un point de vue personnel et musical ? 

Jeff Mailfert : Folk & Friends est venu d’une idée avec mon ami Léo (Pileos). On a commencé par créer une playlist de voyage, et petit à petit on a organisé des soirées ensemble. Puis on a ouvert le label, pour son projet et le mien, et un collectif. Ça a été une aventure fantastique. J’ai découvert plein de pépites, et des artistes dont les projets se sont bien développés depuis. On restructure les choses, actuellement. Les soirées vont reprendre, moins régulièrement, et certainement avec un plus grand mélange d’artistes français et internationaux. 

LFB : Pour revenir à l’album, je sais qu’un documentaire est en préparation. Est-ce que tu peux m’en dire plus ? 

Jeff Mailfert : Ce documentaire a été un très beau cadeau. Juste avant de faire ma campagne de crowdfunding, j’avais rencontré des gars de Nice qui s’appellent Arctic Fools. Ils se sont lancés dans l’exploration polaire, ils partent en autonomie dans le grand froid. Parfois, des scientifiques partent avec eux. Ils ont réalisé un documentaire qui s’appelle Isöken, disponible sur Netflix. Je les ai rencontrés à l’occasion de la diffusion de ce documentaire, en 2022, et ils ont beaucoup aimé ma musique. Quand j’ai lancé mon crowdfunding, ils ont proposé de m’aider. J’ai pensé qu’ils pourraient capturer quelques images de l’enregistrement de l’album, et finalement ils m’ont carrément proposé un documentaire, qu’on est en train de monter. Ça va retracer mon parcours et tout le processus créatif derrière l’album. C’est aussi un beau moyen de fêter mes dix ans de carrière.

LFB : Pour finir, y a-t-il un ou une artiste que tu souhaites recommander ? 

Jeff Mailfert : Paolo Nutini. Je ne le répéterai jamais assez, mais il y a trop de Français qui ne le connaissent pas encore. C’est grâce à lui que je fais de la musique aujourd’hui et c’est un artiste exceptionnel.

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