Alias débarque et n’est pas là pour rigoler

Entre ALIAS et La Face B, c’est une histoire d’amour qui roule pas mal. Il faut dire, et on n’en est pas peu fiers, que c’est sur le site que vous avez entendu le projet en France pour la toute première fois. Et il faut dire que le garçon n’a pas chômé, offrant en une petite année une poignet de singles furieusement réjouissant le transformant tour à tour en homme à tête de tigre, en loup garou ainsi qu’en être solitaire au bord d’un gouffre sans retour … Tout ça pour en arrivée à une premier étape importante : un premier EP au nom à la fois drôle et provocateur : It’s Not Funny So Stop Smilin’. Et à l’écoute de ces six nouveaux titres, on réalise bien qu’Emmanuel Alias et sa bande à une tête (c’est lui qui a presque enregistré tout cet EP seul) ne sont pas là pour rigoler mais bien pour nous faire une belle proposition rock, hantée autant par des héros 70’s que par des souvenirs d’une vie un peu cabossée.

On le disait juste au dessus, en très peu de temps, ALIAS nous aura offert une palette musicale assez folle. Chaque single qu’il nous aura dévoilé jouait moins le rôle d’indication balisée vers la sortie de ce nouvel EP que de chemin déviant, nous invitant à chaque fois à explorer un style complètement différent. Une manière à la fois de brouiller les pistes mais, avec le recul, de nous amener plusieurs éléments constants qui font toute la personnalité d’ALIAS : il y a d’abord cette écriture, à la fois très ancrée dans le réel mais qui s’autorise le droit à l’onirisme.

Dans ces mots, on croise des fantômes, des choses du passé et du présent qui se mélangent, des brouillards aussi qui ne peuvent s’éclairer que grâce à la lanterne de l’interprétation, second point d’ancrage et d’importance de la musique du projet québécois. Loin de plonger dans des allures de poseurs, ou de jouer au petit jeu de la distanciation, Emmanuel Alias assume le fait de vivre ce qu’il joue et chante.

Avec les tripes, avec une pointe de grandiloquence par moment, le bonhomme nous ramène d’un coup d’un seul aux origines de sa musique : les 70’s, une époque ou la musique se devait d’être une énergie vitale plutôt qu’une récréation, même si il s’autorise par moment une pointe d’humour et de cynisme. Cette sensation est édifiante notamment sur des morceaux comme I Won’t Go to Heaven, and That’s Alright et The Wolfman; elle le sera encore plus à l’écoute de It’s Not Funny So Stop Smilin’ dont on sent que les thématiques se rapprochent plus de sa propre personne, délaissant par moment la pudeur et le jeu de rôle pour aller chercher au fond de lui même.

Le troisième angle de cette sainte trilogie est le soin particulier apporter aux compositions. Peu importe qu’il soit dans le calme ou dans la tempête, qu’il se la joue crooner ou garçon possédé, ALIAS ne néglige rien. Chacun de ses morceaux est une expérience qui s’effeuille lentement, dévoilant écoute après écoute des petits trésors et des petites subtilités qui rendent les écoutes répétées toujours aussi passionnantes.

Viens donc le point central de notre histoire : la sortie de ce premier EP, It’s Not Funny So Stop Smilin’. On préfère vous rassurer tout de suite, ce titre n’est pas un oiseau de mauvais augure, loin s’en faut. Car si ici, les thèmes sont sérieux et parfois sombres, si l’amour est souvent traité au premier degré, il n’en reste pas moins que ces six morceaux sont une petite merveille de rock moderne, au carrefour du psychédélisme, de la pop et parfois même de la soul.

Et tout commence par un appel, un coup de téléphone venu de nul part qui pourrait nous réveiller au cœur de la nuit. ALIAS veut nous parler et lance les hostilités avec Incoming Call, porté par une basse au groove indolent et une batterie qui tape comme on l’aime. Le musicien nous entraine dans un monde aux contours flous, ou les sensations se mélangent sans jamais vraiment trouver leur place. Les paroles se répètent, comme une comptine faite de questions sans réponses, percée ici et là par cet « incoming call » qui devrait nous permettre de nous réveiller alors que de notre côté on resterait bien piégé dans cette ode à la sensualité vénéneuse .

Cette sensation ouateuse continue avec Kyra Collins, morceau protéiforme qui démarre comme une lente montée dont on attend l’explosion mais qui nous surprend en nous entrainant dans un monde bien différent que celui auquel on pouvait s’attendre. Alors que le solo de guitare s’envole, les orchestrations qui l’accompagnent nous offrent un retour merveilleux au temps des beatles, alors qu’ALIAS semble naviguer entre absence de résignation et incompréhension.

Musicalement c’est absolument parfait mais le diable et dans les détails et c’est à travers les paroles que tout prend sens : dans cette réalité déformée, l’amour est une arme dangereuse, utilisée par des fantômes dévoreurs d’âmes et attendus la nuit par des êtres qui ne semblent pouvoir vivre que dans le fantasme et l’illusion.

Mad prend le relaie en forme de prêche épique. On sent cette colère qui monte lentement, qui se diffuse comme une sorte de poison avant d’exploser fatalement dans le dernier tiers du morceaux. Bien plus terre à terre, le morceau invite à la révolte et à ne pas se laisser berner par des combats qui cachent souvent leur véritable sens. La dialectique poétique est ici bien plus directe et franche.

On sent une sorte de cassure par rapport aux autres morceaux de l’EP, ce qui sera aussi le cas avec Why Don’t You Wanna Dance ? petit shoot d’énergie brute qui verse d’ailleurs plus vers le punk et un rock bien énervé et qui semblent jouer le rôle de petite récréation dans un récit parfois lourd.

Theme Park 1979 nous entraine elle dans un espace, un lieu en mouvement ou rien n’a vraiment de sens. L’épique est toujours aussi présent, l’humour bien plus présent, puisque le morceau semble raconter les sensations vécues dans une attraction de parc à thème. La tête dans les étoiles, le morceau nous offrira, au milieu de ces nappes synthétiques, un solo de guitare complètement fou qui semble être une vraie marque de fabrique pour ALIAS.

l’EP se termine avec Ghost Empire, morceau sans doute le plus libre de la sélection. Alors que tous les autres morceaux s’amusaient à pervertir le sacro-saint format pop, l’utilisant pour mieux le détourner, ce dernier morceau lui nous entraine dans une longue plongée de 5 minutes qui laisse exploser tous son psychédélisme. Une expérience de clôture édifiante qui nous emballe carrément.

Avec It’s Not Funny So Stop Smilin’, ALIAS confirme donc toutes les excellentes intentions qu’on avait décelé dans ces premiers titres en nous offrant un premier EP qui joue habilement avec les intentions et les genres musicaux pour offrir un écrin parfait à des thématiques sérieuses et personnelles. Reste maintenant à le découvrir sur scène. Cela tombe bien, on nous dit dans l’oreillette qu’il débarque en France cet Hiver. Le rendez vous est déjà pris.