Avec À propos de fantômes, Arne Vinzon signe son grand retour discographique en 2025, dix ans après les éclats électro-mélancoliques de Les Belles Structures et quatre ans après le tumulte rageur de Jeunesse Éternité. Figure discrète mais précieuse de la scène chanson électropop française, Vinzon – pseudonyme d’Arnaud Vincent – poursuit ici son étrange trajectoire faite de dissimulation, de fulgurances poétiques et de détours hantés. Entouré de son complice de toujours Matthieu Devos, il réactive la formule d’un duo en clair-obscur, entre humour froid et spleen incandescent. L’album, publié sur le label Les Disques Pavillon offre un instant de pur bonheur simple.

Ouvrir la porte aux fantômes
Je ne l’attendais pas. Personne ne l’attendait. Et c’est pour ça qu’il est revenu. Arne Vinzon a le sens du timing à rebours, celui qui arrive quand tout le monde est déjà parti. Dix ans après Les Belles Structures, quatre ans après Jeunesse Éternité, il revient sans fracas mais avec une trousse à outils remplie de souvenirs cabossés. Un disque : À propos de fantômes. On dirait un mot griffonné sur une feuille de salle d’interrogatoire. C’est flou, c’est beau, c’est pas rassurant.
Aucun argumentaire de séduction en préambule n’était nécessaire pour me donner envie d’écouter ce nouveau projet. Au beau milieu de la nuit, j’ai lancé le premier morceau loin de me douter que j’allais être envoûté jusqu’au dernier. J’ai compris que je n’avais pas affaire à un come-back, mais à une séance de spiritisme. Vinzon ne revient pas, il invoque. Il n’est pas venu chercher l’adhésion, il s’est contenté d’exister et c’est aussi cela un fantôme : un être, effacé du regard des autres, qui demeure sans le vouloir.
Fuir le monde, tracer des silhouettes dans la neige
L’album s’ouvre sur Jeremiah Johnson. Forcément. Un homme qui s’en va vers la neige, vers le froid, vers l’effacement. On pense au film avec Redford, mais tordu, passé à la moulinette d’un monde qui ne croit plus aux héros. Arne Vinzon y est en fuite, prophète sans peuple, trappeur sans cabane. « Tu vivras jusqu’à la dernière flèche », dit-il. On croirait entendre Bertrand Belin après trois jours sans sommeil. Et le son ? Une électronique râpeuse, désossée, avec cette manière unique de faire sonner le vide. Là, je pense à Lester Bangs, ce vieux cinglé des pages de Creem Magazine, qui disait que la musique devait faire mal pour être vraie. À propos de fantômes, c’est exactement ça : des sons qui écorchent et qui remuent les chairs molles de la mémoire.
Le kitsch comme refuge, la dissonance comme arme
Sur Kepler 452B, le chanteur balance une fable SF qui ferait rire si la vision du monde décrite n’était pas si vraie . La Terre est larguée, paumée, en mission suicide sur une planète lointaine. On embarque avec nos pires travers comme bagage cabine. « Inégalités, violence, cruauté, guerres de religion » – le rire est jaune et la satire est cosmique. Les morceaux s’enchaînent et je me dis que cet album aurait plu à Jean-Daniel Beauvallet ou à Bayon, avec sa prose rugueuse, son art de la cassure. Une chanson comme Les Rochers aurait mérité un encart dans Libé époque Delorme, avec ses vagues lentes, sa valse pour les âmes en errance.
Ensuite, de douces secousses viennent nous faire découvrir un nouveau spectre. Je n’accroche plus ressemble à un diagnostic clinique de l’individu contemporain, qui ne colle plus à rien, ni au monde, ni aux autres. Là encore, je trouve le sujet en parfaite cohérence avec la notion de fantôme. Le titre de l’album n’était pas un effet de style mais un vrai concept qui devient l’expression d’un paradigme. Les textes de Arne Vinzon nous font prendre de la hauteur. Découvrir cette nouvelle proposition musicale à une heure tardive de la nuit m’a donné l’impression d’entendre la retranscription d’un journal de bord rédigé dans une station orbitale.
Excavation sentimentale et poésie minérale
Et toujours cette dissonance joyeuse qui revient en boomerang : Uzubuki. Un Japon halluciné, fait de thons rouges, de feux d’artifice et de papillons morts. On pleure sous le regard du grotesque. Et cette mer rouge fermée, comme une blessure que même les machines ne parviennent plus à soigner. L’album s’achève sur En secret qui sonne comme une une berceuse post-apocalyptique chantée sous une pluie battante.
À propos de fantômes est un album léger capable de parler au plus grand nombre. Je voudrais que son travail rencontre le succès et devienne aussi intemporel qu’un esprit rôdeur. Arne Vinzon n’a pas fait cet album pour plaire. Il a proposé un moyen d’évasion pour les vivants désaccordés. Et dans ce monde où cohabite des individus dépersonnalisés, des corps zombifiés, des âmes déchues et des personnes en perdition existentielle, c’est presque un acte politique.