Les danois nous embarquent sur un rythme effréné depuis dix ans avec la sortie de cinq albums. Le dernier, Seek Shelter, sorti le 7 mai sur le label Mexican Summer, réinvente le modèle du groupe. En se basant sur des références anglaises des sixties et nineties, leur son devient plus clair et mélodique, accompagné toujours de leur finesse d’écriture.
‘Come lay here right beside me (…) some shielding from the fighting”, c’est sur cette hommage à l’amitié et aux opprimés sur Shelter Song que débute l’album. Sur des riffs de guitare nous rappelant les heures de gloire de Oasis, Elias Bender Rønnenfelt et sa bande s’éloigne de leur début punk dark pour insuffler de l’optimisme. Son chant se veut clair et lancinant. « turn », « spin », « let it swirl », tout semble prêt à nous faire vaciller tout au long du titre. Or, c’est l’esquive et le réconfort qui viennent apporter une grâce triomphante lors du refrain chanté en chœur, accompagné par le Lisboa Gospel Collective. Une envolée lyrique et mélodique inédite chez le groupe. Un hymne magistral au bout de cinq minutes. Déjà.
Les Copenhaguois sont accoutumés de changer de style. New Brigade (2011) et You’re Nothing (+2) (2013) était du punk vif et bruitasse tandis que Beyondless (2018) voguait sur de la psyché jazzy. Mais les pensées ont évolué positivement. On est loin de la folie endiablée de Pain Killer où chantait la tourmentée Sky Ferreira. Comme en témoigne ce cheval blanc mis en honneur sur la pochette d’album. Symbole de pureté rare, il représente également la force qui permet de repousser le mal ou de le purifier. L’espoir guette donc.
Dans Dear Saint Cecilia, qui sonne une nouvelle fois comme un classique des frères Gallagher, à leur début, Elias Bender prie pour la vierge martyr, la Sainte Cécile, sainte patronne des musiciens. L’esprit est diaboliquement festif : « Red wine stained lips drip dry ». Alors qu’en parallèles, sur des airs à la Stone Roses, la candeur est cognée sévère par une flopée de castagnes avec High & Hurt. « You’re swept (…) go on crying babe ». Sans pitié, la rage de Blender vient étrangler les chœurs du refrain.
Oui, Iceage reste un groupe punk imprégné par la fougue et la violence. Dans leur grand autre hit de Seek Shelter, Vendetta baigne dans le sang. La pochette du single est par ailleurs une vieille lame de rasoir, glauque. Cette fois-ci, le rythme est mené par une référence à la belle époque de Primal Scream. Bien qu’entraînant, on ne danse pas ici comme à l’Hacienda. Le morceau exprime la lassitude de la violence et l’acceptation du vice dans une ambiance mafieuse à la Peaky Blinders. Il s’agit d’ailleurs d’une première production extérieure pour la bande qui s’est fait épauler par Sonic Boom aka Pete Kember. On approuve.
Seek Shelter se laisse parfois entrainer dans des balades pittoresques. A commencer par Drink Rain dont le groupe à son propre cocktail ! Assez ironiquement, la bande s’appuie sur les connotations de la mélancolie pour se plonger dans les pensées sentimentales d’un bien aimé envers sa chérie. Les notes de piano et le saxo rendent la scène hollywoodienne. Iceage semble néanmoins trop immature pour prendre au sérieux les chansons d’amour. Il les dézingue même dans Love Kills Slowly en annulant toute utilité à ce concept : « We have nothing in the end ». Le beau rend laid et le laid rend beau. Telle est la moralité de ces passages désemparés, très loin d’être niais.
C’est la force de l’album qui fait rebondir les émotions situées au fond d’un précipice. Par une longue marche difficile, contre vents et marées, Iceage nous pousse dans nos derniers retranchements pour nous guider vers la lumière. The Holding Hand, le final de l’album commence de la manière la plus lente et la plus trouble possible: “We row, on we go through these murky water bodies, little known, little shown, just a distant call of sound”. L’avenir demeure très incertain, le groupe ne s’effondre pas pour autant dans le fatalisme. Sur les dernières secondes du morceau, le son éclate comme dernier appel à l’aide, une dernière prière à nos maux. Elle restera sans réponse mais libre de toute interprétation, de toute perspective.
Alors que la crise sanitaire actuelle pouvait faire sombrer davantage le son du groupe, il en tire plutôt un léger parfum d’euphorie. Iceage prend un nouveau virage qui remet la Britpop à la mode tout en gardant le penchant punk et l’adrénaline de ses débuts. Résolument novateur, Seek Shelter est une résistance morale contre les forces mystiques et obscures. Il hisse le groupe vers la lumière avec des sonorités plus fédératrices et émouvantes et se place comme l’album le plus abouti de leur discographie.
Coups de cœur de l’album : Shelter Song, High & Hurt, Vendetta, Dear Saint Cecilia
Crédit photo : Jonah Rosenberg