BAD BAD BIRD, Violence de proximité


Un nom doux, un cri retentissant : Bad Bad Bird n’enlace pas, elle électrocute. Voici un hurlement brut d’une tendresse tranchante, signé Madeleine Loiseau. Avec Si Brutal, son premier album solo, l’ex-membre de Toybloïd pulvérise les étiquettes pour livrer un manifeste intime aux allures de confession électrique. Sous ses apparences rageuses, cet album rock est un sanctuaire pour ceux qui refusent l’anesthésie de l’esprit. Il extirpe les endormis de leur sommeil avec une réjouissante brutalité, et fait le pari audacieux que si la vague de violence s’intensifie chaque jour, la sensibilité en sera le meilleur rempart.

Cette irruption musicale rejoint ces albums qui, tels des mirages nocturnes, traversent le monde sans chercher leur place — et pourtant y laissent des traces indélébiles. Si Brutal s’inscrit d’ores et déjà dans cette catégorie. Madeleine Loiseau, plume effilée et voix débraillée, étale sans honte la carte sensible de son royaume intérieur. Un royaume où les pulsions animales se heurtent à notre civisme contraint. L’ensemble respire une furieuse envie de vivre, mais en apnée.

Le morceau d’ouverture, Toi et moi tout l’été, est une claque molle. Il suinte les après-midis plombés de solitude, avec les souvenirs pesants d’un amour voué à s’effondrer dès les premiers froids. Le refrain enfonce les mots dans le bitume, comme ces SMS qu’on relit dix fois avant d’oser les envoyer. Puis vient 100 muscles, un titre qui refuse la nuance : ça cogne, ça crisse, ça cavale comme un Mustang lancé à pleine crinière dans les grandes plaines du Dakota. La production épouse un son brut, hautement spontané. C’est exaltant, parfois, de tendre un doigt d’honneur au marketing artistique.

Tu vas te faire mal fonctionne grâce au ton sincère de l’artiste mais il aurait mérité un boost créatif. C’est le genre d’avertissement qu’on murmure trop tard, quand la plaie est déjà ouverte. La ligne de guitare s’expose avec trop de discrétion. Et soudain, on bascule dans l’étrange douceur de Je rêve à l’envers, comme si la réalité elle-même acceptait ses contradictions. Un titre suspendu, cotonneux, qui évoque les rêveries hallucinées d’une pensée empoisonnée.

Loin des calculs formatés, Bad Bad Bird s’affranchit de la logique radiophonique. C’est brumeux, déroutant, presque dangereux de douceur. La seconde moitié de Si Brutal change de texture. On sent l’album basculer, se replier, comme une expérience douloureuse qui ne cherche plus à convaincre, mais à tenir debout. La voix vacille entre puissance et fragilité. Elle évoque ce quotidien rugueux qui n’offre d’autre issue que d’avancer, les yeux fermés. Un élan mélodique d’une telle spontanéité nous pousse à laisser les morceaux défiler avec un aveuglement consenti.

Qu’il s’agisse de Un trou dans mon cœur ou de La vie sauvage, il n’est jamais question de drame surjoué. La chanteuse illustre, avec des notes, l’exacte mesure du chaos de la vie. L’Odeur du soleil clôt ce premier album sur une impression trouble, mais ces douze titres ont forgé une armure suffisamment puissante pour convaincre quiconque de ne pas céder à la tentation de répondre à la violence par une égale véhémence.

Après tout, une dose non négligeable de brutalité réside dans la sombre chimie de l’être humain — il serait absurde de vouloir la contenir. Le projet de Bad Bad Bird a le mérite d’interroger la sauvagerie d’une société convaincue de son évolution. Aucune idéologie n’est valable si elle laisse cohabiter une pseudo vigueur guerrière naturelle avec la certitude que l’intelligence s’est érigée en chacun de nous. Heureusement, l’album offre trente-neuf minutes de paix, d’évasion, et de lucidité.

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