Bon Enfant : une conversation autour de demande spéciale

C’est au Grand Mix à Tourcoing qu’on a retrouvé Daphné et Guillaume de Bon Enfant. Le groupe était alors dans la dernière partie de sa tournée européenne de présentation de leur troisième album : Demande Spéciale. On a longuement échangé avec eux de l’évolution du groupe, d’émotions, de souvenirs et de la scène québécoises. Un entretien qu’on vous partage aujourd’hui avant de les retrouver le 13 juin prochain au MTELUS dans le cadre des Francos de Montréal.

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Bon Enfant // le Grand Mix, Tourcoing // 12.02.25

La Face B : Comment ça va? 

Daphné : Ça va bien. Il reste une semaine?

Guillaume : Quatre ou cinq spectacles ensuite. Donc un petit peu de fatigue, mais on a encore de l’énergie malgré tout.

La Face B : Vous avez fait la France, l’Angleterre…

Guillaume : On est allé.e.s en Belgique, Allemagne, Angleterre, France… On s’est promenés (rires). Là, on retourne en Belgique et ensuite les Pays-Bas.

La Face B : Vous venez présenter un nouvel album. Je me demandais si Demande Spéciale était un peu une réponse à l’époque angoissante dans laquelle on vit, parce que j’ai l’impression que musicalement, c’est un gros câlin cet album.

Guillaume : Oui, c’est un peu l’idée. On parle toujours de l’intime et de trucs personnels pour écrire nos chansons, mais on essaie ensuite d’amener ça vers les gens pis de ne pas garder les textes trop hermétiques. Si on regarde l’album dans un ensemble, c’est effectivement un mode d’emploi pour passer au travers des moments difficiles qu’on peut avoir dans nos vies, autant actuellement qu’avec des trucs plus personnels. Pour nous, la solution c’est vraiment la musique, l’art, s’exprimer, que ce soit le dessin, l’art ou peu importe. Ensuite, on laisse une porte ouverte aux gens de l’interpréter comme ils veulent, mais nous c’est un peu comme ça qu’on le perçoit cet album-là. De là, l’idée de Demande Spéciale, parce qu’une demande spéciale c’est finalement un truc très personnel. Quand tu es dans un bar et que tu te demandes une chanson, tu ne te poses pas trop la question si les gens vont l’aimer ou non, tu fais juste t’exprimer pis ça fait du bien quand tu l’entends. Tu oublies un petit peu, peut-être, les moments difficiles que tu peux vivre ou non, ça peut être juste aussi un beau moment tout simplement. Bref, on trouvait que tout ça était cohérent ensemble avec les textes. Pis aussi, on avait écrit une chanson qui s’appelait Demande Spéciale qui était juste comme quelqu’un qui va finalement demander une demande spéciale, qui est un peu plus légère, mais finalement qui était totalement cohérente avec le reste des chansons.

Daphné : Je pense qu’on s’est posé plein de questions dans cet album-là. Demande Spéciale, ça partait aussi d’un drôle de sentiment de faire du rock en 2024. Nous, dans les bars où est-ce qu’on sort, il y a tout le temps la même musique, c’est tout le temps la musique du passé. C’est rarement de la musique contemporaine ou actuelle. C’était un peu le questionnement, « est-ce que le rock s’est rendu un peu fantôme« , c’est un peu du passé. Mais il y avait aussi une espèce d’hommage à cette forme d’art-là qu’on apprécie.

La Face B : J’ai l’impression que même dans les textes et dans la façon dont c’est écrit, c’est un album qui se nourrit beaucoup du souvenir pour explorer d’autres choses et explorer aussi le futur. 

Daphné : Oui, on n’essaie pas d’être dans la nostalgie non plus, ce n’est pas le sentiment que je préfère. Souvent, c’est comme une fabrication de nos souvenirs qu’on traficote un peu. On essaie d’être vraiment dans le présent.

Guillaume : Dans cet album-là, c’est sûr qu’on aime jouer avec les codes du rock et aller chercher des références. Mais en même temps, on essaie de mélanger toutes ces références-là et finalement faire quelque chose de plus singulier et de personnel. On aime aussi avoir ça au travers des tounes, malgré tout, que les gens peuvent faire « ce son-là ou cet arrangement-là me fait penser à quelque chose« . Mais au final, quand on prend tous les musiciens ensemble, ça sonne finalement comme du Bon Enfant. On joue beaucoup avec ça.

La Face B : C’est intéressant parce que pour moi, l’une des grandes thématiques de l’album c’est l’amour, mais qui se divise un peu. Il y a des chansons qui sont des chansons d’amour complètement dans l’album, mais il y a aussi des chansons sur l’amour de soi qui sont très importantes et l’amour de la musique aussi. 

Daphné : C’est ça. Moi, Trompe-l’œil, je pense que ça parlait pas mal de nos limites personnelles. On riait, mais pour nous, c’était une chanson de la décroissance. Finalement, regarder ce qu’on a dans notre vie, c’est quoi notre vie… Notre vie est quand même le fun. On a plein d’ami.e.s. On fait des belles rencontres. On a un métier vraiment super.

Guillaume : Accepter nos limites et notre petit monde à nous finalement. Ce n’est pas toujours obligé d’avoir des super grandes ambitions pour être heureux.

Daphné : Parallèlement à ça, Entre le rouge et le vert, je parle de la création là-dedans. Je fais des dessins. Ça parle de destinée et de faire de l’art et de voir que chaque humain a ses limites. C’est ça qui rend l’art intéressant. Ça peut un peu critiquer l’art AI que je trouve souvent très ennuyant.

La Face B : C’est intéressant que tu parles de ce morceau là. Je trouve que la pochette de l’album est hyper intéressante. L’idée du puzzle qui correspond bien à l’album : chaque pièce, prise séparément, est très différente. Assemblées ensemble elles donnent une vision un peu globale à l’album.

Guillaume : La pochette aussi a quelque chose d’assez minimaliste qu’on trouvait qui fittait avec l’album. On le voulait peut-être un peu moins dense dans les arrangements. On voulait sentir que c’était vraiment cinq musiciens qui jouent ensemble. Quand on faisait des overdubs en studio, on y réfléchissait un peu avant de rajouter des couches peut-être inutiles. On trouvait que la pochette aussi était cohérente avec la musique finalement.

La Face B : C’est marrant que tu dises ça parce que j’ai l’impression que c’est un album qui est beaucoup plus apaisé musicalement. Il y a toujours un petit côté épique mais il est beaucoup moins… 

Daphné : On l’a moins souligné, on l’a tassé un peu. On voulait plus de simplicité, je pense. J’avais un rêve de faire un album qu’on écoute pour le souper mais je ne pense pas que c’est lui. Mais il est moins intense que les deux autres.

La Face B : J’ai l’impression qu’au fur et à mesure des albums, c’est le live qui influence aussi beaucoup tout ça. Le premier album, vous n’aviez quasiment pas tourné ensemble quand il est sorti. Il avait un truc très expansif. Le deuxième un peu moins. J’ai l’impression qu’il y a une recherche de la chanson un peu parfaite mais qui peut aussi se grandir en live.

Daphné : C’est vraiment le fun cette possibilité de se garder un peu de jeu pour le live. Séparer les deux. Se garder une espèce de surprise, de spontanéité du live. 

La Face B : Mais du coup, ça fait aussi évoluer la façon dont tu chantes. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup plus d’intentions et de variations. Avant, il y avait des fois quelque chose de très physique et frontal dans ta façon de chanter qui est beaucoup moins présente sur cet album.

Daphné : Oui, on essaie des affaires. Je trouve ça intéressant. C’est un instrument, la voix. Je pense qu’il y a des zones que je n’ai pas explorées encore. L’album peut m’amener là.

Guillaume : Oui, parce que les premiers albums, on apprenait aussi à écrire ensemble. J’écrivais au début des mélodies. Je les pensais plus comme si j’allais les chanter. Mais après ça, il fallait les réajuster pour Daphné. Alors que maintenant, je sais exactement ses limites vocales. Quand on travaille ensemble, j’écris différemment. On se rend compte que des fois, il y a des trucs qu’on n’a peut-être pas fait. Des tonalités qu’on n’a pas essayées. Peut-être des fois élargir un petit peu les notes les plus basses et les plus hautes dans sa voix. On explore là-dedans pour voir jusqu’où on peut aller.

Daphné : Mais vu que les compositions sont moins épiques, on dirait que ça a amené la voix moins light aussi. Je trouve ça mieux être plus posé. On dirait une adulte.

La Face B : Ce qu’il y a de fou, c’est que c’est trois albums en 5 ans. Mais j’ai l’impression que c’est trois albums qui sont complètement différents et qui représentent bien chacun une époque un peu particulière.

Daphné : Oui, c’est vrai. On a de la misère à reproduire la même émotion.

Guillaume : On regarde en avant, pas mal.

Daphné : Ça va aussi avec ce qu’on écoute dans le moment. Ça nous influence aussi. Qu’est-ce qu’on va voir, quels gens avec qui on parle… Ça, ça nous influence. C’est un marqueur du moment présent. Après ça, on passe à autre chose. On en écrit une autre.

La Face B : Le principal défi sur un troisième album, par exemple, c’est pas justement d’éviter la redite et l’ennui dans le groupe?

Guillaume : Oui, c’est sûr qu’après trois albums… En fait, quand tu fais un troisième ou un quatrième album, je pense que c’est essentiel de se poser la question d’où ça peut aller. Parce que justement, si tu fais juste refaire toujours le même disque, c’est un petit peu, en tous cas, pour nous, c’est un petit peu ennuyant. Pis c’est sûr, comme tu dis, on a passé beaucoup de temps ensemble dans le groupe. Pis on a joué beaucoup les chansons des premiers albums. On avait besoin un petit peu de se distancier de ça, je pense, pour garder l’intérêt puis le plaisir en concert aussi.

La Face B : La colonne vertébrale de Bon Enfant, c’est vous deux. Et le fait que les trois autres, ils aient justement des projets solos, des projets à eux, tout ça, qu’est-ce que ça apporte comme fraîcheur dans le groupe? Est-ce qu’ils interviennent aussi?

Guillaume : Oui. En fait, je pense qu’eux ont une distance par rapport à l’écriture des chansons. On va faire des maquettes de notre côté. On peut passer beaucoup de temps sur ces maquettes-là, pis à un moment donné on n’a plus trop de distance par rapport à ces chansons-là. Ça fait que quand on leur présente, c’est la première fois qu’ils les entendent. Pis là, eux, ils ont un avis sur ça. Pis des fois, ils vont nous faire remarquer peut-être des faiblesses ou des trucs qui pourraient être mieux. Ensuite, on travaille tous les arrangements ensemble, ils ont leur façon de jouer qui est très différente que si moi, je fais une maquette à la maison. Donc leur apport est essentiel, en fait. C’est ce qui fait que ça sonne comme du Bon Enfant à la fin. Sinon, ça sonnerait juste comme un projet solo, un duo.

La Face B : Finalement, ça a toujours été présenté comme un projet de cinq personnes.

Daphné : Oui. C’est sûr que moi et Guillaume, on assure la direction artistique. Mais au Québec, c’est rare des groupes qui ont juste un groupe. Tout le monde a un besoin de vivre de la musique (rires)

Guillaume : Je pense que de toute façon, ça serait un peu naïf de penser qu’un groupe est 100 % égalitaire. Il y a toujours quand même quelqu’un, à un moment donné, qui met son poing sur la table. Qui tranche. Mais je pense que la plupart des groupes que je connais, il y a quand même quelqu’un, à un moment donné, qui va écrire peut-être un peu plus de chansons, un peu plus de paroles. Chaque groupe a sa manière de fonctionner, mais je pense que c’est juste normal qu’à un moment donné, quelqu’un prenne peut-être les rênes de tout ça. Mais je pense aussi que ça plaît aux autres, parce qu’ils ont leur liberté dans leurs projets respectifs. Ils n’ont peut-être pas la pression de l’écriture, de la direction du groupe.

La Face B : Justement, en parlant d’écriture de texte, est-ce que vous avez l’impression de vous autoriser à être beaucoup plus intime sur cet album-là que sur les précédents?

Guillaume : Je pense que c’est un autre type d’intimité, dans le sens qu’il est peut-être un petit peu plus positif, plus lumineux. C’est plus Daphné qui écrit les paroles. Mais de mon regard, c’est peut-être un album qui est moins hermétique pour les paroles. Parce que si on pense au premier album, c’était souvent des trucs extrêmement intimes. Les gens, je pense, se sont reconnus quand même là-dedans. Mais à mes yeux, c’était un petit peu plus hermétique. On laissait un peu moins les gens s’identifier à ces événements dont on parlait dans les tounes.

La Face B : Il y a un rapport au quotidien qui est très présent sur cet album-là, et qui n’était pas forcément sur les autres albums. 

Daphné : Non, c’est vrai. Je suis allée là. On voulait comme une ambiance de ville aussi. Moi pis Guillaume, on est des citadins. Nous, on aime ça vivre en ville. Fait que là, j’étais comme… »Ben je ne vais pas parler de la campagne. Je ne vis pas en campagne« 

Guillaume : La ville est là plus dans le rapport aux autres humains, le fait de vivre en collectivité

Daphné : Oui. Moi pis Guillaume, on aime ça sortir et prendre un verre. On est quand même aussi oiseaux de nuit, des fois. Je pense que ça a un peu teinté le genre de notre quotidien de bon montréalais. Fait que je pense que oui, la petite communauté, il y a quelque chose de très Montréal là-dedans. Mais mon quotidien, c’est ça. Je parle de mon ancienne carrière derrière un bar. Il y avait de ça. Il y a une autre chanson qui parle de croiser mon ex dans un bar pis que j’ai envie qu’il s’en aille. C’est un peu teinté de petites expériences personnelles là-dedans. Je trouve ça le fun.

La Face B : Même le rapport à la vie d’artiste aussi qui est très présent. 

Daphné : (rires) C’est vrai qu’il est présent. Veut, veut pas, c’est un métier que j’adore mais… je fais 12 crises existentielles par année à peu près. Je n’avais pas le choix d’en parler. C’est nice, ça fait du bien. Je me sens plus libre quand j’en parle.

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La Face B : Ce qui est intéressant aussi dans la construction des morceaux, c’est que j’ai l’impression que sur certains titres, il y avait une volonté de trouver des gimmicks musicaux. Des choses qui rentrent directement dans la tête des gens. Je pense à Demande spéciale ou même Oiseau rare ou Le rouge et le vert où il y a cette rythmique qui est là pour frapper les gens. Mais en douceur.

Guillaume : Parfois, c’est un peu inconscient. En général, quand on écrit des chansons, si on n’est pas accroché à la musique ou à l’idée musicale de base, on met ça de côté rapidement. Je fais entendre des trucs à Daphné pis si je sens qu’elle n’accroche pas, on le met de côté. Je pense qu’à la fin, ça fait des hooks qui restent entre mes deux oreilles. On est le premier « filtre » disons.

Daphné : Cet album-là, on a vraiment mis de côté beaucoup d’idées.

Guillaume : Peut-être qu’ils vont revenir ces idées-là plus tard, mais c’est sûr qu’on a fait beaucoup de maquettes.

La Face B : Il y a un morceau qui définit bien dans son titre. Un morceau qui s’appelle Passion Rock. Je pense que ça définit bien ce que vous cherchez à faire.

Guillaume : Oui, c’est l’idée du live.

Daphné : La rencontre. Il y a quelque chose de vraiment beau à faire ça. Moi, je le voyais un peu comme un sacrifice païen (rires). Finalement, c’est vrai qu’être musicien de nos jours, il y a pas mal d’affaires que tu n’auras pas dans ta vie. Après ça, nous on a la chance de pouvoir rassembler les gens ensemble et faire des spectacles. C’est quand même assez magique. Il y a un rapport avec le rituel que j’ai intégré dans cette chanson-là. Je passe ma vie à faire ça et j’aime quand même ça. 

La Face B : Il vaut mieux quand tu pars en tournée la moitié de l’année.

Guillaume : On va trouver le temps long sinon!

La Face B : Ce qui est intéressant, c’est qu’à l’opposé de ce type de morceau, il y a des morceaux qui sont très beaux comme Minimum ou Bouquet et qui sont beaucoup plus libres dans les structures et dans la recherche musicale des morceaux.

Daphné : Moi, c’est mes deux chansons préférées si je peux en choisir (rires). J’aime cette espèce de douceur, mais qui est abrasive en même temps, avec les guitares à Guillaume. Il y a comme une espèce de petite amourette un peu psyché. Il y a une genre de légèreté à travers les textes aussi. C’est des beaux textes aussi. J’étais quand même fière de ça.

Guillaume : Comme tous nos albums aussi, on aime ça toucher à plein de territoires pour que ce soit un voyage auditif. On n’a jamais essayé d’être très homogènes, même si dans un sens… Peut-être que le premier album était plus homogène, mais on a toujours voulu que ce soit un voyage, les albums. Et que ce soit la voix de Daphné qui passe d’un monde à l’autre.

Daphné : J’aime ça parce que c’est comme des ballades, mais ils ne sont pas lourds ou dramatiques. Ce n’est pas cheesy non plus. C’est quand même easy listening.

La Face B : Tu parlais du premier album. J’ai l’impression que le premier album n’était pas confronté au réel. Alors qu’à partir du moment où vous vous êtes mis à tourner, à jouer ensemble, ça a modifié aussi.

Guillaume : Probablement, pis on se découvrait aussi. Finalement, le premier album est ancré un petit peu dans les années 70, mais c’est arrivé un peu comme ça par hasard.

Daphné : C’est ce qu’on aimait à ce moment-là, quand on voulait écrire. Finalement, on veut s’en sortir. On ne veut plus faire ça. (rires)

Guillaume : On évolue vers d’autres choses avec le temps, mais je pense que c’est le propre de n’importe quel groupe. Le premier album, tu te découvres, puis peu à peu, tu essaies d’autres choses (rires)

La Face B : Tu te libères un peu. Vous parliez de la vie d’artiste, du fait que c’est votre troisième album en cinq ans. Comment on nourrit sa créativité quand on tourne autant? Moi, c’est vraiment un truc qui me fascine.

Daphné : Ça commence à être de plus en plus difficile. Moi, je l’avoue, j’ai trouvé le troisième extrêmement dur. Justement, ne pas se répéter. Tu as déjà dit plein de choses dans les deux derniers albums. C’est quoi que tu as encore à dire maintenant? Il faut se poser des questions.

Guillaume : Ce n’est pas qu’il n’y a plus d’idées, mais on est moins facilement enthousiasmé.

Daphné : C’est ça qui est cool du premier album, je pense. C’est une espèce de naïveté de commencer un projet et ne pas se poser toutes ces questions-là. À cette heure-là, on est comme, qu’est-ce qu’on veut faire?

Guillaume : On réfléchit plus.

Daphné : Mais j’aime ça, parce que quand tu as des doutes, ça fait que c’est meilleur, je pense.

Guillaume : C’est un équilibre entre l’espèce de naïveté du début et d’avoir un peu plus de rigueur et être plus sélectif. En fait, le vrai défi, c’est que ça demeure quelque chose d’agréable et de plaisant à faire, la création, parce que ça ne doit pas être douloureux non plus. Mais c’est vrai qu’on se pose beaucoup plus de questions maintenant qu’au début.

Daphné : Mais je pense que l’avantage, c’est que nous autres on est deux. Il y a comme une discussion entre moi et Guillaume quand même beaucoup.

Guillaume : On s’alimente.

Daphné : Oui, ça fait que ça avance.

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La Face B : Mais il y a peut-être une question aussi de santé mentale. Moi, je suis un peu la scène de Montréal, c’est une scène que j’aime beaucoup. C’est vrai que vous êtes hyper productifs par rapport à des artistes en France où des fois, ils mettent 3 ou 4 ans entre chaque album et ils s’autorisent des pauses plus longues. Alors que j’ai l’impression qu’à Montréal, il y a ce bouillonnement…

Guillaume : Ça dépend des artistes, je dirais. Je pense que tout le monde s’encourage entre eux. On s’encourage tous. Quand tu vois quelqu’un sortir un album, t’as un peu envie d’en sortir un toi aussi. Il y a ça qui existe. Ensuite, chacun a son rythme au final. Moi, je suis des amis aussi que ça prend des années avant qu’ils sortent un album. Je vais parler plus pour moi, mais je suis méticuleux. Je ne veux pas sortir de la merde, mais d’un autre côté, à un moment donné, il faut que ça finisse. Des fois, j’accepte que ça sera peut-être pas parfait. Il y a des gens autour de moi qui sont moins comme ça, qui vont travailler sur un album jusqu’à temps qu’il soit parfait dans leur tête.

Daphné : Il y a une question de timing aussi. Il y a des moments pour sortir un album et on dirait que c’est le bon moment.

Guillaume : J’aime l’idée que c’est un moment. Pendant ces années-là, c’est ce que j’ai écrit, c’est ce que j’ai pu faire, voici ce que j’ai fait. Je suis un peu plus comme ça. Il y en a qui veulent toujours que ce soit un chef-d’oeuvre. Je pense à Jean-Michel de Yocto. Il a une approche de création extrêmement méticuleuse. C’est excellent ce qu’il fait, mais c’est vraiment méticuleux à un niveau que je ne connais personne d’autre. Ça peut prendre 5-6 ans à faire un album. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’idée, c’est juste qu’il peaufine tous les micro-détails.

Daphné : Après un an, j’ai tellement hâte que ça sorte. Je suis tellement tannée. En 5 ans, j’aurai le temps de me tanner de ce que j’ai fait.

Guillaume : Moi, j’admire ça parce que je me tanne rapidement de mes chansons. Lui, il peut travailler sur une même chanson très longtemps jusqu’à ce que ça soit exactement ce qu’il avait en tête. Je trouve ça admirable.

La Face B : Est-ce que sortir de la musique physique, c’est pas aussi une bonne excuse pour faire du live?

Daphné : Si tu ne travailles pas, tu n’as pas d’argent (rires)

Guillaume : Il y a un peu de ça aussi. Malheureusement, aujourd’hui, même si tu as des millions de play sur Spotify, ce n’est pas aussi payant que lorsqu’on vendait des disques.

Daphné : Nous, le live, ça va super bien au Québec. C’est sûr que ça aide à payer. À survivre. C’est vrai. Je parle pour le Québec, mais si tu réussis à remplir tes salles, c’est de même que tu fais de l’argent. On ne vend pas de disques.

Guillaume : On vend des disques, mais ça n’a rien à voir avec ce qu’on aurait vendu dans les années 90, par exemple.

Daphné : Et même en 2010, ça a arrêté.

Guillaume : Ça a chuté beaucoup. Même, on le voit par rapport à quand on a sorti notre premier album. On a plus de gens qui achètent des t-shirts .On vend des trucs, mais les disques, les gens, ils l’achètent moins parce qu’ils vont l’écouter en ligne.

La Face B : Vous avez encore des vinyles?

Guillaume : On les a tous vendus quand même. Il nous en reste quelques-uns.

Daphné : On était vraiment en mode précaution. On n’avait presque rien amener.

Guillaume : On ne savait pas comment en apporter ici, mais finalement, dans les 5 premiers concerts, on a vendu presque toutes les vinyles.

La Face B : Justement, sur le live, vous êtes retourné.e.s en Angleterre, vous avez fait l’Allemagne, vous allez aux Pays-Bas. Est-ce que votre musique est vue différemment dans les pays non francophones?

Daphné : Notre grande surprise, c’est qu’en Allemagne et en Angleterre, ça se passe vraiment bien. Même la réaction est… C’est comme si en Angleterre, ils sont habitués d’entendre de la musique rock… ce n’est pas spécial. Ici, peut-être que c’est la langue. On se fait regarder à la loupe. Je ne sais pas trop. Je n’ai pas senti aucune barrière de langue. Ils ne vont pas se fier sur les paroles. Ils vont écouter le band complet.

Guillaume : Ça devient quelque chose, peut-être au même titre que si on écoute de la musique turque ou une langue où on ne comprend rien. Ça ne nous empêche pas d’apprécier la musique. Peut-être que l’écoute est différente. Si on va en Angleterre ou en Allemagne, les gens vont juste le prendre comme de la musique. Alors que si on joue en territoire francophone, les gens vont peut-être percevoir plus l’ensemble de l’oeuvre et voir la subtilité. Des fois, on s’amusait à dire que cette chanson parle de ça, on essaie de l’expliquer des fois aux gens, juste pour qu’ils soient dans le bon esprit. Mais c’est surtout drôle de voir les différents types de public. Si on joue en Suisse ou en Allemagne, les gens sont un peu plus gênés. Mais ils apprécient vraiment la musique, c’est juste pas une foule qui crie fort. Alors que les Anglais sont plus vocaux. C’est amusant de voir ça. Surtout dans une même tournée, parce qu’ils changent de pays et les publics sont différents totalement.

La Face B : J’aime beaucoup vos visuels sur les albums. Comment vous les travaillez? Qu’est ce que vous cherchez à ramener du visuel? C’est un morceau en plus de l’album?

Daphné : Quand on a un petit peu plus de chansons, on commence à sortir un peu les thèmes de l’album. Après ça, je vais faire de l’exploration, je m’inspire d’autres artistes. Il y a souvent une image qui me vient en tête pis j’essaie ça. Souvent, Guillaume va avoir un coup de cœur, on trouve le nom de l’album aussi.

Guillaume : Les trois pochettes, c’est Daphné qui les a dessinées. Des fois, elle dessine plein de trucs pis elle ne se rend pas forcément compte du génie dans certains dessins.

Daphné : J’aime ça qu’il y ait comme une liaison entre le dessin et la musique dans ma tête. Je ne joue pas d’instruments. Je chante et je fais partie du groupe et le dessin est aussi un peu mon apport dans le groupe. Pour moi, la musique est super visuelle et le dessin est super musical aussi.

La Face B : J’ai l’impression que ça donne des indices sur l’album : la première très 70s, ici l’idée du quotidien avec le puzzle…

Daphné : C’est ça, pis c’est un peu plus épuré et l’album l’est un peu plus. C’est full en phase avec ce qu’on fait.

Guillaume : C’est juste agréable de toute façon d’avoir une belle pochette.

Daphné : C’est mieux quand elle est belle (rires)

Guillaume : Ça peut être décevant, un album que t’aimes beaucoup avec une pochette un peu moins belle. Ça donne moins envie de l’acheter (rires)

La Face B : Il y a un soin dans les clips aussi. J’aime beaucoup le clip de Demande Spéciale, le faux plan séquence qui est vraiment cool.

Guillaume : C’est sûr qu’on a de moins en moins de budget pour réaliser des clips malheureusement. Il n’y a plus de plateformes de diffusion comme à l’époque, on n’a plus de subventions pour ça au Québec. On essaie de trouver des astuces et des bonnes idées pour continuer à en faire. On est attaché.e.s à ce medium qu’est le vidéoclip.

La Face B : Est-ce que vous avez des coups de cœur récents?

Daphné : Des films j’en ai plein, mais ce n’est pas québécois. J’ai vraiment aimé The Substance, j’ai aimé AnoraPerfect Days a été un de mes coups de cœurs.

Guillaume : On écoute la série Severance. Sinon, en musique, on le suivait déjà mais on a beaucoup apprécié le dernier album de Cindy Lee. C’est un canadien qui jouait dans un groupe qui s’appelait Women dans le temps. Il a sorti un album trip cette année et ça nous a beaucoup inspiré.

Daphné : J’ai ben aimé l’album de Corridor aussi. C’est nos amis.

Crédit Photos : David Tabary
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