Dimanche 24 septembre, à Bordeaux, la Rock School Barbey, réputée et maintenant reconnue pour sa programmation notamment rock et indé pointue, accueillait le talentueux et très audacieux quintette post-punk expérimental Squid. Les cinq garçons originaires de Brighton en Angleterre, qui ont livré une performance minutieuse, exigeante et puissante de plus d’une heure, étaient accompagnés par l’hypnotique et douce Naima Bock, venue en solo avec sa guitare pour ouvrir le bal avec un set folk malheureusement trop court. Retour en images sur cette exaltante et méditative soirée.
18h28. Les portes de la Rock School sont déjà ouvertes. Le public afflue doucement et de manière sporadique, une bonne partie de celui-ci attend patiemment les concerts au coin fumeur en cette douce fin de journée de début d’automne. Le début des hostilités est annoncé pour 18h30, c’est tôt, très tôt même, mais que voulez-vous, un dimanche soir en période de rentrée, c’est finalement plutôt logique. 18h32, on pousse les portes de la grande salle principale de l’étage et, en effet, cela fait quelques minutes que le premier concert a commencé.
Timidement, mais puissamment, Naima Bock, seule avec sa guitare et juchée sur une petite chaise complètement à droite de la scène au milieu du matériel et des amplis de Squid, commence à nous livrer une représentation aussi fragile que mystique, aussi pure que complexe. C’est durant ce set, qui ne durera pas plus de vingt minutes, avec sa voix angélique et parfaitement maitrisée, que la chanteuse britannique va nous rappeler ce que c’est que la magie de la sincérité, et inversement, la sincérité de la magie aussi. L’audience, qui pour cette première partie de la soirée ne remplie la salle qu’à moitié, est religieusement calme et attentive. Aucun mot, aucune discussion ne viennent entacher cette messe blanche, et les applaudissements entre les morceaux sont mesurés et enthousiastes.
Le temps file très vite, et la douceur aérienne de Naima Bock continue de nous envoûter le temps de quelques chansons. À la manière d’une machine à voyager dans le temps, les compositions folk et la voix enchanteresse de l’artiste anglaise nous envoient quelque part, entre les années 60 et 70, dans un petit jardin paisible d’Angleterre, ou en campagne américaine, vers Woodstock, près d’une rivière, adossés à un arbre et méditant rythmiquement sur les frissons provoqués par les envolées lyriques de la musicienne originaire de Glastonbury. Ayant vécue quelques temps au Brésil (à Sao Paulo), et anciennement membre du groupe Goat Girl, Naima condense avec simplicité, assurance et technicité, un amas d’influences logiques, recherchées et pointues. De Vashti Bunyan jusqu’à Sibylle Baier en passant par Donovan, Norma Tanega ou même Nico, le mélange est parfait et cohérent.
La délicatesse et la splendeur de cette courte première partie garderont en haleine tous ceux qui se sont risqués à passer le pas de la porte de la salle plus tôt que les autres. C’est donc après nous avoir joué ses chansons que Naima, gênée, émue et presque touchée par la grâce, nous remercie modestement, humblement, et nous exprime avec joie le fait qu’elle a déjà assisté à cinq concerts de Squid, et que sur scène, les garçons maintenant basés à Bristol sont apparement très bons ! On y croit nous aussi, et on ne demande qu’à voir. Le public, après avoir chaleureusement remercié la musicienne pour sa prestation folk psychédélique et pour ce moment tout en poésie, redescend directement au niveau du club. Certains commandent un verre, d’autres discutent au coin fumeur, et pendant ce calme avant la tempête, d’autres encore scrutent avec envie le merchandising de la tête d’affiche.
19h04. Les retardataires continuent d’arriver et remplissent peu à peu la Rock School. Le temps d’échanger quelques mots au sujet de la première partie, d’entendre ça et là que plus de 400 préventes ont été écoulées pour ce soir, et de contourner quelques débats sur le fait de savoir lequel du premier ou du deuxième album de Squid est le meilleur, l’horloge affiche déjà 19h12. En deux temps trois mouvements nous revoilà en haut, dans la salle déjà bien remplie, à moitié dans l’obscurité.
Au bout de quelques minutes, le noir complet. La tension monte d’un cran dans le public, et les cris et les applaudissements retentissent abondamment. Les cinq membres ne sont pas encore sur scène, qu’une introduction tribale, percussive, progressive et peu à peu transcendantale se met à résonner dans toute la salle. Le groupe arrive enfin. Les cinq musiciens, après nous avoir salué discrètement, s’installent en ligne sur les devants de la scène, souriants mais concentrés, accordant guitares, ajustant claviers, micros et hardware de batterie. La séance peut commencer.
Le band, mené par Ollie Judge (chanteur/batteur), entame donc directement le set avec le morceau Swing (In A Dream). Single et track d’ouverture de leur deuxième et dernier album O Monolith, le live ne pouvait pas être lancé plus magistralement que ça. À la croisée des styles entre free jazz et techno, à mi-chemin entre post-punk et krautrock, avec une retenue mais une application certaine, les chansons du deuxième album s’enchainent habilement et sans accrochage. Au milieu des expérimentations millimetrées et du travail monumental sur les textures sonores, le groupe évolue, doucement il libère de plus en plus d’énergie et enchaine avec le titre Undergrowth. Un tour de force trip-hop, noyé dans un groove spectral qui pour autant ne jure pas avec le dynamisme entièrement rock de ce concert. Certains membres du groupes s’échangent les instruments : un des guitaristes reste sur les synthés, un autre se saisi d’une basse et le trompettiste, lui, oscille entre son cuivre, des percussions et une petite boite de sampling.
Les interludes ambient et les enchainements expérimentaux nous plongent presque dans une ambiance cinématographique. Absolument pas étonnant, peut-on se dire, que le groupe soit chez Warp Records (label d’Aphex Twin, de Boards of Canada et de Broadcast, entre autres). Après un passage noise notable, les cinq membres se permettent un détour obligé par leur premier disque, Bright Green Field, avec le morceau G.S.K et son intro Resolution Square.
Ce qui frappe directement, c’est la justesse avec laquelle le groupe gère les temps forts et les temps faibles. Le jonglage et l’harmonie dans les dynamismes sont impressionnants et permettent un voyage total, un voyage complet. L’impression, à certains moments du set, d’être devant un film, est exacerbée par ces quelques battements durant lesquels le claviériste tout à gauche se met à jouer du violoncelle électrique (oui oui!). Savamment et progressivement, le live continue sa progression avec le titre Narrator, à la fin duquel la première grosse explosion de la soirée commence à emporter avec elle ceux placés en ligne de front. Les cheveux bougent, les têtes se balancent, la transe est de plus en plus intense.
On continue, poétiquement, avec After The Flash. Pause douce et méritée dans cette machine à laver mentale qui nous secoue dans tous les sens du terme. De moments mystiques en moments mystiques, on arrive sur le morceau dissonant, et très jazzy, Devil’s Den. Plus le set avance et plus on peut sentir le côté prog du projet, autant dans la manière dont les cinq musiciens ont d’aborder la musique, que dans la façon qu’ils ont de la consommer, de la concevoir, de la distiller et de l’interpréter sur scène. Le titre très attendu Pamphlets finit par retentir vers ce qu’on peut sentir comme étant la fin de ce live. La tension, à son comble, se relâche, la pression s’écroule et le devant de la foule, pris comme dans une folie, se lance dans un pogo des plus sauvages.
C’est à ce moment précis que l’identité et la nature extrêmement percussives de Squid se font sentir. Le batteur, hypnotisant et imperturbable, jouant entre rythme « motorik » et chant punk à gorge déployée, mène ses acolytes vers le chapitre final de cette soirée, The Blades. Morceau phare du deuxième et dernier album O Monolith. Les cinq camarades concluent cette prestation comme ils l’ont commencé, sincèrement, calmement, avec finesse, précision mais fougue tout de même. On laisse Ollie (chanteur/batteur), terminer son magnifique et puissant monologue conscient et poétique à la fin du titre, puis, le groupe de s’en aller sagement au fond de la scène, et dans les backstages. Des aurevoirs timides mais des sourires aux lèvres. Petite intervention d’Anton Pearson (guitariste/back voice) à la toute fin pour nous signaler que du merchandising est disponible en bas pour les plus intéressés, et ça n’a pas loupé au vu de la queue devant le stand.
Une soirée haute en couleur, de laquelle on sort légèrement désorienté par ce mixe d’énergies différentes. La présence rassurante et la démonstration céleste de Naima Bock, puis, l’avant-gardisme audacieux et l’urgence maitrisée de Squid auront fait une nette impression sur le public bordelais. Rien de mieux pour finir la semaine en beauté qu’un dimanche à la Rock School avec des concerts de qualité supérieure.
Merci infiniment à Alexia Arrizabalaga-Burns aka Troubleshooteur pour tous les excellents clichés qu’elle a pu prendre des deux concerts ! Vous pouvez suivre son travail juste ici sur Instagram !