Fin janvier, alors que la pluie prenait déjà ses quartiers pour l’année 2024, on retrouvait cabane dans un café. C’était le jour de la sortie de son second album, brûlée. On a eu le plaisir de longuement échanger avec l’artiste belge, de sa façon de créer, de « diriger » son album, des émotions et de l’envie de marquer le temps. Une longue conversation qu’on vous invite à découvrir aujourd’hui.
La Face B : Hello Thomas, comment ça va ?
cabane : Aujourd’hui ? C’est une drôle de journée parce que mon disque sort. C’est un drôle de mélange. J’ai fait beaucoup d’interviews donc je répète toujours un petit peu les mêmes idées. Je pense que tous les artistes ont ça, quand ils ont travaillé sur un disque qui est à base d’un deuil ou d’une disparition, quand tu finalises le disques, tu es très fier d’être arrivé au bout, d’être parvenu à faire quelque chose de cette tristesse, cette colère, d’avoir eu le courage de se confronter à ces choses.
On pense toujours à l’artiste comme quelqu’un qui va prendre sa guitare, qui va jouer et qui grâce à son talent va faire une chanson magnifique et vivre une expérience de vie incroyable. Mais ce n’est pas ça la vie d’artiste. En tout cas, pas la mienne. Ça demande des compétences, qui sont le travail, le courage, l’assiduité, la persévérance, une espèce de vision.
Finaliser un disque, c’est arriver à avoir toutes ces compétences. Ce n’est pas rien. Donc ce qui est très bizarre pour moi aujourd’hui, c’est qu’en même temps, j’ai cette grande fierté d’être arrivé au bout d’un travail. Je n’ai pas de fierté par rapport à ma musique, je n’ai pas ce sentiment de bonheur. J’ai de la fierté pour avoir finir un travail. C’est important pour moi, d’être arrivé au bout. Aujourd’hui, je me retrouve un peu perdu par rapport à cette chose-là, dans le sens où j’ai mon disque entre les mains. J’ai ce petit bout de plastique qui représente 4 ou 5 ans de travail mais en même temps, ça n’arrive pas du tout à la hauteur de la perte. Donc en même temps, c’est une joie et en même temps, c’est une grande tristesse de me rendre compte de ce que j’ai fondamentalement perdu pour faire ce disque-là.
LFB : C’est de l’ambivalence.
cabane : Tout à fait.
LFB : Quant tu as tourné l’année dernière pour présenter cet album, à un moment, j’avais peur que tu ne le sortes pas. Que tu le présentes de manière sporadique, comme on présenterait une exposition, sans jamais l’offrir au public vraiment.
cabane : C’était ça le but. J’ai toujours eu envie de questionner notre rapport à la musique. Pourquoi est-ce qu’on se contente de regarder un film ou de lire un livre une seule fois et d’accepter que notre souvenir de cette lecture ou de ce film disparaisse petit à petit alors que par rapport à la musique, on a besoin d’écouter et de réécouter la même chose, jusqu’à s’approprier les morceaux et de les faire nôtre. On a tous des morceaux qu’on a collés à des grandes histoires d’amour, des voyages, disparitions, des moments charnières de notre vie…Et chaque fois qu’on les entend, à la limite ce n’est pas le morceau qu’on entend mais c’est la force et la beauté de ce souvenir.
Donc le travail de cabane au début était basé là-dessus. Cette idée : est-ce que ma musique pourrait être comme ça ? Dans ce monde où tout est disponible tout le temps. On est submergés d’images, de musique tout le temps. Est-ce qu’on ne pourrait pas se dire que cabane, ce n’est disponible que d’une manière temporaire ? On se retrouve pour une séance d’écoute, et on accepte que ça disparaisse petit à petit. C’était pour ça que j’avais créé ça. Surtout pour le premier album. Pour le deuxième, ma posture était un peu différente. J’étais surtout vraiment en colère et en tristesse avec de disque-là. Je ne voulais pas le lâcher.
Une journée comme aujourd’hui, ce sont des journées très particulières parce que fondamentalement, je suis sur mon téléphone en train de me réjouir que les gens partagent ma musique sur les réseaux sociaux. Je trouve ça profondément triste. À ce moment-là, il y a un an, je n’étais pas prêt pour cette chose-là. Maintenant, ça va, j’ai du détachement par rapport au disque. Je peux le faire. Mais à ce moment-là, je n’étais pas prêt.
LFB : Est-ce que tu as peur que tes « fantômes » se retrouvent éclipser par ceux des autres ?
cabane : Non. Il y a vraiment un truc très bizarre. Il faut que je fasse attention. Jusqu’où est-ce que je partage ma propre histoire du disque ? Et où est-ce qu’elle empiète sur votre propre histoire ? Je me suis vraiment rendu compte que ce n’était pas une question de pudeur mais que je devais vraiment vous laisser la possibilité de vous approprier l’histoire. Ne pas trop mettre mon histoire, mes images, mon pathos. Donc si les gens ont des fantômes à mettre sur cette histoire, j’en suis ravi. Ça sera très bien. Je vais essayer maintenant de lâcher ce disque. C’est fait. On le sait bien dans nos vies, c’est important de clôturer les étapes, fermer les portes. Pour pouvoir passer à autre chose. Comme le disque est déjà fini depuis longtemps, ça me permet de clôturer cette étape et de travailler sur un nouveau disque ou de nouveaux projets en tout cas. Vos fantômes sont les bienvenus.
LFB : On a déjà du te le demander mais pourquoi il n’y a pas de majuscule à cabane ?
cabane : Par principe, je trouve ça très laid une majuscule et je ne comprends pas pourquoi les premiers doivent être les plus grands. C’est juste ça. C’est une question de modestie. Toutes les lettres sont à leur place. Ce n’est pas parce que tu es la première du mot que tu dois être plus grande. Je trouve qu’esthétiquement, c’est plus beau. Ça donne ce côté intime pour moi à la chose. La cabane, c’est un endroit temporaire pour se protéger des intempéries. Je trouve ça important que ça soit petit.
LFB : Je trouve que ça va bien avec l’image que j’ai de ta musique, c’est-à-dire que c’est une musique qui fait aussi l’éloge de la simplicité. De garder beaucoup de naïveté et de tendresse, peut-être d’enfance aussi dans la façon dont tu la conçois.
cabane : Écoute, c’est super que tu dises ça. Je ne sais pas quoi dire. Mon rapport à la musique est tellement différent de la vôtre. Ça reste un travail. On m’a demandé si j’avais réécouté mon album depuis qu’il était fini. J’ai dit qu’évidemment que non. Il était super étonné et je lui ai dit, si tu l’aimes bien, tu vas l’écouter 10, 15, 20 fois, peut-être 30 fois grand maximum. Moi ces morceaux, je les ai entendus 500-600 fois, ça fait quatre ans que je vis avec. J’ai cette espèce d’épuisement. C’est ça qui fait qu’il y a toujours un décalage entre l’artiste et les gens qui écoutent, je n’aurais jamais le même rapport que vous par rapport à ma musique. Ce n’est pas que je n’y vois que les défauts mais j’ai tout le travail. Et c’est ce qui fait aussi la joie et l’importance de continuer. On n’arrive jamais au bout de cette recherche. Même si l’album a des beaux échos et tout ça, je n’ai pas le plaisir de l’écouter comme vous. J’ai tout le poids que ça représente derrière, tous les échecs, tous les moments de joie aussi. Toutes ces histoires qui sont liées, qui m’appartiennent. C’est ça qui me donne envie de continuer. Parce que c’est cette espèce de recherche d’arriver un jour à avoir la même sensation que vous par rapport à un morceau.
LFB : C’est un peu comme quelqu’un qui va créer un meuble. Il ne va pas chez les autres pour le regarder.
cabane : Oui, tout à fait. Il faut accepter qu’il ait sa propre vie et tout ça. C’est ça qui est beau dans la création. On a jamais le même regard que les autres. Et donc pour la question, j’essaie juste par rapport à cabane d’être juste. C’est l’avantage de l’âge qui passe. On n’arrête un peu le fantasme sur sa propre personne et on accepte ce qu’on est vraiment. Je suis un grand fan des Pixies. Maintenant, si tu me mets une guitare électrique, je fais des accords barrés, avec une disto et je gueule dans un micro, ça n’a aucun intérêt. Ce n’est pas moi. Je ne fais pas la musique que j’écoute. Je ne fais pas la musique que j’aime. Je fais la musique qui sort de moi. J’essaie d’être le plus honnête. Encore une fois, il y a des trucs que je ne pense pas que j’écouterais si ce n’était pas moi qui les avait faits. J’essaie d’être honnête par rapport à cette chose-là. Je terminerais en disant que pour le premier album, quand je pensais à toutes les vidéos, je me suis dit à un moment que j’allais faire des vidéos où on allait jouer devant des enfants. Et puis, en fait, je n’ai pas d’enfants. C’est une posture que tu veux te donner du mec cool. Ça n’avait aucun intérêt. Je n’ai pas fait cette idée-là. Avec cabane, j’essaie vraiment le plus honnête possible. Mais tous les artistes diront ça, c’est une espèce de banalité.
LFB : Justement, tu parles de ton rapport à la musique mais il y a aussi cette idée dans une industrie qui va de plus en plus vite, on demande aux artistes d’être sur le devant de la scène en permanence. Je trouve qu’il y a deux choses très intéressantes dans ce que tu fais. Il y a le pouvoir de la discrétion et l’importance de faire des gestes qui comptent. Les albums qui sortent, ce sont des albums qui comptent. Ce ne sont pas des albums qui sont faits de manière industrielle. Il y a le geste qui est tout aussi important que la musique qu’il amène.
cabane : La seule chose que je peux te dire, c’est que ma joie, mon plaisir est dans le fait de faire les choses. Quand je commence sur un disque, je me donne souvent une période d’un an pour juste faire de la musique sans être dans une idée de finalisation. Sans me dire que ça, ça doit être sur le disque, ça doit être un single. Juste le plaisir. Sans essayer aussi d’être castrateur à mon égard en disant que c’est nul.
Ce qui fait que j’arrive à la fin de cette année-la avec 70-80 morceaux ou idées de morceaux en tout cas. Ça, ce sont vraiment les grands moments de joie parce que j’essaie de ne pas me mettre de pression. Je peux passer quatre jours sur une idée et si je n’ai plus, je passe à autre chose. Vraiment, dans la joie de la création. J’essaie que cabane soit comme ça aussi.
Maintenant, je ne suis pas du tout quelqu’un de passéiste. Je n’essaie pas de l’être. Je pense juste, comme tu le dis, que le milieu a évolué mais les problématiques restent les mêmes. C’est juste que maintenant, ma génération qui est la génération vieillissante, est dépassée par tout ça. Il ne faut pas confondre la difficulté d’adaptation de ma génération au nouveau système et comment ça fonctionnait avant. On a l’air de dire que c’était merveilleux avant.
J’ai eu la chance quand j’étais plus jeune d’être sur des grosses major ou sur des petits labels indépendants. Le travail était le même que maintenant. C’est juste que quand tu es sur une major, tu ne fais pas tout ce travail de promotion, d’images, de clips. Les clips, c’est fini. C’est dépassé. Il y a dix ans que c’est fini ces choses-là. Il y a plein de choses que l’artiste doit porter parce que c’est le système qui a changé mais c’était un travail qui devait déjà être fait à l’époque. C’est juste qu’il est différent. Comme je le dis, les clips, on est sur du contenu parce que les gens ne regardent plus MTV ou M6. Les gens regardent leur téléphone. Et puis aussi, ça a changé ma vie Spotify ou les plateformes de streaming. Cette espèce d’énorme bibliothèque, de joie de la découverte. Tu es submergée, un peu perdu. Mais quelle source d’inspiration. Il y a des trucs que je peux écouter en rap que je n’aurais jamais écouté. En tout cas, si j’avais lu une chronique dans les Inrocks, dans Magic ou n’importe quoi, je n’aurais jamais été écouter. Maintenant, je claque Drake et je vais écouter Drake. Je trouve ça génial.
C’est une démocratisation de la chose. Effectivement, il n’y a pas de raison que le milieu de la musique soit différent de tous les autres métiers. La classe moyenne paie le prix fort pour tout le monde. C’est logique que la plupart des artistes n’en vivent pas. C’est comme tout le monde quoi.
LFB : À la base, dans l’album, il y a deux faces. Amour et Brûlée. Si je te dis que pour moi, c’est un album de romance, est-ce que ça te convient ?
cabane : Bien sûr, chacun se l’approprie comme il veut. Oui bien sûr, l’idée derrière cabane, c’est trois albums, trois disques qui forment une grande phrase : Grande est la maison, Brûlée et la suite qui est la fin de la phrase. L’idée était de consacrer trois albums autour de la voix de Kate Stables. C’est une grande amie depuis longtemps, depuis 2000 environ. Et de voir comment nos vies, intimes, professionnelles, amicales et musicales pouvaient évoluer en 10-15 ans. C’est ça qui prendra pour faire trois albums je pense. Je trouvais ça chouette de faire ça. Oui, l’idée de la romance est là. C’est une grande histoire d’amour que j’essaie de raconter.
LFB : Je t’ai toujours vu comme un réalisateur de musique. Ce que tu dis là, ça me fait un peu penser au film Boyhood de Richard Linklater. Faire de la musique dans le temps et voir comment elle évolue.
cabane : C’est le genre de projet que j’aime. Les artistes qui vont travailler sur une œuvre de 10-15-20 ans. J’aime cette chose. Ces moments où nos vies s’entremêlent dans le travail artistique. Il y a ce travail du photographe qui a filmé sa femme et ses trois sœurs pendant 30 ou 40 ans, tu les vois vieillir et ça, je trouve ça beau.
C’est la même chose pour la musique. Je suis heureux d’avoir des chansons de Kate quand elle était plus jeune et des chansons de maintenant où il y a la maturité. Il y a un travail différent et une sensibilité qui est là. Honnêtement, la chose la plus importante pour moi en tant que photographe, et même musicien, c’est de témoigner de la chance que j’ai d’être entouré de gens aussi talentueux. Je ne sais si tu as ça parfois, quand tu vas sur des vieux marchés ou des brocantes, tu vois des vieilles photos de famille. Ces photos ont été oubliées tellement vite. J’aimerais bien être cette personne qui a pris ces photos-là. On ne va pas oublier ces artistes qui étaient là. C’est ma joie. De pouvoir passer un peu de temps avec ces gens, faire des photos et si c’est possible, si les morceaux sont là, faire de la chanson avec eux;
LFB : C’est intéressant parce qu’il y a quand même cette idée de figer les instants.
cabane : De garder la trace. C’est important pour moi, la question du souvenir et de la mémoire. Le deuxième album brûlée, c’est vraiment ça. Ça parle vraiment de la question de la disparition, de l’effacement. Qu’est-ce qu’on garde comme trace ? Qu’est-ce qu’on garde d’un amour passé ? Qu’est-ce qu’on décide d’en faire ? Je ne sais pas si c’est dû à mon éducation mais ce qui peut mieux le définir, c’est : qu’est-ce qu’on fait de la colère qu’on a entre les mains ? La tristesse ? On peut très bien passer sa vie à se plaindre de qu’on a, ce n’est pas un jugement. J’ai des grands oreilles, je pourrais passer ma vie à me plaindre de mes grandes oreilles. Je suis sourd en plus. Comme des boules de Noël, ça ne sert qu’à décorer. Il faut l’accepter. C’est la même chose pour la musique et le travail artistique. J’essaie en tout cas, et je remercie vraiment mes parents par rapport à ça, d’avoir donné cette force au combat, au travail et à finaliser les choses.
LFB : Et la curiosité aussi. On ne serait rien sans curiosité.
cabane : Tout à fait, à fond.
LFB : Je parlais de romance, on pourrait presque parler aussi de comédie romantique même si le mot comédie a été un peu galvaudé. Je trouve que si on reprend sur ce qu’il était avant, c’est que c’était des histoires qui parlent de la vie. Du coup, cet album parle énormément de la vie. Il y a une évolution tout au long de l’album de la relation, qui joue énormément sur les voix. Kate est toujours là. Il y a Sam qui remplace Will. Je me demandais comment tu choisis ton « casting » ?
cabane : Je fais partie de ces artistes qui ont la chance, quand ils composent un morceau, j’ai directement une voix en tête de quelqu’un qui chante. Quand je compose, j’ai directement des mots, les mélodies sont là. Parfois, j’entends vraiment les voix. cabane ça prend du temps parce que c’est un peu compliqué à gérer dans le sens où j’ai cette première période de création qui dure un an. Après je réécoute toutes les idées et je les mets dans trois dossiers. Un dossier vert, orange et rouge. Rouge, c’est que c’est vraiment trop naze. Orange, il peut y avoir une idée. Vert, il faut creuser. Il y a vraiment un travail de montage à ce moment-là. Dire que cette partie, si je change la tonalité, ça pourrait être l’introduction de ce morceau. Il y a un travail de malaxage. Une fois que j’ai des matières, je finalise les paroles. La chanson est finie et je vois qui je veux la chanter. Souvent, ça s’impose assez rapidement. Par exemple, sur le disque, il y a une chanson où c’est ma vie personnelle qui a fait que j’ai dû changer d’interprète. Ça ne pouvait pas être Sam qui disait ces mots, ça devait être Kate. Parfois ça change. Et il y a tout ce travail après de tonalité. Là, c’est plus casse-tête. J’essaie de tout ré-enregistrer dans la bonne tonalité des chanteurs. Sam, c’est toujours assez compliqué de chanter avec lui. J’ai passé beaucoup de temps à ré-enregistrer les pianos, guitares parce que j’ai tout enregistré à la maison. Parfois, on perd des morceaux dans les changements de tonalité. On perd l’intérêt ou la sensibilité de la chose. Donc il y a des morceaux qui sont perdus parce que ça fonctionnait moins bien dans cette tonalité-là.
LFB : C’est vraiment les voix qui s’imposent et pas l’idée émotionnelle du morceau.
cabane : Les deux. Comme je te dis, cette chanson-là, je pensais vraiment que c’était Sam qui devait la chanter et puis avec ma vie qui avançait, j’ai pensé que ça devait être une femme qui devait dire ça à l’homme. Et inversement. Sam et Kate ont deux rapports à la musique très différents. Kate est d’une justesse hallucinante. C’est une énorme chanteuse. Il faut parvenir à capter le juste moment quand on fait les prises de voix. Si tu le fais après trop longtemps, si elle fait trop d’essai, elle maîtrise tellement que tu perds en fragilité. Donc je dois vraiment en tant que mixeur… Il y a une fragilité quand elle découvre le texte, quand elle le chante au début ou peut-être ça fait écho chez elle, je ne sais pas. Mais après, il y a un détachement logique qui se créé. Il faut vraiment parvenir à trouver cette juste prise où elle est entre l’émotion, la fragilité et la justesse.
Sam, c’est plus compliqué parce que c’est vraiment comme moi un peu un perfectionniste. La question de la fragilité, c’est très compliqué pour lui. Sur un morceau comme Today ou Dead Song où je le fais vraiment chanter très haut, il doit vraiment être mis en confiance parce qu’il ne va pas se sentir sécurisé par ce genre de chose. Ce n’est pas comme ça que sa voix doit sortir. C’est un peu plus une bataille sur la tonalité où il va me dire qu’il aimerait bien chanter là. Mais là, c’est trop classique pour moi et il faut vraiment qu’on tiraille un peu les choses. Ça se fait en douceur. Le travail est vraiment différent.
LFB : Je reviens à cette idée de réalisateur. Tu parles de prises, de capter l’émotion. Comme tu écris, tu as quand même une idée de l’émotion. Est-ce que tu leur donnes des idées d’interprétation ou des indication sur la musique ?
cabane : Tu sais, quand on est des amis, il y a une grande pudeur qui s’installe aussi. Quand on fait un travail artistique partagé avec des amis, il y a toujours cette complexité à trouver le juste entre ne pas vouloir être intrusif sur la vie de l’autre, sur ce qu’il a voulu dire et de mon côté, qu’est-ce que ça fait écho chez eux ? Est-ce qu’ils aiment vraiment les morceaux ? Est-ce qu’ils le font par pure amitié pour moi ? Il y a une espèce de zone grise entre tout. Kate, je sais que je vais lui dire que là, j’aimerais bien qu’elle fasse un trémolo. Mais je dois aussi laisser place à leur interprétation ou à leurs choses. Je ne peux pas être trop directif. Mais encore une fois, je n’ai pas à l’être parce que j’ai totalement confiance en eux. Ça m’est arrivé de travailler avec des gens où je n’ai pas gardé les morceaux parce que je n’étais pas satisfait, parce que la rencontre ne s’est pas faite. Ici, la rencontre entre Kate, Sam, moi et les autres, elle est là. Il y a un morceau que je voulais garder sur l’album mais il y a une interprétation de voix que je n’aime pas du tout et je n’ai pas gardé. Mais encore une fois, c’est assez naturel.
LFB : Le fait qu’il n’y ait que ces deux voix, ça drive aussi l’album dans le sens où il y a certains morceaux qui se répondent, le premier qui répond au deuxième… Il y a des morceaux où les deux voix sont présentes, il y a une espèce de dialogue qui se fait. Il y a vraiment cette idée d’histoire et de chapitrage, d’avancer dans l’album je trouve.
cabane : C’était une volonté de ma part, de raconter une histoire sur trois albums. Et travailler sur le principe des variations. Il y a un journaliste en Angleterre qui me disait que je dis trente fois le mot Love sur mon album. C’est vrai que c’est beaucoup sur dix morceaux. Ça fait au minimum trois fois par chanson. Il y a ça et Sean me disait quand on travaillait chez lui, il se retourne et dit : « You know what would be amazing for the next cabane ? C’est ce que tu nous parles un peu d’haïr les gens ». C’est très drôle. Donc oui, il y a une histoire, une narration. On travaille sur les variations. Travailler certains mots, certains thèmes. J’avais vraiment envie de dire qu’on vit tous les mêmes histoires mais on en garde des différents souvenirs. Que Kate et Sam puissent symboliser cette espèce d’histoire et où chacun essaie d’expliquer. C’est ce que je dis : dans la vie, on ne quitte pas que des salauds ou des salopes, on quitte parfois des gens qu’on aime et des gens biens. C’est juste que parfois, la vie est comme ça. J’avais envie d’apporter ça, cette douceur, la différence de l’interprétation.
LFB : Le premier album avait été rattrapé par l’actualité. Là, on est sur une période humainement très sombre, j’ai l’impression que malgré tout, ça fait aussi écho à ça. Je trouve que l’album est beaucoup plus sombre que le premier. Est-ce que parfois tu n’a pas peur d’être un peu un prophète de l’époque ?
cabane : Je suis ravi que tu dises ça parce que le prochain disque va être super pour tout le monde parce que la fin de la phrase est vraiment bien. En tout cas, plus positive. Non, pas du tout, au contraire. Je n’espère pas. J’étais vraiment mal à l’aise avec le confinement, d’avoir un album qui s’appelle Grande est la maison, un truc qui s’appelle cabane et avoir un confinement. Brûlée, j’avais juste peur de le sortir en été et qu’il y ait des incendies partout. La seule chose que je peux dire, c’est que j’ai cette phrase en tête depuis 2016-2017, il y a longtemps. Même pour moi, son interprétation a changé. J’ai toujours su que le deuxième album s’appellerait comme ça. Mais je ne savais pas que la musique aurait cette connotation-là. Que ça soit aussi sombre. Je pensais vraiment que Brûlée allait être un album assez ouvert. Je ne voulais pas aborder la question de l’incendie de cette manière. Je voulais l’avoir de manière plus posée, sereine et je me suis rendu compte qu’elle était beaucoup plus torturée que ce que je pensais. Encore une fois, je fais avec ce que j’ai entre les mains mais je sais qu’il y a parfois des moments où l’actualité intervient. Par exemple, les attentats à Bruxelles se sont passés le jour du tournage d’un clip de cabane. On a dû annuler le tournage parce que toute la ville était bloquée. On l’a fait le lendemain. Ça a créé une espèce de grand fragilité, qui doit se percevoir dans le clip. Je m’étais dit que je ne voulais plus faire de clip.
LFB : Après, ce qu’il y a d’intéressant, c’est que cette tension vient aussi de nouveaux éléments musicaux qui s’installent. Les variations électroniques, notamment sur le premier morceau que je trouve très surprenantes, qui se cassent complètement. Et aussi l’apparition de la batterie, qui n’était pas du tout présente sur le premier album et qui vient mettre une tension qui suit un peu tout l’album suite à un titre précis qui s’appelle Îlot, Pt. 1 dont on reparlera après. C’est un peu comme du tonnerre ou des choses comme ça. Ça fait qu’on est sur nos gardes même si on est emportés par la beauté de ce qu’on entend.
cabane : Le premier morceau de l’album In Parallel, ça a été depuis très longtemps pour moi… Je savais que ça allait être le premier morceau de l’album. Je voulais un morceau commencé par quelque chose où je crée un postulat qui était de dire, si vous voulez vous intéresser à mon disque, il va falloir y accorder du temps. Je voulais vraiment être ardu dès le début. C’est pour ça qu’il y a juste la guitare, la voix de Kate, petit à petit les cordes et petit à petit les choeurs. L’idée aussi était de créer un fondu enchaîné avec Grande est la maison. Le premier album se termine par Until the Summer Comes où tu as les choeurs, la voix de Kate, la guitare et donc petit à petit, créer le lien entre les albums. C’est vraiment l’idée du fondu enchaîné. Petit à petit, redonner aux gens ce qui avait pu donner la couleur du disque. La voix de Kate, la guitare, les cordes, les choeurs. Pour moi, le deuxième album commence à 2mn13, quand le synthé arrivé. Là, c’est vraiment pour moi un postulat clair.
Ok, c’est gentil mais maintenant, c’est fini, on passe au deuxième disque. Je trouvais ça chouette que le premier album déborde sur le début du deuxième comme ça. C’était important. Ce synthé qui arrive. J’étais surtout batteur et j’avais envie d’abord de lui rendre hommage et de rendre hommage à ma carrière de batteur. M’accepter moi en tant que ce que j’ai été. Me donner du doux. Cette deuxième partie commence et tout se met en place. Le synthé, le vibraphone qui revient, les chœurs et cette batterie. C’est comme si on avait voulu lui donner un écrin pour m’accorder du doux par rapport à ma carrière de batteur qui a quand même été particulière. C’était ça.
Ici, les instruments ont des rapports différents. La batterie, ça reste des boites à rythmes. Ce n’est pas une vraie batterie. Je ne voulais pas des vraies batteries, je voulais des batteries comme des coups de couteaux, des coups de tonnerre ou des coups de poignards.
LFB : La tension.
cabane : Voilà, je ne voulais vraiment pas de douceur par rapport à ça. Je voulais vraiment marquer la différence par rapport au premier album. La batterie arrive dans le premier morceau et il y a une espèce de chute dans le deuxième. Il y en a encore dans la deuxième face et c’est tout. C’est encore très sporadique mais ça me convenait. Je ne voulais pas plus. Ce qui est vraiment important pour moi, c’est de ne pas prendre les gens pour des cons. Vous n’avez pas besoin de batterie, vous entendez le rythme. Le rythme est là. Je pense qu’il y a des choses qu’on sous-entend et on n’a pas besoin de le faire. Je me souviens quand on enregistrait avec Sean, il joue une guitare, on se dit qu’elle est super et je me dis qu’il faudrait la mettre plus forte. Il me dit : mais non, tu l’entends, c’est suffisant. Encore une fois, c’est faire confiance à l’auditeur. Laisser une place pour s’approprier les choses. Je trouve ça important. J’essaie d’être vigilant.
LFB : En parallèle, pour moi, l’une des belles réussites de l’album, c’est que contrairement à l’époque dans laquelle on vit, tu crées de la tension sans emphase. Il y a cette justesse de ne pas en faire trop dans la musique.
cabane : Je te remercie de dire ça. Mon rapport aux chansons est tellement différent. J’ai l’impression parfois qu’il faut en faire un petit peu moins. J’essaie juste je te dis de ne pas prendre les gens pour des cons, leur faire confiance, être exigeant mais d’être doux. D’avoir mes valeurs qui sont quand même la douceur. La seule chose qui parfois m’embête, c’est que les gens trouvent cet album doux. Alors que pour moi, ce n’est pas parce que ça ne crie pas que ce n’est pas violent. Je trouve que cet album, c’est une colère profonde. Je suis content quand les gens le décèlent et qu’on ne dit pas que cabane, c’est un projet doux et harmonieux. En même temps, chacun fait ce qu’il veut de ça mais pour moi, il y a la question de la colère.
LFB : C’est peut-être aussi le fait que ton public soit essentiellement francophone.
cabane : Et vieux (rires).
LFB : Dans le sens où parfois, les gens ne vont pas creuser sur le texte alors que la colère, le sens et la tension viennent de là.
cabane : Même, elle se sent dans les harmonies. Il y a des harmonies qui sont très tendues. La tension est là. Elle n’est pas que dans les textes.
LFB : Un morceau comme Today, tu sens la colère je trouve. Par la répétition, par les choses comme ça, tu sens qu’il y a quelque chose. Parfois, le fait que l’intime et le personnel débordent un peu sur certains morceaux, tu le sens aussi.
cabane : Today, c’est vraiment un morceau qui parle de mon rituel orthographique que j’ai mené pendant un an. Ne pas me répéter. J’étais pendant un an à quatre kilomètres de chez moi faire une photo d’un endroit à Bruxelles, la place Poelaert. L’idée, c’est vraiment de faire une chanson sur ce rituel orthographique. C’est ça que j’ai fait, avec cette idée de répétitions. Si j’avais pu faire 365 secondes, je l’aurais fait. Ça faisait vraiment long comme morceau.
LFB : Je voulais que tu me parles de Îlot Pt.1 qui, pour moi, est la vraie fin de l’album. C’est un morceau perturbant, dans lequel on peut se perdre. Il tranche radicalement avec les deux morceaux qui suivent et qui ont l’air plus d’être l’ouverture sur l’autre album.
cabane : Je suis tellement content que tu dises ça. C’est chouette, il n’y a personne qui dit ça. Qu’est-ce que je peux te dire ? Sur chaque album, il y a des moments fondateurs, des morceaux fondateurs qui ne sont pas spécialement les meilleurs mais qui font qu’à un moment tu te dis que quand tu as fait ce morceau-là, tu as ton album. Parce que tu sais que tout va pouvoir découler de cette chose. Tu as l’impression d’avoir compris. Je me souviens, je travaillais pour Stromae, on avait des horaires décalés. Il y a un jour à 6-7 heures du matin, il venait de terminer Formidable. Il me l’envoie dans la première version. La seule chose que j’ai dite à Paul, c’est qu’il avait son album. Il avait l’essence de Racine carrée.
Je ne fais aucun parallèle avec Îlot mais quand je l’ai finie, je me suis dit que c’était là que je voulais aller. Mon idée, c’était de travailler sur l’étirement d’une chanson pop. Étirer au maximum, fragiliser une chanson de nature pop, avec une mélodie voix que tu peux chanter. Ce morceau est fondamental pour moi parce qu’il est effectivement le centre de l’album. Je ne l’avais jamais perçu comme la finalisation du disque parce que c’est important d’accorder aux gens du doux et de la bienveillance. Après toutes ces attentions, j’ai trouvé ça fondamental de terminer le disque par de la douceur et par un peu de relâchement de la tension. Pour un peu dédramatiser. Donner un peu de légèreté, de recul par rapport aux choses. Et aussi donner un petit peu de chaleur. Mais tu as tout à fait raison. Le dernier morceau est une porte ouverte sur le dernier disque. Je pense que si j’avais terminé par Îlot Pt.1, je refermais trop un disque. Ici en terminant par Tout Ira Bien, j’ai l’ouverture pour un troisième disque.
LFB : All We Could Do, ça peut être une sorte de générique. Il y a un truc beaucoup plus lumineux, comme si avec Îlot, tu avais un peu évacué la noirceur.
cabane : Ouais, mais Îlot, c’est un morceau qui… C’est comme sur le premier EP ce cabane, il y a un morceau qui s’appelle Take Me Home Pt.1, qui a le même effet. Quand je l’ai composé, c’est un morceau qui a été super compliqué à composer. Quand je l’ai fini, je me suis dit que j’avais un premier disque. Ici, j’avais ça. C’était difficile de lui trouver une place et même jusqu’au dernier moment, j’ai hésite à ne pas le mettre et à mettre un autre à la place. Parce que je le trouvais à certains moments trop exigeants.
LFB : Il est labyrinthique ce morceau.
cabane : Voilà, mais moi, c’est ce genre de musique que j’adore. J’aime vraiment bien faire parce que je trouve que c’est exigeant et que tu peux te perdre. La deuxième chose, c’est que sur le premier album, il y avait deux morceaux qui s’appelaient Îlot Pt. 2 et 3, j’avais par négligence oublié de mentionner que je les avais composés pour une performance que j’avais faite avec une artiste Elise Peroi. Je voulais sur le deuxième album pouvoir noter cette chose-là. C’est ça que j’ai aussi fait. Pouvoir noter sur le vinyle qu’Îlot Pt.1 comme les Pt. 2 et 3, avaient été composés avec elle. C’était important pour moi de rendre justice.
LFB : Il y a cette idée de continuité et de rupture entre les deux disques.
cabane: Je trouve ça chouette. Quand tu as un morceau qui s’appelle Pt. 2 et 3, tu as envie d’avoir la Pt. 1. Il y a plein de morceaux que j’ai et qui ne sont jamais sortis qui sont des Pt. 3 ou 4. Ça me laisse une possibilité de créer des liens, j’aime bien. Et aussi je trouve ça chouette parce que ça laisse aux gens le plaisir d’imaginer.
LFB : Pour revenir sur la fin et pour contrer ce qui est dit à un moment dans l’album, est-ce que ces deux derniers morceaux ne sont pas aussi là pour dire que le soleil nous aide malgré tout ?
cabane : C’est vrai que je dis le contraire. Est-ce que le soleil adoucit ? Je ne sais pas. Quand j’étais plus jeune, j’ai fait une série de photos qui s’appelait : La beauté des paysages ne changerait en rien la douleur de nos coeurs meurtris. Donc est-ce que le soleil aide ? En tout cas, la lumière aide, bien sûr. Une de mes amies à qui je me plaignais de mon album me disait qu’il n’était pas si sombre que ça, qu’il y avait de la lumière. Elle le trouvait même à certains moments joyeux. Je suis content. C’était important pour moi de terminer l’album sur une note plus positive. Je ne le dis pas de façon cynique quand je dis que tout ira bien. Je trouvais ça chouette que tout le monde chante ça. C’est aussi un message adressé à mes parents. Même si je ne parle jamais d’eux, je pense qu’ils peuvent être un peu inquiets de leurs enfants, de leurs choix de vie. C’est juste leur dire qu’ils ne s’inquiètent pas, que ça va aller.
LFB : C’est un mantra. Tu le dis toi-même dans la présentation de l’album.
cabane : Oui je trouve. En tout cas, j’aimais bien que tout le chœur, tout ceux qui ont chanté sur le disque le reprennent ensemble. Je trouvais ça chouette de leur laisser cet espace-là. C’est comme s’ils me le disaient à moi ou s’ils se le disaient à eux. C’est chouette parce que Kate sur son album termine par un choeur qui dis « Be ok ». Je fais l’une des voix. Je trouve ça chouette. Quand je te parlais de la confiance aux gens, j’ai l’impression que les voix chantent deux fois le truc autour. Parce que tu l’entends dans la tête après. Tu n’as plus besoin de le chanter. Ça, c’est grâce à Sean O’haganque j’ai conceptualisé des idées comme ça. On n’a pas besoin de chanter des choses vingt minutes pour que les gens les aient en tête.
LFB : Cet album ne sera quasiment pas joué en live. Est-ce que tu as des envies ? Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de compliqué quand tu prends deux voix qui sont si spécifiques et qui représentent l’âme de l’album, de le transposer en live ?
C : Écoute, cabane c’est clairement pas un projet pour faire carrière. C’est sûr et certain. Ou alors, j’aurais été Lucky Luke et je me suis tiré deux balles dans le pied directement. Aucune chance que ça marche, par mes choix de casting et tout ça. La seule chose, c’est que les concerts… Je suis quelqu’un très sensible aux mots, au choix des mots. Même dans les histoires d’amour, je suis plus sensible aux mots, parfois aux images, aux choses vécues. Ce que je trouve chouette, c’est de garder cette tension entre les gens qui écoutent cabane et moi. J’ai l’impression que si je leur donne un concert, ils auront tout. Ils auront eu les vidéos, les albums, les concerts et donc ils seront rassasiés émotionnellement. Tant que je ne leur offre pas cette chose-là, il y a une tension entre eux et moi. Dans cette période où tout le monde a tout, tout de suite, j’ai juste envie de dire : bah non, allez vous faire foutre. Je ne vous donne pas de concerts. Ça me fait rire de faire ça. Et puis aussi, c’est compliqué à organiser. Pour être bon en concert, il faut en faire beaucoup. C’est comme pour tout. Et cabane ne peut pas tourner beaucoup. Donc est-ce que je vais me contenter de faire un concert médiocre ou juste banal ? Ça n’a pas d’intérêt. Les gens seront déçus. Ce n’est pas que je ne veux pas décevoir. Je m’en fous, la vie des autres m’importent peu. Mais voilà. Et j’ai cinquante ans aussi. Si j’avais vingt ans, trente ans, je serais parti en Angleterre ou aux États-Unis pour essayer de travailler cabane là-bas. Mais à cinquante ans, je vais encore faire un, deux albums max. Je suis à la fin de ma carrière.
LFB : Tu as assez mangé dans ce milieu-là.
cabane : C’est marrant que tu dises ça parce que je fais vraiment partie de ces gens qui ne veulent pas du tout avoir l’air de se plaindre parce que je n’ai vraiment pas à me plaindre. J’ai eu la chance d’être invité à plein de beaux buffets. Autant avec Stromae, on a fait le tour du monde plein de fois. Avec Venus, on a joué dans les plus grandes scènes en Europe. On a un disque qui s’est vendu comme on vendait rarement des disques à l’époque. Et cabane, je suis quand même fier de cette façon que j’ai eu de me réinventer à chaque fois. Je pense que j’arrive tout doucement à la fin de cette chose.
LFB : C’est marrant parce que c’est le format parfait. Il y a un retour nostalgique du rock belge actuellement. Girls in Hawaii, Ghinzu qui revient aussi.
cabane: J’ai été à un concert des Girls et c’est très, très beau de voir à quel point cet album a touché les gens quoi. Ils ont fait 5 fois 2 000 personnes presque. C’est énorme. C’est touchant de voir qu’un disque qui est sorti il y a vingt ans plaise autant. Ça fait plaisir aux gens de le refaire. Ce n’est pas mon truc de rejouer des trucs du passé.
LFB : Si tu devais rattacher Brûlée à des livres ou films, le mettre dans une bibliothèque pour une personne, tu le rapprocherais de quoi ?
cabane : J’aime pas trop ce genre de questions parce que je ne veux pas donner une direction. Et puis honnêtement, je me suis isolé pour terminer ce disque. Il a été très difficile à finaliser. Je me suis vraiment isolé du monde pendant un an et demi pour le faire. Je n’ai pas lu, pas regardé de films, pas été au cinéma. La seule chose que je m’accorde, c’est regarder le foot parce que je peux faire de la guitare en même temps et parce que j’aime bien le foot, et parce que mon papa aime le foot et on regarde le foot ensemble même si on n’est pas dans la même pièce. Donc ça serait mentir de dire que j’ai beaucoup lu et que je me suis beaucoup intéressé à la culture. C’est vraiment un disque qui m’a plongé -c’est pour ça que je suis en colère contre lui – dans une grande solitude. Ça serait jouer une posture intellectuelle de dire que je le relierais à des livres et tout ça, parce que ce n’est pas vrai.