Chantier des Francos : Rencontre avec November Ultra, Lonny & Johnny Jane

C’est rempli d’espoir et d’envie que nous vous proposons de vous emmener prendre le large à La Rochelle, une nouvelle fois. Le Chantier des Francos, accompagnateur nécessaire de projets artistiques depuis plus de vingt ans et spécialisé notamment dans le live, continu bel et bien son travail cette année. Avec des artistes sélectionnés pour leur permettre d’œuvrer sur leurs différents projets musicaux, le dispositif a accueilli ses talents fin avril pour la troisième session de l’année 2021. Le temps pour nous de recueillir les mots de November Ultra, Lonny et Johnny Jane.


LFB: Comment allez-vous?

Johnny Jane:
Ça va! Il fait beau, on a fait un concert hier, j’ai dormi de minuit trente à huit heures trente, une nuit de huit heures, parfait! Et vous, ça va?

Lonny: Oui pareil, moi je vis pour le soleil et le bon sommeil, j’ai fait un petit 1h30 – 9h30 contrairement à toi. J’ai fait mes 8h et c’était divin!

November Ultra: Moi j’ai dormi six heures mais en fait je pète le feu! Je suis très heureuse, j’ai l’impression de revivre, d’avoir accès à la vie presque à nouveau, distancé, masqué tout sécurisé à fond mais de voir des gens à nouveau.. Avoir une conversation avec quelqu’un que je n’ai pas rencontré avant, c’est très nouveau, je me sens vivante quoi!

Johnny Jane: J’avais vu sur YouTube une vidéo d’un mec qui faisait l’expérience, un jeune de 18 ans, de dormir six heures par nuit et en fait c’était bénéfique et il était en forme!

November Ultra: Ouais ou aussi car je suis contente d’être là, de sortir de chez moi et d’enfin m’en aller! Même si chez moi j’ai un piano, une forêt en bas de chez moi et que je fais mes 10km, être dans ce cadre là avec de l’eau, les mouettes et des gens nouveaux et hier soir, il faut dire qu’on a eu la chance de faire un concert et d’assister à des concerts. C’est ce double truc-là. Moi j’étais assise au deuxième rang comme une groupie à les regarder, de bonheur quoi.

Johnny Jane: Bon après, Lonny elle n’a pas vu mon concert ! (Rires)


Lonny: Je fais des excuses publiques, c’est un peu la mode en ce moment de dire des trucs très limites et de s’excuser après.

Emile (Johnny Jane), je te fais des excuses publiques, je n’avais plus de tête et je me suis dit que je n’allais pas apprécier ce concert et avec Nova je suis allée au bout de ce que je pouvais entendre. Mais ce soir, tiens je serais au premier rang pour t’écouter! Et j’ai très très hâte de t’entendre car j’aime vraiment tes chansons.

November Ultra: Elle n’ira pas à mon concert, elle ira direct au tiens.

LFB: Est-ce que vous vous êtes déjà croisés avant de venir à La Rochelle?

Johnny Jane: On s’est croisé avec Lonny au théâtre de l’Atelier lors de la présentation des sélectionnés au Chantier mais on s’est juste échangé quatre mots, on ne s’est pas vraiment rencontrés.

November Ultra: On connaissait notre musique chacun et on appréciait ce que chacun faisait et quand on a vu qu’on était sur la même session, on s’est envoyé des messages, on était absolument ravis.

Lonny: On s’envoyait des mots doux!

Johnny Jane: Moi je ne connaissais pas November Ultra, j’ai streamé hier en rentrant Miel, donc ça a marché! Et j’ai liké donc elle va rentrer dans ma playlist assez privée, d’ailleurs, il n’y a pas non plus cent titres..

November Ultra: Je suis touchée, je suis honorée! 

Lonny – Chantier des Francos, avril 2021.

LFB: On se rencontre cette semaine dans le cadre du Chantier des Francos. Est-ce que vous connaissiez le dispositif avant d’y participer ?

Johnny Jane:
J’étais déjà en résidence en 2020 mais avant ça je ne connaissais pas. Il faut dire que la musique pour moi c’est venu d’un coup. Je ne m’intéressais pas du tout à ça, je ne savais pas ce qu’était de l’édition, un label, je ne connaissais rien! Après cette résidence, c’est mon manager qui m’a inscrit, j’ai été présélectionné, j’ai parlé avec les contributeurs et j’ai compris ce que c’était. Mais j’avoue que sans l’inscription de mon manager je n’aurais pas connu, il avait déjà fait ça avec d’autres artistes comme Cléa Vincent et en fait c’est vraiment très bien, très très bonne initiative!

LFB: Tous les trois, j’ai cette impression, en écoutant votre musique, qu’elle est très brute. Je n’ai pas l’impression que vous essayiez de vous cacher derrière un filtre ou derrière une apparence, vous vous livrez entièrement. Est-ce que vous êtes d’accord avec ça et est-ce que vous pensez que c’est quelque chose qui vient avec le temps, le fait de ne pas se cacher derrière quelque chose ?

Lonny: Tu peux aller vers ça. Jamais je ne dirais que je suis moi, je ne me cache plus, je pense que malgré toi tu te caches un peu. Par-contre tu peux décider le plus possible, avec l’état du jour, dans lequel tu es, pardon j’emmène le truc dans un côté philosophique… Je trouve que l’on a tendance à séparer les choses. On fait un peu la police de l’authenticité. Les artistes authentiques d’un côté et les autres de l’autre côté, je pense que c’est beaucoup moins scindé que ça.

Après bien sûr, il y a peut-être une recherche de vérité mais ça, j’ai l’impression que si tu questionnes quelqu’un, il va souvent dire qu’il est dans ce truc-là. Moi perso en tout cas, je prends le truc en me disant « qu’est-ce qui est possible à l’heure actuelle de montrer, vraiment montrer? Qu’est-ce qui a déjà été assez travaillé, adouci pour pouvoir être restitué…« 

Johnny Jane: C’est marrant car tu as dit “avec le temps” mais moi je dirais que c’est l’inverse. J’étais plus brutal avant. Mes textes de 2017, à mes 18 ans, ils étaient bien plus bruts que maintenant. Je m’amuse davantage!

Lonny: A les sophistiquer?

Johnny Jane: Non mais à m’amuser avec le texte, avec mon image alors qu’avant j’étais vraiment sans filtre, même dans ma musique. Maintenant, je sais qu’il y a des choses que je n’ai plus envie de dire. La musique je la faisais pour moi, les EPs sont sortis sur SoundCloud ensuite mais maintenant que l’exploitation est différente, je suis plus dans la réflexion. L’âge m’a permis de trouver un filtre.

LFB: On va parler un petit peu de vos différents projets. Louise, est-ce que tu peux nous parler un petit peu de ton parcours musical ? Même si on commence à bien te connaître sur la Face B!

Lonny: Je viens du classique, assez académique avec le violon, enfin l’alto. J’ai une approche plus instrumentale des choses, en tout cas à la base.

Justement, on parlait de délivrer quelque chose de brut, je raconte souvent cette anecdote, j’ai vu Patti Smith en concert qui faisait quelque chose de mi-lecture, mi-concert et c’était un moment de très grandes vérités et surtout assez déstructuré, assez abstrait… C’est là que je me suis mise à vouloir chanter et à chanter de manière la plus vraie possible. Mais sans me poser beaucoup trop de questions en termes d’efficacité.

En même temps j’écoutais énormément de musique folk, beaucoup de songwriters américain.es, anglais.es. J’ai été beaucoup comme les oiseaux, dans l’imitation. Tu reproduis vraiment le son. Les oiseaux apprennent à chanter comme ça. Ils écoutent leur maman qui fait piou-piou et ils le font jusqu’à faire le même son. C’est dingue!

Je pense que l’on fait un peu la même chose, du moins moi j’ai imité Joni Mitchell, Joan Baez en anglais et j’ai switché en français puisque je suis vraiment revenue sur ma démarche de dire il faut vraiment que je réalise ça avec une forme de vérité intérieure. Le français est venu-là, avec le fait que je n’ai pas énormément eu l’amour des mots, c’était un petit peu moins évident que la musique pour moi donc j’ai mis plus de temps et donc j’ai écrit de manière simple. J’ai ensuite fait mon album au Québec, dont j’ai sorti deux singles et un troisième qui sort bientôt!

LFB: Ton dernier clip et single sont sortis en décembre dernier. Ce clip fait penser à un western américain. Est-ce que tu te nourris d’inspirations cinématographiques pour accompagner ton projet musical ?

Lonny:
Pour le coup, je donne tout le mérite à Shanti Masud, avec qui j’ai fait le clip, pour le côté image après je pense que je lui ai tout de même donné quelques indications. De justement, respecter quelque chose d’assez brut et une image pas compliquée, la plus vraie possible et en même temps moi j’ai un peu le rêve américain, il y a une petite partie de moi qui se plonge dans la fable américaine assez facilement. Il y a quelque chose qui me fait rêver dans ces paysages-là.

Par exemple, j’adore Lana Del Rey, elle me fait complètement rêver dans ses clips et surtout j’ai beaucoup écouté des songwritters américain.es et canadien.nes et ça c’est un amour dont je ne peux plus parler car, pourquoi c’est là? 

LFB: Ça me fait énormément penser à celle d’artistes qui se trouvent de l’autre côté de l’Atlantique. Je pense à Safia Nolin, Pierre LaPointe, aux Soeurs Boulay. Je ne pense pas que ce soit anodin. Est-ce que tu peux nous parler de ta relation avec le Québec ?

LFB: Johnny, pour commencer, est-ce que tu peux te présenter?

Johnny Jane:
Je suis musicien, je fais du piano, de la guitare, j’écris des textes et je les interprète.

LFB: Ce que je trouve dingue avec ta musique, c’est qu’il y en a pour presque tous les goûts. Entre chanson, rap, électro, pop… Je veux absolument que tu nous parles de tes influences !

Johnny Jane:
Elles varient beaucoup! C’est un défaut aussi mais je suis très caméléon. Dans ma vie, avec les gens que je vois, je change très souvent. Parfois je suis en studio et j’ai envie de faire du rap, j’en écoute pendant une semaine et j’ai envie de faire que du rap! Quand j’ai eu ma dose de rap, j’écoute que les Strokes, que Radiohead etc, j’ai des phases. Mon rêve c’est de pouvoir faire un album en deux semaines! Là où je sais que sur les EP que je fais il y a quelque temps qui se passe et forcément c’est assez éclectique. J’aimerais trop me dire qu’allez, on bosse au Ferber pendant deux semaines, tu sais à l’avance ce que tu veux faire et tu fais un truc qui a la même couleur tout le long. Pour l’instant j’écoute tellement de choses différentes..

Il y a des copains qui ont sorti une musique en soirée, pendant deux semaines je l’écoute en boucle et après j’imite le truc. Oui j’ai beaucoup d’influences et je ne suis pas du genre à écouter beaucoup beaucoup de choses mais quand j’écoute un truc, je l’écoute beaucoup! 

Johnny Jane – Chantier des Francos, avril 2021.

LFB : En parlant de tes influences, tu as déjà collaboré avec quelques artistes de la scène française. Est-ce que tu rêves de certaines collaborations ? Est-ce qu’il y a un ou une artiste avec qui tu aimerais énormément collaborer ?

Johnny Jane:
Mansfield.TYA! Après ça dépend de mon humeur aussi.. J’aimerais énormément faire une chanson avec King Rule. En France, j’ai peut-être plus envie de collaborer avec des voix féminines. J’écris aussi beaucoup pour des voix féminines alors que tous les garçons avec qui j’ai fais des collaborations, c’est mes copains. Hyacinthe c’est mon copain. Tous les gars avec qui j’ai bossé, là c’est vraiment de l’humain.

On s’est vus, on a fait des soirées, on parle musique, on se fait une session studio, on aime ça mais anticiper et demander à quelqu’un que je ne connais pas « est-ce que tu voudrais faire une chanson avec moi?” Je pense qu’il faut un gros coup de coeur musical.

LFB: Concernant tes textes, ils sont tous écrits en français. Est-ce que chanter en anglais ou une autre langue c’est quelque chose qui t’attires? On en parlait juste avant mais c’est aussi peut-être une manière d’être le plus brut possible ? De ne pas passer par une autre langue, aller droit au but.

Johnny Jane:
Moi j’ai un problème mais c’est vraiment l’anglais. Ça fait deux ans que je commence à regarder des films en anglais, avant de les regarder qu’en VF. Lonny toi tu chantes en français, ça va je comprends. Mais Nova, je l’ai vu hier soir je ne comprenais pas tout ce que tu disais!

November Ultra: C’est pour ça que j’explique avant chaque chanson.

Johnny Jane: Et heureusement que tu expliques, après je comprends quelques mots le “better, better..”

November Ultra: Et tu l’as mise dans ta playlist, donc finalement…

Johnny Jane: Il y a un truc aussi qui m’a marqué et qui a marqué aussi beaucoup mes potes, c’est que j’écoute des chansons en anglais mais que depuis deux ans. Avant, je n’avais jamais écouté de moi-même des trucs anglais, aucun rap US.

LFB: Même en écoutant que la radio, la télé..?

Johnny Jane: Je regarde pas la télé, j’écoute très peu la radio à part parfois France inter mais à chaque fois c’est des trucs en français donc ça ne va pas m’ouvrir sur quelque chose d’anglophone. Des fois, il y a des gens qui me disent “mais tu ne connais pas ça?” Mais non et quand j’écoute je me dis “ah ouais, j’aurais connu ça en fait!” 

LFB: Je posais la même question à Jean de Chien Noir le mois dernier, au même endroit, mais je trouve tes clips extrêmement bien travaillés. Est-ce que tu apportes une place importante à l’image dans ton projet musical ?

Johnny Jane:
Oui et non.  Oui pour le côté où je trouve que c’est quand même hyper important. Au début, il y a trois ans quand j’ai vraiment commencé à penser au clip de J’avance, qui est sorti il y a deux ans, à ce moment-là j’étais aux Beaux-Arts à Bruxelles, en Belgique et je trouve que c’est une erreur mais je pensais trop au fait qu’un clip puisse être une oeuvre que tu peux regarder à part, sans musique. C’est une sorte de vidéo que tu peux exposer à l’école ou autres, un truc très conceptuel!

Et là, le prochain clip que je sors pour mon titre Maintenant (disponible ici), c’est encore dans cette branche-là mais ce que je prépare pour juin, j’arrête! Parce que ça m’a soulé.

Lonny: Qu’est-ce qui t’a soulé?

Johnny Jane: De faire des plans-séquences, de faire trop un truc mental. J’ai envie de m’amuser. Je me suis perdu là-dedans, je disais que j’étais chanteur mais je faisais aussi beaucoup de photos. Je voulais être un artiste alors qu’en vrai un clip c’est une pub, c’est comme ça que ce sera toujours..

November Ultra: Donc finalement, t’es de plus en brut en vrai? Tu as fait ce truc-là mais là tu te dis que tu as envie d’aller à quelque chose qui est beaucoup plus authentique pour toi, c’est-à-dire plus léger et pas faire l’artiste mais l’être.

Johnny Jane:  Oui c’est peut-être plus ça. J’arrête de me prendre au sérieux, pour moi oui c’est comme de l’art mais ce n’est pas “Woah! C’est quelque chose d’important.” J’ai arrêté de jouer au poète maudit. Je fais une musique, c’est cool, elle me plaît, je m’amuse, je fais un clip qui me plaît mais je lâche trop le mental d’il faut parler d’un truc important par-ce que si t’es de dos à la mer et que la mer elle monte, les vagues symbolisent ça ou ça. J’avais pas ce truc forcement instinctif et même tout mon premier EP la plupart des textes, je les ai écrits sur mon ordinateur à l’avance alors que là, j’en ai aucun que j’ai écrit avant.

C’est que des textes que j’ai écrit en studio avec un son qui tourne et que j’écris sur mon téléphone en deux secondes. Ça c’est instinctif alors qu’avant je me posais et je faisais mes lignes, comme une sorte de poème! Il fallait que ça coordonne que les rimes fassent A, B, B, A. Maintenant c’est plus, je suis en studio, on s’amuse, les sons partent…

November Ultra: Je suis très comme ça aussi, très à l’impro.

Johnny Jane: Après j’ai des copains qui me disent que mes textes sont de moins bonnes qualités. Mais moi je préfère. Je préfère faire comme ça. Ça rejoint aussi l’influence d’il y a deux ans, plus à l’anglaise! Par-contre je travaille beaucoup sur les mélodies en studio alors qu’avant je ne faisais que le texte, et je ne faisais pas forcément attention  à la mélodie. J’écoutais aussi plus Gainsbourg et compagnie, et d’un coup je suis passé à quelque chose de plus anglophone, où je ne comprenais rien. On ne va pas se mentir, en ce moment, je n’écris que des choses en forme d’exutoires. J’écris pour moi et en chanson c’est plus du feeling.

November Ultra: C’est une forme d’exutoire en vrai. J’ai commencé aussi beaucoup à écrire les paroles, d’abord, entre paroles et mélodies j’étais très paroles paroles paroles! Effectivement, il y a des trucs que tu veux tellement complexifier car tu as aussi une recherche littéraire qui est énorme. La réalité c’est qu’en fait, on ne peux pas écrire une chanson comme on écrit un texte qui est destiné à être lu par-ce qu’on est censé le chanter, qu’il y a la 3D qui existe. Tu as parlé des Strokes, Julian Casablancas disait: “Tu peux dire le même mot, le mot baby, le chanter cinquante fois de manière différentes et en fait il ne voudra jamais dire la même chose, il n’aura pas du tout le même impact par-ce que ça dépend de la mélodie, de l’intention.”

Je trouve qu’il y a les skills que tu as appris au début, je pense que c’était mega nécessaire que tu aies réussi à finalement écrire tout ça pendant si longtemps et qu’en fait maintenant, la liberté de la mélodie te permet une improvisation qui fait que tu as tout de même cette technicité-là des mots! Ce n’est pas de ton chapeau que tu sors tout ça! Tu es capable d’écrire des tracks, parce que tu as quand même tout ce vécu derrière.

Lonny: Et c’est ton intention aussi.

Johnny Jane: Je pense que c’est comme une pratique sportive. Au début, tu fais ce qui te paraît le plus évident. Au niveau des rimes, j’en ai qui viennent comme ça puisque tu t’es musclé, en écrivant, même en mélodies.

November Ultra: Tu as aiguisé ton couteau!

Johnny Jane: Du coup maintenant je me concentre sur un truc différent, dans trois ans ce sera différent! Là où j’en suis maintenant c’est que j’essaie de faire un truc plus simple et au final plus sincère, enfin je ne sais pas..

November Ultra: C’est ça la musique, c’est que tu ne sais pas où tu seras dans deux ans, c’est ça qui est incroyable! C’est évolutif. Quand tu disais tout à l’heure que l’authenticité elle est dépendante de là où l’on est à l’instante, moi je pense qu’il y a des choses très authentiques que j’ai écrites il y a six ans, qui ne ressemblent plus à la personne que je suis maintenant. Si je devais écrire une chanson maintenant clairement ce n’est pas dans ce style-là, je dirais plus ces choses-là puisque c’est des photos quoi!

Caroline, toi qui est photographe il y a des photos d’il y a dix ans qui ne ressemblent plus à ton travail de maintenant et je pense que c’est pareil pour tout. Je pense que ça ne veut pas dire que ton travail de l’époque était moins authentique, il y a surement des erreurs à l’époque que tu faisais mais qui sont bêtes par-ce que t’apprenais, c’est ça qui faisait que c’était beau et maintenant il y a des choses du fait d’être devenu beaucoup plus pointu qui sont magnifiques dans tes nouvelles photos et je pense que c’est pareil pour la musique! C’est pareil pour le cinéma, pour toutes formes d’arts et de vie en vrai! 

LFB: Qu’est-ce que tu tires de ton expérience ici?


Johnny Jane: Ne pas avoir peur. J’ai souvent peur et il ne faut pas que j’ai peur, mes chansons elles sont bien meilleures que d’autres, cette année c’est pour moi, je vais les manger! J’étais en retrait, j’avais peur, sur scène je me mets derrière, je me cache derrière mon piano et je ferme les yeux. J’ose pas donner. En fait, les contributeurs m’ont tous dit ça indépendamment, sans se concerter.

Anne dans la salle de danse, elle me dit de ne pas avoir peur, Jean-Noel, il me dit pareil. Ils me disent “tes sons ils sont chanmés, tu maîtrises tes instruments, tes textes ils sont chanmés, pourquoi est-ce que tu as peur comme si tu étais un élève qui doit aller au tableau pour réciter une poésie? » Comme si on m’avait obligé alors que j’avais fait le choix de monter sur scène, de venir ici. C’est ce que j’ai appris. Du moins, de d’y penser. Après, le faire est différent. Tu vas voir sur scène ce soir, je vais quand même un peu flipper!

November Ultra: Ouais mais il y a eu la différence entre lundi et jeudi.

Johnny Jane: Oui! Parce qu’ils me l’ont rabâché!

Lonny: Et puis la peur ce n’est pas forcément le trac. C’est subir la chose. C’est le syndrome de l’imposteur.

Johnny Jane: Je me suis beaucoup questionné, on m’a beaucoup parlé de ça. Le fait de me sentir illégitime d’être vraiment chanteur alors qu’hier j’adorais avoir cette posture sur scène. Jamais je n’ai eu ce truc de, il faut être dans sa loge avant de monter sur scène, moi je suis avec mes potes, on regarde les autres concerts.. Mais là, ils me l’ont dit. Vraiment de ne pas avoir peur, j’ai fait le choix d’être ici. Mais oui ce truc de l’imposteur, je l’ai un peu. Je ne m’assume pas.

November Ultra: Je l’ai à fond aussi. Je suis aussi entre le syndrome de l’imposteur et le syndrome Kanye West! C’est genre tu as vraiment confiance en toi mais c’est une fausse confiance en toi. Tu te dis que toute façon si tu vis avec l’un ou l’autre c’est l’enfer toute façon donc au moins les deux ensemble, tu te remets au milieu.

Johnny Jane: A mon avis, l’ego et la confiance en soi..

Lonny: C’est pareil!

Johnny Jane: Non justement, ça n’a rien à voir!

November Ultra: Je pense qu’il y a le bon ego, le bon ego il est intéressant!

Johnny Jane: Pour moi, tu peux être quelqu’un qui croit en toi-même et pense que tu es capable de faire de très très grandes choses mais ne pas être capable d’être seul pendant deux heures. Ça c’est de la confiance en soi, à savoir que dans une situation de la vie, tu peux gérer et donc tu as confiance en ce que tu es et c’est un truc n’a rapport qu’avec toi-même. Alors que l’ego, c’est par rapport aussi aux regards des autres, en mode “je suis capable de faire ça.” Ces deux choses-là sont très différentes. Avoir confiance en soi c’est pouvoir être seul avec soi-même et être très bien. Il y a des gens qui ont beaucoup d’ego, qui ont besoin de combler énormément par rapport au regard des autres mais qui font finalement très peu confiance en eux. Il faut séparer ces deux choses-là.

Lonny: C’est-à-dire que l’ego ou l’ego inversé, dans tous les cas aller sur scène en se disant “je suis profondément légitime” ou aller sur scène en se disant “je vais les déglinguer, je vais être impressionnant.” Là, dans tous les cas, tu mets une caméra et tu te regardes. 

November Ultra – Chantier des Francos, avril 2021.

November Ultra: Je pense que de toute façon tu subis l’entrée à l’arène. Rien que la montée des marches, hier soir, tu vacilles! Tu es dans un état de vulnérabilité, tu as beau avoir essayé de mettre des murailles, des murs. C’est comme si tu passais à travers une douche transparente et ça t’enlève tous tes super pouvoirs!

Lonny: Oui ou par exemple moi j’ai déjà vécu la scène comme une punition, de moi qui vient réciter ma poésie.

Johnny Jane: Tu sais que l’on va te filmer, j’ai l’impression qu’on joue un rôle et les réseaux aussi cultivent malheureusement un regard sur soi.

November Ultra: On le sait, il y a un faisceau total. On pense à soi mais on pense à comment les gens nous voient, comment les gens filment.

Johnny Jane: Moi je suis né en 1998..

November Ultra: Mon dieu, on a dix ans de différence!

Johnny Jane: Je me souviens en 5e, Facebook, c’était comme une course aux j’aime. Les chiffres avaient une importance dingue. Ma grande soeur j’ai l’impression qu’elle est passée à travers ça. J’arrive au collège c’était Facebook, j’arrive en seconde c’était insta. Moi je pense que c’est les chiffres qui rendent malade!

LFB: Nova, il y a quelques semaines tu nous as livré ton dernier clip pour ton titre Miel, j’aimerais bien que tu nous parles de la réalisation de ce clip. Il y a une réelle esthétique dans tes clips, mais comme tous les trois finalement. C’est vraiment un point en commun que vous avez, ce travail sur l’image.

November Ultra:
C’est Zite & Léo, qui est un duo de réalisateur, réalisatrice qui sont incroyablement merveilleux et qui ont vraiment une patte et une imagerie qui est très pointue, de choses qu’ils aiment. Je trouve qu’il n’y a pas mieux que de travailler avec des personnes qui sont si pointues dans ce qu’ils aiment et qui ont à ce point trouvé ce qu’était leur dada et qui du tout s’amusent tellement avec tous ces codes-là! Ca a été un lâcher prise de faire complètement confiance à ce duo et de leur demander ce qu’ils voyaient, ce qu’ils avaient envie de faire..

Ils sont venus avec le synopsis et la petite abeille qui devient mon amie, qui était une vraie marionnette, avec des ailes qui bougent donc c’était assez merveilleux. On a fait ce clip et j’en suis complètement ravie! Il y a des choses qu’on avait beaucoup en commun, les Demoiselles de Rochefort, les comédies musicales, le côté pastel, le côté très drama, pas le sens drama méchant mais dans le sens aller chercher et aller épaissir tous les traits le plus possible afin que ce soit presque du dessin animé.

LFB: Tu as une esthétique assez définie pour les deux clips que tu as sortis, qui se suivent. Est-ce que tu as envie de te diriger vers quelque chose de nouveau pour les prochains?

November Ultra: Je pense que je suis assez fluide dans le sens où ça dépendra de la chanson et de la personne. Dans l’absolu, j’aimerais réussir à clipper tout l’album mais c’est assez drôle que chaque chanson soit tout de même dans des univers différents et chaque chanson appelle à un ou une réalisateur, réalisatrice différent.e. Moi je ne suis pas réalisatrice, je suis musicienne, ça a été difficile mais j’ai appris à ne pas être control-freak la-dessus, à lâcher prise et à accepter qu’il y ait des gens qui sont incroyablement talentueux dans leur domaine.

Réussir à ce qu’il y ait cette rencontre-là mais réussir à les laisser me faire sortir de ma zone de confort et donc apprécier leur vision qu’ils peuvent avoir de moi. Je trouve que c’est là où il y a le plus beau de moi à chaque fois, ça a été difficile mais ça a été merveilleux et je prends de plus en plus de plaisir dans les clips. Je pense que les gens vont être surpris de la teneur de l’album! Après soft & tender, les gens pensaient que j’allais revenir avec un morceau de folk alors que Miel avait de l’électro avec des basses. Je pense à mon image comme une petite boule à facettes de plein de choses. 

LFB : On en parlait dans une interview que tu nous as accordée il n’y a pas si longtemps, tu faisais partie d’un groupe. Je me posais la question de savoir ce que ça te faisait que l’on t’en reparle assez fréquemment maintenant que tu as ton projet solo ?

November Ultra:
Je le vis bien parce que c’est là d’où je viens, c’est intégré avec qui je suis maintenant, avec les expériences que j’ai apprises. C’est comme le fait de ne pas vouloir parler du fait que j’ai fait collège, lycée, université. C’est un parcours, on se nourrit de toutes les expériences que l’on vit! Ce groupe, j’en suis très fière. Ça reste des chansons que j’écoute maintenant et je suis très fière de les avoir écrites! Je pense que c’est comme Beyoncé, elle est très heureuse de parler des Destiny’s Child et bien moi je suis très heureuse de parler de Agua Roja tout en sachant que ce n’est plus du tout la période de ma vie dans laquelle je suis, que je suis en solo et que c’est génial aussi mais je ne serais pas l’artiste que je serais l’artiste aujourd’hui sans être passé par là.

LFB: Finalement est-ce que tu es complètement solitaire ? Tu as beau l’être, est-ce que tu t’entoures tout de même ?

November Ultra:
Je suis quand même très très solo, c’est-à-dire que je fais tout de même ma musique seule. Je suis à la tête de tout ce que je veux faire. Par-contre, là où j’ai énormément de chance c’est que je suis entouré de gens qui m’aident à accomplir ces visions-là et qui vont donc avoir des skills que je n’ai pas. C’est là que je vais chercher d’autres personnes.

Notamment sur la musique, par exemple soft & tender je l’ai faite 100% seule, Miel j’avais pre-prodé, pre-composé tout et il y avait juste des skills que je n’avais pas sur Ableton, des choses plus électroniques, les basses et qui sont moins des choses que j’aime faire seule. Après j’ai des réalisatrices ou des gens qui m’accompagnent mais le noyau de tout ça c’est carrément moi, là où Agua Roja on était trois têtes pensantes. Là, le choix et les décisions sont prisent par moi de manière unilatérale donc c’est très solo quand même.. Avec une équipe géniale quand même, on est rien tout seul!  

LFB : Est-ce que ça t’aide dans ton processus créatif d’être entouré d’artistes comme cette semaine ? 

November Ultra:
J’ai eu un bloc musical pendant sept ans. Je suis absolument mû par la passion et l’obsession que j’ai de tout, tout le temps! La façon ultime de faire de la musique c’est de la vivre donc c’est ce que je fais maintenant mais il y a aussi toutes les autres facettes qui sont d’écouter de manière obsessionnelle de la musique, de partager de manière obsessionnelle de la musique et là où ça m’a fait du bien et c’est un peu ce que je disais au début.

Ca m’a fait du bien de monter sur scène mais ça m’a fait extrêmement du bien d’écouter de la musique faite par d’autres personnes et en plus par des artistes que j’aime beaucoup, j’ai cette chance aussi mais de revivre ça, de revivre un concert, c’est fou! J’ai les oreilles très ouvertes à tout ça car ça m’intéresse.

LFB : Il y a un vrai engouement autour de ta musique en ce moment, grâce à ton travail, déjà, mais aussi grâce aux réseaux sociaux où tu es assez active. Je pense notamment à tes covers que tu postes sur TikTok ou Instagram et ce qui est assez fou c’est que tu as réussi à toucher un public qui aurait été peut-être plus difficile de toucher sans ces applications. Mais ce qui est vraiment cool c’est que ces gens-là, tu les retrouves en commentaires sous tes vidéos Youtube, sur Instagram. Comment on se sent lorsque l’on crée un public qu’on ne peut pas rencontrer, à qui on ne peut pas présenter ses titres en live ?

November Ultra:
Je trouve ça très drôle ta question parce que c’est en me la posant que je m’en rends compte! Je pense que j’en ai pas conscience et je ne le fais pas en me disant qu’il y a telle ou telle étape. C’est très flou tout ça, tant que les gens tu ne les voit pas… On a la chance, tous, de recevoir des messages, des DM donc on se rend compte. Moi je réponds aux gens, j’ai trop de chance d’avoir tout cet amour-là mais ça reste très immatériel. Ça reste beaucoup de soutien, je trouve qu’il y a quelque chose dans cette période d’avoir des cheerleaders qui sont là “ouais on a trop hâte que tu sortes ton morceau!” Ils savent que c’est compliqué pour nous aussi et en même temps je pense que la liberté là dedans c’est que j’arrive à m’en amuser.

Il y a des moments où je ne me suis pas amusée, notamment il y a deux semaines où j’étais en crise d’angoisse et d’anxiété énorme et j’ai dit que j’avais besoin de faire une pause. Je ne me rendais compte à quel point on est la fenêtre ouverte sur le monde entier via nos réseaux sociaux mais à tellement regarder ce que font les gens et la vie qu’ils mènent et là où ils sont, parfois on oublie d’y être nous dans cette vie extérieure aussi. Tant que tu t’amuses, moi j’adore chanter, je fais chier mes voisins donc autant que je me filme de temps à autre et que je partage ça! Par-contre, je ne le fais pas le matin en me disant “il faut que je fasse du contenu, il faut que je poste une cover une fois par semaine.” C’est très aléatoire, c’est quand j’en ai envie et je pense que c’est là où ça marche pour moi. Ça ne doit pas être une contrainte.

C’est du bonus, TikTok ça fait un an que je l’utilise, depuis le premier confinement pour apprendre des chorégraphies, de base!  Depuis le dernier mois, ça a pris des proportions qui m’étonnent! Sur une vidéo de Miel en acoustique, qui n’est même pas une reprise et c’est ça qui est beau, c’est que c’est ma chanson ! J’étais en studio, je n’avais pas mon portable, je l’ai ouvert et je ne comprenais pas. Je me prenais 50k vues, 100k vues etc. Ce qui est beau c’est qu’après ce sont des gens qui vont écouter les morceaux, c’est des gens qui vont regarder les clips..

Emile me dit qu’il ne comprend pas tout ce que je dis parce que je chante en anglais, absolument, mais TikTok ça m’a ouvert à un public qui est totalement anglophone et je me retrouve maintenant avec une base gens qui me suivent où j’ai des gens français en premier et j’ai aussi beaucoup de gens des États-Unis! Les réseaux sociaux il y a un travers qui est très difficile et il faut totalement en avoir conscience mais il y a aussi des choses très belles dessus et clairement pour une artiste émergente, je ne suis pas signé en label et tout, quelle chance j’ai finalement d’avoir ça et que des gens apprécient assez pour se dire “je vais la suivre un peu plus longtemps!”  

LFB : J’aimerais bien savoir comment tu as vécu cette semaine ici ? Est-ce que tu avais des attentes avant de venir ?

November Ultra:
J’étais en PLS avant de venir, j’étais très stressé. Je suis nouvelle de cette année là où Lonny & Johnny Jane sont déjà venus. Je ne savais pas du tout à quoi ça allait ressembler! Dès lundi je me suis rendu compte que ça allait ressembler à ce que l’on voulait que ça ressemble. Ça a été un chamboulement énorme, plein d’émotion et remonter sur scène hier, j’ai vu la différence entre lundi et jeudi, un pas-de-géant! Il y aura encore un autre pas ce soir! Je suis très reconnaissante de cette semaine.

LFB: Est-ce que vous avez des coups de cœur à nous partager?

November Ultra: Johnny Jane
! Et, je ne sais pas si tu connais une artiste qui s’appelle Lonny! Samba de la Muerte (derrière nous) /rires/ Moi j’adore La Lune & Le Soleil de Bonnie Banane, La Vie de Ichon, Si on s’aime de Aloïse Sauvage, Bisou de Pi Ja Ma, je peux te faire une liste assez longue! Le Reste de Clara Luciani! Un be-tu! Des trucs ensoleillés quoi!

Lonny: Moi je veux que tout le monde lise Kae Tempest, son dernier livre Connexion et j’ai découvert sa musique, j’ai trouvé ça magnifique! The Book of Traps and Lessons, je ne sais pas si c’est le dernier mais j’ai découvert ça avec la chanson Firesmoke dedans et j’ai trouvé la musique derrière trop belle, hyper organique. Il y a Sharon Van Etten qui a resorti un album, Black Country, trop beau! Et évidemment ces deux personnes présentes qui font de la musique!

Retrouver les artistes du Chantier des Francos, session avril 2021: