Nous avions retrouvé Louis Warynski aka Chapelier Fou tout juste avant le re-confinement. Rendez-vous avait été pris dans un hôtel qui faisait aussi office de base arrière au long métrage « La couleur de l’incendie » réalisé par Clovis Cornillac dont le tournage avait lieu place Saint-Georges à Paris. Les noms des comédiens, « Benoit Poelvoorde » ou « Léa Drucker », figuraient sur les portes des chambres transformés en loges. Entre l’attente de l’allocution d’Emmanuel Macron qui allait nous faire basculer dans un second confinement et l’ambiance hors du temps d’un film en devenir, l’instant était suspendu. Louis venait de parler de la musique du Roi et l’Oiseau de Paul Grimault pour l’émission Viva Cinéma sur CINE+ Classic.

La Face B : Comment vas-tu ?
Chapelier Fou : Ça va, je suis assez occupé. J’imagine que derrière ta question tu as forcément un sous-entendu. Une perche tendue vers le virus mais…. Quand on ne parle pas des choses elles n’existent pas, non ? Donc on n’en parle pas.
LFB : Question actualités, tu as eu une année très productive. Deux albums publiés et deux albums qui sont singulièrement complémentaires. En effet tes deux opus Méridiens et Parallèles se répondent. Comment as-tu construit ce projet ?
CF : Péniblement, pour trouver une cohérence.
Malgré moi je me suis trouvé à être très productif alors que j’avais l’impression que je n’avançais pas. J’avais des dizaines de morceaux sur les bras. C’était difficile de leur trouver une cohérence d’ensemble. Certes la période de création étant resserrée il existait une unité due aux instruments que j’utilisais alors. Mais ce n’étais pas suffisant alors je me suis amusé à chercher comment donner une cohérence à 24 morceaux. Et j’ai trouvé cette idée.
J’ai toujours considéré les morceaux, les mélodies – on en parlait tout à l’heure avec le roi et l’oiseau – comme des personnages, presque des personnages de bande dessinée. Et de Les faire évoluer, de les faire changer de contexte, de les triturer, de les violenter. Souvent les titres des morceaux parlaient de ces personnages, de ce qui se passe à l’intérieur du morceau.
Et là, ça parle du cadre. C’est purement poétique et littéraire, du domaine du jeu, mais j’ai voulu – et ça a une grosse importance pour moi – parler du cadre dans lequel je vais mettre mes personnages plutôt que des personnages eux même. Et ces cadres-là sont des lieux. J’ai voulu tourner autour de cette idée de lieux au sens large. Je me suis dit, mes morceaux ne seront que des lieux. Et dedans je mets de la musique. Ça permet d’aborder le morceau instrumental, parce que comme à mon habitude c’est totalement instrumental, en le regardant avec un angle, de suggérer.
D’accord, ce morceau-là a lieu dans ma tête, dans mes tympans quand je l’écoute. Mais, moi je vous dis il se passe là. Et c’est intéressant parce que ça ne fait que suggérer, ça laisse une grande liberté. Cela donne juste une idée. « Si je vous dis que cela se passe là est-ce que cela vous étonne ou non. Est-ce que c’est évident ? Est-ce que c’est évident que ce n’est pas du tout cela ? ».
Et puis ce qui m’a beaucoup amusé dans ces deux disques qui parlent de méridiens et de parallèles, c’est qu’ils parlent en fait d’espace. De la notion d’espace presque absolue. Vu d’un humain l’espace c’est la terre. Et de placer ces morceaux-là dans des disques qui proposent deux manières de parcourir l’espace – horizontalement ou verticalement – je trouve ça intéressant.
A l’origine j’ai même travaillé sur la notion d’antipodes. J’ai passé des heures à regarder ce qui se passe aux antipodes de tel point. J’aurais tellement aimé trouver des lieux – réels – qui soient situés aux antipodes de lieux que l’on connait. J’ai passé des jours à chercher ces lieux. Mais en fait on arrive vite à la conclusion que la terre est faite de beaucoup d’eau et qu’il y a de grandes chances que l’antipode d’un endroit soit quasiment toujours dans la flotte.
J’ai gardé cette hypothèse mais je lui ai finalement trouvé une analogie littéraire qui est l’anagramme. Finalement les antipodes, ce sont comme des anagrammes de coordonnées GPS.
Les titres de Parallèles sont des anagrammes des titres de Méridiens toujours en étant, dans un cas comme l’autre, des lieux.


LFB : Tu as écrit tes morceaux d’abord, tu les as associés à des lieux et tu as essayé de retrouver par anagramme son pendant ?
CF : Ça a été un long combat. Je donnais naturellement à mes morceaux depuis quelques mois des noms de lieux. Mais ça ne me donnait pas pour autant leurs pendants en anagrammes.
Donc ça a été un gros travail d’aménagement de partir des titres qui existaient, de voir quels anagrammes on pouvait en faire, de voir ceux qui marchaient ou ceux qui ne marchaient pas. Pour ceux qui ne marchaient pas de déterminer quelles mutations il fallait apporter à ces titres pour que l’anagramme soit plus intéressante. Ensuite de déterminer, de l’autre côté, quel morceau pourrait correspondre à l’anagramme.
Ça a été un casse-tête sans nom.
Et puis il y a la Track List à établir, pour méridiens et parallèles, ordonner les morceaux pour que l’ensemble soit agréable à écouter.
LFB : Ton label, Ici d’ailleurs, a édité des OuMupo (Ouvroir de Musique Potentiel) – écritures musicales sous contraintes. Est-ce une source d’inspiration, est-ce que tu t’es inscris dans ce courant ou est-ce complément fortuit ?
CF : C’est dans cette démarche, de manière assez libre. Autour de l’idée qui me parle vachement et sur laquelle on s’est toujours entendu avec Stéphane Grégoire [responsable du label Ici, d’ailleurs, NDLR] que la contrainte favorise la création. Ces jeux fonctionnent en musique comme pour la littérature avec l’OULIPO.


LFB : Les contraintes donnent un cadre qui laisse s’exprimer un côté ludique
CF : Oui complètement, c’est con mais depuis tout petit j’écoute – je crois que ça n’existe plus – les papous dans la tête. Une émission sur France Culture avec plein de jeux littéraires.
Pour moi ce cadre a été un plus. Avoir une aide pour titrer des morceaux est importante car sans paroles c’est moins évident de les nommer.
Quand on écrit une chanson les titres viennent très facilement. On peut toujours avoir un dilemme, je devrais appeler ma chanson comme ça ou comme ça, mais on est guidé.
Sur de la musique instrumentale c’est beaucoup plus compliqué et ce qui est certain est que ce stratagème m’a aidé à titrer les morceaux.
Je trouve que ça marche bien parce qu’il y plein de titres intéressants qui en sortent, tout comme les rapports que cela crée entre les morceaux
Je pense au couple l’Etat Nain – Anti Etna, ce sont typiquement des trucs qui marchent vraiment. L’Etat Nain qui est un morceau d’une minute et L’Anti Etna qui se termine presque en un clin d’œil de la musique de Purcell avec le Chœur de Glace. On est dans la glace.
Ça marche bien. Autre exemple, je termine un disque avec Everest Trail au sommet de la Terre et je repars avec Les Mariannes sur le disque suivant qui est le point le plus profond des océans. Je trouve ça intéressant ces trucs qui se passent – de passer de l’Everest aux Mariannes.

LFB : Tu as aussi associé à tes deux disques un artiste plasticien Corentin Grossmann qui a illustré chaque morceau par un dessin. Comment s’est-il retrouvé embarqué dans le projet et comment s’y est-il intégré ?
CF : Une fois que la musique était bouclée. Par contre, quand sur un morceau j’avais plusieurs titres qui pouvait lui répondre par anagrammes, j’ai pu lui laisser la possibilité de choisir parce que graphiquement ça l’inspirait plus.
Sinon comment, il est venu là-dessus. C’est un ami de longue date. J’avais un groupe musical avec lui au lycée. Un groupe dans lequel il y avait aussi son frère Julien Grossmann qui est aussi un artiste et Grégory Wagenheim qui a quasiment fait toutes mes pochettes. Dans la mesure du possible, je travaille avec mes amis. C’est toujours plus agréable et par essence on s’entend bien. Ça a été très simple en fait. Et lui a toujours voulu faire des illustrations de disques, de pochettes. Il a toujours été fasciné par cela. Bon on a quelques désaccords. Lui est fan de Talk Talk et de Mark Hollis. Moi, j’adore Talk Talk, par contre les pochettes ne me plaisent pas du tout même si elles ont un coté fascinant. Je me demande si ce n’est pas le même mec qui a fait les pochettes de Nick Drake. Y a un album de Nick Drake qui s’appelle Pink Moon et …. Non en fait je dis une bêtise c’est assez éloigné [La pochette a été conçue par Michael Trevithick le petit ami de sa sœur Gabrielle Drake. Mais les pochettes ne sont graphiquement pas si éloignées, NDLR]. En tout cas Corentin est fou de musique et fou de pochettes de disques.

LFB : Pour en finir avec les anagrammes, as-tu tenté de jouer avec ton propre nom ? Chapelier Fou ça donnerait quoi ?
CF : Oui ! Fichue Parole par exemple !
LFB : Il y a aussi – un peu tiré par les cheveux Rife Chaloupé ou pour son côté roman d’anticipation Œuf Archipel.
CF : Œuf Archipel, ah je ne connaissais pas cela là. Mais c’est fichue parole qui me fait rire. Surtout pour un ayatollah de la musique instrumentale comme moi [Rire].
LFB : Parallèle devait sortir mi-avril pour le Disquaire Day, la sortie a dû être décalée à cause de la crise sanitaire. En termes de résilience comment t’es-tu adapté à cette crise ? On en parlait tout à l’heure en disant « si on en parle pas elle n’existe pas ».
CF : Je crois que je ne me suis pas adapté, j’ai encaissé et j’encaisse toujours en fait. Je n’ai pas eu vraiment la possibilité de rebondir parce que tout simplement j’ai deux enfants maintenant, ce qui fait que je n’ai pas eu du tout du temps pour moi. Je n’ai pas eu ce temps pour créer pour faire des choses. L’énergie et le temps que j’ai pu avoir je les ai employés à cette Symphonie Dérogatoire que l’on peut écouter sur internet.
Une mise en musique de l’attestation de déplacement dérogatoire qui est la plus grande insanité qui nous a été offerte de signer. De poser ma signature là-dessus ça me retourne à chaque fois le cœur, les tripes. Par ce que c’est un torchon ce document, c’est un torchon juridique, c’est une insulte à l’intelligence et le fait de faire signer les gens c’est l’acte le plus fort possible. A la rigueur qu’on nous prive de certaines de nos libertés ou qu’on nous fasse comprendre qu’il faudrait se priver, je suis tout à fait d’accord mais de nous obliger à signer un torchon il n’y a rien de pire. C’est comme quand on essaye de déterminer si une sorcière est une sorcière et qu’elle finissait par avouer « Oui ! Oui ! Je suis une sorcière ». Pour moi c’est aussi fort. Être complément contraint à poser une signature sur quelque chose qu’on ne maitrise pas du tout, dont le sens nous échappe totalement parce que probablement ça n’en a pas beaucoup. Et sous la contrainte, magique contrainte de l’argent. Pour moi c’est le truc le plus insultant qu’y met été donné de faire.
LFB : Les changements de conditions de déroulement des concerts peut-être aussi l’occasion de réinventer les lieux. Tu as souvent joué dans des endroits insolites – Une piscine, le musée d’orsay, la crypte archéologique de Notre Dame, la galerie de paléontologie du Jardin des Plantes… Est-ce pour toi l’occasion de faire sortir la musique des lieux habituels ?
CF : Non, au risque de te décevoir, moi je suis musicien et le circuit des concerts et de la musique est fait de telle sorte que l’on m’invite. On me propose et moins je viens. Par contre ce qui est vrai c’est qu’on me propose souvent des lieux insolites et peut-être que cela veut dire quelque chose. Mais en tout je n’ai pas vraiment de responsabilités « actives » là-dedans. Alors pourquoi on me propose cela à moi plus qu’à d’autres ? Peut-être parce que la musique que je fais n’est pas très nette dans ses contours – on a un peu de mal à la ranger. Ce n’est pas forcément une musique de salle de concert. Ce n’est pas forcément une musique de danse. Ce n’est pas forcément…. Mais pareil quand j’appelle mes morceaux avec une idée de lieu, c’est que je mets de la musique dans un lieu. Et finalement c’est ça les concerts. Ça provoque quelque chose. On pourrait en faire une carte du jeu de Brian Eno Oblique Strategies. C’est genre « faites la prochaine prise ailleurs ».

LFB : Jouer dans des endroits singuliers, c’est quelque chose qui peut t’inspirer ou est-ce juste le plaisir d’un moment ?
CF : Ce que j’aime faire et ce que j’ai eu un peu l’occasion de faire c’est d’être plus dans l’installation, l’installation sonore, artistique. Je pense notamment à la série de séries de concerts et de performances que j’ai pu faire dans les galeries du Centre Pompidou à Metz pendant l’exposition Musicircus. Je trouve que ça a vraiment du sens de faire de la musique dans les musées. Là j’ai envie de faire du sur mesure et que le lieu a vraiment une influence sur la création. Après dans le fait de décontextualiser les concerts, pour ma part en général je ne joue pas des choses différentes. Et c’est le hiatus, la nouvelle situation qui va créer la nouvelle réception. Finalement ça ne m’appartient pas. Et c’est chouette. Il faut aussi laisser le hasard opérer. Des nouvelles formes d’art peuvent émerger de ces hasards et de ces rencontres. Il faut les forcer à se dire simplement, on verra ce que ça donne.
Là avec le couvre-feu et tous ces trucs-là, il y a de nouvelles contraintes et j’espère que ces contraintes vont faire émerger, accidentellement ou pas, des nouvelles formes de spectacles. Là par exemple j’ai pu expérimenter le concert au casque. Je ne sais pas quoi en penser. Mais en tout cas, ça fonctionne. Peut-être que cela peut donner quelque chose. Les concerts assis tout simplement. Moi ça me pose des questions. J’aimerais bien adapter, repenser mais j’ai pas envie d’accepter le fait que ça va être définitif ou disons de longue durée. Je n’ai pas envie de revoir ma manière de faire par rapport à cette contrainte-là. C’est compliqué.
Qu’est-ce que j’ai fait comme expérience ? J’ai fait le concert aléatoire. J’ai fabriqué un programme qui tire au sort sur mon ordinateur le prochain morceau parmi un corpus de 25/30 morceaux. Ça a été hyper intéressant mais éprouvant. Il y a un côté interactif. Ça donne des situations cocasses. C’est là qu’on s’aperçoit que les setlists sont vraiment importantes pour garder une dynamique. Mais en avoir une aléatoire en crée d’autres. Ça peut donner un concert complètement montagnes russes qui commence par les rappels et qui continue de manière complètement saugrenue. Mais c’est intéressant si on le met en scène par contre c’est extrêmement épuisant. C’est difficile. Je l’ai fait à Strasbourg à la Laiterie. Je ne sais pas si je le referai une autre fois dans ma vie.
Enfin toujours pour dire que, comme on disait que les contraintes poussent à la création, mais je ne sais pas s’il en sort déjà des choses. Je ne parle pas que de moi. Est-ce qu’il en ressort quelque chose de nouveau et qui restera je ne sais pas. Par exemple les concerts filmés sur internet, le premier c’était bien et après on atteint vite les limites. C’est pour cela qu’on parlait de changer de lieu mais en fait dans la vie d’un musicien c’est ça. Même si on est dans des salles de concerts on change de salles de concerts. Et mine de rien ça donne beaucoup de piquant à ce métier. Le fait qu’on ne soit jamais avec les mêmes personnes. C’est invisible pour le public mais les techniciens qui nous accueillent, les accès routiers, tout cela change de jour en jour. Le son sur place, l’ambiance, où est le bar ? est-ce que le bar est dans la salle ou pas ? Il y a plein de choses et finalement la configuration des salles est aussi un facteur de changement perpétuel. C’est pour cela que je suis un peu triste de voir l’uniformisation des salles de concerts avec les SMAC qui sont un peu plus standardisées. Je trouve que c’est intéressant de garder un maximum de personnalité dans les salles.
LFB : Chaque salle a son âme et une ambiance qui lui est propre.
CF : Oui mais ça s’est un peu lissé quand même, surtout dans les années 2000.
LFB : On parlait d’installations sonores, au Centre Pompidou de Metz. Mais il y a eu aussi les métamorphoses de M. Kalia, la création d’un végétophe lors d’une intervention scolaire. Est-ce une autre façon de laisser ta musique s’exprimer.
CF : En fait ça permet de manipuler des notions musicales différemment. Pour moi c’est amusant notamment quand c’est interactif et que les évènements sont déclenchés par des gens ou des actions. Je trouve ça intéressant parce que cela fait réfléchir à quel cadre, quel système faire pour que le résultat soit harmonieux. Ça fait réfléchir à la musique, à son essence. Je vais faire un dispositif dans lequel il peut se passer n’importe quoi mais où ça sera toujours structuré. Alors comment cela marche ? C’est principalement ça qui m’intéresse dans les installation interactives dans le sens où elles peuvent faire intervenir des actions extérieures. Je pense par exemple à une installation que je n’ai jamais eu l’occasion de voir in situ qui s’appelle Portée avec le Lab212. Une installation qui fait jouer des fragments mélodiques sur un piano mécanique, un Disklavier de Yamaha. Tout cela dans une ambiance mouvante, un tapis de drone qui va changer aléatoirement et puis des échelles de sons. Ça joue aussi pas mal sur l’harmonie. C’est l’harmonie le liant en musique, puis travailler sur les échelles au sens des gammes.
LFB : Un côté aléatoire mais contextualisé qui fait que la musique réagit et a sa propre vie.
CF : Voilà, c’est de l’aléatoire mais dans un cadre où on sait que cela ne déborde pas. Ça parait un peu triste de dire ça comme ça mais c’est intéressant de voir ce qui se passe quand on fixe des limites qu’on maitrise bien. Des trucs qui pourraient être aussi transposés de manière graphique. Si tu limites à trois couleurs et que tu fais de l’aléatoire et bien ça gardera toujours une identité.
[La voix de Benoit Poelvoorde se fait entendre dans l’escalier. Le tournage a du finir pour aujourd’hui libérant les acteurs. Il entonne à pleins poumons le refrain du chapeau de Zozo de Maurice Chevalier, NDLR]
LFB : Il se passe des choses bien étranges à Paris. Justement au sujet de Paris, si on se rencontre aujourd’hui ici à Paris mais tu habites toujours près de Metz et tu n’es pas le seul, tout comme Cascadeur ou Laura Cahen qui est de Nancy. On peut donc mener une carrière en n’étant pas sur Paris ?
CF : Moi c’est sûr que je n’ai pas besoin d’être à Paris. Là je me déplace pour des interviews mais mis à part cela je suis vraiment un musicien de Home Studio. Je fais ma musique chez moi. Je n’ai même pas besoin de studio à proprement parlé. Et puis pour la tournée, la tournée c’est voyager. Que l’on parte d’un point A ou d’un point B, on va de toute façon à un point C. Donc ça n’a pas vraiment d’importance. Ce n’est pas comme si j’étais dans le trou du cul du monde. Je ne ressens pas le besoin de vivre à Paris et Dieu merci parce que je me sens très mal dans cette ville. Mais non, pourquoi ce n’est pas comme si j’étais un personnage mondain.
LFB : Il n’y a pas que du mondain à Paris heureusement.
CF : Non mais, qu’est-ce que je pourrais venir chercher ? Je ne sais pas ce que je pourrais venir chercher en fait. J’ai plus de choses à fuir qu’à chercher en tout cas [Rire].
LFB : Par contre cela ne t’empêche pas de collaborer avec d’autres musiciens comme Gérald Kurdian ou plus récemment Barchar Mar Khalifé avec lequel vous avez repris Erik Satie ou encore un remix d’Awar Leon. Ce sont des choses que tu souhaiterais poursuivre ?
CF : Ce sont des choses différentes. Le projet avec Bachar c’était pour moi un projet fantastique parce que je crois que l’on est tous les deux des personnes très exigeantes musicalement. Différemment. Mais ça a été une joie de pouvoir travailler sérieusement. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de branleurs et là j’étais très content de pouvoir travailler, de se prendre au sérieux parce que l’on a fait ça sérieusement. Et… J’ai un peu de mal à collaborer avec des gens parce que peut-être que je suis trop exigeant ou parce que j’ai une idée trop personnelle. Je trouve que ce que l’on a fait sur la musique de Satie c’était pertinent, c’était intéressant. Ça a servi à quelque chose.
Par contre, je me rappelle ce soir-là il y a eu des choses insupportables. Dave Clarke avec une violoniste dont j’ai oublié le nom ont massacré les planètes de Gustave Holst.
A l’opposé ce qu’avait fait Superpoze avec cette chanteuse cette soprano colorature [Sabine Devieilh, NDLR]) c’était chouette et de façon surprenant très très monastique.
Bref avec Bachar ça a été une belle rencontre musicale.
Sur les remix, alors j’adore ça. On ne m’en propose pas assez. J’aimerais trop en faire des remix parce que j’aime décontextualiser. Prendre la matière musicale sonore comme matière et j’aime beaucoup cette idée d’apporter un autre éclairage sur un son, sur une voix. Donc ça, ça m’intéresse beaucoup. Et puis travailler à de l’arrangement à de la réalisation de disque c’est quelque chose qui me plairait beaucoup. Cela m’arrive de le faire mais par petites doses. J’aimerais vraiment faire ça, la réalisation de disques mais après il y a des choses que je ne maitrise pas. Par exemple je n’ai jamais été un rocker. Je ne saurais pas quoi faire d’une guitare électrique. Ou comment prendre le son d’une batterie je ne sais pas. Il y a des trucs techniques et je n’ai pas du tout cette culture-là d’ingé son.
LFB : Ce qui t’intéresse c’est de modeler la matière sonore ?
CF : Oui mais ça m’intéresserait de savoir enregistrer une batterie et d’en faire quelque chose. J’espère que j’aurai l’occasion d’apprendre. De tout façon ce n’est pas fini. J’apprends toujours beaucoup de choses. En tout cas je me sentirai jamais dans la peau d’un réalisateur de disque sans avoir ces compétences-là. Par contre pour des choses réalisées avec ce que je connais – les synthétiseurs les cordes et la programmation rythmique – je suis hyper ouvert pour travailler avec des gens qui se satisferaient de ces éléments-là et pourquoi pas un jour sur des groupes de rock, j’aimerai trop. Mais il faut que je travaille certain aspects techniques.
LFB : Tu fais une musique répétitive minimaliste qui cadre très bien avec le cinéma. D’ailleurs tu avais participé à la bande son du film de Sophie Fillières La Belle et la Belle, tu as d’autres projets en devenir ? Tu aimerais travailler par exemple sur Le Roi et l’Oiseau ?
CF : Ça c’est une veille idée, on en parlait tout à l’heure avec Tiphaine [Sa manageuse, NDLR]. On ne sait jamais, peut-être.
Mais sinon j’étais au téléphone avec une copine, Amandine Meyer, qui est dessinatrice illustratrice qui travaille à son premier court métrage d’animation. Je vais vraisemblable faire la musique. C’est un petit projet mais j’en attends beaucoup. Faire de la musique de film, il y a des gens dont c’est le métier et c’est vraiment un métier. Je pense que l’on peut en faire sans être de ce métier là mais il y a plein de choses qui sont intimidantes. Des manières de faire, des concessions et puis des problèmes techniques qui sont toujours un peu vertigineux quand on n’est du métier. Mais c’est fantastique… Surtout en animation parce que l’on est sur des problématiques similaires de tempos, d’images par seconde ou tout simplement de rythmes. Quand on regarde les tout-vieux Walt Disney avec la Danse des Squelettes ou ces trucs hyper synchronisés, très répétitifs où on sent vraiment qu’il y a la cadence du nombre de dessins qui impose le tempo. Ce qui lie l’image à la musique c’est le temps, et le mouvement. Ça marche aussi quand il y a répétition. Je suis sûr que les machineries, que les danses, c’est autant visuel que musical.
LFB : D’ailleurs Robi s’est servie dernièrement de la danse des squelettes pour son clip de La belle ronde. Pour conclure quels sont tes autres projets à courts, moyens ou long termes ?
CF : Mon grand projet du moment, je prépare une version – un concert – en formule totalement acoustique voir classique avec un septuor qui est constitué d’un quatuor à cordes classique (deux violons, un alto et un violoncelle) clarinette, piano et batterie. Je suis en train de monter ça. J’ai les gens et les morceaux sont là. Ça sera principalement des morceaux qui existent déjà mais qui seront complètement revus. Et – c’est aussi complètement dans le sujet, de quoi tirer de cette période de merde – je profite un peu, mais c’est une idée que j’avais depuis longtemps de faire une version « complètement classique » avec que des instruments acoustiques, puis on ne m’a jamais vraiment permis de le faire. Et là j’ai les arguments « vous savez on risque de se retrouver avec des concerts assis pendant longtemps ». On arrive plus facilement à débloquer un intérêt, peut-être un peu de budget. Et puis aussi les musiciens sont désœuvrés. Aujourd’hui si je téléphone à un musicien en lui disant « j’ai un projet, est-ce que tu veux venir ? ». Il y a de grandes chances qu’il me dise « Oui, Oui Je n’ai rien à faire, je ne joue pas ». Donc j’essaye de tirer parti de la situation pour concrétiser ce projet qui est dans ma tête depuis longtemps.

