Charlie Motto : « Ce que j’adore dans un live, ce sont les transitions : elles racontent une histoire, facilitent l’entrée dans le spectacle et habillent les chansons. »

Savez-vous ce qui lie les décors en carton-pâte, Blade Runner et Zaho de Sagazan ? Nous, oui, et elle s’appelle Charlie Motto. Après une tournée anglaise et à quelques jours de sa date à la Maroquinerie, nous l’avons rencontrée pour parler de son deuxième EP, Portrait-Robot.

La Face B : Salut Charlie, pour commencer, comment vas-tu ?

Charlie Motto : Écoute, ça va très bien. Je suis en pleine préparation du concert à la Maroquinerie, donc beaucoup de travail, mais c’est excitant. Et en même temps, j’ai un peu de temps aussi pour composer, donc je suis contente. J’essaie de jongler entre les deux, ce qui est un peu un casse-tête, mais j’aime bien cette période d’effervescence.

La Face B : Là, c’est un peu la période charnière : post-Angleterre avec les premières parties de Zaho de Sagazan, et pré-Maroquinerie. Est-ce que tu es encore un peu dans le jus de l’Angleterre, ou bien tu as eu le temps d’atterrir ?

Charlie Motto : J’ai eu le temps de bien me reposer après l’Angleterre, parce qu’à la fin, j’étais un peu crevée. Dans le tourbus, on était un peu les uns sur les autres, et j’ai fini par tomber malade. Mais c’était une expérience incroyable ! C’était intense, mais tellement cool. Jouer en Angleterre, devant un public qui ne me connaissait pas forcément, c’était challengeant. Ce qui était un gros défi pour moi, c’était de le faire sans Jules (Couturier, ndlr), mon musicien habituel. Du coup, c’était une première : seule sur scène, dans une grande salle, devant 3000 personnes à Londres. Pas évident au début, mais finalement, ça m’a donné confiance. Maintenant, si jamais on me propose un truc solo au dernier moment, je sais que je peux le faire et que ça se passera bien. Mais c’est vrai que c’est toujours plus rassurant d’être accompagnée, d’avoir quelqu’un avec qui partager l’énergie sur scène.

LFB : Franchement, on sentait que le public était à fond ! Autour de nous (à Londres), plein de gens s’ambiançaient, et regardaient ton Insta après le concert. Même si tu n’avais pas eu énormément de temps pour préparer le set, ça ne se voyait pas.

CM : Ah, ça me fait plaisir ! La veille, on a calé la setlist, donc c’était un peu du last minute. Heureusement, on sortait d’une résidence de trois jours à Massy pour préparer la Maroquinerie, donc j’avais encore tout frais en tête. On avait bossé avec Georgia Ives sur les postures, les mouvements, un peu de chorégraphie aussi. Ça m’a beaucoup aidée, parce que sur scène, on ne peut pas juste rester statique, surtout quand on est seule. J’avais tout ça en tête, mais c’était quand même une plongée directe dans le grand bain.
Et puis, je repars en avril avec eux pour faire les dates au Canada : une à Québec et deux à Montréal. Ce sera une toute nouvelle dynamique, parce que cette fois, Jules sera là.

LFB : Ça va changer pas mal de choses, j’imagine ?

Charlie Motto : Oui, déjà parce qu’on a l’habitude de jouer ensemble, donc ça me mettra plus en confiance. Et puis, on va réarranger la setlist. Je pense intégrer plus de nouveaux morceaux de l’EP, et peut-être plus de guitare-voix, ce que je n’ai pas fait pour l’Angleterre. Ça correspond mieux au public de Zaho, qui aime les morceaux plus dépouillés. Son set commence souvent en piano-voix, en balades, donc ça fait sens.

LFB : Mais de toute façon, ça s’enchaînait super bien. C’était vraiment cohérent. Et je trouve que le public était réceptif. Il y avait beaucoup de Français dans la salle, mais les Anglais, ils sont hyper bons publics. J’ai l’impression que, même si j’en ai pas fait mille, sur les concerts que j’ai faits, les gens sont hyper respectueux des premières parties.

CM : Ouais, ils sont hyper à l’écoute. À Manchester, ça chantait même un peu. Sur Bébé, ils commençaient à faire les petites adlibs, j’étais là : ok, cool !

LFB : Ah, trop cool ! Il y a vraiment un rapport au live où ils sont super focus. En France, faire une première partie, parfois c’est un peu dur. T’es là : bon, les gens sont pas venus pour moi, ils sont un peu froids. Là, même dans une grosse salle, les gens étaient dedans. Mais c’est un autre rapport à la musique live, une autre volumétrie. Je me dis aussi que ça doit être encore plus difficile d’y faire sa place. Toi, justement, comment tu te vois dans tout ça ? Tu te fixes des objectifs ?

CM : Je vis pas mal au jour le jour. Comme je suis en auto-prod et que je gère beaucoup de choses moi-même, je suis assez focus sur le présent. Mais l’idée, ce serait de faire un album. C’est un peu la suite logique. Là, j’ai le temps de composer, donc j’essaie déjà de réfléchir à quelle sonorité j’ai envie d’explorer. Je pense que ce sera un mélange entre le premier EP, plus intimiste, et le deuxième, plus dansant, plus club. J’aime bien quand un album propose plein d’émotions différentes. Un morceau pour danser, un autre plus doux… C’est ce que j’aime écouter, donc j’aimerais réussir à faire ça.

LFB : C’est vrai que tes deux EP ont des ambiances hyper différentes. Le premier est plus personnel, doux, féerique. Le deuxième (Portrait-robot) ça fait hyper Charli Motto-XCX, beaucoup plus électronique, dansant. Je me demandais si la suite allait encore partir ailleurs.

CM : C’est justement pour ça que je voulais faire un deuxième EP avant de passer à un album. Explorer un autre univers. Tous les morceaux du deuxième EP ont été écrits à la même période, juste après le premier, que j’avais écrit toute seule, dans ma chambre. Là, j’ai fait beaucoup de sessions d’écriture avec d’autres artistes, c’était nouveau pour moi. J’écoutais beaucoup de Tove Lo, Kim Petras, et j’avais envie de faire des morceaux plus up-tempo. C’est venu naturellement. Mais pour l’album, j’ai envie de mixer tout ça. Comme Charli XCX, Tove Lo ou Caroline Polachek : un album avec des moods différents mais une vraie cohérence. Souvent, la voix, les arrangements, les sonorités créent ce fil rouge.

LFB : Et cet EP, tu l’as écrit pendant ces sessions d’écriture dont tu parlais, c’était avec le Fair ?

CM : Non, c’était avec la Filature. Ils organisent régulièrement des camps d’écriture en dehors de Paris. Là, c’était vers Bordeaux, dans une maison de campagne. On était une dizaine d’artistes. C’était hyper enrichissant parce que, quand t’as pas les mêmes influences, ça t’emmène ailleurs. On a écrit Call Me Madonna, Punching Ball et Hyperglauque là-bas. Ensuite, je les ai réarrangés avec Pierre, Simon et Balthazar (Picard). Et Robot, Baby-boy, je l’ai écrit en session avec Alexis Delong et Pierre à Nantes. C’était hyper fluide, on avait le morceau à la fin de la journée.

LFB : Dans ce deuxième EP, tu es allée vers quelque chose de plus électronique, même dans les textes. J’ai l’impression que dans Citadelle (son premier EP, ndlr), tu parlais beaucoup d’introversion, de timidité. Et là, tu es un peu sortie de ça. Il y a plus d’assurance, même dans ta manière de raconter. Tu as un recul, tu racontes des histoires où tu es plus en position d’observatrice.

CM : Oui, je pense que le premier EP m’a vraiment aidée à dépasser cette timidité. Il était un peu thérapeutique. À ce moment-là, je faisais aussi une thérapie cognitive comportementale. Donc je pense que ça m’a aidée à passer un cap. Et dans le deuxième EP, je voulais lâcher un peu tout ça. Même si dans Call Me Madonna, j’en parle encore. C’est un sujet qui revient, parce que c’est qui je suis. Mais ça m’a fait du bien d’écrire des morceaux où je me sens plus assumée, plus incarnée.

LFB : Je trouve ça super malin que t’aies mis Call Me Madonna à la fin. Je trouve que ça fait un vrai pont avec Citadelle. Comme si tu nous disais : « N’oubliez pas qui je suis ».

CM : C’est pour ça que je l’ai mis là. Et je pense que ça fera le pont avec l’album aussi, parce que j’ai envie de garder ces sonorités plus calmes. Et même dans les paroles de l’EP, tu sens que le thème revient souvent. 95 Degrees, par exemple, parle aussi de cette peur d’aller vers l’autre, de pas savoir comment dire à quelqu’un qu’il nous plaît.

LFB : Du coup, pour Portrait-robot, tu as sorti deux clips déjà : Robot, Baby-Boy et 95 Degrees. Le travail de maquillage sur Robot, Baby-Boy est incroyable, l’univers visuel est hyper fort, très brut, froid, urbain.

CM : Oui, on voulait garder ce côté un peu froid, un peu science-fiction, sans aller dans le cliché. Sur Robot, Baby-Boy, le maquillage a été intense. C’est Isis, la make-up artist, qui a tout fait en à peine une heure. C’était un vrai challenge. Me voir chauve à la caméra, ce n’était pas évident. Mais j’y avais réfléchi longtemps. Je voulais vraiment mettre en scène cette transformation de robot. Et sur place, c’était intense. Tu n’as même pas une heure pour te faire à ta nouvelle tête. Mais je me suis dit : « Là, je joue un rôle, je suis un robot, comme un acteur dans un film. » Et ça m’a aidée à passer outre.

LFB : On grandit aussi avec l’idée que, pour être une pop star, il faut être belle, apprêtée. Là, tu prends le contrepied. C’est hyper audacieux, tu te mets en danger. Mais ça fait du bien aussi de dépasser ça.

CM : Ouais, et ce qui est drôle, c’est qu’à ce moment-là, j’étais censée être un robot, sans émotion, mais en réalité, je me suis sentie hyper vulnérable. Donc plus humaine, finalement. C’était une mise à nu mais je suis super fière de l’avoir fait et le résultat est chouette.

En tout cas, j’essaie vraiment de m’accrocher au format du clip, car je trouve le format très riche, et qui sert toute une DA. J’en consomme un peu moins qu’avant, mais j’essaie de toujours regarder, c’est important. Et puis, il y a le format vertical. J’ai essayé de me le réapproprier. Quand je n’ai pas le budget pour un clip, je fais du vertical. Mais tu ne le penses pas comme un clip classique. C’est un autre type de créativité, plus limité. En 30 secondes, il faut être catchy, c’est un exercice différent. Ça peut être un vrai casse-tête. Parfois, tu prends du recul et tu te dis : « Je fais de la musique, je ne suis pas community manager. » C’est compliqué de tout gérer sans s’épuiser.

LFB : Et toi, tu as trouvé un équilibre ? Parce que tu es assez prolifique finalement sur les réseaux.

CM : J’essaie que chaque aspect créatif ne prenne pas le pas sur l’autre. Mes réseaux sont essentiels, c’est là que les gens découvrent ma musique. Mais j’essaie de limiter pour ne pas devenir folle, parce que c’est chronophage et anxiogène. Je suis assez scolaire dans mon organisation : je consacre certains jours aux contenus, et le reste du temps, je n’y pense pas. Sinon, tu n’arrives plus à créer. Maintenant, je poste et j’évite de regarder si ça marche ou pas. Avant, les artistes ne se demandaient pas chaque matin quoi poster. On perd du temps qu’on pourrait consacrer à la musique. Trouver un équilibre, c’est compliqué.

LFB : Où en es-tu dans la préparation de la Maroquinerie ?

CM : On a déjà bien avancé. On a fait deux résidences, il y aura du show light, de la chorégraphie, un nouveau musicien… Avec Jules, qui fait la direction musicale, on a travaillé sur les transitions pour donner une cohérence au show. Ça crée une vraie ambiance. Ce que j’adore par exemple chez FKA Twigs, ce sont ses transitions : elles racontent une histoire et aident à entrer dans le spectacle. Ça habille les chansons. Et puis, tu peux tout changer pour un autre show et raconter une autre histoire. Là, on est sur un univers un peu science-fiction, dans la lignée de mes clips. La BO de Blade Runner par Vangelis m’a beaucoup inspirée.

LFB : Justement, est-ce que tu as des références ciné ? Parce que ton dernier clip fait très Blade Runner, très Cinquième Élément.

CM : Oui, Blade Runner. Je lisais le livre pendant l’écriture, et ça m’a inspiré Robot, Baby-Boy. La science-fiction me parle depuis longtemps, en littérature comme au cinéma. Ça questionne l’individu, nos sociétés. C’est souvent dystopique et flippant, mais esthétiquement très riche. J’adore les films avec des décors marquants, comme Bienvenue à Gattaca.

LFB : C’est fascinant cet imaginaire du futur qu’ils avaient dans les années 80-90, avec des voitures volantes et des robots métalliques. Aujourd’hui, on n’a plus du tout cette vision.

CM : Oui, et ce qui est intéressant dans Blade Runner, c’est que les robots sont très humanoïdes, contrairement à I, Robot où ils sont clairement artificiels. Ça brouille les frontières. J’adore les vieux films SF pour ça : il y a un grain particulier, une matière que les films modernes n’ont pas forcément. Aujourd’hui, tout est digital, ce qui peut donner un rendu un peu froid. Alors qu’avec des décors réels, des costumes, il y a une texture différente. Regarde Star Trek : les décors sont en carton-pâte, mais les couleurs et les fonds peints sont magnifiques. Aujourd’hui, il y a moins de films qui allient décors réels et VFX. Pourtant, ça apporte une vraie profondeur visuelle.

LFB : C’est pareil dans les dessins animés SF d’époque (Goldorak, Capitaine Flamme) : il y a un côté maquette, fait main et évidemment dessin, qui donne une authenticité.

CM : Exactement. Ça crée une sorte d’authenticité, et pour la musique, c’est pareil. Quand c’est trop digital, il me manque un truc. Dans mon deuxième EP, j’ai essayé d’allier le digital et l’organique. Pierre Cheguillaume travaille avec des synthés modulaires, ce qui laisse place aux erreurs et aux défauts. Balthazar, lui, est plus dans le digital. Mélanger ces approches crée des textures intéressantes. J’aimerais aller encore plus loin sur l’album.

LFB : Ça s’entend ! Certaines sonorités sont difficiles à définir, elles sont texturées, organiques, avec des erreurs qui rendent le son unique.

CM : J’adore ça. J’aime prendre un instrument et le tweaker à fond pour qu’on ne sache même plus ce que c’est à l’origine. Ça enrichit la musique.

LFB : Mais en même temps, quand tu as accès à une infinité d’instruments sur ordi, c’est plus dur d’être créatif. Travailler avec des machines physiques, ça te pousse à explorer autrement.

CM : Oui, et limiter son matériel donne aussi une cohérence au son. Beaucoup d’albums tiennent leur identité d’un seul synthé ou effet utilisé à fond. C’est comme ça que j’ai envie d’aborder la musique. Mais c’est vrai que l’abondance de possibilités peut être paralysante.

LFB : Je voulais te poser une question sur ton déménagement. Maintenant que tu es plus loin de la ville, plus proche de la nature, est-ce que cela influence ta musique ? C’était intéressant parce que dans Citadelle, on sentait beaucoup cette connexion à la nature, l’intimité. Dans le deuxième EP, c’est moins présent. Et toi, physiquement, tu es plus éloignée de la ville…

CM : Je pense que je n’ai pas encore assez de recul, mais je me sens plus libre créativement. Avant, je vivais dans une rue bruyante à Paris, avec une caserne de pompiers juste à côté. C’était difficile de se poser. Pour autant, la ville ne m’a pas empêchée d’écrire, j’ai même gardé une sirène de pompier dans 95 Degrees ! Ici, le calme me permet de mieux structurer mon temps. À Paris, j’étais constamment interrompue, alors que maintenant, j’ai le temps de marcher et de composer. Si je reste trop enfermée à m’acharner, je perds de la fraîcheur. Sortir, prendre l’air, et revenir avec un regard neuf, c’est souvent plus efficace. C’est un luxe, même si pendant les périodes de sortie d’EP, c’est compliqué de me dégager du temps.

LFB : Tu penses que c’est passager, d’être à la campagne ? Ou c’est vraiment ton « inner self » qui est mieux ici ?

CM : Non, je me sens vraiment mieux à la campagne. Enfin, je n’ai jamais vécu en pleine campagne, mais j’ai grandi dans une maison, et pas en ville. Je crois que j’ai vraiment besoin de mon propre espace. Un endroit où je peux être seule, expérimenter sans pression extérieure, et choisir qui je veux inviter. Mais chacun a son propre lieu où il se ressource. Pour moi, c’est ma maison, mais j’ai rencontré un mec après un concert qui m’a dit que son endroit à lui, c’était sa voiture. Il chantait à fond dedans et il s’y sentait super bien.

LFB : Pour moi, ma « safe place » c’est aussi être à l’écoute de moi-même. Ne pas hésiter à annuler des trucs si je n’en ai pas envie. Ça m’a pris du temps, mais quand je le fais, c’est un soulagement énorme.

CM : Oui, je crois qu’on ressent une grosse pression, surtout quand on est jeune. Tout le monde te pousse à sortir, à voir des gens… Mais en fait, ce n’est pas si grave de dire non. Ça ne veut pas dire que tes amis vont t’oublier ou qu’e tu vas manquer quelque chose d’important pour toi. Ce qui compte, c’est d’être en phase avec soi-même. Quand tu arrives à comprendre ça, c’est vraiment libérateur. Et tu déculpabilises de passer une soirée tranquille à jouer à Zelda, par exemple !

LFB : Ce sera notre mot de la fin, non, tu en penses quoi ? Merci beaucoup Charlie pour ton temps !

CM : Merci à vous !

crédit photos : David Tabary

Retrouvez Charlie Motto sur Instagram et à la Maroquinerie le 31 mars

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