Chien Noir : « c’est toujours la chanson qui prend le dessus »

C’est aux Francofolies de La Rochelle qu’on a eu le plaisir de retrouver Chien Noir. L’occasion de discuter avec lui de la création de son premier album Apollo, mais aussi d’écriture, de tournée et de se découvrir en tant que frontman.

La Face B : Salut Jean, comment ça va ?

Chien noir : Ça va très bien Charles.

LFB : Content d’être là ?

Chien noir : Je suis hyper content d’être là. C’est les Francos donc il y a un côté de déjà-vu, où t’as la sensation de rentrer quelque part.

LFB : De rentrer à la maison ?

Chien noir : Un p’tit peu.

LFB : Tu as beaucoup beaucoup tourné depuis octobre quand même. Est-ce que tu as l’impression de toucher un peu du doigt le rêve dont on parlait déjà à l’époque du premier EP ?

Chien noir : En fait, tout ça c’est une construction permanente, c’est vraiment quelque chose qui se construit et tu n’as pas souvent le temps de te dire « putain, là c’est bien, j’arrive quelque part« , tu vois ?

Tu passes ton temps à te demander comment tu peux faire mieux, comment tu peux faire différemment, où est-ce que tu peux aller. Tu vois moi, j’ai envie d’aller ailleurs pour la suite, j’ai envie de faire d’autres choses, je suis en train d’écrire, des trucs comme ça…

LFB : C’est marrant que tu parles de construction parce que depuis 2021 j’ai l’impression qu’il y a une vraie question d’étapes : un EP, un deuxième EP, un album. J’ai l’impression aussi qu’il y a une chose qui est hyper importante, c’est que tu as gardé la maîtrise du temps et la maîtrise de ne pas, justement, aller trop vite ; de ne pas brûler certaines choses qui auraient pu être néfastes en fait.

Chien noir : Oui je vois ce que tu veux dire, mais le truc c’est que je n’aurais pas pu faire autrement. Je suis un peu lent. En tout cas c’est un rythme qui me convient très bien.

LFB : Tu dis que t’es lent mais trois sorties en trois ans, c’est pas mal quand même !

Chien noir : Ouais c’est quand même pas mal. Là je pense que je vais breaker un peu, je vais faire une petite pause.

LFB : Il faut que tu profites aussi de la tournée.

Chien noir : Ouais puis il y a un moment je vais avoir besoin de me recentrer, de retrouver pourquoi est-ce que j’écris. Je vais en avoir besoin, et j’en ai besoin déjà.

LFB : Il y a un truc qui peut paraître anodin mais qui pour moi a une vraie signification : sur les photos de promo et sur la pochette de Apollo, t’as laissé tomber la casquette.

Chien noir : Oui, bien sûr !

LFB : On parlait d’étapes, j’ai l’impression que c’est aussi quelque chose qui t’amène ailleurs un peu avec le casque, malgré tout, qui reste présent.

Chien noir : Le casque c’est un peu cette casquette mais que j’ai pas sur la tête. C’était important pour moi. Je voulais y aller vraiment, je ne voulais pas me planter. Je voulais y aller en mode très direct et frontal.

LFB : La première fois que je t’ai interviewé (interview à retrouver ici), je t’avais parlé un peu de musique d’esquisse et de trucs un peu volontairement flous, mais c’est vrai que sur cet album-là c’est plus direct effectivement. On est vraiment dans le concret et même sur certains titres, j’ai l’impression que Jean prend le pas sur Chien noir qui s’efface un peu.

Chien noir : Ouais. En effet, il y a beaucoup de partis pris dans cet album, des partis pris très forts de direction musicale. J’avais des envies et je me suis dit « en fait, là je vais y aller à fond, à fond la caisse.« . J’avais envie d’axer vraiment sur la musique que j’écoutais petit. Des trucs comme Max and the Mechanics, des trucs comme Goldman, des trucs comme ça. Tu vois cet air assez synthé, des synthés assez spéciaux d’ailleurs. Et ça, j’y suis allé vraiment sans compromis et je suis content de ça.

LFB : Moi j’ai une référence qui m’a un peu sauté aux yeux, j’ai beaucoup pensé à Bon Iver.

Chien noir : Oh tu me fais plaisir en disant ça, merci !

LFB : Tu parles du synthé mais il y a aussi le traitement de la guitare sur certains morceaux Cabane dans les bois ou Esseulés, qui est très très beau et très pur.

Chien noir : Ben merci, je suis vraiment très content que tu me dises ça parce que c’est une référence en France qu’on a pas tant que ça, alors que moi c’est ma référence absolue. En effet, il y a des chansons comme A quoi pensait-elle, c’est vraiment du Bon Iver. Et puis même dans les sons de synthé, tu vois, dans Les mots qu’il faut, pour moi c’est du Bon Iver, c’est genre dEAThbREasT, l’album 22, A Million et i,i ; c’est vraiment ces 2 albums-là qui m’ont scotché. Vraiment de modernité et de puissance. Et je voulais qu’il y ait de ça dans ma musique.

LFB : Même sur le traitement de la voix par moment j’ai l’impression aussi.

Chien noir : Ouais, pour la voix il y a aussi Caroline Polachek qui, en fait, est très présente dans cet album, mine de rien, sur comment on a traité la voix.

LFB : Comment tu fais cet équilibre-là ? Il y a un truc très anglo-saxon dans le son, même dans l’ampleur que ça prend aussi. Dans Je veux par exemple, tu sens qu’il y a une volonté de faire un hymne pop aussi pour justement coupler à cette écriture et à cette tradition françaises.

Chien noir : Ouais ! En fait le truc c’est que, chez moi, c’est toujours la chanson qui prend le dessus. Tu vois, quand j’ai écrit Je veux, je n’étais pas en mode « je vais faire un tube ». En fait, j’ai écrit ça et je l’ai produite en même temps, et j’étais quasiment en sueur en train de l’écrire, parce qu’il faisait très chaud, en plus c’était en plein été.

Et ça s’est imposé à moi. C’était cette énergie que je voulais. Et c’est pour ça que dans mes albums, il y a toujours plein de choses différentes. C’est parce que ce sont des choses qui s’imposent à moi. Dans le premier EP, il y avait du Buena Vista Social Club, mais il y avait aussi du Radiohead… Et là c’est pareil : il y a du Bon Iver, du Goldman, du Bruce Springsteen, du Cure. C’est toujours la chanson qui s’impose.

LFB : Il y a un truc presque transcendantal. On en avait déjà parlé, l’idée de se laisser habiter par la musique, qui est encore présente, mais j’ai l’impression que tu maîtrises plus. C’est un peu plus resserré, il y a une vision.

Chien noir : Oui, alors je pense qu’il y a peut-être un peu plus une vision d’ensemble. En mode, « ça va être mon premier album, j’ai envie que ce soit un ensemble un peu cohérent et voilà ce que je veux y mettre« . Tu vois, Bruce Springsteen ça a été énorme pour la création de cet album-là. Dancing in the dark par exemple. Il y a une chanson qui s’appelle Le souffle, c’est un peu ça.

LFB : Il y a toujours énormément de douceur dans ta musique, mais j’ai l’impression qu’il y a aussi une petite noirceur qui, pareil, pointe encore et qui, pour moi, est beaucoup plus présente que ce que tu as fait avant. Aussi, mais c’est évident quand on sait l’histoire qu’il y a derrière l’album, l’existence s’était imposée dans l’écriture de manière très concrète sur le processus.

Chien noir : Oui, je vois ce que tu veux dire. Mais en fait je pense que j’ai changé par rapport à l’écriture es deux premiers EPs, où je doutais énormément, et c’est toujours le cas mais j’ai l’impression que c’est plus ce qui me définit aujourd’hui. Et je sais pas ce qui me définit aujourd’hui, je sais pas exactement ce que c’est. Mais il y a quelque chose qui a changé, et c’est bien ! Moi je trouve ça bien de changer, d’aller voir autre chose et d’exprimer le monde un peu différemment. Il n’y a aucune prétention derrière tout ça, moi la seule chose que je veux chaque fois, c’est laisser exprimer quelque chose qui me correspond. C’est m’exprimer, parler.

LFB : C’est de l’instantanéité.

Chien noir : Tout à fait !

LFB : On parlait d’écrire autre chose que de la musique, disons que chaque sortie est un chapitre de ton existence.

Chien noir : Je suis assez d’accord, c’est une bonne image.

LFB : Est-ce que tu sais déjà où est-ce que le prochain chapitre va t’emmener ?

Chien noir : Alors oui, j’ai déjà pas mal écrit et j’ai pas mal d’idées de réal’. Et je vais le réaliser moi-même, ça va être la première fois que je vais faire ça. Mais ça va être vraiment 100% réalisé par moi parce que j’ai envie. Et si tu veux tout savoir, je suis en train d’écrire un bouquin, on va voir, il est presque fini. On est en recherche de partenaires.

LFB : En parlant d’écriture justement, tu as écrit pour les autres. Tu as même écrit pour Bandit Bandit si je ne me trompe pas. Là sur l’album il y a un duo, et il y a aussi une chanson qui était sur l’album et qui est ressortie en duo avec Raphaël. Je me demandais justement ce que ça te faisait que des artistes habitent ta musique. Ce qui est complètement différent du processus d’écrire pour les autres en fait.

Chien noir : En effet. Alors déjà, écrire pour les autres c’est incroyable. Quand tu vois quelqu’un, je sais pas, comme Christophe Willem, qui chante ta chanson en festival, c’est incroyable. C’est fou ce que ça fait, tu vois ? Quand tu partages tout d’un coup quelque chose qui est très intime, avec quelqu’un qui la chante avec toi, je trouve que ça crée un lien extrêmement fort. Avec Clou, aujourd’hui on est devenus très très copains. Je la considère comme étant quelqu’un de très proche. C’est comme si tout d’un coup elle chantait une de mes visions du monde. Je trouve ça trop beau. J’adore.

LFB : Le don à l’autre.

Chien noir : Oui, un don d’elle. Tout d’un coup elle offre, par sa bouche, une vision qui devient un peu différente et je trouve ça trop bien.

LFB : On parlait au début de la tournée. Tourner avec des gens ça a changé quoi pour toi ?

Chien noir : En fait, il y a un truc de camaraderie que j’adore. (rires)

LFB : Ca se voit beaucoup sur tes réseaux sociaux.

Chien noir : Oui, en fait je les adore. Ils sont vraiment top. C’est vraiment quelque chose qu’on partage. Ce sont des gens qui m’accompagnent d’une façon formidable parce qu’ils m’accompagnent, évidemment sur scène, mais d’une manière humaine derrière. Et quand tu pars une semaine en Moldavie, et ben heureusement que tu as des gens comme ça derrière.

LFB : Qui parlent ta langue aussi.

Chien noir : Oui voilà, c’est ça ! Puis en vrai en Moldavie c’était incroyable. C’était un grand grand moment de ma carrière, je trouve, d’aller là-bas. Puis même, ça me solidifie. Je me sens plus fort, ça me permet de délaisser un peu l’instrument et d’être en frontman sur la scène, et j’adore, ça me fait du bien.

LFB : Chose que tu as découverte du coup ?

Chien noir : J’ai complétement découvert ça et j’adore. Ouais, ça me fait du bien. Je me sens bien à faire ça.

LFB : Si je pouvais t’offrir 3 vœux là comme ça, de quoi tu aurais envie ?

Chien noir : Hm… Abolir le travail, revenu universel pour tout le monde et un troisième vœu… Je sais pas hm… Mon troisième vœu c’est que toi tu puisses faire ce que tu veux. Voilà ! (rires)

LFB : C’est gentil de penser aux autres ! Dernière question : la dernière fois on avait parlé manga. Est-ce qu’il y a des choses récentes qui t’ont marqué ? Un film, un album…

Chien noir : Alors, il y a plein de choses. J’ai lu énormément de livres ces derniers temps, mais bon. Je vais vraiment prendre le dernier truc que j’ai vu. C’est un film avec Bacri, c’est Un Air de Famille. Avec Jaoui et Bacri. Et en fait ce film, c’est la première fois que je le voyais et j’ai halluciné. C’est un film incroyable, il est extraordinaire.

LFB : Super bien écrit toujours.

Chien noir : Trop bien écrit, trop bien joué. Le film c’est 100% un des meilleurs films que j’ai jamais vus. Donc je conseille ça pour ceux qui sont passés à côté comme moi, tous ces films-là. Je vais me les faire tous là.

LFB : Merci beaucoup !

Chien noir : Merci à toi Charles.

Crédit Photos : Célia Sachet