Peu d’artistes soulèvent autant d’attention et d’attraction dans la scène Rap contemporaine que Tyler, the Creator. Depuis maintenant quelques années, l’originaire d’Hawthorne déchaîne les passions et devient peu à peu une icône culturelle générationnelle au sens large. Ce dernier, fort d’une discographie très large, a sorti en cette fin d’année son huitième album studio, Chromakopia. Une œuvre qui prend de nombreux contre sens et démontre une pleine possession des moyens de l’artiste.
Ce nouveau projet est pour le moins une surprise pour le public du rappeur californien. Chromakopia vient briser un cycle que ce dernier entretenait depuis le début de sa carrière. À savoir un rythme de parution se renouvelant tous les deux ans. Call Me If You Get Lost: The Estate Sale étant sorti l’année dernière, la première nouveauté se présente directement. Un autre changement qui ici renvoie au fonctionnement de toute l’industrie concerne la date choisie par Tyler, the Creator pour rendre public ce nouveau projet — le 28 octobre, un lundi matin. Ce huitième disque se place alors, dès ses fondations, en contradiction totale avec toute forme d’uniformisation et de tradition installée.
Dans un sens, on peut interpréter cette approche comme une évidence. Musicalement, l’américain se place dans une sphère à part, qui n’appartient qu’à lui-même et développe un style et une sensibilité inimitables. Depuis 2017 et la sortie de Flower Boy, l’identité de Felicia the Goat s’est complètement métamorphosée. Ce qui fût par la suite confirmé par IGOR et Call Me If You Get Lost qui développent cette même idée. On y retrouve une identité imprévisible, qui s’affranchit complètement de toute forme de barrière et de genres musicaux pour construire une identité riche et d’une grande originalité.
Chromakopia entre entièrement dans ce moule, et ce dès son introduction. St.Chroma ouvre le disque sur un ton militaire, suivi de près par une volonté de lui insuffler une âme résolument mélodique qui nous est introduite par un breakdown qui rappelle le Rock par certains aspects. Cette transition quelque peu originale et inattendue est notamment permise par l’utilisation de la voix de Daniel Caesar, présent sur deux morceau du projet. Les deux pistes suivantes, Rah Tah Tah et Noid, single promotionnel du projet, entretiennent cette idée de versatilité imprévisible. Rien ne se répète et à vrai dire, ces trois premières pistes regorgent d’idées qui déferlent et s’entre-choquent tout le long du projet. On ressent la créativité débordante du rappeur qu’il étale comme à son habitude, même au sein d’un seul et même morceau.
On retrouve cependant de nombreux passages beaucoup plus nuancés. Extraits durant lesquels Tyler The Creator s’ouvre énormément, et construit un cadre intimiste lui permettant de se livrer de manière très franche. On peut particulièrement prendre les exemples de morceaux comme Darling, I – avec Teezo Touchdown – ou encore Hey Jane et Like Him en collaboration avec Lola Young. Il est rare de voir le californien s’ouvrir de la sorte, mais ce dernier prouve une nouvelle fois que lorsqu’il s’aventure dans une telle entreprise, il le réussit avec brio. Pour revenir sur Hey Jane, on peut de plus remarquer un travail remarquable sur la production du morceau – qui s’avère en réalité être une remarque que l’on peut étendre à l’entièreté de Chromakopia.
Tous les morceaux de ce huitième album s’enchaînent à la perfection. Les détails sont étudiés et réfléchis pour offrir une sensibilité et surtout une fluidité que très peu de projets contemporains sont capables d’atteindre. Il s’agit d’autant plus d’une prouesse que le disque enchaîne les influences et ambiance différentes à chaque morceau. On peut mettre un certain crédit au travail de Tyler, the Creator qui, en plus d’être auteur, compositeur et interprète est également crédité à la production de Chromakopia.
Cela nous mène alors à mettre en avant la maîtrise impressionnante dont l’artiste fait preuve. Ce dernier qui depuis maintenant plusieurs années perfectionne son style qui lui est très propre semble arriver à un point qui ne laisse que peu de doutes quant à sa maturité. Une maestria que Tyler a également mis en œuvre lors de son festival, le Camp Flog Gnaw, pendant lequel il a interprété certains de ces nouveaux morceaux sur scène. Que ce soit sur album ou sur scène, tout le projet respire le contrôle et la sérénité, même lors de ses prises de risques régulières.
Avec Chromakopia, Tyler, the Creator signe une œuvre d’une maturité évidente. Ce dernier arrive à s’y accaparer toutes les casquettes possibles pour nous offrir un projet qui oscille entre la confirmation d’une vision géniale et la continuité d’une exploration mélodique qui semble sans limite. Ce huitième album est indéniablement une grande réussite qui continue de placer son auteur parmi les visionnaires de sa génération et les valeurs sûres d’une industrie qui tend de plus en plus vers l’uniformisation.