En 2022, Black Country, New Road perdait leur meneur emblématique, Isaac Wood. Trois ans plus tard, les Londoniens reviennent avec Forever Howlong, premier album studio de cette toute nouvelle configuration à six. Un disque virtuose, poétique, entraînant, et profondément singulier, porté par une bande d’amis de longue date.

Une histoire d’amitié
Le 26 octobre 2023, les membres de Black Country, New Road font leur entrée sur les planches du Trianon, à Paris. Au centre de la scène, pas de meneur. À la place, les six musiciens et musiciennes s’installent en arc de cercle, de sorte qu’aucun d’eux ne prend la lumière. Ou plutôt : ils la partagent.
Cette scénographie inattendue et audacieuse est à l’image du choix que fait le groupe début 2022. Suite au départ de leur leader emblématique Isaac Wood pour des raisons personnelles quelques jours avant la sortie de leur deuxième album, les six membres restants décident de continuer à faire vivre le projet.
Un pari risqué, mais relevé avec brio, puisqu’un an plus tard, ils émerveillent leur public de fans historiques et de nouveaux convertis, avec un set entièrement neuf.
Cette ténacité, le groupe la doit à l’amitié de longue date qui lie Tyler Hyde, May Kershaw, Georgia Ellery, Lewis Evans, Luke Mark et Charlie Wayne. Une amitié qui se traduit par une connivence remarquable sur scène. Et qu’on retrouve dans le premier album studio de cette nouvelle configuration, Forever Howlong, sorti le 4 avril.
Un disque qui symboliquement, s’ouvre sur le morceau Besties – “meilleurs amis”.
Musique pointue, émotion intacte
Si le lien qui unit les membres du groupe a permis à celui-ci de ne pas voler en éclat au départ de Wood, il n’explique pas à lui seul le génie de Forever Howlong. Cet album, qui s’extrait joyeusement des contraintes de genre, n’aurait pas pu voir le jour sans un mélange de technicité individuelle et d’alchimie collective.

Maîtrisant parfaitement leurs instruments respectifs, ils s’aventurent ensemble sur des terrains musicaux peu empruntés. En effet, rares sont les chansons qui respectent une structure couplets-refrains. Quatre d’entre elles dépassent les six minutes. Et il n’est pas rare qu’on passe dans un même morceau de la Folk, au Rock, à une Pop énergique. Dans Two Horses, par exemple, ou For the Cold Country et son épique envolée finale. Le terme “jouer” prend d’ailleurs tout son sens quand on les entend s’amuser à nous surprendre avec des variations rythmiques et mélodiques.
Chose rare : cette virtuosité est mise au service d’une grande sensibilité. Elle donne au groupe la liberté d’explorer des émotions dans toutes leurs nuances. Même des chansons tragiques comme Mary – où il est question de harcèlement – et Nancy Tries to Take the Night – sur une maternité non désirée – ne sauraient être catégorisées comme de simples “chansons tristes”.
Un rejet des conventions qui est, il faut le dire, follement rafraîchissant.
Un trio d’autrices-chanteuses au service d’une cohérence d’ensemble
Plutôt que de désigner un successeur ou une successeuse à Isaac Wood, le groupe en a choisi trois. Ce sont donc Tyler Hyde, May Kershaw et Georgia Ellery qui se partagent l’écriture et le chant. Tantôt solo, tantôt en chœur, elles apportent leur singularité aux chansons et créent une cohérence d’ensemble.
Cette unité vient aussi du mode de composition collégiale du groupe. Et du fait que les autrices-compositrices se sont mutuellement inspirées. Tyler Hyde explique par exemple avoir été influencée le morceau Besties, de Georgia Ellery, pour l’écriture de Happy Birthday. Une osmose rendue possible par l’étroite collaboration musicale et l’admiration réciproque qui règne au sein du groupe.
Enfin, c’est nul autre que James Ford (Blur, Arctic Monkeys, Depeche Mode, Fontaines D.C.) qui signe la production de l’album et participe à lui donner ces couleurs si particulières.
L’effet Black Country, New Road
Le résultat se trouve à mi-chemin entre la Folk et une Pop Orchestrale aux accents baroques. Les voix peu trafiquées, l’interprétation théâtrale voire opératique des chansons et le côté live de l’album poussent au rapprochement avec Fiona Apple ou Regina Spektor.
Mais la comparaison s’arrête là – le son de BC,NR étant véritablement unique en son genre. Que ce soit dans la manière qu’ont Hyde, Kershaw et Ellery de raconter des histoires, offrant toujours plusieurs niveaux de lecture. Ou dans la capacité du groupe à créer des univers colorés pour faire vivre chacune de ces histoires. Le tout en faisant groover – entre autres – un clavecin, une mandoline et des flûtes.
C’est ainsi qu’on se retrouve à balancer gaiement la tête en écoutant Salem Sisters, morceau dans lequel la narratrice s’imagine brûlée vive, prise d’anxiété sociale lors d’un barbecue estival. Ou à s’émouvoir du sort de “Nancy” dans Nancy Tries to Take the Night puis se surprendre à taper frénétiquement du pied alors que la rythmique s’emballe à la moitié du morceau. Tout cela est symptomatique de ce qu’on pourrait appeler “l’effet Black Country, New Road”.

Lewis Evans décrit l’album avec les mots suivants : « une musique non prétentieuse et sophistiquée qui peut être appréciée sur différents niveaux » (Tsugi, 4 avril 2025). Ce qui est sûr, c’est que celles et ceux qui déplorent une uniformisation des rythmes et des sonorités trouveront dans la Pop de Forever Howlong un contre-exemple et un remède puissant.
Et pour les sceptiques qui attendent de le voir pour le croire – on vous comprend. Ça se passe le 9 octobre à Paris (Casino de Paris), le 10 à Nantes (Stereolux) et le 26 à Lyon (Epicerie Moderne).